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l’avaient conduit et sauvé des populations provençales, si irritées. Il
avait donné des signes d’une peur si naïve, qu’on ne pouvait pas
croire qu’il bravât encore ce danger.
Mon beau-père, homme plein d’imagination et de cœur, s’était
épris du héros malheureux, et s’était fait à l’île d’Elbe l’un de ses
secrétaires, lui lisant et lui traduisant les journaux anglais et
autres [122] . Il lui atténuait les injures, insistait plutôt sur les
renseignements utiles qu’on en pouvait tirer. Mais ce qui, je crois, le
lança dans son entreprise téméraire, ce fut moins les
renseignements vagues qu’il eut par Dumoulin, Chaboulon, d’après
Bassano ou la reine Hortense, que l’itinéraire très précis que
Lavalette et autres dévoués purent lui tracer, lui marquant que,
derrière le Rhône si menaçant, on pouvait remonter par les Alpes-
Maritimes, Grenoble, enfin Dijon, parmi des populations tout
opposées, où les bonapartistes se trouvaient prépondérants.
[122] Voy. madame Michelet, Mémoires d’une enfant.
Tout fut mené habilement. Il passa derrière le rideau des
montagnes jusqu’à Grenoble, toucha Lyon, passa rapidement au
Nord, en évitant le Centre, le Midi, l’Ouest, de manière à dire ou à
croire que la France était pour lui. On le mena toujours en face des
soldats, de manière à faciliter les pourparlers, au lieu qu’on aurait dû
le laisser à distance, ne s’expliquer qu’avec le canon.
Quant à l’audace tant admirée de se présenter seul à Grenoble,
d’offrir sa poitrine aux fusils, la scène était d’un effet si certain, si
prévu, qu’on s’étonne de l’importance que tous, même les historiens
royalistes, ont attachée à ce fait. Son instinct lui faisait assez deviner
que des soldats français seraient frappés, s’arrêteraient devant ce
geste dramatique, ne tireraient pas sur un homme qui apparaissait
seul, quand même cet homme n’eût pas eu le prestige de son nom.
Tout le servit, au point qu’on ne coupa pas même les ponts de
Lyon, sous le prétexte frivole que ce serait gâter ces beaux
monuments.
Louis XVIII, qui avait dit aux Chambres qu’il resterait,
s’enterrerait sous les ruines de la monarchie, lui fit la partie belle en
s’en allant à Gand la veille de son arrivée (19 mars). Napoléon n’osa
entrer à Paris que le soir. Paris le haïssait. Mais, d’autre part, le
doute était immense. L’émigration, maîtresse sous les Bourbons,
faisait entrevoir à la France une révolution territoriale, analogue à
celle des confiscations de Ferdinand VII, dont nous allons parler. De
là, le trouble, l’embarras de Ney, et la fluctuation de Benjamin
Constant ; après avoir écrit violemment contre Bonaparte, il fut
crédule à ses promesses et se rendit à son appel aux Tuileries.
M. de Sismondi, un des hommes les plus honnêtes de l’Europe,
et qui fit tout exprès le voyage de Paris, m’avoua plus tard que lui-
même avait été alors dans une grande perplexité, voyant bien que,
sans Bonaparte la contre-révolution allait arriver. Cependant, il ne lui
avait jamais été favorable ; il le trouva changé, au-dessous de lui-
même, gras, ventru et bavard. Sa figure était autre. « Je trouvai, dit
Sismondi, que dans sa pâleur elle ressemblait à une tête de veau
bouillie. »
Bonaparte mentait visiblement en disant que l’impératrice allait
revenir. L’Autriche, il est vrai, en repoussant Napoléon, comme les
autres puissances, n’ôtait pas tout espoir, se réservant pour le cas
d’une régence. Napoléon dut à son mariage autrichien l’une des
principales causes de sa ruine ; il lui dut sa folle confiance.
D’une part, il ne donna pas l’essor au parti franchement national ;
et il perdit en paroles le temps qu’il pouvait déjà employer en
opérations militaires, par exemple à prendre la Belgique, qui lui eût
donné cinquante mille hommes de plus.
Ceci m’a rappelé l’histoire des condottieri et celle des tyrans
d’Italie, qui, par des mariages princiers, attirèrent et perdirent trois
de ces aventuriers si fins, et prouvèrent que pour perdre un homme
le meilleur piège est une femme.
Au reste, la guerre avait changé d’aspect. Elle avait pris pour
Alexandre, alors de plus en plus mystique, l’aspect d’une croisade
contre l’ennemi de la paix commune, le représentant du principe
anti-chrétien.
S’il y avait pour Bonaparte une chance de salut, c’était d’évoquer
franchement le principe contraire, celui de la Révolution. Mais il en
avait peur. La France était moins endormie qu’on ne l’a dit. Son Acte
additionnel aux Constitutions de l’Empire, donnant les libertés
nouvelles comme une continuation d’un despotisme de douze ans,
ne trompa pas les électeurs qu’il avait appelés à le jurer. Ils dirent
sévèrement qu’il devait rapporter de l’exil le repentir de son passé.
Le jour de ce serment, la cérémonie du Champ de Mai fut ridicule
en bien des sens. D’abord, pourquoi ce nom carlovingien de Champ
de Mai ? Et pourquoi cette messe et ces cardinaux en bas rouges ?
Champollion aîné, un homme assez équivoque, lut le chiffre douteux
et incomplet des votes (qu’on dit celui de la presque unanimité).
Mais ce qui fut étrange, faillit ôter toute gravité à la cérémonie,
ce fut le costume de l’empereur. Quelle fut la surprise de voir celui
qui paraissait toujours en habit militaire, botté, éperonné, en robe
blanche, immaculée, sous l’innocent costume du jeune Éliacin dans
Athalie ! Ajoutez que sur cette blancheur virginale apparaissait la
figure jaune et sombre du Corse [123] .
[123] M. Michelet assista à la cérémonie ; il avait alors
seize ans. A. M.
Le tout sembla (ce qui était vrai) un mensonge théâtral. Le pis,
c’est qu’on se demandait si ce serait là tout ; car on attendait autre
chose. Les uns croyaient que Marie-Louise et l’enfant allaient revenir
avec la paix ; d’autres que Bonaparte, abdiquant la couronne,
rétablirait la République sous un consul élu.
A la suite de cette comédie, dans ce moment où l’Europe tout
entière s’avançait contre lui, il s’occupait à composer sa Chambre
des pairs. Dans celle des députés, il n’avait pas pour lui plus de
soixante membres.
C’est-à-dire qu’il était repoussé de la France autant que de
l’Europe. Dès le 13 mars, non seulement les rois, les diplomates,
mais les peuples même, avaient condamné ce démon de la guerre.
Sa déportation aux terres australes, à Sainte-Hélène, était
prononcée, applaudie surtout par les masses armées qui, retournant
chez elles en 1814, étaient ramenées en 1815 pour exécuter la
sentence prononcée contre ce convict odieux.
Le grand événement de la restauration de l’Espagne faisait
espérer aux Bourbons de fausser celle de la France, d’éluder les
promesses de la Charte, octroyées (comme on a vu) malgré eux.
La folle obstination de Bonaparte dans son affaire d’Espagne lui
avait fait traîner jusqu’au dernier moment son projet de rendre la
liberté à Ferdinand et de le renvoyer en lui imposant des conditions.
Il en voulait aux Espagnols de leur vaillante résistance et ne stipula
rien pour eux. D’autre part, les Anglais, que les Cortès empêchaient
de prendre Cadix et les colonies d’Amérique, s’en vengèrent en
n’exigeant rien pour l’Espagne auprès de Ferdinand.
Ainsi, des deux côtés, cette héroïque nation fut remise sans
condition à son tyran altéré de vengeance.
Le 24 mars, à peu près au moment où les alliés entraient à Paris,
Ferdinand entrait en Espagne, n’ayant reçu des Cortès nulle
obligation que celle d’un serment illusoire. Il l’éluda par une lettre
ambiguë qu’il envoya devant lui. Et enfin le 24 mai, à Valence, il
déclara nuls tous les décrets des Cortès et se refusa à jurer la
Constitution.
Le ministère anglais qui le connaissait bien et craignait que
l’Angleterre ne s’indignât d’avoir tant fait pour rétablir un monstre,
avait tiré de lui cette seule promesse : qu’il n’y aurait pas de sang
versé. Mais cela n’empêcha pas qu’on ne fît mourir les patriotes
dans la lente agonie des présides (les bagnes africains). Cela
n’empêcha pas que douze mille personnes à la fois furent bannies,
leurs biens confisqués. Tout le midi de la France fut peuplé de ces
squelettes vivants qui expiraient de faim. L’Inquisition, rétablie,
ajoutait aux rigueurs d’une police terrible, suivant les directions de
Gravina, le nonce de Pie VII, et du confesseur de don Carlos, qu’il
fallut arracher à la direction d’un couvent de jeunes religieuses qu’il
avait souillées toutes.
Cette tyrannie de l’Espagne et ces vastes confiscations inspiraient
à nos émigrés une vive rivalité. Et l’on cherchait les moyens de
parvenir à les imiter, en s’unissant avec l’Espagne, avec Naples
(rendue aux Bourbons), et ressuscitant ainsi entre ces trois
puissances parentes le Pacte de famille, selon l’idée de Choiseul et
de Louis XV. Pour replonger ainsi tout l’Occident au parti rétrograde
on s’adjoignit l’Autriche, de manière à isoler l’empereur Alexandre,
qui n’eût plus eu pour lui que l’alliance prussienne.
Projet bigot du pavillon Marsan, des amis du comte d’Artois, et
que Louis XVIII, par son instinct naturel de fausseté, acceptait
contre Alexandre qui l’avait amené à Paris et forcé de donner la
Charte à la France.
Louis XVIII eut le plaisir de confier cette œuvre d’ingratitude à
l’homme qui avait le plus à se louer d’Alexandre, à Talleyrand, auquel
le czar avait accordé cet honneur de loger chez lui à Paris. Talleyrand
fut charmé de machiner cette intrigue au Congrès de Vienne, et par
là de se réconcilier avec le parti rétrograde.
Alexandre, indigné, par représailles, accueillit bien Eugène et
tous les Beauharnais, qui en conçurent des espérances folles.
Il faut dire qu’il se montra étonnamment imprudent, en donnant
à Bonaparte une résidence en son propre climat, en lui assignant la
Corse, puis l’île d’Elbe, si voisine de la France et de l’Italie.
Talleyrand répétait malignement le propos anglais, que l’on aurait
mieux fait de le mettre au bout de l’Océan, à Sainte-Hélène, lieu seul
facile à surveiller, où il serait dans une demi-prison, sur un pic
basaltique, comme ceux où les Anglais ont gardé tant de princes
indiens.
CHAPITRE III
WATERLOO (18 JUIN 1815)
Le grand historien qui a réduit à leur juste valeur les mensonges
de Sainte-Hélène, M. Charras, et M. Quinet dans un petit livre
admirable, n’ont pas assez, peut-être, insisté sur ce point : Que la
France l’avait condamné, rejeté, et je ne parle pas de la France
royaliste, de la Vendée, du Rhône, mais de la grande France
impartiale qui faisait la majorité immense du pays. Il n’en put tirer
que 16 000 conscrits. Le peu de voix qu’il avait à la Chambre des
députés exprime parfaitement la faible minorité qui le suivait encore,
et qui prit part à cette guerre.
« Il avait trop peu de monde à Waterloo. » Pourquoi ? C’est que la
France le connaissait, et qu’elle hésitait fort à combattre pour
ramener la tyrannie et la guerre éternelle.
L’armée de Waterloo était proprement militaire, n’étant pas
composée de jeunes gens comme la majorité de celle de Leipsick,
mais de soldats la plupart bronzés et durcis par la guerre. Il y avait
des prisonniers revenus d’Espagne, de Russie, ou des pontons
anglais, tout cela fort irrité, sauvage.
Un narrateur anglais, qui était dans la cavalerie anglaise, raconte
avec quelle haineuse animation les cuirassiers français poursuivaient,
piquaient par derrière les Anglais mieux montés et qui les
devançaient toujours. « Je n’avais jamais vu, dit-il, de figures si
hostiles, ni si âprement militaires. »
Les nôtres étaient pleins, non seulement de colère, mais de
défiance, rapportant à la trahison tous les revers récents, ne tenant
jamais compte ni des fautes de Napoléon, ni de cette circonstance,
d’avoir mis contre soi l’humanité entière.
Plusieurs passaient à l’ennemi, non comme Marmont, in extremis,
ayant bien combattu, mais d’avance et au moment critique, comme
le Vendéen Bourmont.
Chose pire encore, Clarke, ancien ministre de la guerre en 1814
(et en 1815, ministre de Louis XVIII à Gand), donna aux alliés les
renseignements les plus utiles. Un officier, envoyé par lui, fit de
mémoire aux alliés le calcul, l’énumération des forces qu’avait
Napoléon (120 000 hommes). Wellington sut tout dans la nuit, et
n’accepta la bataille qu’étant certain que les Prussiens viendraient le
seconder à quatre heures de l’après-midi.
Ceux-ci d’abord, fort effrayés par les succès de Bonaparte à
Fleurus, à Ligny, se débandèrent, dit Marmont, en grand nombre.
Car Marmont qui, pour ses blessures, était aux eaux d’Aix-la-
Chapelle, vit arriver 3000 fuyards prussiens dans ce lieu si éloigné de
la bataille.
Marmont, juge compétent, et fort d’accord avec l’exact Charras,
dit que Napoléon, par son indécision, perdit les avantages qu’il avait
eus d’abord, que le 16, il affaiblit Ney, l’empêcha d’emporter les
Quatre-Bras et d’écraser l’avant-garde ennemie. Cette indécision
promena d’Erlon en marches et contre-marches, de sorte qu’il ne fut
utile ni contre les Anglais ni contre les Prussiens, qui par l’arrivée de
Bulow, eurent trente mille hommes de plus.
Le 18 juin, à Waterloo, Bonaparte sut par une lettre de Blücher,
interceptée, que Blücher arriverait à quatre heures de l’après-midi.
Donc, il devait attaquer de bonne heure. Le temps était mauvais ;
une grande pluie était tombée la nuit ; et la moisson mouillée rendait
la plaine peu traversable à la cavalerie et à l’artillerie. « Ajoutez, dit
Marmont, qu’on calculait que, pour une longue bataille on avait peu
de munitions. »
Napoléon déjeuna à huit heures, bien tard pour juin où le jour
vient si tôt. M. Pétiet, général de cavalerie qui, de son cheval, le
regardait déjeuner à une petite table, dit que tous furent frappés de
sa pâleur, d’un effet fantasmagorique ; « en voyant, disait-il, ce
visage de suif, nous conçûmes un mauvais augure ».
Donc, il ne commença le combat qu’à onze heures, selon le vœu
de Wellington qui, montre en main, devait attendre quatre heures et
l’arrivée des Prussiens avec grande impatience.
Heureusement pour lui, Napoléon perdit des heures encore à
forcer le château d’Hougoumont qu’il pouvait écraser d’artillerie, s’il
n’eût économisé la poudre. Et pourquoi n’avait-il pas eu la
prévoyance d’en faire venir assez ?
La cavalerie française ayant refoulé, écrasé l’anglaise, dominait,
conduite par Ney, le plateau qu’occupait Wellington, lorsque
l’infanterie anglaise par sa fermeté, ses décharges rapides, ses
armes excellentes, sa poudre supérieure, arrêta court les nôtres. Là
était le moment de faire agir la garde impériale. Mais Napoléon ne
s’y décidait jamais qu’ayant employé tout. Ici, elle partit trop tard, et
agit peu. Son artillerie, fort lourde, s’embourba. Et Wellington la
voyant embarrassée, paralysée, pour prolonger cet embarras, fit un
sacrifice effroyable. Il grisa un de ses plus beaux régiments de
dragons, et, sans bride ni mors, les lança d’en haut sur les nôtres,
bien sûr que ces dragons seraient tous massacrés, mais que, par ce
massacre, il obtiendrait encore quelques minutes pour l’arrivée des
Prussiens. Bulow était déjà venu avec trente mille hommes, Blücher
venait avec quatre-vingt mille.
Là se place la grande dispute. Napoléon accuse le retard de
Grouchy. Mais, quand même Grouchy eût mieux marché, dit Charras,
avec trente mille hommes, aurait-il pu en arrêter cent mille [124] ?
Grouchy de toute façon, n’arrivant qu’à dix heures du soir, n’eût fait
qu’augmenter le désastre.
[124] Charras, ch. XV.
La fin de la bataille et la confusion qui suivit, sont très favorables
aux tableaux d’imagination. Là, les rhéteurs triomphent. Même les
royalistes (par culte du pouvoir, quel qu’il soit) s’efforcent de couvrir
Napoléon. « Il s’élançait ; on le retint, et il ne fut pas libre de
mourir. »
Son aide de camp (le général Bernard) dit tout le contraire. Il
partit de bonne heure, et son cheval persan le porta d’un trait à dix
lieues, à Philippeville. Il fut le premier des fuyards. Comme aux
retours d’Égypte, de Moscou, de Leipsick, il devança tout le monde,
mérita le prix de la course.
On a vu en Provence à quel point il était nerveux. Ici, il y eut,
dans cet empressement de se mettre en sûreté avant toute chose,
une bien grande insensibilité et un oubli de tout honneur. Car enfin
cette armée n’était nullement détruite, et on dit que les Anglais et
Hollandais avaient perdu autant de monde. Les masses noires des
Prussiens, arrivant tout à coup au nombre de cent mille, avaient
produit la grande alarme, et fait dire : « Ils sont trop [125] ! »
[125] Mot historique.
Sur la route, des hommes énergiques (comme Mouton-Lobau)
essayèrent plusieurs fois de reformer les nôtres. Mais ils étaient
atteints au cœur, découragés. Qui osera dire que la présence de
l’empereur (s’obstinant à rester) n’eût pas arrêté, fixé au sol
beaucoup de ceux que Lobau alignait, de ceux que Cambronne
blessé, sanglant, garda, et qui crurent mourir avec lui ?
A Charleroi, Bonaparte dit : « Je resterai à Laon. » A Laon, il fit
son bulletin mensonger sur Waterloo, regrettant seulement de
n’avoir pas osé accuser Ney de la perte de la bataille. Enfin, il se
décida pour affronter Paris, disant que s’il tenait Paris, il tenait tout.
Mais comme à son retour de l’île d’Elbe il n’osa y entrer que le soir,
et piteusement, alla à l’Élysée, n’aborda pas les Tuileries.
Ici, encore, les royalistes et Lamartine en tête, sont pour
Napoléon ; ils attribuent tout ce qui va suivre aux intrigues de
Fouché, qui d’une part s’entend avec Wellington, de l’autre pousse
Lafayette.
Très vaines finasseries, qu’on substitue à une chose que la
nécessité faisait d’elle-même et qui est plus claire que le soleil.
L’empereur avait dit des représentants dans son bavardage
indiscret : « Une victoire, et je les fais taire. Deux victoires, je les
chasse. » Il avait dit cela, le jour de son départ pour Waterloo [126] .
[126] Lamartine lui-même en convient. Restauration,
t. IV, p. 328.
Il revenait vaincu, pour la troisième fois, ayant perdu la France,
et demandait qu’elle lui confiât encore son salut.
Chose imprudente, absurde, lorsque les alliés avaient déclaré,
dès le 14 mars, qu’il était l’obstacle unique à la paix, qu’on ne faisait
la guerre qu’à lui, non à la France.
La conduite d’Alexandre en 1814 avait été véritablement
magnanime et de nature à inspirer confiance. Il avait soutenu contre
les ennemis acharnés de la France qu’elle devait rester grande en
Europe, et insisté, contre les émigrés, pour qu’elle eût une Charte
qui lui garantît le repos intérieur.
De Bonaparte, en remontant jusqu’au 18 brumaire, on n’avait
rien que des parjures, et les entreprises hasardées du plus
imprudent des joueurs.
Il offrait à la France, quoi ? de lui faire partager l’anathème
prononcé sur lui et confirmé par sa défaite.
Ce vaincu et ce condamné venait dire : « Croyez-moi encore, et
je vous sauverai. »
Il semble qu’à ce moment tous les débris de Waterloo qui
arrivaient par miracle, délaissés de lui, sans qu’il eût pris le moindre
souci de leur sort, eussent dû protester contre lui. Mais ces soldats
restaient bonapartistes, chose bizarre, et il se trouva avoir bientôt
une masse militaire contre l’Assemblée.
Oui, il y eut courage à Lafayette de proposer le décret suivant qui
fut adopté : « La Chambre reste en permanence. Qui tentera de la
dissoudre, sera jugé pour trahison. On convoquera la garde
nationale. Les ministres sont mandés dans l’Assemblée. »
Par ce décret, la Chambre allait prendre le gouvernement, l’ôtait
à Bonaparte ; elle lui défaisait son 18 brumaire.
Que ferait-il ? Déjà cerné des armées de l’Europe, ruiné et par
Waterloo et par les proclamations des alliés qui promettaient la paix,
il lui restait un seul genre, non de salut, mais de suicide : d’employer
ces soldats qui revenaient toujours obéissants, à une entreprise
exécrable qu’il avait rêvée l’année précédente, et qui n’eût abouti
qu’à faire brûler Paris.
Se révolter contre la Chambre, autrement dit contre la France !
Heureusement il n’eut pas alors le courage de ce grand crime, qu’il
eût essayé en 1814 sans le refus de ses généraux, Ney, Oudinot,
Lefebvre, etc.
En 1815, il n’avait plus l’audace d’une entreprise aussi
désespérée. Sa poltronnerie de Provence, sa fuite précipitée de
Waterloo l’avaient fort amolli, et malgré la minute de courage qu’il
eut à Grenoble, il commençait à se juger lui-même, comme le jugera
l’avenir.
Lucien, qui était un fou, lui proposait de refaire un 18 brumaire.
Napoléon n’osa, et lâchement s’en tint à l’expédient de prier que
cinq commissaires avisassent avec les ministres à sauver sa
dynastie.
Un flot de vomissement, ici, vient à la bouche, avec ce mot de la
Convention au 9 thermidor : « Qu’un tyran est dur à abattre ! »
Mais combien Robespierre, farouche, mais désintéressé, méritait
moins cet anathème !
Bonaparte, avec une obstination insensée, répugnante, insistait
pour sa dynastie, voulant que la France en danger appelât à la
défendre, à la sauver, un enfant autrichien de race épileptique, dont
les portraits sont ceux d’un demi-fou.
Lucien, ayant eu l’audace d’insister dans ce sens, s’attira un mot
terrible de Lafayette ; véritable sentence, dont cette famille funeste
reste à jamais marquée, et qui répondait violemment à l’apostrophe
du tyran en brumaire : « Qu’avez-vous fait de la France ? »
A la Chambre des pairs, où il colporta sa proposition effrontée
d’appeler la petite marionnette, c’est-à-dire Napoléon même, il fut
bafoué.
Sylla disait qu’avec une chemise pleine de poux, il n’y a de
ressources que de la brûler.
Juste comparaison. De tous les parasites, le plus tenace est le
tyran. Voilà pourquoi les Italiens, pour décider le sort des races
tyranniques, ne se réglèrent jamais que par l’axiome de Sylla.
Napoléon abdiqua… pour son fils.
Telle fut sa ténacité, que, quand on lui parla de la renonciation
que devaient faire ses frères à la couronne, il s’irrita, il s’exclama.
Enfin, ayant connu que les pairs mêmes repoussaient la Régence,
il dit : « Je n’abdiquerai point. »
Il fallut à la lettre le mettre par les épaules hors de la France.
Et là-dessus, nouvelle comédie.
Tout le long du chemin jusqu’à Rochefort, il eût voulu faire croire
que sa sentence prononcée le 5 mars par toute l’Europe, pouvait
être réformée par l’Angleterre seule.
On ne lui promit rien, on ne répondit pas.
Mais, par une maladresse insigne, on le logea à Sainte-Hélène ;
de manière que, de ses tréteaux si haut placés, le fourbe put faire
un Caucase, abusant la pitié publique, et préparant, à force de
mensonges, une seconde répétition sanglante de tous les malheurs
de l’Empire.
APPENDICE
GRAINVILLE [127]
Le poème du dernier homme.
[127] Voy. le chapitre X de ce volume.
J’étais dans la Syrie, non loin des ruines de Palmyre. Là, s’ouvre
une caverne profonde, où nul n’entra jamais pour revenir au jour.
Nos vaillants de l’armée d’Égypte en tentèrent l’aventure et ne
reparurent pas.
Et moi aussi, pourtant, j’osai m’engager sur leurs traces. Après
avoir longtemps marché dans l’horreur des ténèbres, j’eus le
bonheur de revoir un jour pur. Je me voyais comme au milieu d’un
cirque bâti de roc, et vis-à-vis d’un trône ou trépied de saphir. Du
trépied, une voix vint frapper mon oreille : « Ne crains rien ; je t’ai
appelé… Je suis l’Esprit de l’avenir, le père des songes vrais et des
pressentiments. Je commence la justice pour les bons et pour les
méchants, en les faisant prophètes de leur sort.
« Dans les miroirs magiques que tu vois près de moi, vont
t’apparaître ensemble le premier et le dernier homme. Celui-ci n’aura
pas de postérité qui le bénisse et le connaisse ; je veux qu’avant de
naître, il vive dans la mémoire, qu’on célèbre ses combats, sa
victoire sur lui-même. A toi de raconter quelles peines il souffrira
pour abréger les maux du genre humain, pour l’aider à mourir, pour
finir le règne du temps, pour hâter les récompenses éternelles. »
Cependant une île apparaît, île affreuse, tout près des portes des
enfers. Elle n’a d’habitant qu’un vieillard, l’infortuné Adam, père des
hommes, qui, pour sa désobéissance, est condamné à voir
incessamment tomber dans les enfers ses fils que sa faute a perdus.
Un ange vient à lui, le même qui jadis, sous les berceaux d’Éden, lui
apportait les messages de Dieu. L’ange ramène Adam sur la terre. La
mission pénible que Dieu lui donne, c’est de persuader au dernier
homme de délivrer le monde de la vie, de couper le fil qui l’y retient
encore ; fil sacré… c’est l’amour.
Adam s’effraye, s’afflige… Ah ! combien il est attristé lorsqu’il
revoit la Terre telle que le temps l’a faite ! Comme un fils qu’une
longue absence a séparé de sa mère, jeune encore et qui pleure en
la revoyant changée, ridée, courbée sous le poids des années, Adam
voit la terre et gémit : « Je t’ai quitté si belle ! et voilà maintenant, tu
n’es plus qu’une ruine ! Le soleil lui-même a vieilli, son front est pâle,
je soutiens son regard… »
Il avance pourtant. D’une cité déserte et d’un palais désert, il voit
sortir le dernier homme et sa femme, la charmante Sidérie. Aimable
et dernière fleur de l’humanité, bientôt disparue, ce couple accueille
Adam avec une joie touchante, comme un hôte, un père, comme un
homme ; ce dernier titre est grand dans la solitude universelle.
« Nous étions effrayés, dirent-ils ; des présages terribles nous
remplissaient d’alarmes… Nous cherchions un consolateur et vous
êtes venu… Enseignez-nous à apaiser le ciel ! »
Adam est attendri. Dans Sidérie il revoit Ève et tout ce qu’il aima.
Les voilà ses beaux cheveux blonds et sa grâce, son charme
enivrant, sa ravissante pudeur.
Il leur demande, il apprend de leur bouche toute l’histoire de leur
destinée. Ils ont péché ; le dernier homme en fait l’aveu à son père
vénérable ; leur faute, c’est d’aimer malgré Dieu, de continuer la vie
du monde au delà du destin.
« Mon père, dit le dernier homme, fut roi comme ses pères,
bientôt roi sans sujets ; déjà, vingt années avant que je naquisse,
l’hymen était devenu stérile. Ma naissance fut un phénomène qui fit
la joie de tous. Mon père me prit dans ses bras et s’écria : « Le
genre humain vit donc encore !… O Dieu ! conserve celui-ci !… » Des
femmes vinrent du bout du monde pour voir, toucher dans leurs
transports celui qu’elles saluaient de ce nom : l’homme-enfant !
Cette joie dura peu. Bientôt je restai seul. Tout s’éteignit autour
de moi. J’enterrai de mes mains mon père, ma mère. Seul, j’habitais
cette demeure immense. Un jour, je la quittai, tourmenté du désir
d’épancher mon cœur, de communiquer mes pensées ; j’allais voir
dans le monde s’il restait encore des humains.
Un jour, dans ce voyage, une figure étrange m’apparut, m’arrêta,
celle d’un sombre génie qui respirait le feu et vivait dans le feu,
homme et volcan mobile ; des larmes roulaient dans ses yeux, mais
les feux dévoraient les larmes : « Je suis le génie de la Terre, dit-il,
et la Terre va mourir. Dieu me l’avait bien dit le jour de la création :
« les hommes vivent peu, mais ils renaissent, me dit alors le
Créateur ; toi, tu vivras longtemps, mais ta mort sera éternelle. Elle
aura lieu le jour où l’homme n’aura plus de fécondité. » Le jour est
arrivé ; il n’est plus qu’une femme qui pourrait recommencer le
monde… Cherche-la, trouve-la… Sauve-toi, sauve-nous ! »
Le génie m’indiqua un guide, le savant Idamas. Ce sage, qui
savait toutes choses, me lut, aux divines annales, comment la Terre
infortunée fut épuisée par ses enfants. Ils exprimèrent de ses
entrailles les derniers principes de vie. Eux-mêmes jouirent trop, se
prodiguèrent, languirent. Idamas pleurait d’abondantes larmes sur la
défaillance du monde et la langueur du genre humain : « Jour
affreux, disait-il, où nous vîmes la lune horriblement large et
sanglante descendre à nous, brûlée par un volcan !… C’est ainsi que
nous la perdîmes. On cherchera à jamais dans le ciel l’astre aimable
des nuits. »
Adam interrompt à ces mots : « Quoi ! mon fils, nous ne la
verrons plus ?… Ah ! j’aimais sa douce lumière. Faut-il, hélas ! la
pleurer ! lui survivre ! »
Le dernier homme continua : « Ce fut en vain qu’un génie
surhumain essaya de combattre la stérilité du globe défaillant. On
ouvrit aux fleuves des routes nouvelles, on mena la charrue aux
fertiles limons de leur lit. Mais quoi ! la terre eût-elle été féconde, les
hommes même étaient stériles. Bien plus ! ils devenaient barbares.
Effarouchés par la faim, ils se regardaient d’un œil ennemi.
Plusieurs, dit-on, formaient l’exécrable complot d’exterminer la
moitié du genre humain pour le salut de l’autre.
» Idamas, avec ses amis, m’enlevèrent au moyen d’un vaisseau
aérien, me firent passer les mers et trouver les parages qui me
gardaient l’heureuse épouse dont le sein peut renouveler le monde.
C’était aux rives du Brésil. Le genre humain s’était réfugié aux terres
ardentes qui gardaient l’étincelle. Mais là, même, l’homme l’avait
perdue. La Cité du soleil, où nous descendîmes, était riche et
superbe, riche d’or, pauvre d’hommes ; c’était un somptueux désert.
La terreur de la faim y planait ; une loi barbare punissait de la mort
l’étranger qui osait y chercher un asile. Épargnés à grand’peine, nous
dîmes notre recherche, le bienfait d’un hymen qui serait le salut de
tous.
» Le roi du pays fit comparaître devant moi les filles de
l’Amérique. Belles, blanches comme la neige des monts, il ne leur
manquait que la vie. Une seule avait la flamme, la passion ; son
souffle était pressé, rapide ; des éclairs jaillissaient de ses longues
paupières abaissées ; de son sein, malgré elle, s’échappaient des
soupirs.
» Sidérie est la fille d’une race indomptée. Son père est le dernier
des sauvages du Nord, qui toujours dédaignèrent les villes, et,
jusqu’à leur fin, préférèrent les forêts et la liberté.
» Rien ne manquait à mon bonheur. On fit venir un vieux pontife
pour bénir notre hymen. Ormus, c’était son nom, vint, mais triste et
plein de douleur. Lui-même il avait bien longtemps médité, essayé
tous les arts régénérateurs qui pouvaient raviver le monde. Vaincu
par la nature, il n’espérait plus rien. Notre hymen lui semblait du
plus sinistre augure : « Hymen fatal ! dit-il. Le jour où le dernier des
races royales de l’Europe épousera la jeune Américaine, le monde
sera près de finir. Si je me trompe, s’il en est autrement, Dieu nous
avertira ; il fera germer les semences qu’on a déposées dans la
Terre. »
» Avec quel empressement on ouvrit le sillon !… Mais la Terre
était trop intéressée à l’union qui pouvait lui donner quelques
moments encore. On vit avec surprise qu’elle avait accueilli les
semences, les avait fait germer. Tous se jetaient aux bras les uns des
autres, s’embrassaient en pleurant : « La nature n’est pas morte ;
elle revit pour nous et nous vivrons ! »
» Le pontife ne résiste plus ; il obéit, mais sans persuasion. Il
bénit notre hymen : « S’il doit être funeste, dit-il, puisse Dieu me
frapper moi-même, et vous avertir par ma mort ! » Il dit, tombe
frappé aux marches de l’autel : « Malheur ! malheur ! dit-il, si cet
hymen s’achève !… Une race en naîtrait maudite, qui se dévorerait
elle-même, et n’aurait de Dieu que la faim ! »
» Tous s’effrayent, et l’on nous sépare. Plusieurs complotent
d’égorger la nuit même ces funestes époux, qui tôt ou tard
pourraient se rapprocher. Nous périssions si le père de Sidérie n’eût
veillé sur nos jours, ne nous eût réunis, embarqués l’un et l’autre sur
un navire ailé, qui nous rapporta jusqu’ici à travers les airs. »
Le dernier homme en était à ce point du récit, quand Sidérie,
craignant la suite de ses révélations naïves, se leva rougissante, et
saisit un prétexte pour s’éloigner de son époux.
Celui-ci, en effet, contait au vieillard, sans réserve, comment la
nouvelle épousée résista, comment elle repoussait l’amour qu’elle-
même avait au cœur. « Elle avait juré à son père que cette union
resterait pure, qu’elle s’ôterait la vie plutôt que de compromettre les
destinées du monde et de prolonger sa durée contre l’ordre de Dieu.
Elle aimait, refusait, combattue cruellement d’amour et de douleur.
La fraude la vainquit. Le génie de la Terre lui apparaît sous les traits
de son père, et lui commande l’union. Il fait apparaître à ses yeux,
dans une image de volupté touchante, Ève presque enfant encore,
et déjà absorbée au bonheur de l’allaitement, pressant son fils au
sein charmant où il boit la vie. Sidérie ne résiste plus ; elle veut et
désire… Il devient son époux. »
Le dernier homme termine son récit. Il avoue à Adam qu’à ce
moment si doux, si solennel, la Terre refleurit d’espérance ; mais,
hélas ! le soleil pâlit, le ciel rougit de taches sanglantes.
Là commence la dure, la cruelle mission d’Adam ; mais Dieu le
veut ainsi.
Celui qui commença la race humaine doit, pour dernière douleur,
la finir, clore l’amour ici-bas, consommer le divorce et la séparation
suprême, ordonner le mortel adieu…
Tels furent les mots d’Adam au dernier homme, ou plutôt les
mots de Dieu même : « Fuis, mon fils, fuis-la, cette femme trop
aimée, et pour toujours !… Tremble de devenir père de la race
maudite ; crains d’engendrer des monstres ! »
L’infortuné, à ces paroles, pâlit et recula : « O mon père, disait-il,
n’avez-vous pas vous-même voulu vous perdre avec la mère des
hommes ?… Eh bien, je ferai comme vous ! » Sa douleur est si
grande, si vraie, si pathétique, qu’Adam pleure avec lui. Le premier
homme et le dernier ont confondu leurs larmes dans le plus tendre
embrassement.
» Sois le libérateur du monde, ô mon enfant, son bienfaiteur ! Ne
prolonge pas sa misère ! Permets-lui de finir. Tes pères attendent au
sépulcre que, le monde expiré, leurs cendres se raniment, leurs os
se lèvent, et que le genre humain revive avec mille bénédictions
pour toi.
» Tu hésites… Ah ! je sens que mon supplice recommence. Je les
vois dans la plaine aride, sous un ciel ténébreux, ces derniers
humains, je les vois hideux et cruels, assis aux banquets exécrables,
se disputant les membres de leurs frères, s’arrachant des lambeaux
sanglants. »
Il dit. Le dernier homme les voyait aussi, ces images horribles. Il
ne résista plus : « Mon père, que du moins Sidérie ne puisse me
maudire ! Qu’elle sache que son époux la trahit malgré lui ! Qu’elle
sache mon innocence ! » L’infortuné élève un autel sur la route et y
inscrit ces mots, que Sidérie lira en recherchant sa trace : « Je ne fus
point coupable [128] . »
[128] Dans cette fuite du dernier homme il y a une
très belle page. Il passe où fut Paris. La ville n’existe plus.
Tous les monuments sont détruits. Un seul reste, élevé à
Bonaparte. Des hommes des quatre parties du monde y
ont écrit ses bienfaits, ou plutôt les espérances qu’il
donnait en brumaire où Lucien l’avait présenté comme un
médecin qui allait guérir la France. De là aussi le beau
tableau de Gros, où on le voit touchant les plaies des
Pestiférés de Jaffa. De là l’erreur passagère de plusieurs
philosophes et patriotes, Chénier, Garat, Cabanis,
Daunou, Grainville et autres.
Il l’avait deviné sans peine. La pauvre abandonnée, ne le voyant
plus revenir, hors d’elle-même et désespérée, avait fui son palais.
Elle allait, elle errait, interrogeant le sable pour trouver ses vestiges ;
elle voulait le suivre, le chercher par toute la terre. Et cependant le
jour baissait, en plein midi ; il se faisait peu à peu de grandes
ténèbres. Elle allait à tâtons, pleurant, se heurtant aux pierres du
chemin. La terre, ébranlée par moments, se fendait de rides
profondes ; de grands arbres tombaient, des monuments croulaient…
Elle n’en allait pas moins échevelée, et se frappant le sein.
Quelles sont ces plaintes qui sortent des cavernes ? quelles sont
ces voix qui gémissent dans l’air ? les animaux s’enfuient et hurlent :
ils courent, se jettent aux abîmes. Les cloches vont d’elles-mêmes ;
on dirait qu’elles sonnent la fin du genre humain… Ah ! que la mer
devient livide ! sans tempête, elle s’agite, elle mugit, elle roule et
vomit des cadavres. Ceux qui, dans tous les âges, furent engloutis
par elle, elle les rend aujourd’hui. La terre ondule aussi bien que la
mer ; elle craque, elle s’ouvre, et, béante, lance, comme un volcan,
des cendres qui vécurent et des poussières humaines… O spectacle
effroyable ! l’éruption des morts !…
Pénétrée d’horreur, Sidérie n’en cherchait pas moins son époux.
Une pluie de cendres qui tombait ajoutait aux ténèbres. Elle
traversait, distinguait (mais à peine) d’immenses champs de ruines ;
c’étaient des cités disparues. Paris même n’était qu’un amas de
décombres.
Une faible lumière brille pourtant là-bas, dans une demeure qui
est debout encore. « Si c’était lui ! » Elle court, elle crie, ou veut crier
du moins ; la voix lui manque, l’air dense, épais, sonore, ne permet
plus la voix. Un vieillard et sa femme étaient dans cette maison
effrayés et tremblants du naufrage de la nature. « N’ouvre pas !…
c’est l’âme des morts ! » disait la femme épouvantée.
La pauvre Sidérie, muette, et voyant encore son espoir trompé,
s’enfuit, lève les mains à Dieu… Un froid mortel l’avait saisie, elle
croyait mourir ; elle entre dans un temple ; défaillante, elle tombe
aux marches d’un autel. Là, Dieu en eut pitié. Il lui verse le sommeil,
le repos et les songes. Il lui montra son Jugement, le triomphe des
justes, la beauté de la vie nouvelle, transfigurée divinement ; elle se
voit, légère, qui monte à Dieu, heureuse et près de son époux. Au
réveil, elle est calme, résignée et prête à la mort.
Cependant l’horloge, désormais solitaire, vient de sonner la
dernière heure. Le soleil s’est voilé de deuil. La nuit victorieuse
prend possession du ciel. Elle adresse ces mots à l’armée des
ténèbres : « C’en est fait, leur dit-elle, des caprices de l’astre du
jour ! Il tombe, le tyran… Rappelez-vous, ô filles éternelles, le temps
où nous régnions ensemble sur le vide et le chaos. Ce temps revient.
La pâleur a couvert la face du soleil. Venez, achevons l’ennemi. » Elle
dit, et sans peur, sans respect pour l’agonie du jour, d’un bond elle a
franchi les cieux.
Grande était la terreur du Génie de la Terre. L’éruption des
dépouilles humaines lui dénonçait sa fin. Il quitte ses abîmes, où,
jour et nuit dans les flammes, il a si longtemps travaillé, fomenté et
brassé la vie. Il va trouver la Mort :
« Quoi ! dit-il, est-ce fait ? Le dernier couple humain a-t-il fini ?
Songez-vous bien, ô Mort, que la femme portait dans son sein le
gage d’une postérité ? Seriez-vous assez ennemie de vous-même
pour tuer l’espérance des mortels qui vous appartiennent ?
« — Tu ressembles, dit la Mort en secouant la tête, à ces vieux
décrépits qui, déjà sous ma faux, se promettent de longues années.
Vois-tu le ciel ? Vois-tu la terre ? Tout finit. Et moi-même, je ne suis
plus ce que j’étais ; à peine me reconnais-je. Je parcours lentement
tous les climats ; plus de vies à frapper, plus de victimes, plus de
sang… J’ai soif… Ta Sidérie, ton dernier homme, je veux pourtant les
épargner. Je le jure, tant qu’ils aiment, je ne les touche pas, tant
qu’ils ont la flamme féconde qui engendre et prépare des morts. »
Le génie ne la quitte que pour faire au centre du globe un
sacrifice aux démons des enfers. Il se remet à eux, leur confie son
péril, son effroi, et l’horreur qu’il a de disparaître : « La mort n’est
rien pour l’homme ; il sait qu’il renaît immortel. Pour moi, je ne
renaîtrai point. Je ne crains pas la mort, mais je crains le néant.
Quoi ! je ne serai plus ! je ne serai jamais ! »
Vaines plaintes ! les démons lui échappent ! « C’en est fait, disent-
ils, nous rentrons aux enfers. »
La Mort, voyant pourtant l’extinction du soleil, croit que le Génie
l’a trompée. Elle ne tiendra pas son serment. Sidérie elle-même veut
mourir. Et la Mort la touche, la délivre et la rend à Dieu.
Une voix s’élève alors dans l’air, grande et lugubre voix : « Le
genre humain est mort ! » La nature, dès cette heure, est libre de
mourir et de rentrer dans le repos.
« Ah ! barbare ! s’écrie le Génie de la terre. Mort barbare !
comment l’as-tu frappée ? Sidérie était le genre humain ; en elle tu
l’as tué tout entier ! Voilà ce que j’avais prévu dès le jour où périt
Abel. Je savais que, de meurtre en meurtre, tu en viendrais au
dernier rejeton de cette pauvre humanité. »
Mais la Mort, d’un air ironique : « Remercie-moi, je suis la
bienfaitrice du genre humain. Eh ! sans moi, sans le soin que j’ai pris
de détruire à mesure cette race dangereuse, le monde se fût éteint
plus tôt ; ils auraient épuisé la terre, et tu aurais fini ; tu serais mort,
comme tu vas mourir. »
Il n’attend pas le coup, il plonge au centre du globe ; il s’établit
sur la masse immense des soufres et des bitumes. Le flambeau à la
main, il attend. Elle avance. Il jette l’étincelle. Telle est l’explosion,
que la terre recule sur elle-même, elle vole en débris ; elle lance les
Alpes au ciel, lance les Pyrénées. La Mort n’atteint pas moins, au
sein de ce chaos, le Génie, qui expire.
Et avec lui, les ténèbres finissent. Un jour plus doux que celui de
la lune, plus éclatant que le soleil, mais libre, et non concentré dans
un astre, vient redorer le firmament. C’est l’aurore de l’Éternité.
FIN DU TOME TROISIÈME.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE TOME TROISIÈME
Pages
Avant-propos V
Préface. — Coup d’œil sur l’ensemble de ce siècle et sur son déclin
rapide VII
Tous les États déclinent en ce moment VIII
Le dix-neuvième siècle IX
Naquit métis et bâtard X
Le dix-huitième eut une allure très simple X
L’ascension vers la liberté X
Le dix-neuvième penche vers la fatalité X
Son impuissance philosophique XII
Sa fécondité littéraire XII
Il a eu d’admirables renouvellements XIII
Combien il a changé XIV
De médecine XIV
De régime alimentaire XVI
Son énervation XVI
La confession, le roman, l’alcool XVI
Ce siècle se relèvera-t-il ? XVIII
Quelques vues d’avenir XIX
LIVRE PREMIER
France. — Italie. — Russie 1
I. Le nouveau gouvernement. — Plus de lois ; des
hommes. — Le choix des fonctionnaires 1
II. Lutte de la France et de la Russie. — Nelson et
Souvarow en Italie 13
III. Campagne de mai 1800. — Passage du grand Saint-
Bernard. — Famine de Gênes. — Masséna
abandonné 20
IV. Marengo (14 juin 1800). — La bataille perdue et gagnée 27
V. Le tyran. — Le cancer. — Machine infernale. — Aveugle
proscription (fin de l’année 1800) 31
VI. Le czar Paul. — Son amour pour la France (1798-1800) 38
VII. Le czar Paul. — Ses projets. — Sa mort (31 mars 1801) 43
VIII. Suites de la mort de Paul. — Tyrannie des Anglais sur
mer, de Bonaparte sur terre. — Paix d’Amiens. —
Concordat (1802) 56
IX. Le triomphe de l’ennui. — Retour impuissant du passé.
— Chateaubriand (1861-1806) 66
X. Grainville. — Le Dernier homme 80
LIVRE DEUXIÈME
Angleterre. — France (1798-1805) 97
I. Malthus (1798) 97
II. Watt et la machine. — Incroyable enrichissement de
l’Angleterre 103
III. Rupture de la paix (1803). — Lutte d’Hortense et
Joséphine contre les frères de Bonaparte 109
IV. Conspirations royalistes contre le futur empereur. —
Enghien, Moreau, Pichegru, Cadoudal. — Février-mai
(1804) 119
V. La folie de Bonaparte pour le fils aîné d’Hortense. —
Joséphine lui impose une démarche humiliante 127
VI. Le sacre. — Le pape à Paris. — Triomphe d’Hortense et
Joséphine sur les frères de Bonaparte 131
LIVRE TROISIÈME
Allemagne 139
I. Allemagne politique 139
II. Renaissance littéraire et morale de l’Allemagne. —
L’école critique et fantaisiste. — L’école de l’énergie
(avant 1806) 147
III. Ni la France, ni l’Allemagne, ni l’Angleterre ne voulaient
fortement la guerre. — Retour et déclin de Pitt
(1805) 158
IV. Triomphe d’Ulm. — Désastre de Trafalgar (octobre
1805) 165
V. Austerlitz (2 décembre 1805) 173
VI. Indécision d’Alexandre. — Mécontentement de la Russie
et de l’armée russe contre Alexandre 182
VII. L’âme de la grande armée (1806) 187
VIII. La banque se joue de Bonaparte. — Ouvrard fait agir
ensemble Bonaparte et Pitt (1805) 194
IX. Iéna 202
X. Le décret de Berlin. — Servitude du continent 212
XI. Napoléon devant la Pologne (1807) 217
XII. Bataille d’Eylau (8 février 1807) 223
XIII. Friedland (juin 1807). — Découragement d’Alexandre 227
XIV. Tilsitt. — Le partage du monde européen (1807) 231
XV. L’arrière-scène de Tilsitt. — Comment la résistance
naissante profite de l’aveuglement de Napoléon 237
LIVRE QUATRIÈME
Occupation de Rome, de Lisbonne, de Madrid (1808) 243
I. Occupation de Rome (mars 1808) 243
II. La trahison d’Espagne (1808) 248
III. Le soulèvement de l’Espagne (mai 1808) 255
IV. L’expiation. — Revers de Napoléon à Baylen et Cintra
(1808) 261
V. La comédie d’Erfurth (septembre-octobre 1808) 268
VI. Le démembrement de la grande armée. — Les arrabiati
(1808) 273
VII. Essling et Wagram (1809) 282
VIII. Mariage d’Autriche (1810) 292
IX. Napoléon se brouille avec ses frères, s’étend de tous
côtés, menace la Russie (1810) 297
X. Expéditions de Portugal, de Russie (1811-1812). — Les
guerres de l’incendie 305
LIVRE CINQUIÈME
Russie. — Allemagne (1812-1815). — France (1812-1815) 317
I. Désastre de Moscou. — Déroute de l’armée française 317
II. Malet. — Dispositions de l’armée au retour 323
III. Bataille de Leipsick (1813) 326
IV. Campagne de 1814. — Abdication de Napoléon. — Sa
férocité pour Paris 330
V. Du caractère, du cœur de Bonaparte 339
LIVRE SIXIÈME
Restauration. — Les Bourbons. 347
I. La Charte. — Louis XVIII (1814) 347
II. Les Cent jours 354
III. Waterloo (18 juin 1815) 362
APPENDICE
Grainville. Le poème du Dernier homme 374
FIN DE LA TABLE DU TOME TROISIÈME
PARIS. — IMPRIMERIE ÉMILE MARTINET, RUE MIGNON, 2.
*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DU XIXE
SIÈCLE (VOLUME 3/3) ***
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