En 1954, Fripounet et Marisette est toujours le « journal de l’enfance rurale », hebdomadaire édité par le mouvement Cœurs vaillants (31 rue de Fleurus, Paris 6ème), tiré sur les presses de l’imprimerie Chaix et qui paraît le dimanche. La maquette n’a pas changé : 4 pages en couleurs et 4 pages en noir et blanc. Le bandeau–titre est stable depuis 1949. Le journal s’adresse en priorité aux 8-12 ans mais les plus grands et grandes jusqu’à 16 ans y trouvent des rubriques dédiées. En dernière page figure, comme les années précédentes, le trio de noms de l’équipe dirigeante : Jean Pihan, Gaston Courtois et Cyrille Rivière qui sont cités respectivement comme directeur délégué aux publications, président du conseil d’administration et membre du comité de direction.

Tous les numéros de 1954 sont constitués de 8 pages à l’exception de ceux de Pâques, de l’Assomption et de Noël, qui en comptent 12. Le prix à l’unité est de 20 F sauf pour les numéros de 12 pages qui sont à 25 F.

S’il n’y a donc pas de changement majeur par rapport à l’année précédente, on peut cependant remarquer une évolution notable dans la forme comme dans les contenus. La maquette tend vers une rationalisation plus grande. À partir du numéro 6, le roman à suivre, placé traditionnellement en page 2, est relégué en page 6 de sorte que les rubriques « sérieuses », celles consacrées aux grands et grandes notamment, se trouvent rassemblées au début du journal, tandis que les rubriques « pour s’amuser », fictions et bandes dessinées, glissent plutôt vers la fin du journal. Les rubriques très courtes ont tendance à disparaître. C’est le cas par exemple de l’instructive Ici Radio-Fripounet. C’est aussi le cas des strips : on pouvait en lire 21 en 1953, il n’y en a plus que 2 en 1954. Les gags ne sont guère plus nombreux : ils sont 5 en 1954, ils atteignaient le nombre record de 43 en 1952. Les rubriques de jeux sont également moins nombreuses : 35 en 1954 alors qu’elles étaient encore 64 en 1953 après avoir culminé à 89 en 1951. La tendance est la même pour les rubriques de courrier des lecteurs. Globalement, on peut dire que les rubriques s’étoffent et sont moins nombreuses.

Il est tentant de voir dans cette évolution un retour à des valeurs militantes plus clairement affirmées. Les résultats du référendum lancé l’année précédente, annoncés dans le numéro 43 de 1953, faisaient apparaître qu’à 97% les lecteurs souhaitaient « imiter les Indégonflables », qui sont notoirement engagés. Les changements qui surviennent en 1954 en sont peut-être la traduction éditoriale. Fini la rigolade ! Exit les strips et les gags et doucement sur les jeux ! L’heure est grave et exige un engagement collectif. Alors que « des bruits de guerre […] nous effraient tant ces derniers mois » (n°21), il convient de s’engager pour la paix : une pleine page l’affirme : « Nous les enfants, nous construirons la paix » (n°21). Au niveau national, une campagne est lancée, avec même des appels de fonds, pour rien moins que la construction d’une église à Roselay, sur la commune de Ciry-le-Noble en Saône-et-Loire. Cette campagne se poursuit sur plusieurs mois. Les lecteurs sont appelés à devenir des « bâtisseurs ». Le courrier des clubs de bâtisseurs prend le pas sur celui des lecteurs individuels. L’année 1954 est marquée aussi par le 25ème anniversaire du mouvement de la Jeunesse agricole catholique (JAC), affirmé en plein essor, qui fait l’objet de plusieurs articles tout au long de l’année. La filiation du journal avec ce mouvement est rappelée.

Pour autant, l’air du temps, celui du progrès, du modernisme, de la croissance économique, est bien présent dans Fripounet et Marisette en 1954. Une réflexion sur la nouveauté technologique est maintes fois encouragée pour les plus grands (sur le motif gaz ou mazout versus feu de bois par exemple). Les mots « ohé ! », « allo ! », « fameux », qui sont à la mode, sont abondamment utilisés. L’objet fétiche de la fin de l’année semble être le stylo à bille : on peut en gagner au concours organisé par le fabricant Reynolds et la revue en offre un, « à niveau d’encre visible » et « aux armes de Fripounet et Marisette », à tous ceux qui collecteront les bons à paraître dans les quatre derniers numéros de l’année et y joindront 30 F. L’espace qu’occupe la publicité ne faiblit pas. Des publicités récurrentes pour les chocolats Kohler et Nestlé occupent fréquemment un quart de page. Si les strips ont disparu, les strips publicitaires, eux, ont la cote. Erik en est le spécialiste avec une série mettant en scène le commissaire Picablo qui fait la promotion des différentes publications des éditions Fleurus, l’éditeur du journal, et une autre consacrée aux biscuits Trois Chatons.

En 1953, le dessinateur Yvan Marié faisait une apparition remarquée. Il disparaît presque complètement l’année suivante, sans doute accaparé par une activité plus attrayante dans Lisette des éditions de Montsouris. En 1954, c’est Solveg, Solange Voisin, qui d’une certaine manière occupe sa place. Comme lui, dans le genre réaliste, elle réussit son entrée avec un style déjà accompli qu’elle décline aussi bien pour illustrer des rubriques documentaires de toutes sortes, que des contes et des nouvelles, aussi bien le roman à suivre Le Trésor du loup de May d’Alençon – qui paraîtra en volume en 1956 dans la collection « Monique » – qu’une courte bande dessinée de 5 planches sur scénario de Miraine, intitulée Colette sur les routes de France. Cette dernière histoire est l’un des 9 récits complets publiés par épisodes d’une planche chacun au cours de l’année 1954. Ces bandes édifiantes, en noir et blanc, souvent avec des textes sous les images, représentent volontiers un tremplin pour les nouveaux auteurs. Elles demeurent une des marques de fabrique du journal mais n’ont pas la notoriété ni l’aura des quatre bandes dessinées principales, présentes dans chaque numéro et en couleurs, que sont Sylvain et Sylvette, Les Indégonflables de Chantovent, Zéphyr et Fripounet et Marisette. Ces deux dernières séries atteignent en 1954 un niveau de qualité tout-à-fait remarquable, tant par la maîtrise graphique que par la complexité du scénario ou la consistance des personnages. Curieusement d’ailleurs, Pierre Brochard et René Bonnet mettent en jeu, le premier dans Le grand mur blanc et le second dans Le mystère d’Etrangeval, deux personnages de savants fous qui présentent nombre d’analogies physionomiques.

S’il fallait trancher pour élire la meilleure BD de l’année, je choisirais sans hésitation Le mystère d’Etrangeval. Cette histoire imagine un mode de production agricole cauchemardesque qui « mécanise » les animaux et réduit les vaches à des « machines à lait » au sein d’une « usine à vaches ». Soixante-dix ans plus tard, l’anti-modèle est devenu la réalité à la base de notre économie alimentaire.

Damien Didier-Laurent