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lundi 5 septembre 2011

Un conte des frères Grimm: le petit âne



 “Celui-ci est trop grand, il ne peut entrer dans l’histoire.”



“Celui-là non plus, il est mal éduqué pour une histoire de prince.”

Le petit âne 

Il était une fois un roi et une reine qui attendaient avec impatience la venue d’un petit prince. Le jour arriva où la reine accoucha d’un petit ... âne ! De honte et de chagrin, elle voulut le noyer, mais le roi décida de le garder, de le considérer comme son fils et de lui donner une éducation digne d’un prince.



“Le petit prince que la reine aurait souhaité...”

Le petit âne voulut apprendre à jouer du luth. Il se donna tant de peine que, malgré ses sabots, il réussit à pincer les cordes de l’instrument avec grâce et délicatesse.


 “Luth ou guitare mexicaine, ce sont toujours des cordes à pincer!”

Or, comme tout jeune prince bien éduqué, le petit âne avait l’autorisation de se promener au-delà même des frontières du royaume paternel. Alors qu’il longeait les rives d’un étang, il entrevit son visage dans l’onde et fut fort navré de son apparence.



“Si les oreilles ne sont pas trop longues...”

A la tombée du jour, il parvint devant la porte de chêne d’un château inconnu. Comme les gardes ne voulaient pas l’introduire à la cour, il sortit son luth et joua d’une façon si harmonieuse et si belle que le châtelain et sa fille l’invitèrent à séjourner chez eux quelque temps.
Il va sans dire que la princesse était une personne ravissante et attentionnée vis-à-vis du petit âne (comme d’ailleurs dans presque tous les contes...).



 “ —Douces caresses. ENCORE!”

Au bout de plusieurs jours, malgré le plaisir qu’il éprouvait à tenir compagnie à ses hôtes, l’âne réalisa qu’il n’y avait pas d’avenir pour lui dans ces lieux. L’âme en peine, il se prépara à partir lorsque le roi lui offrit —après moultes propositions toutes déclinées par le petit âne— la main de sa fille.

«Et les noces furent célébrées avec magnificence et somptuosité.»


Le soir, dans la chambre nuptiale, le petit âne se défit de sa peau et apparut devant son épouse comme le plus beau des princes dont elle avait toujours rêvé.
Au matin, le prince revêtit sa peau et parut aux yeux du roi sous la même apparence que la veille.


Mais le roi fut tout de même étonné de lire tant de bonheur dans les yeux de sa fille. Il ordonna à un serviteur de se cacher la seconde nuit dans la chambre des époux. La troisième nuit, le roi qui avait eu de la peine à croire le récit de son serviteur, se cacha lui aussi. Il comprit la transformation de son beau-fils et pour éviter que celui-ci ne s’en aille, il jeta la peau d’âne dans la cheminée.




Ainsi le prince connut enfin le bonheur auprès de sa nouvelle famille. Il reçut comme cadeau la moitié du royaume et lorsque le roi mourut l’autre moitié.


“Ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants.”


Photos prises lors de la Fête des amis de l’âne à Berolle (Vaud) le dimanche 28 août 2011.

vendredi 15 octobre 2010

Derrière les carreaux...



... une ombre s’efface et les rideaux retombent avec légèreté.

Sous ses paupières à demi fermées, le passant a senti un regard inquisiteur et méfiant.
Il ne fait pas bon s’aventurer de ce côté lorsqu’on est l'«étranger».

Il vient pourtant du village voisin, celui que chacun peut atteindre à condition de franchir la rivière par le pont des amants noyés.
Sombre histoire. Un gars du village de l’est avec une fille du hameau de l’ouest : ils s’aimaient.
On les a retrouvés à trois kilomètres en aval, leurs corps accrochés aux branches du rivage. Un accident, ou un homicide.
Depuis le drame, les habitants des deux villages ne se parlent plus. La douleur et la souffrance les ont tous éloignés dans la peur, dans la méfiance vis-à-vis de l’autre. La rivière, pourtant si belle, forme une frontière mentale au-delà de laquelle l’espace est synonyme de danger.

Derrière les carreaux, de part et d’autre du pont des amants noyés, chacun se tient à carreau : homme, femme et enfants sont sur leur garde. 
Redoutent-ils un acte de vengeance ou se préparent-ils à une expédition punitive ?
Au pays des arbalètes, les flèches, appelées aussi carreaux, sont toujours affûtées.

jeudi 16 septembre 2010

Contes islandais (4 et fin)


Barges à queue noire


Le territoire islandais offre à l’ornithologue l’occasion d’approcher un grand nombre d’oiseaux : les espèces marines, les échassiers, les canards, les rapaces, les passereaux, la plupart migrateurs, occupent l’espace au moment de la nidification et de l’élevage des jeunes.
En trois semaines, nous avons pu photographier et/ou observer au moins 40 espèces, sans compter les individus non identifiés avec certitude:
le pétrel fulmar, le cormoran huppé, le grand cormoran, le macareux moine, le guillemot à miroir ;
le huîtrier-pie, le grand gravelot, le pluvier doré, le bécasseau variable, le bécasseau violet, le tournepierre, la bécassine des marais, le courlis corlieu, la barge à queue noire, le chevalier gambette, le phalarope à bec étroit, ;
la mouette rieuse, le goéland marin, le grand labbe, le labbe parasite, la sterne arctique, un labbe pomarin;
le cygne chanteur, l’oie cendrée, le colvert, le fuligule morillon, le garrot arlequin, le garrot d’Islande, l’eider, le harle huppé, le plongeon imbrin ;
le faucon émerillon ;
le pipit farlouse, la bergeronnette grise, le troglodyte mignon, le traquet motteux, la grive mauvis, le grand corbeau, l’étourneau sansonnet, le bruant des neiges.


Jeune pluvier doré


Grive mauvis



Histoire

Pourquoi la perdrix des neiges, appelée plus exactement lagopède alpin (Lagopus mutus), devient-elle blanche en hiver ?
Pourquoi le faucon pleure-t-il en hiver ?
Cette légende islandaise vous l’expliquera, mais vous êtes libres d’y croire ou non...

Marie, mère de Jésus, avait un immense pouvoir sur certains habitants du ciel, non pas seulement sur les anges, mais aussi sur les oiseaux.
Un jour, elle appela auprès d’elle tous les oiseaux de l’univers, sans exception. Ayant préparé un brasier, elle leur ordonna de le traverser les uns après les  autres. Les oiseaux, qui avaient un grand respect pour la reine des cieux, lui obéirent et passèrent l’épreuve du feu sans toutefois manquer de se plaindre silencieusement. Aussi le plumage de leurs pattes fut-il brûlé et gravement dégarni, ce qui explique pourquoi, de nos jours, les pattes des oiseaux sont nues.
Seule la perdrix des neiges —le lagopède alpin — refusa d’exécuter l’ordre de Marie.


Or, Marie, mère de Jésus, fut très fâchée de la désobéissance de la perdrix des neiges. Elle décida que le lagopède serait désormais l’oiseau le plus doux de tous, mais qu’il serait aussi le plus agressé par les autres, en particulier par le faucon qui, depuis fort longtemps, était devenu son frère.
Pour alléger sa peine, Marie lui accorda la faveur de pouvoir changer la couleur de son manteau de plumes à chaque saison. Ainsi, de gris brun en été, elle devint blanche en hiver.
Dès lors, et malgré le déguisement de la perdrix, le faucon se met à l’attaquer, à la dévorer à chaque fois que la faim le tenaille. Or, ce n’est qu’en parvenant à son cœur qu’il reconnaît enfin sa sœur la perdrix et qu’il sombre dans un profond désespoir. 



Sources :
Les quatre contes islandais que j’ai postés depuis le 25 août sont tirés du livre suivant :

Contes populaires d’Islande, traduction de Régis Boyer, Editions Forlagid Reykjavik, 2010

J’ai librement retranscrit les textes de l’ouvrage, le copyright mentionné au bas de la quatrième page ne m’autorisant pas à les copier tels quels,  «sans autorisation écrite de l’éditeur ou des auteurs».

Il s’agit des chapitres suivants :
La Rivière Öxara (p. 96)
Trunt, Trunt et les Trolls de la Montagne (p. 38)
La Sorcière de Saxe (p. 60)
La Perdrix des Neiges (p. 86)

jeudi 9 septembre 2010

Contes islandais (3)



Les volcans islandais fascinent le voyageur ... et accessoirement clouent au sol toute l’aviation européenne !
L’Islande compte 250 volcans actifs dont certains sous-glaciaires (comme le Eyjafjallajökull connu du monde entier depuis ce dernier printemps). Il faut s’attendre en général à une éruption tous les cinq ans.

Certains d’entre eux sont faciles d’accès : le Hverjall, «un très haut tas de gravier» (cf. Petit Futé) que l’on peut gravir facilement ; le Krafla dont les champs de lave de l’éruption 1984 fument encore.







Le plus actif est le Hekla situé juste au nord du Eyjajfallajökull (dernière éruption en février 2000).

D’autres volcans, par contre, nécessitent un équipement automobile haut gamme tels les 4X4. Ainsi, pour se rendre à Askja (dernière éruption en 1961), la piste F88 se caractérise par un parcours de 100km entre déserts, champs de lave et passages de rivière à gué.

Lac Viti en 2005
le même en 2010!
Histoire

Quand Saemundur, le prêtre, accosta en Islande, subjugué par l’importance de sa mission, il eut vite fait d’oublier un engagement d’importance : il avait promis à une sorcière qu’il avait connue en Saxe de l’épouser à son retour.
Saemundur ne revint pas et la sorcière comprit qu’elle ne le reverrait jamais.
Pour se venger, elle prépara un coffre en or et le confia à un équipage très diligent afin qu’il le remette au plus vite à son fiancé déloyal. Elle ordonna que personne d’autre que lui n’ouvre le coffre.  Les marins traversèrent les mers en un temps record. Ils confièrent le cadeau à un domestique qui se chargea de l’amener à Saemundur.
Le prêtre était dans l’église lorsque le messager arriva à Oddi. Saemundur ne fut pas surpris du présent —comme s’il s’y attendait — et remercia l’homme avec amabilité. Il fit déposer le coffre sur l’autel et l’y laissa toute la nuit. Le lendemain matin, Saemundur emporta le coffre en or en galopant jusqu’au sommet du Mont Hekla. Il jeta le présent de la sorcière au fond d’une crevasse. On dit que, depuis ce temps-là, du Hekla jaillissent cendres et laves...  



Géothermie utile...

mercredi 1 septembre 2010

Contes islandais (2)


À côté de nos glaciers alpins, les jökull islandais sont de véritables monstres. Osons quelques comparaisons :
- Vatnajökull et ses langues glaciaires : 8 456 km2
- Les glaciers du massif du Mont-Blanc : 400 km2
- Glacier d’Aletsch (Vallée du Rhône) : 128 km2





Ce jour-là, au pied du Fjallsjökull, —qui est une langue glaciaire du Öraefajökull qui, lui, est un très proche voisin du Vatnajökull—, le froid était terriblement accablant. Un souffle d’air gelé descendait de la ligne d’horizon du glacier. Maintenir son appareil de photo relevait de l'exploit car un vent violent continu nous empêchait de garder notre équilibre. On aurait dit que les Esprits du glacier cherchaient à nous impressionner...




Histoire
À la cueillette de lichens, deux jeunes gens s’y rendirent. Le soir venu, ils montèrent leur tente afin de passer la nuit à l’abri du vent glacial.
L’un s’endormit très vite, l’autre (on ne sait pourquoi) resta éveillé.
Bien lui en prit car il réalisa rapidement que son compagnon, dans son sommeil, glissait hors de la tente en rampant. Celui-ci continuait à avancer par-dessus le tapis de lichens pour grimper ensuite à plat ventre sur les séracs du glacier.
Le jeune homme éveillé tenta de le retenir, mais n’y parvint pas, comme si une force insurmontable attirait son compagnon.





Levant les yeux, il aperçut, juchée sur un des pics bordant le glacier, une femme troll qui tendait en avant ses deux bras et les repliait sur sa poitrine. Elle répéta ce geste plusieurs fois jusqu’à ce que le jeune homme endormi soit parvenu auprès d’elle. Alors, la femme troll le saisit des deux mains, le plaqua sur sa large poitrine et s’enfuit avec son prisonnier.
L’année suivante, à l’époque de la cueillette de lichens, les gens du hameau rencontrèrent le jeune homme enlevé par la femme troll et échangèrent de loin avec lui quelques mots.
La troisième année, la rencontre eut à nouveau lieu, mais le prisonnier n’émit que quelques grognements.
La quatrième année, les gens aperçurent sur la lande une forme humaine qui ressemblait de plus en plus à un troll.

Il fut décidé au village que plus personne ne devait se rendre à cet endroit pour cueillir du lichen, et ceci pendant de nombreuses années. 



Lagon de Jökulsarlon

mercredi 25 août 2010

Contes islandais (1)




Il est une rivière nommée Öxara qui s’écoule du nord-est au sud-ouest dans le site majestueux de Thingvellir. Cette région est reconnue par l’Unesco en tant que patrimoine à préserver. Le site est intéressant du point de vue géologique car ses failles marquent le rift qui sépare la plaque tectonique de l’Europe de celle de l’Amérique du Nord.
D’autre part, Thingvellir revêt une importance nationale pour les Islandais car ce lieu a abrité dès 930 (jusqu’en 1798) le premier Parlement du monde. Les chefs de clans se réunissaient en été en une assemblée en plein air : l’Althing.







Histoire
Selon une ancienne croyance, l’eau de l’Öxara, une fois par année, se transforme en vin.
Deux hommes d’église en auraient fait l’expérience.
Voici comment : alors que les deux pasteurs se préparaient pour le sermon du jour de l’An, le plus jeune se rendit à minuit au bord de la rivière et, pour se désaltérer, remplit une bouteille avec l’eau de la rivière. De retour au logis, il s’aperçut que le contenu du flacon avait pris la couleur du vin. Tout de même étonnés, les deux pasteurs dégustèrent un nectar délicieux. Ils déposèrent la bouteille sur le bord de la fenêtre et en peu de temps, le liquide reprit l’apparence de l’eau.
Les deux hommes de foi décidèrent de revenir sur les lieux l’an prochain, à la même période, afin de renouveler l’expérience.
Ainsi, l’année suivante, à minuit, le plus jeune pasteur alla remplir sa bouteille à la rivière et de retour à la maison, il réalisa que le liquide avait cette fois la couleur du sang. En effet, en goûtant ce breuvage, il n’eut aucun doute : c’était bien du sang. Il écarta la bouteille sur le rebord de la fenêtre. Or, en quelques instants, le contenu avait repris la couleur d’une eau limpide.

Depuis ce temps-là, on suppose que l’Öxara devient sang lorsqu’il y a beaucoup de victimes durant l’Althing. On pense aussi que, cette année-là, durant l’Althing, il y eut une grande bataille.



mercredi 16 juin 2010

Conte de Louché


Il avait couru tout le jour et toute la nuit encore.
Traversant les névés suspendus au pied des falaises,
il avait failli se perdre dans les pierriers des Aiguilles Rouges.

La Bête le pourchassait depuis bientôt sept lunaisons.

Cette nuit-là sans lune, il sentit sur sa nuque
le souffle immonde de l’enfer  : brûlant et suintant.
Il comprit que sa dernière heure était arrivée.
Alors, dans un ultime sursaut, il dévala  en trébuchant
les pâturages désertés par les reines de la vallée.

Goûtant encore une fois l’eau glacée du petit lac,
il retrouva enfin un peu de courage au fond de son âme.

Mais le grand Eclair blanc des hauts des Veisivi jaillit.

Il vit la Lumière le parcourir de la tête aux pieds
et des pieds à la tête, deux fois, trois fois.
Alors, dans un hurlement de tonnerre,
il se jeta dans les bras du grand mélèze vert
et, comme un enfant, se figea sur son sein...



... l’Homme Sauvage de Louché.



- Si vous passez sur son sentier, ne manquez pas de lui faire un sourire :
il vous offrira en échange la vision d’un étrange parterre de taches jaunes et bleues.


mardi 22 décembre 2009

Pour les enfants, petits et grands, un conte de Noël qui sent bon ... le fromage!



Mon p'tit rat de bibliothèque


L'oncle Reblochon
(conte de Noël)
écrit par Vincent Massard qui m'a autorisé à le diffuser sur ce blog 

Furetant dans la cuisine, Parmesan, le jeune souriceau, reniflait, la moustache en bataille, vibrante sous les diverses odeurs :
−    Bon sang ! s'écria-t-il, ou je ne m'y connais pas ou je sens un délicieux parfum de gruyère !... À moins que ce ne soit du jura, non ! C'est du gruyère, et même du gruyère de l'Étivaz !

Personne de son entourage ne pouvait le prendre en défaut : sa connaissance des fromages était sans conteste une des meilleures de toute la famille, à l'exception, bien sûr de l'oncle Reblochon, ce vieil original que l'on appelait à chaque fois que, parmi les souris, il y avait un problème à résoudre, un conflit à apaiser. Car Reblochon avait une grande réputation de sagesse et une autorité naturelle qui faisait que, chaque fois qu'il proposait une solution, car il ne faisait jamais que la proposer, personne ne la discutait, chacun se ralliait à son avis. Grâce à lui, dans la ferme, les souris vivaient en harmonie.

Fier d'avoir identifié le fromage, tant par vanité que pour le plaisir de montrer à son oncle que ses leçons n'avaient pas été perdues, Parmesan, avant de reprendre son expédition, alla au trou où vivait Reblochon lui annoncer sa découverte.
−    Allons voir ça, dit l'oncle du ton bourru sous lequel il masquait son affection pour ce neveu.

Lorsqu'ils arrivèrent dans la cuisine plongée dans l'obscurité de la nuit, Parmesan, tout excité dit :
−    Tu sens, n'est-ce pas ? L'Étivaz, n'est-ce pas ?
−    Chut ! Tais-toi. Laisse-moi me rendre compte... Oui, l'Étivaz, mais, il y a autre chose...
−    Autre chose ?
−    Oui, ce morceau de gruyère a été bizarrement touché. On sent le contact humain. Comme si on avait pris un peu de fromage pour en faire une boulette. Et tu sais ce que ça signifie...
−    Tu crois ?
−    Danger ! Ça peut être un piège, allons voir, mais prudence !

Les deux rongeurs progressaient dans le noir. Les phares d'une voiture qui passait sur la route éclairèrent un moment les lieux. Les deux souris eurent le temps de distinguer une cage au milieu de laquelle un petit cube de fromage avait été placé.

−    Oh ! Le beau morceau ! Allons-y !
−    Stop ! Malheureux ! Tu es, comme moi d'ailleurs, bien trop jeune pour mourir !
−    Qui parle de mourir ? Tu vois bien qu'il n'y a pas de ressort qui viendrait nous tuer comme cela a été le cas de ce malheureux cousin Cheddar !
−    Tu crois ça ? Eh bien tu vas voir ! Ne bouge pas et laisse-moi faire !

L'oncle Reblochon saisit entre ses dents un fétu de paille qui avait dû tomber d'un soulier du paysan et, armé de lui comme d'une lance, il le glissa entre les barreaux de la cage pour toucher le morceau  odorant. À peine le fromage avait-il été effleuré qu'on entendit le claquement de la porte qui se referma brutalement.
−    Tu vois ce qui te serait arrivé si tu t'étais approché de ton gruyère de l'Étivaz ? Bonsoir Parmesan, je vais me recoucher. Il y a des fromages que je n'échangerais pas contre ma liberté !
−    Mais mon oncle ! Je suis sûr qu'il y a moyen de manœuvrer cette maudite porte, d'entrer, de prendre le fromage et de partir ni vu ni connu...

Il n'avait pas fini cette phrase que Parmesan s'aperçut qu'il était seul, Reblochon avait déjà fait demi-tour et, après avoir ramassé quelques miettes qui traînaient sous la table et une cornette molle à laquelle adhérait un peu de gruyère râpé, il était rentré dans sa tanière manger son butin à son aise.

Parmesan, quant à lui, décida de ne pas se donner pour battu. Si la porte de la souricière pouvait se fermer, elle devait aussi pouvoir s'ouvrir. Ce n'était pas seulement une question de gourmandise, c'était surtout pour montrer à son oncle que les souriceaux de sa génération étaient bien plus malins que les vieilles moustaches du passé. Il agrippa  le fétu de paille entre ses incisives et tenta de le glisser sous la porte de la trappe. « Donne-moi un levier et je soulèverai le monde! » pensait-il en s'affairant contre le mécanisme. La grille se souleva légèrement, il glissa une patte et le bout de sa queue et , peu à peu, il fit remonter la porte basculante jusqu'à pouvoir se glisser dessous. Un petit saut, pendant lequel il entendit vaguement le claquement métallique de la cage, et il atteignit le cube de fromage auquel il ne trouva pas autant de plaisir qu'il s'y attendait : l'odeur humaine gâchait le goût.
−    Comme je suis entré, je vais ressortir...

Parmesan ne se doutait pas qu'il avait péché par optimisme. Le fétu qui servait si bien de levier d'un côté, refusait tout service : l'angle d'attaque n'était pas le même et, après usage, la paille s'était assouplie au point de ne plus pouvoir supporter l'effort de soulever la grille. Avec ses pattes, sa queue, ses griffes, il lutta contre l'implacable mécanisme, en vain. Épuisé, il s'assoupit et tomba dans un mauvais sommeil où il rêva qu'il naviguait sur un radeau hâlé par de gros rats et, la rivière étant peu profonde, l'embarcation frottait contre les galets du fond....

Quand il reprit ses esprits, il se vit dans la cage qui n'était plus dans la cuisine, mais dans la grange. Au lieu de la redoutable présence humaine, c'étaient ses parents, ses frères et sœurs. L'oncle  Reblochon  donnait des ordres. Il y avait aussi le petit cousin Bel-Épi, rat des moissons qui, au contraire du reste de la famille, savait tresser la paille pour faire son nid et que Reblochon avait envoyé chercher pour la circonstance. Sur son ordre, l'artiste avait attaché deux liens aux deux coins de la cage opposés à la redoutable bascule et les autres avaient tiré la cage hors de la dangereuse cuisine.

−    Alors, tu es réveillé ? Ça tombe bien, il va falloir que tu te prépares à faire le grand saut : Nous allons tirer la cage vers le haut, le long de ce tas de foin. Quand elle penchera assez, la porte basculera et tu pourras sortir !

Aussitôt dit, aussitôt fait. La trappe penchait de plus en plus, Parmesan n'en menait pas large, mais, peu à peu, la grille s'inclinait, s'éloignait du plancher du piège. Soudain, il glissa, sa tête heurta la porte qui s'ouvrit et il se retrouva couché dans le foin. Les souris lâchèrent les liens et, dans un bruit de ferraille le piège s'écrasa à côté du souriceau tout étourdi de sa chute.

−    Plus de peur que de mal ! s'écria l'oncle Reblochon. Je pense que la prochaine fois, tu suivras mieux mes conseils !
−    Mais...
−    Pas de mais ! Tu te demandes comment on a pu te tirer de ce mauvais pas. C'est tout simple, je me suis souvenu de comment j'étais à ton âge. J'ai donc pensé à ce que tu allais faire et je ne me suis pas trompé. Aussitôt que je t'ai vu dans la cage, j'ai appelé les autres : la famille ça sert ! Non, ne me remercie pas ! Ou plutôt si, en retenant deux leçons : d'abord de ne pas négliger les conseils des anciens et ensuite qu'il faut toujours aider les autres quand c'est possible. Aujourd'hui, ils t'ont aidé, demain ce sera toi qui les aideras...

Copyright :
«L’oncle Reblochon» , conte écrit par Vincent Massard (15 décembre 2009) .
On peut le copier, le diffuser sans le moindre changement et sans omettre le nom d'auteur. Merci de respecter les exigences de l’auteur.

Pour des informations plus détaillées sur l’utilisation de photos et de textes, veuillez consulter les pages de Cathy.