de l’Anthologie[1] — la mort a dépouillé ma jeunesse en pleine récolte ; j’étais au comble de la muse et de l’âge en fleur. Et voilà que je suis entré tout savant dans la tombe, tout jeune dans l’Erèbe… » —
Pauvre Bouilhet ! on conçoit d’autant mieux les regrets que sa mort excita que l’homme en lui valait le poëte. «… Quand j’ai voulu juger du caractère d’un homme que je n’avais pas eu le temps d’étudier, dit Duclos[2], je me suis toujours informé s’il avait conservé ses anciens amis. Il est rare que cette règle-là nous trompe… » Cette règle, on pouvait l’appliquer sans crainte à Bouilhet ; les nombreuses et franches amitiés qu’il provoqua, les témoignages d’estime qu’il recueillit de toutes parts suffisent pour nous permettre d’apprécier la sûreté de ses relations. S’il trouvait de nouveaux amis il ne se séparait jamais des anciens. Une des choses les plus touchantes de sa vie, c’est son union fraternelle avec Gustave Flaubert, ce tempérament exclusif et mobile. Ce fut une de ces amitiés inaltérables dont l’estime et la confiance sont les bases et dont on ne sait secouer le joug. Le jour où Bouilhet mourut, il sembla à l’auteur de Salammbô qu’il perdait la meilleure part de lui-même — « C’est pour moi une perte irréparable, écrivait-il ; j’ai enterré hier ma conscience littéraire, mon cerveau et ma boussole ».[3] «… En perdant mon pauvre Bouilhet, disait-il à Georges Sand, j’ai perdu mon accoucheur littéraire, celui qui voyait dans ma pensée plus clairement que moi-même. Sa mort m’a laissé un vide dont je m’aperçois chaque jour davantage… » Il n’y a point d’exagération dans ce grand deuil de la pensée qui se joignit à l’affliction du cœur. Bouilhet a été la conscience de Flaubert. Ce