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Guide des égarés

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Manuscrit en judeo-arabe du Guide des perplexes, Yémen, XIIIe ou XIVe siècle.
Le Guide des égarés. Manuscrit du XIVe siècle.

Le Moré Névoukhim (hébreu : מורה נבוכים; arabe : دلالة الحائرين (dalālat al-ḥā’irīn) littéralement, « Guide des perplexes »), souvent traduit en Guide des égarés, est l’œuvre majeure de Moïse Maïmonide (1135-1204), considéré comme le philosophe juif le plus marquant du Moyen Âge. Il a été rédigé autour de 1190 en judéo-arabe utilisant l’alphabet hébreu.

Le Guide des égarés a influencé toute la pensée philosophique juive ultérieure, qui s’y est constamment référée. Il est de même très présent dans les écrits chrétiens des penseurs médiévaux, que ce soit Thomas d'Aquin ou Maître Eckhart. Il était tenu en grande estime dans l'Université médiévale. Il est souvent considéré comme l’œuvre philosophique juive la plus importante de tous les âges[1].

L'auteur s'adresse à l'un de ses disciples, Joseph ben Iehouda (en).

L’objet originel de l’œuvre est de résoudre la difficulté qui se présente à l’esprit d’un juif croyant et savant, entre interprétation philosophique et interprétation théologique de la Torah. En effet, selon l'interprétation ésotérique ou exotérique qui en est faite, les analyses résultantes peuvent, a priori, paraître contradictoires. Maïmonide a réussi à expliquer les anthropomorphismes bibliques, à dégager la signification spirituelle cachée derrière les significations littérales et à montrer que le spirituel était la sphère du divin. Le Guide représente une explication philosophique des écritures, une « science de la loi ». Il vise à sortir de son embarras celui qui éprouve de la perplexité devant certains énoncés bibliques lorsqu'ils sont pris au sens littéral[2].

Maïmonide rend connaissables, en termes d’expérience positive, Dieu, le prophétisme, la nature du mal, la divine providence, la nature de l’homme et de la vertu morale, la loi de Moïse, l’eschatologie, etc. Il élucide aussi de très nombreux passages, d’abord obscurs, des Écritures.

On trouve dans cette œuvre l'influence du Mizan al-'Amal (Critère de l'action) d'Al-Ghazali.[réf. nécessaire] On y rencontre surtout de nombreuses références à Aristote[3], que l'auteur connaît par l'intermédiaire d'Avicenne[4] et de son contemporain Averroès, dont il découvre l'œuvre en 1190[1], et dont il recommande la lecture à son traducteur Samuel Ibn Tibbon[5]. Des philosophes arabes hellénisants, Avicenne et surtout al-Farabi[6],[7], il retient l'idée d'une série d'« Intelligences séparées », immatérielles, créées par Dieu et associées aux sphères célestes. De même que les falasifa les identifient aux jinns du Coran, il les identifie aux anges évoqués par la Bible[8],[9]. On retrouve aussi sous sa plume la distinction entre l'essence et l'existence, qui ne coïncident qu'en Dieu[10],[11]. En revanche, il ne suit plus al-Farabi quant à l'idée que de l'Un ne peut naître que l'unité[11] : pour Maïmonide, une essence une et indivisible peut produire des actions diverses[12]. Il n'admet pas non plus la doctrine de l'éternité du monde[13]: il est pour lui impossible de démontrer ni que le monde est sans commencement ni qu'il a été créé[14]. Il reprend la théorie de l'intellect d'Aristote, en suivant le commentaire d'Alexandre d'Aphrodise, et la distinction entre intellect en puissance et intellect en acte[15]. Il prend soin de démontrer que l'acte d'intellection, en Dieu, n'introduit aucune multiplicité puisque, conformément à une idée d'Aristote, l'intellect en acte ne fait qu'un avec son objet. Dieu étant toujours intellect en acte, en lui l'intelligence et l'intelligible ne font qu'un, son unité n'est pas compromise.

Il retrouve, dans le récit de la Genèse, les principes de la physique d'Aristote[16], qu'il désigne comme « le prince des philosophes[17]. » Maïmonide s'adresse à un lecteur « qui a étudié la philosophie et qui a acquis des sciences véritables, mais qui, croyant aux choses religieuses, est troublé au sujet de leur sens[18]. » C'est pourquoi l'auteur cherche à montrer que, à condition de ne pas s'en tenir à leur sens littéral, les énoncés bibliques sont semblables à ceux de la philosophie aristotélicienne.

Il partage avec Averroès le souci de ne pas dévoiler le sens véritable des énoncés révélés à des esprits qui n'y sont pas préparés (Guide, ch. XXXIII et Discours décisif § 46 et 56). L'étude de la métaphysique doit être précédée de celle des sciences - logique, mathématique et physique, dans cet ordre (Guide, ch. XXXIV). Ces sciences sont indispensables à la pratique de la philosophie. Voilà une différence majeure avec al-Ghazali, qui hiérarchise les sciences en sciences profanes et sciences religieuses. L'imam ne condamne pas la pratique des premières, auxquelles il reconnaît une utilité pratique. Mais pour lui les sciences véritables sont celles de la religion. L'étude des sciences profanes n'est pas indispensable[19].

Il inscrit sa démarche herméneutique dans la continuité de celle d'Onkelos le prosélyte, qu'il cite explicitement pour avoir, avant lui, cherché à dissiper toute lecture anthropomorphique de la Bible[20].

Le Guide, rédigé en langue arabe vers 1190 a été traduit plusieurs fois en hébreu, d'abord par Samuel Ibn Tibbon, un contemporain de Maïmonide[21]. La traduction est achevée sous le titre Môré Nebûkhîn en 1204, l'année de la mort de Maïmonide[1]. Ensuite par Juda al-Ḥarizi[22]. Peu après, il a fait l'objet de plusieurs traductions plus ou moins complètes en latin et a été diffusé dans les milieux chrétiens, étant utilisé par des auteurs tels que Thomas d'Aquin, Ramon Marti[23] ou Maître Eckhart. Deux brefs extraits ont d'abord été diffusés : le Liber de parabola et le Liber de Uno Deo Benedicto. Vers 1242/44, à l'époque même des brûlements du Talmud en France, est paru le Dux neutrorum, établi à partir de la seconde traduction hébraïque de Juda al-Charisi. C'est cette version qui a été imprimée en 1520 par l'humaniste Jodocus Ascensius Badius (sous le titre de Dux perplexorum), reproduite en facsimilé en 1964 et 2005. En 1629 Johann Buxtorf le Jeune fait paraître une nouvelle traduction latine intégrale, toujours à partir de la version hébraïque.

Il faut attendre 1856 pour que Salomon Munk édite une version en français à partir des manuscrits en arabe[24].

Bibliographie

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  • Moïse Maïmonide. Le Guide des égarés, trad. de l’arabe par Salomon Munk (1856-1866), nouvelle édition revue et mis à jour sous la dir. de René Lévy, avec la coll. de Maroun Aouad, Lagrasse, éd. Verdier, 2012. (ISBN 2-86432-561-6).
  • Moïse Maïmonide. Le Guide des Égarés. Traduit pour la première fois sur l'original arabe et accompagné de notes critiques, littéraires et explicatives par Salomon Munk. 3 volumes (1856-1870) - (ISBN 2-7068-1693-7) (pour l'ouvrage complet). Reproduction Maisonneuve & Larose. Paris, .
  • Moses Maimonides. The Guide of The Perplexed. Translation, Introduction and Notes by Shlomo Pinès, With an Introductory Essay by Leo Strauss. Chicago University Press, 1963.
  • Maimónides, Guía de perplejos. 5ª edición. Introducción, traducción española y notas de David Gonzalo Maeso, Madrid, Editorial Trotta, 2008. (ISBN 978-84-8164-222-3).
  • La guida dei perplessi, a cura di Mauro Zonta, Coll. "Classici del pensiero", 2005. (ISBN 978-8802071794)

Liens externes

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  • Texte entier traduit en français

Notes et références

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  1. a b et c Miguel Cruz Hernández, « Averroès et Maimonide philosophes de al-Andalus », Le Courrier de l'Unesco,‎ , p. 13 (lire en ligne [PDF])
  2. Maïmonide. Guide des égarés, introduction.
  3. Théorie de l'intellect (1re partie, ch. I), matière et forme (ch. XVII, ch. XXVIII), Théorie des quatre éléments (ch. XL) , âme conçue comme principe de vie et distinguée en âme animale / âme rationnelle (XLI), distinction essence / accident (LI), définition du temps (LII), distinction acte / puissance (LV), théorie des 4 causes (ch. LXIX).
  4. Salomon Munk, préface du Guide des égarés, p. ii. Lire en ligne
  5. Amadou-Mahtar M'Bow, « Maimonide, un guide des égarés », Le Courrier de l'Unesco,‎ , p. 4 (lire en ligne [PDF])
  6. Mohammed Arkoun, « Deux médiateurs de la pensée médiévale », Le Courrier de l'Unesco,‎ , p. 14 (lire en ligne [PDF])
  7. Shlomo Pines. « Maimonides » in Dictionary of scientific biography lire en ligne
  8. Salomon Munk, Guide des égarés, p. 28 (note 1) et 153 (note 4).
  9. Maurice-Ruben Hayoun, « Avicenne : Prophétie et gouvernement du monde, Meryem Sebti », sur frblogs.timesofisrael.com, (consulté le )
  10. M. T.-L. Penido, « Les attributs de Dieu d'après Maimonide », Revue Philosophique de Louvain,‎ , p. 153 (lire en ligne)
  11. a et b Henry Corbin, Histoire de la philosophie islamique, Gallimard, (lire en ligne), p. 226
  12. Salomon Munk, Guide des égarés, p. 211, note 2.
  13. Guide des égarés, chap. LXXI.
  14. Thierry Alcoloumbre, « Création ou éternité ? L'enjeu de la question chez Maïmonide », Pardès,‎ (DOI 10.3917/parde.031.0073, lire en ligne)
  15. Salomon Munk, Guide des égarés, chap. LXVIII, page 304, note 1.
  16. Salomon Munk, Guides égarés, p. 9, note2.
  17. Maïmonide, Guide des égarés, ch. V.
  18. Maïmonide, Guide des égarés, p. 16.
  19. Mohamed Nabil Nofal, « Al-Ghazali », Mohamed Nabil Nofal,‎ , p. 8 (lire en ligne [PDF])
  20. Maïmonide, Guide des égarés, ch. XXVII, XXVIII, XXXVII.
  21. Salomon Munk. Guide des égarés, p. 107, note 1.
  22. Shlomo Pines. « Maimonides » in Dictionary of scientific biography, p. 31 lire en ligne
  23. Philippe Bobichon, "Citations et traductions du Guide des égarés dans le Pugio fidei de Ramon Martí (Barcelone, xiiie siècle)", Yod 22/2019, p. 183-242.
  24. Salomon Munk, Le guide des égarés : préface, Paris, A. Franck, (lire en ligne)