Apartheid israélien
L’apartheid israélien désigne l’ensemble des mesures de ségrégation, d’exclusion et de discrimination, menées envers la population palestinienne par l’État d’Israël, dans le cadre de son occupation et de son administration actuelles des territoires palestiniens. Plusieurs organisations palestiniennes, israéliennes et internationales ont déclaré que l’ensemble et la gravité des violations des droits de l’homme commises envers les Palestiniens dans les territoires occupés, et parfois même en Israël, équivalaient au crime d'apartheid, qui constitue un crime contre l’humanité. Dans un avis consultatif de juillet 2024, la cour internationale de Justice a reconnu la situation d'apartheid mise en place par Israël.
Avis sur l'applicabilité
[modifier | modifier le code]Premiers rapports
[modifier | modifier le code]L'analogie a été utilisée par des chercheurs, des enquêteurs des Nations unies, des groupes des droits de l'homme, dont certains ont également accusé Israël d'avoir commis le crime d'apartheid[1],[2]. Les critiques de la politique israélienne disent qu'il y a « un système de contrôle » en Cisjordanie occupée par Israël - comprenant les colonies juives, le système d'identification, les routes séparées pour les citoyens israéliens et palestiniens, les postes de contrôle militaire, la loi « discriminatoire » sur le mariage[3], le mur de séparation, l'emploi de travailleurs palestiniens à bon marché, l'enclavement de la Cisjordanie, les inégalités face aux infrastructures, aux droits juridiques, ainsi qu'à l'accès à la terre et aux ressources entre Palestiniens et résidents israéliens dans les territoires occupés par Israël - ressemblant sous certains aspects au régime d'apartheid en Afrique du Sud, et que des éléments de l'occupation par Israël constituent des formes de colonialisme et d'apartheid, en contradiction avec le droit international[4]. Certains commentateurs étendent l'analogie, ou l'accusation, en décrivant les arabes israéliens comme des citoyens de seconde zone[5].
En 2006, dans un livre intitulé Palestine : la paix, pas l'apartheid, l'ancien président américain Jimmy Carter utilise cette analogie pour décrire la situation dans les Territoires palestiniens occupés, estimant que ce terme se justifie par « les barrières grillagées, les détecteurs électriques et les blocs de béton installés par les autorités israéliennes le long de la frontière avec la Cisjordanie[6]. » Critiqué par les pro-israéliens américains, il précise : « Je n'ai jamais allégué dans le livre ou autrement qu'Israël, en tant que nation, était coupable d'apartheid. Mais il y a une distinction claire entre les politiques au sein de la nation d'Israël et dans les territoires occupés qu'Israël contrôle. »[7].
Le journaliste Joseph Lelyveld, ancien directeur exécutif du New York Times et ex-correspondant en Afrique du Sud, juge appropriée cette analogie et considère que, proportionnellement, Israël s'est approprié autant de territoires que le régime d'Afrique du Sud. En outre, il note qu'existait en Afrique du Sud un système complexe de permissions destiné à réguler le déplacement des individus selon leur statut légal ; système qu'il compare à celui d'Israël pour classer et limiter les allées et venues des Palestiniens. Le correspondant à Jérusalem du journal britannique The Guardian, Chris McGreal, estime « qu'il existe peu d'endroits dans le monde où les gouvernements élaborent une série de lois sur les nationalités et les résidences conçues pour être utilisées par une partie de la population contre l'autre. L'Afrique du Sud de l'apartheid en fut un. Israël en est un autre »[8].
Tribunal populaire Russel
[modifier | modifier le code]Organisations internationales
[modifier | modifier le code]En , la Commission économique et sociale pour l'Asie occidentale (CESAO) dirigée par la Jordanienne Rima Khalaf, une commission régionale de l'Organisation des Nations Unies (ONU) chargée des questions de développement dans le monde arabe, a publié un rapport indiquant qu'« Israël est coupable de politique et de pratiques constitutives du crime d'apartheid »[9]. À la suite de cette publication, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a demandé à la CESAO de dé-publier ce rapport au motif que l'ONU « ne peut pas accepter qu'un secrétaire général adjoint ou tout autre responsable de l'ONU (...) autorise une publication sous le logo de l'ONU sans consulter les départements concernés et lui-même »[10],[11]. En guise de protestation contre les pressions sur le retrait de ce rapport, Rima Khalaf, a démissionné[12].
Le 19 juillet 2024, la Cour internationale de justice a jugé illégales les annexions de terres et la construction de colonies à Jérusalem-Est et en Cisjordanie et a exigé la fin de ces pratiques « dès que possible ». La Cour a également jugé que les « discriminations systématiques et le régime de ségrégation » qu'imposerait Israël en Cisjordanie et à Jérusalem-Est constituait un apartheid [13],[14]. Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, a estimé le lendemain que cet avis de la CIJ est « largement cohérent » avec les positions de l'Union Européenne[14].
La rapporteure spéciale de l’ONU pour les territoires palestiniens, l’Italienne Francesca Albanese, dénonce également un apartheid[15].
En Israël et dans le monde
[modifier | modifier le code]L'accusation qui pèse sur Israël de mettre en place un système similaire à celui de l'apartheid a été formulée aussi par des Israéliens, telle les associations Yesh Din (en) en 2020[16] ou B'tselem en 2021[17] dont le directeur Hagai El-Ad avait déjà comparé en 2018 les enclaves palestiniennes de Cisjordanie occupée à des bantoustans[18], par les prix Nobel de la paix Nelson Mandela[19], Desmond Tutu[20], Jimmy Carter[21], Yasser Arafat[22], Rigoberta Menchú, Mairead Maguire et Betty Williams[23], Jody Williams et Adolfo Pérez Esquivel[24],[25] ; et de nombreux politiques israéliens y compris trois premiers ministres (David Ben-Gurión, Ehud Ólmert et Ehud Barak)[26],[27],[28],[29],[30],[31].
La Fondation Friedrich-Ebert a par ailleurs publié trois études sur le processus de négociation et de transition sud-africaine et sur les enseignements qui pourraient en être tirés pour parvenir à un processus de paix entre Israël et Palestine[8]. Gérard Araud, ancien ambassadeur français aux États-Unis et en Israël, a qualifié Israël « d'État d'apartheid » lors de son départ en retraite[32].
Human Rights Watch
[modifier | modifier le code]Human Rights Watch estime dans son rapport paru le 27 avril 2021 qu'un seuil a été franchi et que « les autorités israéliennes commettent les crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution », ajoutant que « cette conclusion se fonde sur une politique globale du gouvernement israélien qui vise à maintenir la domination des Israéliens juifs sur les Palestiniens, et sur de graves abus commis contre les Palestiniens vivant dans le territoire occupé, y compris Jérusalem-Est »[33].
Amnesty International
[modifier | modifier le code]Amnesty international déclare dans son rapport du 1er février 2022 que l'état d’Israël pratique un régime d’apartheid contre les Palestiniens. Elle estime que « Les autorités israéliennes doivent rendre des comptes pour le crime d'apartheid commis contre la population palestinienne, {…} L’enquête présente en détail le système d’oppression et de domination qu’Israël inflige au peuple palestinien partout où ce pays contrôle ses droits. Sont concernés les Palestiniens et Palestiniennes qui vivent en Israël et dans les territoires palestiniens occupés (TPO), ainsi que les réfugiés déplacés dans d’autres pays »[34].
Ce rapport est allé plus loin que les rapports précédents des autres associations de droits de l'homme dans deux dimensions. La première est temporelle en considérant que le système d'apartheid remonte à 1948 : « Depuis sa création en 1948, Israël mène une politique visant à instituer et à entretenir une hégémonie démographique juive et à optimiser son contrôle sur le territoire au bénéfice des juifs et juives israéliens »[34].
La deuxième dimension est spatiale. Amnesty International considère que les pratiques d'apartheid concernent tout l'espace du conflit israélo-palestinien : « Les recherches d’Amnesty International montrent néanmoins que l’ensemble de la population palestinienne est soumise à un seul et même système »[34].
Références
[modifier | modifier le code]- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Israel and the apartheid analogy » (voir la liste des auteurs).
- (en) Uri Davis, Apartheid Israel: possibilities for the struggle within, Zed Books, (ISBN 1-84277-339-9), p. 86–87
- (en) Gideon Shimoni, Jews and Zionism: The South African Experience 1910–1967, Cape Town, Oxford UP., (ISBN 0-19-570179-8), p. 310–336.
- « En Israël, une loi controversée sanctionne les mariages intercommunautaires », sur Le Temps, (consulté le )
- e.g. Report of the Special Rapporteur on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, John Dugard, A/HRC/4/17, 29 January 2007, p. 3, 23
- (en) Uri Davis, Apartheid Israel: Possibilities for the Struggle Within, Londres, Zed Books, , p. 51 et suivantes
- « Jimmy Carter accuse Israël d'«apartheid» », sur L'Obs, (consulté le )
- « Well, he [Dershowitz] has to go to the first word in the title, which is "Palestine," not "Israel". He should go to the second word in the title, which is "Peace". And then the last two words [are] "Not Apartheid". I never have alleged in the book or otherwise that Israel, as a nation, was guilty of apartheid. But there is a clear distinction between the policies within the nation of Israel and within the occupied territories that Israel controls[,] and the oppression of the Palestinians by Israeli forces in the occupied territories is horrendous. » interview avec Jimmy Carter, Larry King Live, CNN, 27 novembre 2006
- Mariano Aguirre, « Israël, l’antisémitisme et l’ex-président James Carter », sur Le Monde diplomatique,
- Richard Falk et Virginia Tilley, « Les pratiques israéliennes à l’égard du peuple palestinien et la question de l’apartheid (rapport CESAO, trad. fr.) », (consulté le )
- « Démission à l'ONU après un rapport sur l'« appartheid » d'Israël », sur Ouest-France.fr, (consulté le )
- « L'ONU embarrassée par un rapport critique sur Israël », sur LExpress.fr, (consulté le )
- Benjamin Barthe, « Sous la pression, l’ONU enterre le rapport accusant Israël d’apartheid », lemonde.fr, (consulté le )
- (en) Top UN court says Israel’s presence in occupied Palestinian territories is illegal and should end | AP News, consulté le
- Pascal Brunel, « Israël pressé d'évacuer la Cisjordanie par la Cour internationale de Justice » , sur Les Échos.fr, (consulté le )
- « La rapporteure de l’ONU craint que la « violence génocidaire » d’Israël s’étende de Gaza à la Cisjordanie », sur leparisien.fr, (consulté le )
- (en-US) « The Occupation of the West Bank and the Crime of Apartheid: Legal Opinion », sur Yesh Din, (consulté le )
- (en) « A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to the Mediterranean Sea: This is apartheid », sur B'Tselem (consulté le )
- « Discours de Hagai El-Ad au Conseil de sécurité des Nations Unies, le 18 octobre 2018 », sur Union juive française pour la paix,
- « Address by President Nelson Mandela at International Day of Solidarity with Palestinian People, Pretoria »
- Tutu, Desmond "Apartheid in the Holy Land". The Guardian, 29 April 2002.
- « Jimmy Carter Defends 'Peace Not Apartheid' », sur NPR,
- « Arafat acusa a Israel de practicar un «nuevo apartheid» », sur ABC,
- « Israel expulsa del país a la premio Nobel de la Paz Mairead Maguire, integrante de la 'Flotilla' », sur RTVE,
- « Intelectuales exigen embargar a Israel », sur Página 12,
- « Cuatro premios Nobel, actores, intelectuales y músicos apoyan la decisión de Colau de romper con Israel », sur El País,
- McGreal Chris, « Amnesty says Israel is an apartheid state. Many Israeli politicians agree », sur The Guardian, (consulté le )
- « Top Israelis Have Warned of Apartheid, so Why the Outrage at a UN Report? », sur The Intercept,
- « It’s apartheid, say Israeli ambassadors to South Africa », sur Ground Up,
- (en) Ian Black, Enemies and Neighbours: Arabs and Jews in Palestine and Israel, 1917-2017, Penguin Books, (ISBN 978-0-2410-04432), p. 392.
- « Ex-IDF general likens military control of West Bank to Nazi Germany », sur The Times of Israel, (consulté le )
- « Former Mossad chief Pardo says Israel enforcing ‘apartheid’ system in West Bank », sur The Times of Israel, (consulté le )
- « L'ambassadeur de France aux États-Unis qualifie Israël « d'État d'apartheid » », sur BFMTV,
- « Des politiques israéliennes abusives constituent des crimes d’apartheid et de persécution », sur Human Rights Watch, (consulté le )
- « L’apartheid d’Israël contre la population palestinienne : un système cruel de domination et un crime contre l’humanité », sur Amnesty International, (consulté le )
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]- Apartheid en Afrique du Sud
- Relations entre l'Afrique du Sud et Israël
- Crime d'apartheid
- Ségrégation raciale
- Mur de séparation israélien
- Enclaves palestiniennes
- Conflit israélo-palestinien
- Colonies israéliennes
- Territoires palestiniens occupés
- Boycott d'Israël
- Tribunal Russell sur la Palestine
- Conférence de Durban
- Résolution 3379 de l'Assemblée générale des Nations unies
- Résolutions de l'ONU sur Israël
- Allégations de crimes de guerre commis par Israël
- Allégations de génocide des Palestiniens
Liens externes
[modifier | modifier le code]- Leila Farsakh, De l’Afrique du Sud à la Palestine [1], Le Monde diplomatique, .
- Chris McGreal, Worlds apart, The Guardian, .
- Frédéric Giraut, Apartheid et Israël-Palestine : enseignements et contresens d’une analogie., Cybergéo, .
- HRW, Un seuil franchi : Les autorités israéliennes et les crimes d’apartheid et de persécution, 27 avril 2021.
- Denis Charbit, Israël-apartheid : le contre-sens d’une analogie, Libération, 1er aout 2021.
- Amnesty International, L’apartheid d’Israël contre la population palestinienne, 1er février 2022.