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  • Le monde ouvrier face à la Grande Guerre. Le bassin de Saint-Étienne de 1910 à 1925 by Gremmos
  • John Barzman
GREMMOS (collectif), Le monde ouvrier face à la Grande Guerre. Le bassin de Saint-Étienne de 1910 à 1925, Saint-Barthélémy-Lestra, Actes graphiques, « Histoire du monde ouvrier stéphanois », 2018, 302 p.

Ainsi pour que le front avance ou se maintienne,On excite les feux partout – et c'est là-basQue s'embrasent Woolich, Poutilow et Skoda,Et que s'éclaire, ici, Chamond et Saint-Étienne.

Émile Verhaeren, Les usines de guerre, 1916.

L'ouvrage est centré sur la poussée des mouvements sociaux dans la région stéphanoise durant les dernières années de la Grande Guerre et celles de l'immédiat après-guerre. Ces mobilisations ont donné à Saint-Étienne sa réputation de ville rouge. Les auteurs cherchent à resituer cette vague revendicative dans le contexte de l'évolution longue des industries et produits fabriqués dans la région, des politiques patronales, de la composition du salariat, des conditions de vie, des formes revendicatives et des courants de pensée associés à ces transformations. Le livre renouvelle les recherches sur cette période de rupture en mobilisant l'historiographie existante et en insérant des outils de valorisation (iconographie, biographies, sources, bibliographies, tableaux). Il montre la vivacité des débats soulevés par les premières études [End Page 185] d'histoire sociale de la Grande Guerre dans les années 1970 et 1980, auxquelles plusieurs auteurs se réfèrent.

La plupart des chapitres et des notices hors-texte sont consacrés au tissu industriel, patronal et urbain (Jean Lorcin, Michelle Zancarini-Fournel, Antoine Vernet, Luc Rojas, Georges Gay) et au mouvement ouvrier dans sa diversité (Jean-Paul Martin, Jean-Michel Steiner, Daniel Durand, Maurice Bedoin, Jean-Paul Bénetière, Henry Destour). Leur croisement est assez pertinent; il éclaire l'histoire industrielle, l'histoire ouvrière, celle des employeurs, des travailleurs et des lieux de leurs revendications.

Les grandes industries de la région sont explorées dans le détail: la métallurgie, notamment la fabrication d'armes et la construction mécanique, les mines de charbon, le textile. Sont étudiés les tentatives d'adaptation aux évolutions de la technologie et du marché avant la guerre, l'expansion industrielle pour répondre aux besoins militaires de la France et les choix difficiles de la reconversion partielle de l'aprèsguerre. Plusieurs chapitres explorent les rumeurs qui courent sur « Saint-Étienne, ville des embusqués18 ». À partir d'études sur le nombre de salariés stéphanois morts à la guerre19 (autour de 6 161, p. 137), ils concluent que de nombreux ouvriers nés dans la région partent à l'armée, dont une faible proportion est réaffectée aux usines locales. À leur place, les patrons ont recours à de nombreux ouvriers mobilisés dans le bassin stéphanois mais venus d'autres régions (requis), à des femmes, aux prisonniers et à la main-d'œuvre étrangère et coloniale. Dans ces conditions, comme dans plusieurs autres agglomérations industrielles, les logements et l'approvisionnement en vivres s'avèrent très insuffisants, tandis que l'inflation aggrave les difficultés, et que les profits records des sociétés industrielles soulèvent l'indignation20.

Plusieurs contributions insistent sur l'origine extérieure des meneurs syndicalistes, sur l'hostilité des paysans de la région aux « embusqués », sur l'existence dans la Loire d'un courant syndical chrétien du « juste milieu » et sur les marges de manœuvre dont disposaient encore le patronat et le gouvernement pour imposer leurs directives même aux moments les plus agités. Elles tendent à relativiser l'importance de la région comme capitale du pacifisme et du syndicalisme révolutionnaire en France, du moins au printemps 1918, après la révolution russe. Ainsi, dans la conclusion de sa synthèse introductive (p. 20), Jean Lorcin rappelle qu'à côté des contestataires et des violents, existait un courant favorable à la politique conciliatrice d'Albert Thomas. Daniel Durand évoque une possible « survalorisation historique des années 1970 » (p. 177)21...

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