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Reviewed by:
  • Pierre Pascal. La Russie entre christianisme et communisme by Sophie Cœuré
  • Isabelle Gouarné
Sophie CŒURÉ, Pierre Pascal. La Russie entre christianisme et communisme, Lausanne, Les éditions Noir sur Blanc, 2014, 416 p.

Fils de la bourgeoisie intellectuelle républicaine de province, doté des titres de l'excellence scolaire (ENS, agrégation de lettres), professeur à la Sorbonne et figure tutélaire des études slaves: l'itinéraire biographique de Pierre Pascal (1890-1983) peut paraître, à bien des égards, typique de l'Université française du XXe siècle. Il fut pourtant aussi celui d'un militant communiste et chrétien, pris dans les contradictions entre les attentes et les espoirs qu'il avait projetés dans la révolution bolchevique et le destin de la Russie soviétique. Envoyé à Petrograd, en 1916, comme interprète auprès de la Mission militaire française, il ne revint en France qu'en 1933, après une période d'engagement intense auprès des bolcheviks et du nouvel État socialiste. C'est ce parcours que retrace Sophie Cœuré dans cet ouvrage, en plaçant au centre de ses analyses la question du rapport au communisme et à la Russie et mobilisant pour cela les diverses sources d'archives, publiques et privées, désormais disponibles en France et en Russie. L'auteure reconstitue ainsi avec minutie les différentes séquences du processus d'engagement et de désengagement de ce jeune intellectuel tourné, en dépit de l'athéisme familial, vers le catholicisme et détaché, jusqu'en 1917, de toute forme de militantisme politique.

Son ralliement au bolchevisme inaugure, en effet, une période d'engagement total, vécu sur le mode de la rupture avec son milieu familial et intellectuel de formation, mais comme le prolongement de sa quête d'un ordre chrétien. Pierre Pascal prit part, avec Marcel Body, Robert Petit, Jacques Sadoul, Jeanne Labourbe et d'autres, en 1918 en Russie, à la formation du Groupe communiste français, dont l'action, certes éphémère, visait, sous la direction du Comité central du PC(b) [bolchevique], à utiliser les compétences des étrangers francophones pour défendre à l'étranger la révolution, avant que l'Internationale communiste ne mette en place ses propres dispositifs. Malgré les mises en accusation de son christianisme (1920) et les négociations auxquelles Pierre Pascal fut dès lors contraint, les années 1918-1924 furent celles d'un militantisme débordant au service de l'État et du parti, à la fois comme interprète au Commissariat du peuple pour les affaires étrangères et auprès de l'Internationale communiste (service de propagande).

Dans la seconde moitié des années 1920, au moment où la répression touche directement ses amis puis, fin 1927, sa famille (celle de sa femme, Evguenia Roussakova, Française d'origine russe, employée elle aussi par l'Internationale communiste, dont la sœur vivait avec Victor Serge), les réserves dont il avait pu faire preuve auparavant basculèrent dans un rapport critique au communisme soviétique. S'ouvre alors une période de « dissidence », marquée par « la volonté de réformer et d'améliorer le système et non de le détruire » (p. 232). Pierre Pascal dénonce « l'américanisation » du régime, son orientation « sociale-démocrate », l'embourgeoisement des nouvelles élites et l'accaparement du pouvoir par les intellectuels contre le « peuple ». Dans la Russie soviétique en voie de stalinisation, cette posture se traduit par le repli sur une « sociabilité choisie », des emplois dans des lieux-refuge (l'Institut Marx-Engels, notamment, jusqu'aux purges de 1931), une « relégation » dans un travail intellectuel (de traduction des œuvres de Lénine, puis d'archives et de recherches sur la paysannerie russe et les « vieux-croyants »). Cette séquence de fortes tensions se dénoue en 1933, avec son retour en France et son réinvestissement dans la carrière universitaire à laquelle il était socialement destiné: les soutiens académiques dont il bénéficia (de la part de Paul Boyer, Jules Legras, André Mazon, André Vaillant notamment) permirent de lever...

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