In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Usages de la violence en politique (1950-2000) by Carole Villiger
  • Danielle Tartakowsky
Carole VILLIGER, Usages de la violence en politique (1950-2000), Lausanne, Antipodes, « Histoire », 2017, 296 p.

Au commencement est le mythe tenace d'une Suisse îlot de tranquillité, épargnée par les conflits sociaux et politiques violents. Pour le déconstruire avec beaucoup d'efficacité, Carole Villiger analyse les différents usages de la violence en politique dans la Suisse des années 1950 à aujourd'hui. Son étude repose sur le dépouillement de précieux fonds d'archives dont certains étaient jusqu'alors inexplorés : archives fédérales, archives de l'Institut für Sozialkforschung de Hambourg et nombreux fonds d'organisations ou de militants. Treize entretiens menés dans une diversité de milieux sociaux et politiques concernés par son objet permettent de combiner les échelles et les approches en croisant analyses macropolitiques et trajectoires individuelles. Ils autorisent une approche du coût individuel durable du recours à la violence, s'agissant en particulier des condamnés à des peines de prison parfois longues.

Les trois premiers chapitres de l'ouvrage sont respectivement consacrés aux actions violentes ayant opposé séparatistes et antiséparatistes dans le canton de Berne à partir des années 1950, et ce durablement, à celles de l'extrême gauche à partir des années 1960 et à celles de l'extrême droite à partir du début des années 1980. Deux chapitres abordent ensuite les actions violentes menées en Suisse par les réseaux transnationaux européens entre les années 1970 et 1990, et les « coalitions transversales » qui se nouent autour des mouvements de décolonisation et de libération, avec une attention particulière pour les soutiens que des militants suisses ont apportés aux uns et aux autres. Ces études empiriques s'organisent autour d'une question centrale : pourquoi des mouvements et des individus recourent-ils à la violence ? Question qui en appelle aussitôt d'autres : la violence est-elle une ressource parmi d'autres, relevant des répertoires d'action permettant de s'imposer dans l'arène politique institutionnelle, le moyen de donner plus de visibilité à une action ? Résultet-elle d'un engrenage provoquant une escalade ? Est-elle au contraire le fruit d'une [End Page 169] démarche théorique ou stratégique qui voit en elle le meilleur moyen, sinon le seul efficient ? Le recours à la violence par certains mouvements antinucléaires ne va-t-il pas à l'encontre des actions menées par ceux qui combattent pour la même cause, mais s'inscrivent dans une logique institutionnelle ?

La Suisse doit à sa situation carrefour, à son statut et à sa culture politique de présenter certaines spécificités en matière de violence politique. Contrairement à ce que l'on pourrait spontanément penser, la démocratie directe et les instruments institutionnels qu'elle met à la disposition des citoyens n'excluent aucunement le recours à la violence. La nature fédérale de l'État est à l'origine de conflits spécifiques, abordés dans le premier chapitre. Les trois ensembles linguistico-culturels qui le composent et la porosité avec les pays frontaliers engendrent des cultures politiques singulièrement disparates parmi les extrêmes gauches et, à moindre titre, les extrêmes droites, avec un répertoire d'action et des usages de la violence qui empruntent à l'Allemagne, à l'Italie ou à la France, en particulier dans les années 1970. Carole Villiger montre ainsi que 80 % des actions violentes se sont déroulées en Suisse alémanique, à Zurich en premier lieu, tandis que leur usage demeurait faible en Suisse romande, en épousant là les spécificités françaises analysées par Isabelle Sommier10. La Suisse italienne, dans un entre-deux, a emprunté, pour elle, à la dimension contre-culturelle de la contestation qui s'est imposée en Italie, via les Kommune en particulier.

La culture politique suisse, qui « a privilégié tout au long du XXe siècle une vision d'un petit État entouré de voisins menaçants », répond des approches de la violence par les autorités dont l'analyse constitue un des points forts de...

pdf

Share