- Alternative Agriculture in Europe (Sixteenth-Twentieth Centuries)by Gérard Béaur
Ce livre collectif est issu du troisième congrès d'histoire rurale de Trévise en 2013, intitulé « Crises and Alternative Agriculture in a European Perspective », sous l'égide du réseau international GDRI Cricec (Crises and Changes in the European Countryside). Il est construit autour d'une problématique historiographique tirée d' Alternative Agriculture(1997), de l'historienne anglaise Joan Thirsk, qui proposait une nouvelle approche des stratégies utilisées par les paysans pour survivre, gagner de l'argent et sortir des crises, et mettait un terme au mythe de l'autosuffisance et de l'autarcie paysannes ainsi qu'à l'idée que les ruraux restaient passifs face au changement. Si l'ouvrage démontre l'intérêt heuristique de la notion proposée par Joan Thirsk, il n'hésite pas à la confronter à des réalités européennes multiples et complexes, tissées sur le temps long des XVI e-XX esiècles, grâce à quinze contributions. C'est Jean-Pierre Poussou qui introduit les éléments de débats les plus saillants, d'autant plus légitimement qu'il a joué un rôle déterminant dans la diffusion dans l'historiographie française de la théorie de Joan Thirsk, avec un article publié dans Histoire et sociétés ruralesdès 1999.
Ce débat posé, le livre adopte un plan en quatre parties qui permettent de discuter le concept d'agriculture alternative en envisageant les liens avec la ville, les rapports aux crises et au marché ainsi que les alternatives aux cultures alternatives ellesmêmes. Aux douze études de cas présentées et portant sur un large espace européen s'ajoutent l'introduction de Gérard Béaur et la conclusion de Salvatore Ciriacono. L'introduction offre un regard nuancé en revenant sur le fait qu'en période de crise on observe diverses alternatives aux productions dominantes : 1. les activités, type cueillette, qui ne gênent pas la céréaliculture : étangs à poissons, garennes à lapins, pigeonniers ; 2. les substituts aux produits alimentaires de base : maïs et pommes de terre consommés quand le blé est trop cher ; 3. les productions de luxe, comme les pêches ou le mûrier blanc pour le ver à soie ; 4. les cultures à usage industriel, plantes tinctoriales et textiles, dont le cycle est corrélé à l'activité manufacturière, comme le chanvre, dont la demande croît considérablement en période de guerre ; 5. le maraîchage, la production de fruits et de fleurs aux mains de petits producteurs approvisionnant les marchés urbains et une clientèle aisée ; 6. des cultures à grande échelle, comme les oliveraies en Europe du Sud, les citrons en Sicile ou les vignobles, qui n'étaient possibles que grâce à un approvisionnement facile en blé (importé ou de proximité). Cet éventail de cultures alternatives est corrélé à la taille des [End Page 189]exploitations foncières et à la propriété paysanne : tabac, garance, houblon, lin et pommes de terre pour les petits paysans, légumes racines, type navets et pommes de terre, légumineuses, trèfle et plantes oléagineuses pour les exploitations moyennes et grandes. Au-delà de la diversité des exemples d'agriculture alternative avec leurs contraintes, logiques et acteurs propres, plusieurs questions se posent pour voir s'il est possible d'envisager un modèle qui viendrait confirmer la théorie de Joan Thirsk ou si, comme le souligne Jean-Pierre Poussou, ce concept est trop marqué par le cas anglais et ne tient pas assez compte de l'influence de la demande ni des initiatives paysannes.
Le succès des cultures alternatives dépendait-il des fluctuations générales de l'économie ? Joan Thirsk a bien vu qu'elles n'étaient pas forcément des innovations, mais qu'on les développait plus nettement en période de crise économique, comme la viticulture en Bourgogne...