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Reviewed by:
  • A Carceral Ecology. Ushuaia and the History of Landscape and Punishment in Argentina by Ryan C. Edwards
  • Jean-Lucien Sanchez
Ryan C. Edwards, A Carceral Ecology. Ushuaia and the History of Landscape and Punishment in Argentina, Oakland, University of California Press, 2021, 254 p.

L'ouvrage de Ryan C. Edwards, consacré à la prison d'Ushuaïa, constitue une contribution intéressante à l'historiographie de la colonisation pénitentiaire et, plus largement, à l'histoire des institutions carcérales. Si les deux expériences de colonisation pénitentiaire les plus connues en France demeurent celles réalisées au cours des xixe et xxe siècles en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, en particulier grâce aux travaux de Danielle Donet-Vincent et de Louis-José Barbançon17, cette pratique a affecté toutes les parties du globe et entraîné le déplacement forcé de milliers d'individus. Cette échelle globale a été bien mise en perspective dans l'ouvrage A Global History of Convicts and Penal Colonies, dirigé par Clare Anderson18. Ainsi, au même titre que la Sibérie ou l'Australie, l'Argentine (plus précisément la Terre de Feu) a été l'objet, à partir de 1895, d'une expérience de colonisation pénitentiaire qui a rapidement abouti, en 1902, à l'édification d'une prison « moderne », objet de cet ouvrage.

S'inscrivant dans le champ de l'histoire environnementale, Ryan C. Edwards questionne la prison d'Ushuaïa en déconstruisant la principale représentation à travers laquelle l'imaginaire collectif a plus ou moins figé cette institution, celle d'une prison naturelle (natural prison). Situé en Terre de Feu, à l'extrémité du continent américain (surnommée également « le bout du monde »), ce territoire isolé était tout désigné pour accueillir une colonie pénitentiaire. Inspirée du modèle de colonisation mis en œuvre par la Grande-Bretagne en Australie à partir de 1788, l'expérience avait pour objectif de déplacer des criminels loin des centres-villes, [End Page 153] supposés criminogènes, pour les implanter dans un milieu naturel, seul à même dans ce schéma de les régénérer et de leur offrir une chance de rachat. Le contact avec la nature, en particulier avec le climat polaire, était censé purifier ces existences corrompues par le vice et le crime et les transformer en colons honnêtes et besogneux. Charge donc à ces hommes et quelques femmes qui les accompagnent de mettre ce territoire en valeur et de s'y établir durablement à leur libération. Loin de Buenos Aires, donc empêchant tout risque d'évasion, cet emplacement permet également d'occuper un territoire relativement vide et de sécuriser la frontière entre l'Argentine et le Chili.

Le gouvernement argentin charge le directeur Pedro Della Valle d'organiser la réception des premiers convois de condamnés volontaires en 1895. Mais l'arrivée en 1901 d'un nouveau directeur, Catello Muratgia, modifie radicalement le projet initial. Imprégné de théories criminologiques, celui-ci décide de fonder une prison inspirée des deux modèles carcéraux alors en vogue, les prisons d'Eastern State et d'Auburn, toutes deux situées aux États-Unis. C'est le modèle pennsylvanien de type panoptique qui façonne l'architecture de la prison d'Ushuaïa. Celle-ci constitue ainsi le premier pénitencier édifié sur un mode cellulaire en Amérique du Sud. Muratgia imagine toutefois un modèle de prison « porte-ouverte » (open-door penitentiary), où les détenus travaillent quotidiennement à l'extérieur pour pourvoir aux besoins – notamment en bois – du pénitencier et à son alimentation. Et c'est précisément cette relation entre l'intérieur et l'extérieur de la détention, ce qu'il intitule une écologie carcérale (carceral ecology), que s'emploie à analyser l'auteur tout au long de son ouvrage.

Ushuaïa présente la particularité d'être un modèle hybride qui ne parvient pas à faire un choix clair entre colonie pénitentiaire et prison (chap. 1). En transformant la colonie en un pénitencier où sont d...

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