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comment je vais, patricia? tout doucement, je vieillis (80) et je deviens gâteux petit à petit, au point de ne
Par Michel, le 23.11.2024
comment vas-tu michel ? http://patrici a93.centerblog .net
Par patricia93, le 20.11.2024
merci, petite soeur! j'ai quatre-vingts ans cette année, tu vois comme le temps passe! on se fait traiter de p
Par michel, le 14.11.2024
bonjour petit frangin d,une autre vie , j,espère que ce message te trouvera en meilleur santé et que cela
Par +veronique+, le 31.10.2024
merci beaucoup, petite soeur véro. je ne vais pas très bien je vais peut-être entrer dans une maison de retrai
Par teston tramontane, le 29.10.2024
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Date de création : 27.01.2012
Dernière mise à jour :
26.07.2024
379 articles
© Teston Petite route ardéchoise, photo de l'auteur
On continue la suite de mon premier roman, c'est-à-dire aujourd'hui la deuxième partie du chapitre 5. Je me souviens que je vivais ici chez mes parents à l'époque, entre le premier bac et l'Armée à 19 ans. Je l'avais envoyé par la poste aux éditions du Seuil, à Paris. Jean Cayrol avait refusé mon manuscrit en me disant "qu'il pensait trop". Quant aux autres éditeurs, ils ne l'avaient même pas lu ! c'étaient mes premières déconvenues, il y en a eu une infinité d'autres par la suite. Dans la vie il y a beaucoup de choses injustes et ça ne vaut même pas la peine de chercher à comprendre pourquoi. Cependant, je suis très heureux de pouvoir le publier aujourd'hui par ce média nouveau qu'est le Net. Donc, je vous souhaite une bonne lecture si le cœur vous en dit. Je publierai la suite dans les semaines qui viennent. Très amicalement. A plus.
Pages 75 à 100 de l'édition originale : "J'ai rencontré un ange" Michel Teston, 1994, ISBN 2-9501967-8-0 (micro édition en P.A.O.)
L'ordre ne sert qu'à l'analyse, et c'est bon pour les impuissants que d'analyser. On analyse par faiblesse, pour s'aider à comprendre, par manque d'intelligence ; et c'est parce qu'on est incapable de dominer et de pénétrer une oeuvre qu'on a recours à l'analyse. Pour celui qui comprend le tout d'une oeuvre, l'analyse est ridicule et inutile. C'est comme celui qui comprendrait le sens parfait d'un mot français, il n'aurait pas besoin pour s'aider à le comprendre de mots anglais ou espagnols qui le traduiraient.
Je me souviens de ce professeur qui ne nous parlait que de plan et d'ordre. Vous pouviez bien avoir le plus beau style et les plus belles pensées, si vous n'aviez pas de l'ordre, vous ne risquiez pas d'avoir une bonne note. Mais pour moi, l'ordre, ça représentait trop le côté travail, et pas du tout le côté poète. Ça me paralysait l'imagination , ça m'empêchait d'être libre. Je me suis révolté, à tort peut-être, contre tout cela, comme je continue d'ailleurs à me révolter devant tout ce qui m'empêche d'être libre et moi-même.
Ces mathématiciens, ces esprits scientifiques, sont les plus beaux travailleurs qui aient, mais ce sont des travailleurs, c'est-à-dire d'affreux matérialistes.
- Voyez-vous Joachim, je pense que si vous gardez une pareille rancune, c'est une histoire de tempérament et de sentiment. Bien des facteurs nous échappent dans nos rapports avec la société. Il est des antipathies physiques qui sont à l'origine de mauvais jugements. Ce sont là des histoires de mise au point, et de malentendus. Mais pourtant, il ne faut pas avoir peur de juger, même si on se trompe, afin de trier, d'éclaircir, et de se découvrir tel qu'on est. Vous avez parfaitement raison de réfléchir comme vous le faites, même si vous condamnez, et je vois que sur ce point, vous ne vous gênez pas. Chacun condamne et juge à sa façon ; il n'existe pas de commune mesure pour ce qui est de l'admiration...
- Elisabeth, je vous aime pour votre amour et votre compréhension...
Comme le temps passait et que nous n'aurions pas tardé à nous ennuyer, j'ai proposé à Elisabeth d'aller faire un tour dans un café où on dansait, une sorte de cabaret. C'était dimanche, il fallait en profiter. Sitôt dit, sitôt fait.
C'était une salle assez grande avec de nombreuses tables et une piste pour danser. Evidemment, il y avait un peu trop de monde, mais on pouvait quand même danser ou encore écouter la musique, tranquillement à une table. Tandis que nous entrions, l'orchestre jouait un air assez langoureux à la trompette bouché. Je fus tout de suite touché par l'ambiance ; c'était presque l'ambiance d'une cérémonie religieuse ; il y avait comme une communion qui vous traversait dès l'entrée. Cela changeait du bruit des voitures. Elisabeth s'assit à une table, et d'un geste nerveux, elle rejeta ses cheveux en arrière. Je m'assis à mon tour.
- Que c'est beau la musique en particulier et l'art en général Elisabeth, lui dis-je, j'aurais tant aimé être un artiste, mais c'est une malédiction que de se sentir artiste et de ne pas pouvoir s'exprimer. Que diriez-vous d'un homme qui a toutes les aptitudes pour devenir un grand chanteur, sauf la voix ?
- Vous savez, je crois qu'un grand artiste doit forcer le destin. Si vous ne vous sentez pas capable de forcer les choses, m'est avis que vous n'êtes pas vraiment un grand artiste. Votre désir tient du caprice ; quand on a vraiment la vocation on se met au travail. C'est justement là toute la beauté d'un art : forcer la nature. Il y a beauté, il y a art, chaque fois qu'il y a victoire de l'homme.
- A propos de beauté et d'art, je pense qu'une oeuvre n'est belle et artistique que lorsqu'elle est capable d'éternité, et je ne crois pas qu'il n'y ait rien de plus éternel que la pensée ; la pensée existe, continue toujours d'exister, et l'art n'a de valeur que par ce côté "pensée" et ce côté "homme". Tout le reste mourra, tout le reste est mort. Mais la pensée ne peut pas exister telle quelle, elle a besoin de papiers, de marbre, de toiles, de cahiers de musique.
Quand j'écoute de la musique, je regarde moins la beauté de sons que la beauté de l'homme lui-même à travers ses sons. Selon ce que j'écoute, c'est Beethoven, c'est Chopin, c'est Wagner que je reconstitue. Je revois l'homme et sa pensé a travers les notes de musique ? Et c'est sûrement parce que je vois l'homme qu'il m'arrive d'avoir des répréhensions devant certaines musiques, comme il m'arrive d'être écoeuré devant certains visages. C'est toujours l'homme que je vois et que j'attaque, et c'est pourquoi personne ne m'intimide en quelque sorte. Il m'arrive de mépriser les plus grand hommes, quand je vois qu'il y a plus de couardise chez eux que chez un vagabond...
Chacun pense par ses œuvres. C'est en composant que Beethoven pensait le mieux, et c'est en peignant que Vinci pensait le mieux, et c'est en construisant cette maison que ce maçon pense le mieux, mais vous, ô Molière, ô Shakespeare, c'est en écrivant que vous pensez le mieux.
-Voyez-vous Elisabeth, je ne comprends pas ceux qui passent sur la terre sans laisser d'eux un souvenir : quel manque de délicatesse, quel manque de beauté !
On nous dit en naissant : "Faites ce que vous voulez, mais vous allez crevez, vous êtes mortel ; après vous d'autres vivront ; stop ! chronomètre". Faut-il se haïr soi-même, haïr l'humanité, et haïr ceux qui viendront après vous, faut-il avoir le goût du néant, pour ne rien laisser en héritage ! Il y a aussi dans la beauté et dans l'art une notion de passé. Tout s'embellit avec le temps, tout devient poignant et merveilleux. Il est certains êtres qui sont déjà morts, ils ne vivent que lorsqu'ils revivent leur passé ; à d'autres qui s'attachent à des jeunes afin de vivre en eux, afin de pouvoir recommencer leur jeunesse. Je pense à Edouard... Il y a beauté lorsqu'il y a notion de futur également, et c'est en ce sens que le jeune est beau.
La rose est belle , mais c'est une beauté concrète, réaliste, présente, et par-là même limitée. Mais que dire du bourgeons ? On dit : "il sera beau". Il défie le temps, parce qu'il est provisoire, il vit, mais il n'est pas encore né ; il n'est pas beau en lui même, mais sa beauté est une victoire de l'imagination, de l'espérance, de la jeunesse, de l'idéal ; elle nous échappe même, parce qu'elle est incommensurable...
- Ce que vous dites est bien soudain, mais il y a des choses dont vous n'avez pas l'air de vous rendre compte ; cette chose est d'ailleurs le point noir : c'est que dans l'art, comme dans tous les ouvrages, ce côté "apprentissage", ce côté technique, ce côté purement métier, et, bien que je vous l'assure, ce ne soit pas intéressant, c'est tout de même indispensable. On doit tout faire selon certaine règles si on veut communiquer son art avec les autres.
Ce côté "travail", c'est le respect de ses semblables, c'est de la politesse !
Il est vrai qu'on ne changerait pas la saveur d'un ragoût en le mangeant avec les doigts, et rien ne vous empêche de le faire quand vous êtes seul, si cela vous plaît ; mais quand vous le servez sur une table où il y a dix invités, c'est les respecter que de leur servir avec des assiettes et des fourchettes, ainsi, tout le monde pourra en manger sans crainte. La société a ses droits !
Il en est de même pour l'oeuvre artistique. L'artiste fait son ragoût, un ragoût qui est essentiellement de lui-même ; mais, pour pouvoir le servir aux autres, il est obligé de se plier à certaines règles. L'art est innée chez les individus, mais les moyens de l'exprimer s'acquièrent. C'est avec masochisme parfois que l'artiste canalise sont art dans certaines règles.
- Mais quand il n'y arrive pas, cela devient dramatique ; il est dramatique d'être impuissant.
- Mais non, au contraire, souvent l'artiste naît de l'impuissance, mais il se venge par la suite. Cette impuissance le stimule. L'artiste est faible, et tous les hommes sont faibles, mais c'est l'artiste qui ressent le mieux cette faiblesse et qui en souffre le plus. Cette faiblesse, cette impuissance, ou ce manque de liberté, si vous voulez ; ah ! si on pouvait faire tout ce qu'on veut, si on pouvait faire tout ce qu'on se sent capable de faire ! si on était parfaitement libre !
- Si on était parfaitement libre, il n'y aurait plus d'artiste !
- Peut-être ! alors bénissons la prison qui nous apporte une idée "d'ailleurs". Elle laisse place à l'imagination. Le jour où nous serions parfaitement heureux, nous ne pourrions plus nous imaginer un monde encore plus heureux. Ce serait la fin de l'imagination.
Je me demande si le plus grand bonheur ne se trouve pas dans l'imagination. C'est peut-être pour ça que la beauté a quelque chose de sacré et d'intouchable ; on l'idéalise trop, on l'imagine trop, et elle ne nous apparaît pas comme elle est vraiment. Les artistes sont, sans doute, les gens les plus beaux qu'il y ait, mais ils souffrent, car, sous prétexte que la beauté est sacrée, on les isole. Plus on est privé de nourriture, et plus on en demande, car le besoin est plus grand, et ce sont ceux qui sont le moins aimés qui ont le plus besoin d'amour.
Il est vrai aussi cependant que les gros mangeurs, les passionnés, ceux qui ne seront jamais rassasiés, il est vrai que ceux-là aussi ont de grands besoins.
- Ne croyez-vous pas aussi à propos de la beauté, qu'on ne peut être beau qu'en prenant conscience de sa beauté, après avoir pris conscience de soi-même, qu'on ne peut être beau en somme qu'en étant adulte ?
- Certainement, mais ce serait moins la beauté proprement dire que le style. On a du style le jour où l'on est parfaitement soi-même. Ce jour-là, on est épanoui, on est adapté à la société, on est beau en quelque sorte...
- Ecoutez cet air Elisabeth, ne le trouvez-vous pas langoureux et beau ?
Il m'arrive d'être transporté par l'art, et de ressentir le frisson esthétique. Je me répète sans arrêt le même air, jusqu'à ce qu'abrutissement s'en suive. D'autres fois, c'est une poésie. il m'arrive aussi de me surprendre en train de regarder un tableau sans me lasser. Je trouve cela réchauffant. Nous sommes si habitués à voir les pâles couleurs de la vie quotidienne, qu'on aime s'arrêter sur un tableau plein de grâce, de mouvements et de couleurs. Parfois, on découvre une multitude de détails pris au vol, comme la photographie suspend ce qu'on n'a pas le temps de voir dans la vie courante...
La beauté serait-elle faite de tous ces petits "quelque chose" ? Quand on ne voit pas la beauté, on la sent par intuition. Elle nous attire sans même qu'on sache parfois pourquoi on est attiré.
- Ah ! Joachim, ne me parlez pas de tout cela, ça me rappelle trop le temps où j'étais chanteuse. Maintenant que vous me le dites, je me revois chantant sur cette scène. Je revois aussi cet orchestre magnifiquement rythmé, et si bien caché dans l'ombre qui m'accompagnait. Comme vous, je sentais battre moncœur, moi-même aussi je frissonnais, je vibrais toute entière. J'étais au paroxysme du bonheur et de l'aveuglement.
Il n'y a rien de tel que le grand et le puissant pour vous faire vibrer... J'étais encore heureuse devant ce public qui allait me lancer ou me condamner ; j'étais encore heureuse devant ce silence qu'il gardait respectueusement. C'était pour moi l'heure de vérité... Puis, je me suis mise à chanter. J'y ai mis tout mon art, et, ce qui est plus encore, toute ma personne.
C'était, je dois le reconnaître, et maintenant je m'aperçois que j'ai eu tort, moi, plus que mon talent que j'aurais aimé qu'on élevât aux nues. Je me suis donnée sans restriction à ce public, mais il ne m'a pas aimée comme je l'aurais voulu ; il ne m'a pas acceptée, ou il m'a mal acceptée...
Après que j'aie eu chanté, je n'ai recueilli que de faibles applaudissements, je ne m'y suis pas trompée, c'était de la pure courtoisie, mais, ce qui m'a tuée ce furent ces sifflets... Moi qui croyais avoir apporté quelque chose de nouveau... Je ne me suis pas pardonnée cet échec ; j'accepte mal les échecs. Évidemment, d'autres, et je pense surtout aux garçons, auraient pu continuer à chanter, contre vents et marées, mais ce n'était pas dans mon tempérament ; je préfère refuser le combat, quand il est presque sûr qu'il soit voué à l'échec... Alors j'ai abandonné la chanson.
Il m'arrive de le regretter amèrement, mais je me suis fait des raisons. Je jette tout mon art et tout mon malheur dans la peinture que je n'ai jamais complètement abandonnée ; la vie et ses obligeances se chargent de m'accaparer pour le reste du temps.
Autrefois, j'étais sensible, j'avais envie de pleurer, je me serais même forcée à pleurer, je crois, si je n'avais pas pu, tant j'étais traversée par la musique, la mélancolie et le romantisme, mais je rêvais, j'étais inactive, maintenant j'ai trouvé un remède contre tout cela : l'action, et aussi, je crois, l'amour.
- Le remède est pire que le mal, Elisabeth, il tuera tout...
- Peut-être, mais, Joachim, les gens n'aiment pas celui qui porte le malheur, je veux parler du véritable artiste ; ils ne l'aiment pas, lui, son malheur et sa solitude ; pour eux, il est un peu comme une mauvaise plante qui risque de les contaminer ; quand ils voient un être comme ça, il faut qu'ils puissent en rire, qu'ils puissent s'en moquer, ou alors, il faut que sa réussite force l'admiration. Il a trop tendance à être méprisé, mais ce sont sans doute les sots qui ne l'aiment pas, les autres reconnaissent qu'il porte en lui quelque chose de beau et de respectable ; rares sont ceux qui l'aiment vraiment, et ceux-là sont souvent respectables ; parce qu'il est des choses que seuls ceux qui sont nés poètes peuvent apprécier. Dans ce genre de sensations, ils se plongent, ils se délectent, en y recherchant désespérément du beau.
Bien des gens ne savent pas trouver le beau et l'extraire d'où il est. Ils se méfient de tout ce qui est original, parce qu'ils savent que l'original est dangereux, et ce qui est original est, ou foncièrement beau, ou foncièrement laid, et la peur du laid leur empêche d'apprécier le beau. J'ai pu constater aussi que l'artiste séduit son public par sa beauté, mais existent aussi la haine et la jalousie, plus encore que le mépris. Il est dangereux d'être "quelque chose".
- Vous avez raison. Moi, ce que je ne peux pas supporter chez certains publics, c'est cette moue dédaigneuse de celui qui n'est pas satisfait, de celui qui n'est jamais satisfait, mais qui, d'autre part, est incapable de faire quelque chose de constructif de peur de se décevoir lui-même ; comme si les cailles rôties devaient tomber du ciel ! C'est un peu l'état d'âme du critique. Pourtant, s'il y a un salaud dans la littérature, c'est bien le critique ; celui qui, incapable de construire, met toute sa science, et quelle science, dans l'art de détruire.
La critique, c'est comme la méchanceté, ça ne devrait pas sortir de soi-même ; si une oeuvre est pitoyable, à quoi bon aller le crier sur les toits ? On s'en rendra bien compte.
Et dire que certains se sont fait un nom dans ce travail de boucher, nom d'autant plus grand que ceux qu'ils jugeaient eux-mêmes étaient très grands.
Je pense à Boileau, sacré Nicolas ! Mais à choisir entre lui et Ronsard, je ne me tromperais pas, vous savez, Elisa ! C'était lui vous savez, qui disait que Ronsard était pédant ; on dit de quelqu'un qu'il est pédant quand il est trop intelligent et que par suite on ne comprend pas ce qu'il dit.
- Pas toujours tout de même ! Prenez un écrivain pédant, de ceux que Pascal appelle "auteur", autrement dit un pédant : il vous lasse, il est incapable de faire quelque chose de précis, de concis...
- Peut-être, peut-être ! Mais revenons-en à ce qu'on disait tout à l'heure... Le critique, n'a que du style, il danse, il s'éloigne, il revient au thème principal qu'il prend pour point d'attache, ce point d'attache c'est l'autre, c'est celui qu'il critique, il y revient chaque fois qu'il s'en est un peu trop éloigné, tout incapable qu'il est de créer. C'est un être qui n'arrive jamais à se vider complètement, une sorte de dilettante à la recherche inlassable et égoïste de lui-même dont il n'est jamais dégoûté, un impuissant, un être qui ne sait pas ce qu'il veut, un être qui aime qu'on lui donne des coups de triques, mais qui se défend bien de les demander, enfin, passez-moi l'expression, c'est, comme on dit, un éternel "jeune chien" : il lui faut apprendre, toujours apprendre, le pauvre !
Je plaisante, mais ils sont réellement malheureux, ces critiques ! Ils ne planent pas, ils ne prennent pas assez de recul, ils analysent, oui, peut-être, mais en myopes, et c'est déjà une concession de leur part que d'analyser, de vouloir à tout prix analyser leur intuition.
Tandis que le poète, le plus haut dignitaire de la littérature, néglige ces discussions, ces critiques, ces controverses stériles qui l'ennuieraient et le détourneraient de son but. Il est au- dessus de tout cela ; il parle peu, mais il parle bien. Il ne se risque pas dans le labyrinthe de la raison et de la vérité car il sait que tout cela n'est que vanité et qu'on ne sait plus après ce qu'il faut retenir de ces tergiversations, et ce qu'en retiendra la postérité. Non il crée tranquillement, ou bien il peint, suivant ses possibilités. Et même on peut dire que dans ce sens il est bon au lieu d'être méchant, qu'il est simple au lieu d'être mesquin.
Alors vous, Elisabeth, vous qui êtes poète, comment se fait-il que vous ne croyiez pas en Dieu, que vous négligiez le mysticisme ?
- Mais je crois en ce qu'on appelle l'existentialisme, l'artiste étourdi, ivre, pris dans les vertiges des plaisirs et des passions. L'oubli complet de soi, voilà ce que doit aimer l'artiste. L'artiste n'est pas un mystique !
- Mais alors, où est l'homme dans tout cela ? L'oubli de soi, c'est l'abrutissement ; l'ivrognerie aussi, c'est l'oubli de soi ! L'oubli de soi, ce n'est plus l'homme, c'est l'animal. Vous êtes donc un animal, Elisabeth ? Et c'est pour cela que vous êtes si belle et que je vous aime tant ?
Je me souviens qu'à ce moment-là, elle me béait bêtement. Elle devait trouver en moi quelque chose de nouveau, ou bien alors c'était une supplication disant qu'elle en avait marre de discuter, et qu'il fallait que je pense un peu à elle. Elle ne devait sans doute pas être habituée à ce genre de conversation. Je l'aurais embrassée, mais j'avais peur d'être maladroit.
- Je suis hanté par la métaphysique, lui disais-je ; il m'arrive d'avoir des sortes d'extases ; à ces moments-là, je n'ai pas peur de mourir et je le ferais avec plaisir sur le champ, s'il le fallait. Mais ces extases sont si rares ! Et je ne connais rien qui ne les divertisse aussi bien que l'amour. Mais le divertissement ne doit pas être le but, c'est lui qui noie les possibilités...
Décidément je n'en pouvais plus, je ne pouvais plus supporter le regard d'Elisabeth ; un désir violent s'empara de moi, et le spectacle de deux amoureux mit le feu aux poudres, j'embrassais tendrement Elisabeth, tandis qu'une trompette jouait "O sole mio"...
Puis je la pris par la main, et je la tirai littéralement jusqu'au centre de la piste, et là, nous commençâmes un mélancolique slow. Bien que mon regard fût vague, distrait et lointain, je la buvais toute entière. Son corps long et souple s'harmonisait au mien, je respirais le parfum de sa chevelure, et aussi cette musique. J'avais l'impression d'être complètement détaché de quelque chose, je ne sais pas quoi au juste : je n'étais pas un autre, mais j'étais sûrement un autre moi-même. Nous ne parlions pas ; je n'étais pas même éloquent, j'étais silencieux parce que je frôlais l'absolu, et ce qui est purement métaphysique et silencieux, ce qui se passe de tous les moyens d'expression : l'art pur. Si une voix avait parlé, elle aurait dit :
"Vous êtes la source où il faut que je boive, je vous cherche partout et ne vous trouve pas, ô ma belle Aphrodite aux longs cheveux de lin, blonds comme les blés sous le ciel de l'aurore et cascadant sur vos épaules comme le Niagara sur ses rochers ronds et nus".
L'amour est fou, il est aveugle, il faudrait à l'instant même être au fond d'un bois, et n'avoir rien d'autre à faire que d'aimer.
Cependant la musique retentissait toujours dans cette salle et nous assourdissait. Tout en dansant, je me suis mis à penser à la beauté d'Elisabeth, et après avoir réfléchi, j'ai pensé qu'elle avait d'avantage de charme que de beauté. J'ai pensé que le charme devait être plus apprécié que la beauté, et que chez une femme et en amour, il n'y avait que la charme qui plaisait. La Vénus de Milo, me disais-je, est un symbole de beauté ; elle est éternelle, mais elle demeure figée, sans vie et sans sentiment. Le charme, c'est la vie, Elisabeth bouge toujours, sa beauté change, m'échappe, et me revient spasmodiquement ; elle est charmante.
Le charme est le propre de la vie, de l'amour de l'esprit et de l'intelligence, et même du cœur qu'il réchauffe. Il est parfois tout différent de la beauté. C'est un peu comme la poésie et l'éloquence : la beauté est à la poésie, ce que le charme est à l'éloquence...
- Qu'avez-vous Joachim, vous êtes tout rêveur ?
- Je ne sais pas, c'est cette musique sans doute qui me donne le cafard. Elle est une vraie poésie. Et cette trompette me fait penser à Baudelaire. Je me demande ce qu'est devenue la poésie d'antan. Il me semble que tout est détruit ; le feu vit tant qu'il a quelque chose à brûler ; mais lorsque que tout est détruit, il meurt aussi. Actuellement tout est détruit, la poésie est morte, toute la montagne a brûlé ; il faut attendre que l'herbe repousse, et quelle sera cette herbe, y en aura-t-il une seulement ?
- Mais bien sûr ! ne vous inquiétez pas. Je pense que la poésie a trouvé un allié sûr avec la musique. Cette poésie vieillie et réchauffée que nous avons, donne malgré tout un frisson nouveau lorsqu'elle est épicée par un peu de musique.
Le poète actuel est, quoiqu'on en dise, un chanteur, c'est un peu le retour des ménestrels du Moyen Age.
La danse finie, nous sommes retournés nous asseoir à notre table. Elisa m'a dit que c'était plus de quatre heures et qu'il fallait qu'elle parte. Cela m'a d'autant plus contrarié que maintenant je ne pensais qu'à l'aimer et l'embrasser. Je l'avais trop longtemps considérée comme une simple interlocutrice, comme un philosophe froid et mathématicien, alors que c'était une femme, une belle femme que j'avais eue devant moi toute la soirée.
Maintenant je me rendais compte de mon erreur, mais c'était trop tard. Et puis, réflexion faite, j'ai pensé que l'amour, le vrai amour, y avait gagné quand même. Autrement, j'aurais été odieux, cupide, bestial. Cet érotisme ne faisait pas de mal à l'amour, et c'était le prolonger et le faire durer ; c'était un acompte pour les jours suivants.
Quand nous sommes sortis du cabaret, il tombait des gouttes, et on entendait le bruit assourdissant des tonnerres. Il avait fait chaud toute la journée, et ce n'était pas étonnant. Il y avait de la passion dans l'air. Le ciel était noir.
- Il n'y a rien qui me fasse plus peur et qui pourtant ne me plaise mieux qu'un orage, me disait-elle, et je trouvais cela très vrai.
Une sorte de plaisir érotique s'empare alors de vous, et vous éprouvez une sorte de joie sensuelle à vivre ce climat chargé d'électricité, surtout lorsque vous êtes tendrement enlacé.
Mais l'effroi l'emporte sûrement sur le plaisir dans le cœur d'Elisabeth car elle tressaillit, et j'étais bien placé pour le savoir, en entendant un formidable coup de tonnerre qui déclencha d'ailleurs une pluie abondante.
Je me souviendrai toujours de la joie que j'avais à sentir cette femme de trente ans d'une rare beauté, blottie et abandonnée contre moi. Et tandis que nous marchions, mon esprit était ailleurs, sans même le vouloir, je retrouvais l'âme de mes seize ans, je retrouvais un état d'esprit propre à l'enfance, cette autre vie.
Je crois que c'est parce que j'avais dans la bouche un cheveu d'Elisa, que je me sentais envahi par ses cheveux et par leur odeur. Une vie poétique du temps où j'étais adolescent me revint.
"J'aime ces orages d'été qui s'abattent avec violence sur la terre toute chaude lorsque tombe le soir. Quelle poésie, quelle puissance, quelle beauté ! On voit scintiller les éclairs, on entend le fracas des tonnerres, et on sent cette odeur extraordinaire qui se dégage de la terre des bois ; même si on est sous la pluie. On sent les gouttes tomber sur ses cheveux et glisser sur ses sourcils. La peau respire. Tout le corps se sent dégagé, et l'âme, un instant abattue et assoupie par la chaleur suffocante et orageuse se sent revivre. On vit mieux, on vit plus intensément, plus passionnément. Le vent anime les branches des arbres, et les gouttes font ployer les herbes courtes et vertes...
O que j'aimerais alors sortir avec vous sous la pluie, dans le vent, sur ces herbes mouillées, parmi les éclairs et les tonnerres. Nous marcherions tous deux tendrement enlacés. Et sur vos longs cheveux, comme sur l'herbe verte, la pluie laisserait ce reflet argenté, et le vent pousserait vos cheveux dans mes yeux, et sous l'orage, nous marcherions tous deux blottis de peur, l'un contre l'autre, et courageux pourtant, même si la mort nous attendait dans un tournant...
Puis après, fraîchement nous ririons, assis près d'un buisson, devant le rayon rouge d'un soleil renaissant au crépuscule...
Ou bien, nous cheminerions tous deux le long d'une route noire et droite, au sortir de la ville, après le bal enivrant, vécu dans la poussière et la chaleur. Nous sentirions alors cette odeur de goudron mouillé, et tout en voyant ces parapluies passer rapidement sur les trottoirs, tout en voyant ces fenêtres fermées, ces vitres mouillées, ces rideaux baissés et ces lampes s'allumer de toutes parts, nous marcherions dans la nuit en silence, entendant encore la douce musique, et sur nos joues, aux gouttes de la pluie, viendraient se joindre des larmes de bonheur...
Ainsi revivait ma romantique adolescence, et malgré toute cette mièvrerie que je ne pouvais plus souffrir, malgré même Elisa, là contre moi, je ne pouvais plus croire à ce romantisme perdu d'un autre monde. Mais peut-être n'en était-ce que plus romantique...
J'avais de la peine à me faire à ce changement, à cette transformation qu'il y a entre l'âge enfant et l'âge adulte. C'était une véritable mort. Mais la crise a passé ; tout change ; tout s'éclaircit.
Cependant nous sommes arrivés à l'hôtel d'Elisabeth. Elle m'a dit de l'embrasser, ce que j'ai fait dans le couloir, puis elle m'a dit de revenir la voir le soir et je le lui ai promis. (page 100).
Lien sur quelques-unes de mes reprises : www.google.fr/#q=cover+teston&*&spf=1
Un p'tit coucou sur ta page Michel
Bisous
http://patricia93.centerblog.net
Je passe te souhaiter une très bonne fête de la Toussaint; j'espère que tu es en bonne compagnie: oui, avec tous les saints de Dieu ce jour!
Qu'ils te bénissent tous
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Merci à mes fidèles lecteurs ou lectrices comme Judith ou Patricia. Bon mois de novembre malgré ici un épisode cévenol qui doit arriver aujourd'hui et qui, j'espère , fera plus de bien que de mal. Très amicalement à tous.
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