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le 25 nov. 2024
Affligeant
Affligeant... c'est vraiment le mot qui convient ici. Je savais qu'on en arriverait là un jour ou l'autre avec Édouard Louis et qu'il n'aurait très rapidement plus grand chose à raconter mais là...
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En 2014, Edouard Louis faisait à vingt-et-un ans une entrée fracassante en littérature avec un roman largement autobiographique dénonçant l’homophobie. Une décennie plus tard, il en est au septième livre consacré à sa famille, le dernier sur ce sujet annonce-t-il, où il s’interroge sur son demi-frère, tué par l’alcoolisme à trente-huit ans.
De neuf ans son aîné, ce frère sans prénom dans le livre avait la même mère qu’Edouard Louis, mais pas le même père. Un père qui les a abandonnés, lui et une autre demi-sœur de l’auteur, lorsque leur mère s’est remariée. La fille s’en est remise, pas le garçon qui a sombré dans la dépression et l’alcoolisme, incitant l’auteur à réfléchir, au-delà des déterminismes sociaux liant ici pauvreté, délinquance, alcool et mort prématurée, à la psychologie de ce frère par ailleurs si violemment homophobe que lui-même avait depuis longtemps préféré ne jamais le revoir.
« Je détestais souvent mon frère, mais j’ai besoin de comprendre », écrit-il. Parce que, même s’il n’était alors qu’adolescent, une question l’obsède : « Qu’est-ce que je n’ai pas fait ? Qu’est-ce que j’aurais pu faire ? Et ce sourire de mon frère me jette la question au visage, et je ne sais pas, je ne sais pas. » « Peut-être que je ne sais rien de mon frère, mais j’ai besoin de croire que je sais. Peut-être que j’ai besoin d’une histoire, d’une explication, de quelque chose qui ait un sens. D’un rempart contre l’oubli. » Alors, l’auteur fouille ses souvenirs, interroge ses proches et ceux de son frère, s’intéresse à la psychiatrie et à la psychanalyse en lisant Freud, Binswanger, Michel Foucault ou encore Julia Kristeva, enfin trouve dans la littérature, chez Anne Carson et Jamaica Kincaid par exemple, d’autres récits en résonance avec le sien.
Entre doute et tristesse, une forme de tendresse hésitante pour ce frère maudit, blessé dans son être jusqu’à s’autodétruire, s’insinue entre les lignes de ce texte qui, s’ouvrant sur l’annonce d’une mort sordide et s’attachant dans la plus grande sobriété de style à recoller les morceaux d’une existence enlisée dans la souffrance, reconstitue ce qui apparaît comme le destin aveugle d’un personnage de tragédie grecque. Né dans un autre milieu et non dans cette « partie de la classe ouvrière [où] les blessures psychologiques n’existent pas », où il n’y a aucun lieu pour les dire et pas non plus « d’accès aux tentatives, qu’elles soient ratées ou réussies » par manque d’argent et d’accompagnement, qui sait ce que ce frère aurait pu devenir malgré tout ? Et l’auteur de s’interroger sur ce qui fait nos destinées. « A quel moment est-ce que des actes deviennent destin ? Jusqu’à quel moment quelqu’un, mes parents par exemple, aurait pu infléchir la direction que prenait sa vie ? À partir de quand est-il trop tard ? »
Terrible anamnèse d’un naufrage humain, social et familial, ce texte très contenu qui dévoile fort honnêtement la perplexité mêlée de ressentiment et de regret de l’auteur ne laisse de beau rôle à personne. Un récit navrant et bouleversant, aussi sensible que lucide.
Créée
le 1 févr. 2025
Critique lue 169 fois
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