SOCIÉTÉ
Consommation médicale : les disparités sociales n'ont pas disparu
par Pierre Mormiche
Malgré la généralisation de l'assurance maladie, les disparités de consommation médicale sont demeurées significatives entre les groupes sociaux.
À un pôle, les ménages de cadres sont orientés vers une médecine de spécialistes, des recours fréquents aux examens complémentaires et aux dentistes; en revanche, ils délaissent de plus en plus les généralistes et les auxiliaires. Les cadres et leurs familles continuent aussi d'acheter davantage de médicaments sans ordonnance que dans les autres milieux, même si cette pratique régresse dans toutes les catégories. À un autre pôle, les milieux ouvriers et agricoles recourent peu aux spécialistes et aux examens, plus aux généralistes et à la pharmacie prescrite. Les différences de pratique entre groupes sociaux
sistent à revenu égal, en particulier entre manuels et « cols blancs », mais elles sont alors atténuées. Les hospitalisations relèvent d'une logique différente : les agriculteurs, et surtout les ouvriers, sont plus fréquemment hospitalisés que les cadres ou les employés, sans doute en raison de leurs conditions de vie et de travail.
Les personnes qui bénéficient d'un régime de sécurité sociale assurant la gratuité des soins sont de loin les plus consommatrices, parce qu'elles sont, dans leur grande majorité, atteintes de maladies requérant des soins coûteux. En revanche, les mutualistes consomment plus de soins spécialisés que les non-mutualistes, sans qu'on voie comment expliquer cette différence par une morbidité plus élevée des premiers.
En vingt ans, au cours des années soixante et soixante-dix, la couverture sociale des dépenses maladie s'est généralisée : 76 °/o de la population bénéficiaient de la sécurité sociale en 1960, et plus de 99 % en 1980 [11 L'extension de l'assurance maladie s'est accompagnée d'une forte croissance des taux de remboursement. Cette croissance est due pour partie à la prise en charge totale des malades justifiant de soins prolongés ou coûteux (une personne sur dix au total en 1980). Pour le reste, elle tient au développement considérable des mutuelles, dont les bénéficiaires sont passés, dans le même temps, de 31 °/o à 69 % de la population.
Malgré cette extension considérable, et contrairement sans doute à ce que ses artisans en attendaient, les disparités d'accès aux soins médicaux entre groupes sociaux sont loin d'avoir disparu. Elles ont
* Pierre Mormiche fait partie de la division Conditions de vie des ménages du département Population-ménages de l'INSEE.
Les nombres entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d'article.
Cet article est la première partie d'une étude consacrée aux disparités sociales de consommation médicale. Un second article, dans ce même numéro, expose les interprétations qui peuvent en être faites.
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