Le Réveil ; période actuelle
On dit que le monde vit en paix. Que les royaumes prospèrent, que les guerres sont des souvenirs poussiéreux, que les peuples ont appris à coexister. Mais ce n’est qu’un mensonge poli que l’on se répète dans les tavernes, un rêve fragile que les puissants entretiennent par peur de réveiller le passé.
Depuis le Silence, la magie n’est plus qu’un murmure. Les mages ne font plus trembler la terre, les prêtres n’entendent plus les dieux, et les elfes, jadis éternels, meurent aujourd’hui presque aussi vite que les humains. Et pourtant, depuis quelques années, quelque chose change. Dans les coins les plus reculés du monde, la magie recommence à frémir. Une lueur étrange au creux d’un lac oublié. Des enfants aux yeux d’or capables de sentir le vent avant qu’il ne souffle. Des runes qui se rallument sur des ruines que l’on croyait mortes.
Les érudits d’Emeryn parlent d’un Réveil des Flux, un simple cycle naturel, comme la marée. Les prêtres d’Istharion, eux, crient au miracle : les dieux reviennent, disent-ils, et il faut purifier le monde pour les accueillir. Mais d’autres, plus discrets, savent que cette magie n’a rien de divin. Elle vient du feu. D’un feu ancien. D’un feu vivant.
Car sur les îles du nord, dans les entrailles des cavernes brûlées, les Arhens ont gardé un secret que nul autre peuple n’a le droit de connaître. Les dragons sont revenus. Pas en armées, ni en orages de flammes - mais un par un, lentement, comme des souvenirs qui refont surface. Certains dorment encore dans leur coque d’écailles, d’autres ont ouvert les yeux, et leur souffle fait à nouveau trembler les chaînes du monde.
Les Arhens les protègent avec une ferveur ancienne, presque religieuse. Ils ne parlent pas, ne montrent rien, mais ceux qui croisent leur regard sentent ce poids de silence, ce fardeau brûlant. Pour eux, les dragons ne sont pas des armes, ni des dieux. Ils sont la mémoire du monde, le lien perdu entre ce qui fut et ce qui doit revenir. Leur secret est leur survie, et peut-être même celle du monde tout entier.
Pendant ce temps, les royaumes s’agitent. A Istharion, les prêtres appellent à une croisade contre les “sorciers du feu”, convaincus que les signes vus par les Oracles sont l’œuvre de démons. A Lyséor, où elfes et humains vivent ensemble, les vieilles rancunes reprennent racine, nourries par la peur de ces étranges miracles. A Taren, les marchands envoient des expéditions vers le nord, attirés par les rumeurs de cendres chaudes, de pierres qui chantent, et d’ombres ailées dans les nuages. Et dans les hautes tours d’Emeryn, les érudits cherchent, désespérés, à comprendre pourquoi la magie revient, et à quel prix.
Car les signes se multiplient. Des ombres volent la nuit au-dessus des cols. Des flammes bleues dansent dans les champs sans que nul ne les allume. Et lors du dernier solstice, la lune s’est teintée de rouge sang. Certains y voient un présage. D’autres, la promesse d’un retour.
Mais tous sentent que quelque chose approche. Un battement. Un souffle. Un écho ancien qui recommence à vibrer dans le cœur du monde.
Une renaissance.