Aller au contenu

Combat du 8 juin 1755

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Le combat du 8 juin 1755 est une bataille navale entre une petite escadre française et une escadre britannique, au début de la guerre de la Conquête, pendant la guerre de Sept Ans en Amérique du Nord. Les Britanniques capturent l'Alcide (de 3e rang) et le Lys dans le golfe du Saint-Laurent à environ 20 lieues (96 km) au sud sud-est au large du cap Race, Terre-Neuve[4]. La bataille contribue à la déclaration de guerre formelle en 1756, marquant le début de la guerre de Sept Ans.

En 1754, les forces coloniales françaises et britanniques s'affrontent une première fois à la bataille de Jumonville Glen puis à nouveau à la bataille de Fort Necessity, pour le contrôle de la partie supérieure de la vallée de l'Ohio, près de la ville actuelle de Pittsburgh. Lorsque la nouvelle de ces affrontements atteint Londres le gouvernement britannique décide d'envoyer les troupes régulières pour occuper le site sur lequel les Français avaient construit Fort Duquesne. La nouvelle des préparatifs britanniques atteint la France, où des convois de troupes sont également préparés, prêts à être envoyés en renfort en Amérique du Nord. La Royal Navy, avertie des plans français, envoie une flotte de huit vaisseaux de ligne, sous le commandement du vice-amiral Boscawen dans le golfe du Saint-Laurent avec pour mission d'intercepter les vaisseaux français qui se rendraient au Canada. Boscawen croise le long des côtes sud de Terre-Neuve. Trois semaines plus tard, une seconde flotte, placée sous le commandement du vice-amiral Francis Holburne, est envoyée pour intercepter les renforts français.

La flotte française est placée sous le commandement du chef d'escadre Dubois de La Motte. Elle compte dix-huit bâtiments. Trois seulement portent leur armement complet[5]. Onze sont des vaisseaux de ligne qui ont été armés en flûtes pour laisser place aux troupes embarquées et ne sont équipés que de 22 ou 24 pièces chacun. Quatre frégates complètent le convoi. Une partie de ces navires doivent passer à Québec avec Dubois de la Motte. Les autres, sous les ordres d’Antoine Alexis Perier de Salvert doivent se porter sur Louisbourg. Pour protéger cet important convoi, une forte escorte de six vaisseaux et trois frégates est placée sous les ordres du lieutenant général Macnemara[5]. Le convoi appareille le 3 mai[6]. Cependant, Macnemara, prétextant des problèmes de santé, revient sur Brest quelques jours plus tard avec ses neuf bâtiments, laissant Dubois de la Motte poursuivre seul le voyage[5]. La plus grande partie des navires de transport français parviennent à éviter Boscawen et à atteindre leur destination. Seuls trois vaisseaux, séparés du reste du convoi par le brouillard, se retrouvent au large de Terre-Neuve face à la flotte britannique.

Captain Richard Howe, peint par John Singleton Copley (1794)

Le HMS Dunkirk, le HMS Defiance et le HMS Torbay entrent en vue du Dauphin Royal, de l'Alcide (capitaine Toussaint Hocquart) et du Lys[7]. Le Lys (capitaine de Lorgeril) navigue alors en flûte. Son armement avait été ramené de 64 à 22 canons pour lui permettre d'embarquer les soldats du régiment de la Reine et du Régiment du Languedoc, huit compagnies au total. Même chose pour le Dauphin Royal qui n'a que 22 pièces pour se défendre (au lieu de 70 habituellement). Seul l’Alcide, qui fait partie des escorteurs, porte son armement complet de 64 canons.

Ces trois vaisseaux sont bientôt rejoints par les bâtiments britanniques qui exigent d'être salués[8]. Hocquart, commandant de l’Alcide, crie par trois fois porte-voix en main : « Sommes-nous en guerre ou en paix ? », ce à quoi Richard Howe, capitaine du Dunkirk, répond : « En paix, en paix ». Mais, dès que le Dunkirk est à une demi-portée de pistolet, les Français entendent distinctement Howe crier « fire »[8]. Ses canons ouvrent le feu sur l’Alcide et tuent plusieurs dizaines d'hommes, dont quatre officiers[8]. L’Alcide étant mieux armé que les deux autres vaisseaux français réplique cependant au feu britannique et combat bravement pendant cinq heures. Mais, ayant subi des dégâts importants (son gouvernail est fracassé), il finit par abaisser son pavillon, tout comme le Lys. Cependant, le Dauphin Royal, bon marcheur, parvient à s'échapper et à se réfugier à Louisbourg[8].

Conséquences

[modifier | modifier le code]
Gravure du propagande anglaise imprimée en 1755 peu après la capture du Lys et de l’Alcide.

Les Britanniques continueront après ce combat à harceler les vaisseaux français traversant l'Atlantique, alors même que les deux nations n'étaient pas encore officiellement en guerre, s'emparant de trois-cents navires marchands dans l'Atlantique et retenant prisonniers 6 000 matelots[8]. La guerre est finalement déclarée par la France en 1756. Les prisonniers français, des hommes de troupe pour la plupart, destinés à la Nouvelle-France, sont internés sur l'île Georges dans le port d'Halifax et traités comme des prisonniers de guerre.

À bord de l'Alcide et du Lys les Britanniques découvrent 10 000 couteaux à scalper destinés aux Acadiens menés par Beausoleil et aux Indiens Micmacs du Chef Cope qui continuaient à combattre dans la guerre anglo-micmac[9]. Hocquart est le prisonnier de Boscawen pour la troisième fois de sa carrière ; il avait été capturé une première fois au cours d'un combat de frégates en 1744 au début de la guerre de Succession d'Autriche. Il l'avait fait à nouveau prisonnier lors de la première bataille du cap Finisterre et cette fois à bord de l’Alcide.

Lorsque la nouvelle du combat arrive en France, elle provoque une émotion considérable, car l’opinion publique, comme le roi, croyait que malgré les tensions dans les colonies la paix avec l’Angleterre n’était pas réellement menacée. À Brest, un slogan fait son apparition : « Foi britannique, foi punique[10] ». À Paris la Bourse s’effondre, car le commerce colonial, qui a pris une place considérable dans l’économie française, est maintenant très menacé[11]. La propagande anglaise fait grand cas de cette « victoire ». Pourtant, c’est plutôt un semi-échec car l’essentiel du convoi français est passé. Le ministre Newcastle exprime son désappointement que l’affaire n’eût pas mieux réussit : « Ce pauvre Boscawen n’a pas eu de chance ; il n’a pris que deux vaisseaux ; d’autres se sont échappés à la faveur du brouillard. Nous ne savons point où est allée le reste de l’escadre. Probablement le gros des troupes et l’amiral ont remonté le Saint-Laurent[12] ». C’est effectivement ce qui va se passer : Dubois de La Motte va réussir à conduire son convoi à Québec puis à s’esquiver au retour en passant au nord de Terre-Neuve par le détroit de Belle-Isle[13].

Les historiens anglais reconnaissent sans difficulté que le gouvernement britannique a bien donné des ordres qui ont provoqué cette agression en pleine paix, mais ils justifient cette atteinte au droit international par la nécessité de protéger leurs treize colonies d’Amérique[8]. L’historiographie américaine est plus sévère. Dans un ouvrage récent, Jonathan Dull juge que « l’action navale du 8 juin marqua de façon ignominieuse l’entrée de la Grande-Bretagne dans la guerre[14] ».

Annexes : Les escadres françaises dans l’Atlantique Nord au début de 1755

[modifier | modifier le code]
Division de Macnemara et Duguay devant Brest[15]
Vaisseaux
Canons Nom Commandant
80 Formidable
(vaisseau amiral)
Comte de Kersaint,
lieutenant général Macnemara puis chef d’escadre Duguay
74 Héros Bullion de Montlouët (chef d’escadre)
74 Palmier Chevalier de Bauffremont
64 Éveillé De Fontais
64 Inflexible De Guébriant
50 Aigle De Cousages
Frégates
30 Améthyste Du Bot de Loan
26 ou 30[16] Héroine De Bory
30 Sirène De Tourville
Croisière de Macnemara devant Brest du 3 au 20 mai 1755. Passage de commandement à Duguay.
Abandon de la mission vers le Canada. Protection devant Brest des convois arrivant des colonies[17].
Escadre de Dubois de La Motte à destination du Canada[15]
Vaisseaux
Canons
(armement habituel)
Armement
réduit en flûte
Nom Commandant Remarques
74 non Entreprenant Dubois de La Motte[18],
chef d’escadre
Vaisseau amiral.
64 non Bizarre Perier de Salvert
(chef d’escadre)
Escorteur.
64 non Alcide Toussaint Hocquart Escorteur. Capturé à l’aller le 8 juin 1755.
74 24 Défenseur Beaussier de l'Isle Transport de troupes.
74 24 ou 22[19] Espérance De Bouville Transport de troupes. Le plus ancien navire de l’escadre.
Capturé lors de son retour le 11 novembre 1755 dans le golfe de Gascogne puis sabordé.
72 24 Algonquin De La Villéon Transport de troupes.
70 24 Dauphin-Royal De Montalais Transport de troupes. Bon marcheur. Echappe à la capture le 8 juin 1755.
64 22 Opiniâtre De Mollien Transport de troupes.
Attaqué lors de son retour le 20 septembre au large de la Bretagne. Assaillants repoussés[20].
64 22 Illustre De Choiseul Transport de troupes.
64 22 Actif De Caumont Transport de troupes.
64 22 Lys De Lorgeril Transport de troupes. Capturé à l’aller le 8 juin 1755.
62 22 Léopard Saint-Lazare Transport de troupes.
56 22 Apollon De Gomain Navire hôpital.
42 22 Aquilon De La Rigaudière Transport de troupes.
Frégates
30 non Fleur de Lys Marin de Manières -
30 non Comète De Ruis -
24 non Diane Froger de l’Éguille -
24 non Fidèle Froger de la Jonquière -

Notes et références

[modifier | modifier le code]
  1. Au premier plan de la toile, le HMS Defiance, commandé par le Captain Thomas Andrews faisant feu sur le vaisseau français Lys, qui ne réplique pas. Entre les deux vaisseaux, à l'arrière-plan, on peut apercevoir le HMS Dunkirk commandé par le Captain Richard Howe et l’Alcide commandé par Toussaint Hocquart. Sur la gauche, un vaisseau marchand britannique semble se rapprocher.
  2. Levot 1852, p. 915–916
  3. Lettres et mémoires pour servir à l'histoire du Cap Breton depuis son établissement jusqu'à la reprise de cette ile par les Anglais en 1758. p248-269
  4. Barrow 1838, p. 26
  5. a b et c Troude 1867-1868, p. 391, Lacour-Gayet 1910, p. 254-255.
  6. Voir le détail de ces armements dans l'Annexe en fin d'article.
  7. Barrow 1838, p. 25
  8. a b c d e et f Monaque 2016, p. 138-139.
  9. (en) Thomas H. Raddall, Halifax : Warden of the North, Nimbus, 1993 (1re éd. 1948), p. 45
  10. Cité par Vergé-Franceschi 1996, p. 122.
  11. Le duc de Croÿ note dans son journal que « cette nouvelle mit la consternation, surtout par les suites que l’on sentit lors. Je passais devant la bourse, où je descendis pour la première fois. J’y appris la confirmation de la nouvelle et l’on s’attendait à tout voir dégringoler, surtout les actions : elles tombèrent tout d’un coup ». Cité par Zysberg 2002, p. 245-246.
  12. Cité par Lacour-Gayet 1910, p. 257.
  13. Vergé-Franceschi 1996, p. 123 et 421.
  14. Cité par Monaque 2016, p. 139.
  15. a et b Tableau dressé en croisant les informations données par Troude 1867-1868, p. 326-327 et Lacour-Gayet 1910, p. 254-255. Troude donne le détail des escadres avec la fonction de chaque navire et son commandant, mais fait quelques erreurs sur le nombre de canons portés par certains vaisseaux. Lacour-Gayet permet de savoir à quelle escadre sont affectées les frégates.
  16. 30 canons selon Troude 1867-1868, p. 326-327, 26 canons selon l’article French Sixth Rate frigate L'Héroine (1752) sur le site Three Decks - Warships in the Age of Sail.
  17. Lacour-Gayet 1910, p. 255. Voir aussi Taillemite 2002, p. 152 et 344.
  18. Voir aussi Taillemite 2002, p. 145-146.
  19. 24 canons selon Troude 1867-1868, p. 326-327, 22 canons selon Lacour-Gayet 1910, p. 258.
  20. Lacour-Gayet 1910, p. 258.

Sources et bibliographie

[modifier | modifier le code]

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Jean Bérenger et Jean Meyer, La France dans le monde au XVIIIe siècle, Paris, SEDES, coll. « Regards sur l'Histoire », , 380 p. (ISBN 2-7181-3814-9)
  • André Zysberg, La monarchie des Lumières : 1715-1786, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points Histoire », , 552 p. (ISBN 2-02-019886-X). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Patrick Villiers, Jean-Pierre Duteil et Robert Muchembled (dir.), L'Europe, la mer et les colonies : XVIIe – XVIIIe siècle, Paris, Hachette supérieur, coll. « Carré histoire », , 255 p. (ISBN 2-01-145196-5)
  • Patrick Villiers, La France sur mer : De Louis XIII à Napoléon Ier, Paris, Fayard, coll. « Pluriel », , 286 p. (ISBN 978-2-8185-0437-6)
  • Michel Vergé-Franceschi, La Marine française au XVIIIe siècle : guerres, administration, exploration, Paris, SEDES, coll. « Regards sur l'histoire », , 451 p. (ISBN 2-7181-9503-7). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Michel Vergé-Franceschi (dir.), Dictionnaire d'histoire maritime, Paris, éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1508 p. (ISBN 2-221-08751-8 et 2-221-09744-0, BNF 38825325)
  • Étienne Taillemite, Dictionnaire des marins français, Paris, éditions Tallandier, , 573 p. (ISBN 2-84734-008-4). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Rémi Monaque, Une histoire de la marine de guerre française, Paris, éditions Perrin, , 526 p. (ISBN 978-2-262-03715-4). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Edmond Dziembowski, La guerre de Sept Ans, Paris, éditions Perrin, coll. « Tempus », , 851 p. (ISBN 978-2-262-07502-6)
  • Jonathan Dull, La Guerre de Sept Ans, Bécherel, coll. « Les Perséides »,
  • Prosper Levot, Biographie bretonne : A-J, Cauderan, (lire en ligne), p. 915. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Lettres et mémoires pour servir à l'histoire du Cap Breton depuis son établissement jusqu'à la reprise de cette ile par les Anglais en 1758, La Haye, Pierre Gosse / Londres, John Nourse, 1760, [New York, Johnson Reprint, 1966].
  • Onésime Troude, Batailles navales de la France, t. 1, Paris, Challamel aîné, 1867-1868, 453 p. (lire en ligne). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Georges Lacour-Gayet, La Marine militaire de la France sous le règne de Louis XV, Honoré Champion éditeur, (1re éd. 1902) (lire en ligne). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • (en) The Naval Chronicle, vol. 7, Bunney & Gold (lire en ligne), p. 200
  • (en) John Barrow, The life of Richard, Earl Howe, K.G. : Admiral of the Fleet and General of Marine, Londres, . Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • (en) Rene Chartrand et Jack L. Summers, Military Uniforms in Canada, 1665–1970, Ottawa, Canadian War Museum,

Articles connexes

[modifier | modifier le code]