Phobie scolaire
La phobie scolaire est un terme employé dans le langage courant pour décrire les difficultés psychologiques que rencontrent certains enfants à se rendre à l'école. Ce n'est pas un trouble mental reconnu par le DSM-5 ni par la CIM-11.
Définition
[modifier | modifier le code]Il n’existe pas de définition consensuelle, mais deux chercheurs définissent la phobie scolaire ainsi :
- Selon Ian Berg en 1969, un élève phobique scolaire se caractérise par une « très grande difficulté à être assidu à l’école, un sévère bouleversement affectif ; une absence de troubles antisociaux ; des parents au courant »[1].
- Juliàn de Ajuriaguerra, en 1974, dit qu’il « s’agit d’enfants ou adolescents qui, pour des raisons irrationnelles, refusent d’aller à l’école et résistent avec des réactions très vives d’anxiété ou de panique, quand on essaie de les y forcer ».[2]
Il s'agit donc d'un comportement le plus souvent sous-tendu par des troubles anxieux, parfois par des troubles plus graves.
La phobie scolaire peut être transitoire, mais elle peut parfois s'aggraver, entraînant une déscolarisation de l'enfant[3].
Sans contact avec le monde extérieur créé par l’école et avec des pairs, les personnes atteintes de phobie scolaire peuvent être atteintes d'une impression d'isolement. Elles risquent donc d'avoir une image d’elles-mêmes dégradée. Un cercle vicieux va alors se développer : prétendant être malades pour ne pas avoir à aller à l’école, elles vont aussi refuser de pratiquer des activités extra-scolaires, ce qui va entraîner une désocialisation progressive[4].
Controverse
[modifier | modifier le code]Hélène Denis en 2005 et d’autres réfutent et critiquent ce terme : d'après eux, il ne s’agirait pas d’une phobie de l'école en elle-même, mais plutôt de ce qui s'y passe à l'intérieur, comme les situations sociales d’évaluations scolaires auxquelles l’élève est confronté. Ces chercheurs avancent aussi que les mécanismes d’inconfort (nausées, étouffements…) de cette phobie sont plus complexes que ceux d'une simple phobie, de sorte qu'ils préfèrent employer le terme de « refus scolaire anxieux »[5].
Le trouble n'a pas été reconnu comme tel par les différents comités scientifiques internationaux. La question de l’anxiété de séparation en revanche, a été reprise dans le DSM, parlant, dès sa troisième version en 1987, du « refus anxieux scolaire » non pas en tant qu'entité individualisée, mais comme une conséquence d’une phobie sociale ou d’une anxiété de séparation. La CIM-10 l'inclut dans les angoisses de séparation de l’enfance. Les anglo-saxons, eux, parlent exclusivement de refus scolaire, contrairement à la France qui reste fidèle à la notion de phobie[6].
Il faudrait, selon certains psychiatres, différencier les situations où l’appétence scolaire est préservée, de celles où elle n’existe plus, comme c’est le cas dans un contexte sociopathique[6].
Histoire
[modifier | modifier le code]En 1887, Alfred Binet décrit un cas de peur de l’école chez un enfant devenu mutique dès son arrivée en classe[réf. nécessaire]. En 1913, Carl Gustav Jung (1913) décrit le « refus névrotique » d’aller à l’école[7], et l'année suivante dans sa thèse, George Heuyer évoque la peur de certains enfants de l’institution scolaire. Quelques années plus tard, en 1932, Isra Tobis Broadwin, s’intéresse aux fugues d’écoliers, en les interprétant comme une inquiétude de ce qui pourrait arriver à leur mère, « un acte de défiance, une tentative pour obtenir de l’amour, ou s’évader de situations réelles pour lesquelles il est difficile de faire face », et classe ce comportement dans les « troubles psycho-affectifs »[6].
Le terme de phobie scolaire est introduit en 1941 dans l’American Journal of Orthopsychiatry, par Adélaïde Johnson, avant que celle-ci en 1957, le rapporte à une angoisse de séparation, différenciant la phobie scolaire des fugues ou du comportement d’opposition[6].
En 1972, Melitta Sperling explique aussi ces cas par une préoccupation de l’enfant à propos de ses parents, en indiquant que c’est parfois une maladie de la mère qui déclenche l’inquiétude, l’enfant ne voulant plus « laisser maman ». Cinq ans plus tard, Lebovici et le Nestour décrivent des phobies graves de l’école en lien avec un trouble grave de la personnalité, contrairement aux phobies simples décrites par Sperling.
Causes évoquées
[modifier | modifier le code]Les facteurs expliquant le développement d'une phobie scolaire chez un enfant sont multiples. L’enfant ne sait pas expliquer clairement les causes de son angoisse (Baveux, C., 2015)[8]. De plus, ces facteurs varient d’un individu à l'autre (Maury, J. en 2013)[9].
Troubles relationnels
[modifier | modifier le code]Le rôle des parents et les interactions familiales sont importants, dès la toute petite enfance. Des parents anxieux peuvent transmettre leur anxiété à l’enfant, ce qui peut préparer le terrain, l’enfant prenant alors le comportement des parents comme modèle du sien (Valentin, S. 2017)[1].
Avoir des relations fusionnelles avec ses enfants peut devenir critique lors des périodes de séparation. En effet, des parents trop protecteurs avec leur enfant l'empêchent de s’autonomiser. Au contraire, une relation confiante et dynamique permettrait à l'enfant de se sentir en sécurité dans les situations de séparation, notamment l’école, quand vient le moment de la séparation, de l’entrée dans la scolarité (Baveux, C en 2015)[8].
Des événements tragiques (séparation des parents, maladies, décès…) peuvent aussi entraîner des cas de phobies scolaires, l’enfant inquiet sur sa situation et celle de ses parents pouvant développer des répulsions de l’école pour ne pas s'y rendre et ainsi surveiller ses parents.
Néanmoins, il est préférable d'éviter de désigner les parents comme seuls responsables. Ces derniers ne doivent pas culpabiliser et se considérer comme les principaux fautifs (Valentin, S. 2017)[1]. Ils ont besoin d'aide autant que l'enfant, tout le système familial doit être aidé.
Le refus scolaire peut également relever de la confrontation au groupe de pairs, avec la contrainte du regard des autres, mais également le facteur de la compétition, que ce soit entre les membres de la fratrie ou entre les camarades (Sharmann, 2011)[10]. Le climat scolaire est décrit comme une insécurité pour les élèves qui peuvent être victimes de racket, violences, harcèlement ou jugement des autres (Baveux, 2015 ; Guivarch, Poinson, Gignoux-Froment, 2018)[11],[8].
D'après un reportage à la Maison de Solenn (APHP)[réf. nécessaire], à Paris, pour 25 % à 33 % des enfants en situation de phobie scolaire, la cause est le harcèlement à l'école ou sur internet. Des mesures ont été mises en place depuis 2011, comme la mise en place de référents « harcèlement » dans chaque rectorat. Chaque année, le 1ᵉʳ jeudi de novembre doit être une journée banalisée pour parler du harcèlement à l'école[12].
Enfin, la phobie scolaire peut être aussi lié aux pratiques éducatives, aux attentes des parents, à la pression que ceux-ci peuvent faire peser sur leur enfant. Les enfants, ne voulant pas décevoir leurs parents, vont avoir peur de l’échec comme les mauvais résultats scolaires (Baveux, 2015 ; Valentin, 2017). Mais il peut également s'agir de réactions, de sentiments de peur dus à des modifications du tissu familial ou de l’environnement (Baveux, 2015)[1],[8].
École
[modifier | modifier le code]D’après J. Maury, l’école devient le point de mire, le lieu de cristallisation des souffrances, jusqu’à en devenir anxiogène (Maury, J. en 2013)[9]. La peur du jugement, de la catégorisation, des paroles qu’un enseignant peut avoir envers un élève, vont se traduire par la peur de cet enseignant même et de l’enseignement qu’il dispense (Baveux, 2015)[8].
Population touchée
[modifier | modifier le code]« La phobie scolaire constitue environ 5 % des motifs de consultation en pédopsychiatrie et toucherait entre 1 et 2 % des enfants d’âge scolaire »[13]. Ce chiffre serait plus élevé dans les villes et dans les pays industrialisés (observé par l’augmentation des consultations des unités de pédopsychiatrie). Ce trouble touche tous les types d'élèves sans distinction de genre, de place dans la fratrie ou de classe sociale.[réf. souhaitée]
Il existe toutefois des facteurs qui favorisent le développement de cette phobie, notamment l'âge ; deux catégories d’âges sont plus propices que les autres à son apparition, qui correspondent chacune aux étapes principales du parcours scolaire d'un individu. L’entrée au cours préparatoire vers l’âge de 6 ans (début de l'apprentissage, première expérience prolongée hors de la maison si l'enfant n'a pas connu la maternelle) et l’adolescence[13](départ de l'école élémentaire pour le collège, nouvelles connaissances et nouveaux cercles sociaux). Ces deux catégories d’âges sont également marquées par des étapes importantes dans le développement de l’individu, notamment par l'acquisition de la capacité de raisonnement hypothético-déductif, permettant à l'enfant d'émettre des hypothèses puis des déductions qu'il va confronter à des résultats d’expériences ou des observations.
De nombreuses études montrent que les filles sont aussi touchées que les garçons, même s’il semble que les garçons soient touchés un peu plus précocement[13]. Il est établi aussi que les élèves sérieux et dont l’investissement est notable sont plus à risque d’être affectés par une phobie scolaire que les autres, car ils peuvent souffrir du stigmate du « premier de la classe » et donc de moqueries. Ils peuvent aussi éprouver une incompréhension de leurs notes malgré le travail fourni (leurs résultats scolaires ne seraient pas à la hauteur de leurs attentes, ou ils auraient l'impression de travailler inutilement).
Prise en charge
[modifier | modifier le code]Dans les cas les plus sévères, des aménagements de scolarité peuvent être envisagés avec une scolarisation temporaire à temps partiel comportant des allégements des journées les plus chargées afin de réduire le temps d’exposition aux autres. Puis progressivement, l’emploi du temps complet sera rétabli quand l’enfant se sentira mieux à l’école. Une scolarisation dans des écoles alternatives peut aussi être une solution envisageable[14].
Dans le cas d’une déscolarisation, il faut prendre le cas rapidement au sérieux et aller consulter des experts afin de mettre en place une psychothérapie qui est menée dans des structures comme les centres médico-psychologique infantile (CMPI) ou centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), qui rassemblent des professionnels spécialisés tels que des pédopsychiatres, des psychologues, infirmiers, enseignants spécialisés, orthophonistes, psychomotriciens notamment, pour aider l’enfant à vaincre son angoisse[15].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Stephan Valentin, La phobie scolaire : comprendre pour agir, .
- Hélène Denis, « Le refus scolaire anxieux », sur cairn.info, .
- Lucille Berland, « Phobies scolaires, comment s'y attaquer ? », sur Le Monde, .
- Jean-Louis Halpérin, « Pourquoi parler d’une histoire contextuelle du droit ? », Revue d'histoire des sciences humaines, no 30, , p. 31–48 (ISSN 1622-468X et 1963-1022, DOI 10.4000/rhsh.494, lire en ligne, consulté le ).
- Denis Hélène, « Le refus scolaire anxieux. Prise en charge par une équipe multidisciplinaire », Enfances & Psy, , p. 98-106 (lire en ligne).
- Nicolas Girardon, Jean Guillonneau, « Phobie scolaire à l'adolescence », sur cairn.info, .
- Nicole Catheline, Les phobies scolaires aujourd'hui (2016), Lavoisier, , 140 p. (ISBN 9782257206633, lire en ligne), p. 3 à18
- Baveux, C., « École : j’y vais… je ne peux pas… j’aimerais bien ! », Enfances & Psy, , p. 117-126.
- Maury, J., « La phobie scolaire ou l'école symptôme », La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, , p. 111-120.
- Scharmann, G., « Rejets d'école à l'adolescence », Enfances & Psy, , p. 78-88.
- Guivarcvh, J., Poinson, F. et Gignoux-Froment, F., « Malaise à l’école », L'information psychiatrique, , volume 94(8), 681-688.
- Florence Rosier, « Phobie scolaire, quand l'école terrorise », Le Monde, , p. 4-5.
- « Phobie Scolaire - Origines, Causes, Solutions », sur passeportsante.net, (consulté le ).
- « Phobie scolaire : quelles solutions pour s’en sortir ? », sur CIDJ (consulté le ).
- Comprendre et soigner le refus scolaire anxieux, Dunod, (lire en ligne).
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Sources et bibliographie
[modifier | modifier le code]- Fanny Vandermeersch, Phobie, Le Muscadier, 2017 (ISBN 979-10-90685-78-9).
- Gilbert Longhi et Ariane Morris, Pas envie d'aller à l'école, De La Martinière, 2004 (ISBN 978-2732431918).
- Marie-France Le Heuzey et Marie-Christine Mouren, Phobie scolaire : Comment aider les enfants et adolescents en mal d'école ?, J. Lyon, 2010 (ISBN 978-2843192326).
- Anne-Marie Rocco et Justine Touchard, Le jour où je n'ai pas pu aller au collège, Flammarion, 2013 (ISBN 978-2081295926).
- Baveux, C. (2015). École : j’y vais… je ne peux pas… j’aimerais bien !, Enfances & Psy, 65(1), 117-126.
- Guivarch, J., Poinson, F. & Gignoux-Froment, F. (2018). Malaise à l’école. L'information psychiatrique, volume 94(8), 681-688.
- Stephan Valentin, « la phobie scolaire : comprendre pour agir », Édition Enrick B. 2017
- Maury, J. (2013). La phobie scolaire ou l'école symptôme. La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, 62(2), 111-120.
- Denis Hélène, « Le refus scolaire anxieux. Prise en charge par une équipe multidisciplinaire », Enfances & Psy, 2005/3 (no 28), p. 98-106. DOI 10.3917/ep.028.0098 [lire en ligne]
- Scharmann, G. (2011). Rejets d'école à l'adolescence. Enfances & Psy, 52(3), 78-88.
- Mazereau, P. (2013). Histoire de la phobie à l'âge scolaire : éléments d'enquête. La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, 62(2), 9-22. DOI 10.3917/nras.062.0009.
- (2017). Phobie scolaire : pourquoi tant d'angoisse ? Sciences Humaines, 291(4), 13-13. [lire en ligne].
- Phobie scolaire ou refus scolaire anxieux (2019) Tous à l’école.
- Marie Gallé-Tessonneau, Laetizia Dahéron, Comprendre et soigner le refus scolaire anxieux, Dunod, 2020.
Articles connexes
[modifier | modifier le code]- Harcèlement scolaire
- Hikikomori
- Humiliation scolaire
- Phobie sociale
- Sociologie de l'éducation
- Phobie
- Trouble anxieux