Le souffle des mots
Blog destiné à la promotion de mes romans et à la littérature sous toutes ses formes.

Au fil des images
Thèmes

air amis amour art artiste belle bleu blog bonne chez coeur coup

Rubriques

>> Toutes les rubriques <<
· Classiques contemporains (14)
· Comment acheter mes romans dédicacés ? (0)
· Coups de coeur (8)
· Coups de sang ! (4)
· Humeur d'auteur (15)
· INTERVIEWS D'AUTEURS ET ECRIVAINS (6)
· Le fil rouge (1)
· Les chansons sont aussi de l'écriture (13)
· Les mots du cinéma (13)
· Mes paroles attendent votre musique (3)
· Peintures et mots enlacés (30)
· Petites critiques littéraires (280)
· Presse, médias (1)
· Récit de dédicaces (17)
· Séries télé (1)
· WOORARA (0)

Rechercher
Derniers commentaires

je pense et même je le souhaite au plus profond de moi, qu'un jour une école de france pays initiateur des dro
Par Anonyme, le 02.10.2024

mon dernier commentaire semble avoir été coupé. avec le smartphone c'est moins pratique. je disais que j'avais
Par Michèle Pambrun , le 15.08.2024

je m'avise de ce que vous êtes du même pays géographique que marie-hélène lafon et bergou. pierre bergounioux
Par Michèle Pambrun , le 15.08.2024

j'ai regardé, on est toujours curieux de la vie des écrivains qu'on aime, tant pis pour eux
Par Michèle PAMBRUN , le 15.08.2024

je vais l'acheter illico. de séverine chevalier j'ai lu jeannette et le crocodile. c'est une voix singulièr
Par Michèle PAMBRUN , le 15.08.2024

Voir plus

Abonnement au blog
Recevez les actualités de mon blog gratuitement :

Je comprends qu’en m’abonnant, je choisis explicitement de recevoir la newsletter du blog "sebastienvidal" et que je peux facilement et à tout moment me désinscrire.


Articles les plus lus

· Brothers in arms (Dire Straits)
· Mistral gagnant
· L'homme aux cercles bleus, de Fred Vargas
· Entretien avec Claude Michelet
· INSURRECTION, les maîtres d'Ecosse

· Légendes d'automne de Jim Harrison
· Des roses et des orties de Francis Cabrel
· Pierre Bachelet
· Il est libre Max de Hervé Cristiani
· Récit de dédicaces
· L'alchimiste
· Pensées pour nos Poilus
· La ligne verte, de Stephen King
· L'équipage, de Joseph Kessel
· "Les enfants des justes" de Christian Signol

Voir plus 

Statistiques

Date de création : 08.07.2011
Dernière mise à jour : 23.10.2024
419 articles


Blogs et sites préférés

· rodriguezdjemba93
· aufildejb
· christianlaine
· Nyctalopes
· Christian Cébé Sculptures
· Bob polar
· Dealer de lignes
· Collectif polar chroniques de nuit
· Les livres d'Elie


pèle mèle

Une tâche sur l'éternité, de James Lee Burke

Publié le 23/10/2024 à 11:16 par sebastienvidal Tags : sur blog mer roman place monde chez belle maison travail histoire nature
Une tâche sur l'éternité, de James Lee Burke

Une tâche sur l’éternité

 

De James Lee Burke

Editions Rivage/noir

 

Traduit de l’américain par Freddy Michalski

 

« Le bassin de l’Atchafalaya est de ces lieux où l’on se réfugie lorsqu’on n’a plus sa place nulle part. Il s’étend sur des centaines de kilomètres carrés, ensemble de bayous, canaux, sablonnières, îlots de saules, baies immenses à l’intérieur des terres, et bois inondés où des volées de moustiques vous bourdonnent autour de la tête comme un casque frémissant tandis que vous écrasez vos bras de claques et de tapes jusqu’à vous couvrir la peau d’une pâte visqueuse où se mêlent le rouge et le noir. À vingt minutes de Baton Rouge, une heure et demie de La Nouvelle Orléans, vous êtes à même de percer un trou dans notre dimension et retomber dans le vieux sud des pauvres bouseux de blancs, coonass et péquenauds primates, dont vous pensiez qu’ils avaient été complètement dévorés par les promoteurs immobiliers des banlieues de la Sunbelt, la Ceinture du Soleil. »

 

L’histoire. La famille Sonnier, que connaît très bien Robicheaux, a des problèmes. Weldon, qui possède des puits de pétrole – avec qui Dave Robicheaux est allé à l’école - a eu sa maison retournée par deux types de la mafia et sa sœur, Drew - avec qui Dave Robicheaux a eu une aventure étant plus jeune – a été retrouvée avec la main clouée à son perron. Quant à Lyle, l’autre frère – avec qui Dave a combattu au Vietnam - il est prédicateur, roule sur l’or mais quelque chose cloche chez lui. Belle mèche sent que la fratrie est menacée par un lien nauséabond qui trouve sa source dans un passé non réglé. Avec sa vieille connaissance, l’incroyable privé Clete Purcell, Il ne va pas être au bout de ses surprises.

 

Tu as lu l’exergue ? Ça envoie du lourd hein !? Du James Lee Burke pu jus. C’était courant août, je venais de lire un fameux polar écossais dans le genre hard-boiled (Janvier noir, d’Alan Parks) et je fus pris par une violente envie de bayou, de chaleur moite et de plats de crevettes relevées de sauce piquante. Bref, j’étais en manque de l’écriture du papa de Dave Robicheaux.

Je n’ai pas été déçu. On n’est jamais déçu avec ce gars-là. Encore une fois il nous offre une plongée dans ce sud âpre mais sublimé par son style inimitable, il creuse les liens humains qui se tissent sur cette terre de souffrance, sous le soleil goguenard. Fouiller le passé n’est jamais une sinécure, on est obligé de se confronter à des fantômes urticants qui aspirent au repos et à la paix, on exhume des saloperies et des comptes non réglés. Evidemment, cela se complique lorsque la mafia et la politique s’en mêlent (s’emmêlent, aussi).

 

James Lee Burke nous offre un de ses meilleurs roman, il le tapisse d’une galerie de personnages admirablement travaillés, il leur donne tout ce qu’il a pour qu’ils vivent du mieux possible entre ces pages, on sent qu’il les aime tous. Mais il n’a pas d’égal pour décrire une situation en quelques lignes, c’est propre et net, tout est parfaitement clair.

 

« Au fil des années, j’avais vu les joueurs de l’Ombre débarquer en Louisiane du sud sous une forme ou sous une autre : les compagnies pétrolières et les industries chimiques qui drainaient et polluaient les marais ; les promoteurs immobiliers capables de vous transformer des hectares de cannes à sucre et de vergers de pacaniers en kilomètres de lotissements aux maisons identiques avec centres commerciaux à l’esthétique d’un réseau d’égouts ; et la mafia, qui opérait depuis La Nouvelle Orléans et vous apportait la prostitution, esclavage de blancs, machines à sous ; et finalement stupéfiants, et qui avait deux syndicats importants d’ouvriers sous ses ordres. »

 

En fait, je dois confesser une évidence : si les histoires de monsieur Burke ne racontaient rien, s’il ne se passait absolument rien ; par exemple s’il relatait une promenade le long du bayou, sous les saules, avec cette odeur de vase qui circule en permanence, surtout le soir quand les marais respirent, je la lirais avec avidité, parce qu’il me tient sur la langue, sur l’écriture. Il me parle de certains arbres, les nomme, de fruits et de la faune. Il décrit les plats locaux et je sens les parfums et j’ai faim, et ça apporte du réalisme, tout devient si réel. L’inspecteur Robicheaux, du bureau du shérif de New Ibéria est un des plus beaux personnages de l’histoire de la littérature, je pèse mes mots avec soin.

 

« Mais je n’arrivais pas à dormir ; j’essayais en vain de faire le tri dans mes réflexions, de la même manière qu’on gratte la croûte d’une écorchure dont on sait pertinemment qu’il ne faudrait pas y toucher. »

 

Quand je lis un roman de James Lee Burke, je n’ai de cesse de m’arrêter pour noter tel ou tel passage ; pour ce blog. Et puis je relis ces passages, je me régale et je me demande à chaque fois comment il fait ça. Il a dû en passer du temps à observer le monde et la Nature pour disséquer si vertement et précisément les choses. Tout semble si simple sous sa plume. Il est un des rares à hybrider avec classe le Noir et la Poésie, c’est pas rien. Mais nous savons bien que lorsque cela a l’air facile c’est qu’il y a énormément de travail derrière. Je ne dirais rien sur ce qui se passe dans cette histoire, je m’engage simplement à affirmer que tu ne seras pas déçu, ou déçue, parce que tu as entre les mains le fruit du travail d’une des plus belles cylindrées des lettres américaines. Je te laisse avec un autre extrait, des fois que ma parole ne suffise pas, ce que je comprends.

 

« L’air du matin était moite et frais au milieu des arbres noyés et dans les zones d’ombres, sous la brume qui montait des eaux, on entendait le bruit des plongeons des perches de mer en bordure des nénuphars, le battement d’ailes d’un héron qui prenait son envol avant de filer au milieu d’un canal courant entre deux rangées d’arbres pareilles à un long couloir avant de disparaître, petit point noir semblable à une énigme, dans le cône du soleil qui brillait à l’autre extrémité. »

Tiennot, de Bernard Clavel

Tiennot, de Bernard Clavel

Tiennot

 

De Bernard Clavel

Editions Robert Laffont, J’ai Lu, Librio

 

 

« Il descendit jusqu’à la rive que prolongeait un large banc de galets découvert par les basses eaux. Les pierres rondes étaient blanches sous le soleil. L’eau était immobile, avec seulement un frémissement vers le milieu où passait ce qui avait encore la force de courir. Les peupliers trembles et les saules têtards de l’île aux Biard s’y reflétaient, alourdis de soleil. En aval, on entendait à peine pleurer le barrage dont la levée de pierre émergeait sur plus des trois quarts de sa longueur. »

 

L’histoire. Nous sommes probablement au début des années 70, aux confins du Jura. Tiennot, 35 ans, qui vivait jusque-là avec son père sur l’île aux Biard, enterre ce dernier. Il n’a jamais vécu seul et vit de peu. Mais maintenant qu’il est tout seul, au village on commence à vouloir lui trouver une femme et la seule question qui se pose est : Est-ce un bien ou un mal ?

 

C’était il y a quelques jours, lors de courses alimentaires dans un petit magasin près de chez nous, un magasin en circuit « très » court. Depuis quelques temps, sur un côté de la vitrine, rangés dans des anciennes caisses à fruits, face à la route, les propriétaires proposent quelques livres en libre-service, récupérés ici et là et donnés contre bons soins. C’est plus fort que moi, tandis que mon épouse explore l’étale de fruits et légumes, je plonge mon nez sur les tranches. Assez rapidement, pour elle je trouve un Linwood Barclay (Contre toute attente) et de mon côté je flashe sur Tiennot, de Bernard Clavel. Une vieillerie de 1977 réédité dans cette version de 1984 chez France Loisirs. La couverture est sublime. Je renverse le livre, lis la quatrième, je suis conquis.

 

Je dois dire que j’ai une longue histoire avec Bernard Clavel. Lorsque j’étais adolescent et apprenti pâtissier, j’étais tombé dans la maison de la presse de mon village (Saint Privat), sur un livre de poche, édition J’ai Lu, il s’intitulait La maison des autres. C’était l’histoire d’un jeune garçon dans les quinze ans qui débutait dans le monde du travail à Dole où il devenait apprenti…pâtissier. Evidemment que ça m’a parlé, évidemment que je l’ai acheté avec ma paye d’apprenti. Je l’ai dévoré. Ensuite, je n’ai jamais oublié Bernard Clavel, j’ai continué de le lire et j’ai encore un certain nombre de ses ouvrages dans ma bibliothèque, notamment sa saga du grand nord.

À ce moment précis de ta lecture tu es en train de te dire « il est gentil avec son histoire, mais de quoi parle ce livre ?! »

Je ne sais pas si tu sais, qui est Bernard Clavel. Il est mort en 2010 à l’âge de 87 ans. Sur la période 1970-1990, cet écrivain était une pointure, une star invitée dans les émissions nationales, habitué des rendez-vous littéraires, prix Goncourt en 1968 pour Les fruits de l’hiver, gros vendeur, un des plus importants en langue francophone. On dit de lui qu’il est un auteur de terroir et ça me fait bondir. Comme pour Claude Michelet, les journalistes font fausse route. Tiens, d’ailleurs, ils ont tous les deux étaient édités chez Robert Laffont, j’imagine qu’ils se connaissaient.

 

Tiennot, c’est un terrible roman noir. Une analyse ontologique par les mots, la condition humaine en zone rurale. Oui, je sais ce que tu penses, tu te dis « ce mec voit des romans noirs partout ». Il faut savoir que Bernard Clavel est un formidable conteur, une fois qu’on a prêté l’oreille à sa mélopée on ne peut plus partir. Mais il possède d’autres atouts, et pas des moindres. Sa manière de décrire la Nature est rare et majestueuse. Certains peintres donnaient dans la nature morte, Bernard Clavel fait dans la Nature vivante. Il a toujours eu un rapport charnel avec les fleuves et les rivières, ce qui le rapproche de Jim Harrison et Ron Rash. Et franchement, il n’a pas à rougir entre ces deux-là.

 

Par sa plume, la Nature prend vie, elle s’anime, s’ébroue, et il sait trouver les formules pour nous étonner, entre poésie et panthéisme. Dans ce roman, ses descriptions de la rivière, la Loue, sont à montrer dans les ateliers d’écriture. Il y a un auteur d’aujourd’hui qui me fait penser à lui, c’est Franck Bouysse. Si tu as lu l’exergue, tu comprends, parce que pour écrire « En aval, on entendait à peine pleurer le barrage… », ça n’a l’air de rien, elle passerait presque pour inoffensive cette phrase, et pourtant. Evidemment, si tu n’as pas été une fois à côté d’un petit barrage de petite rivière, une petite retenue, c’est peut-être plus abstrait. Mais c’est exactement ça.

Un autre passage : Le soleil donnait dur, mais un petit vent d’est assez haut perché commençait à faire frissonner la cime des peupliers. De loin en loin, il laissait tomber une caresse tiède jusque sur l’eau de la retenue où couraient alors de longs frissons d’un bleu argenté. »

 

Avec Bernard Clavel, la Nature est incarnée. Un autre écrivain aurait mis « il faisait très chaud » ou encore « une chaleur étouffante enserrait le village », lui il trouve « le soleil donnait dur ». Bernard Clavel c’est ça, emprunter des sentiers nouveaux, pas trop fréquentés, esquiver les lieux communs, faire chanter la langue d’une autre manière. C’est le plus grand défi des autrices et auteurs, quoi d’autre sinon ? Clavel fait parler ses personnages comme Giono faisait s’exprimer les siens, ça sonne vrai et local. Et les ruraux ont parfois de la poésie dans la bouche. La poésie du bon sens.

 

Tiennot, c’est le prétexte d’un drame pour parler de la société d’une époque, d’une façon de vivre, de la seconde guerre mondiale et l’Occupation qui ne sont pas si loin, d’un monde hyperactif qui déboule dans la campagne tranquille. Tiennot, il est un peu simple. Il n’a pas eu une vie simple en revanche, et tu vas l’aimer tout de suite. Il fait avec ce qu’il a, avec ce qu’il a appris, avec ce qu’il sait. Sa figure tutélaire c’est son père, il s’y réfère sans cesse. Sûr qu’il l’a aimé. Il suit son instinct, à vrai dire, il n’a pas grand-chose d’autre. Sa vie est un rituel qui se répète quotidiennement, c’est la version 70’s et rurale de Un jour sans fin. Sauf qu’un jour, une femme pénètre sa banalité, elle s’appelle Clémence, et c’est un tremblement de terre.

 

J’ai dans l’idée que le monde de l’édition a un peu oublié Bernard Clavel, il mérite pourtant une belle place sur les étagères des librairies, et Tiennot, s’il n’est pas son roman le plus connu, mérite de figurer en bonne place.

Lisez Bernard Clavel, parlez de lui, faites-le découvrir à d’autres, merci pour lui.

Bondrée, d'Andrée A. Michaud

Publié le 17/08/2024 à 11:42 par sebastienvidal Tags : sur roman vie moi france monde infos presse chez papier maison mort fille femmes nuit nature blogs
Bondrée, d'Andrée A. Michaud

Bondrée

 

D’Andrée A. Michaud

 

Editions Rivages Noir

 

« Les grandes chaleurs, comme les grands froids, rendaient toujours la tâche plus difficile. Dans le premier cas, on traînait les pieds en espérant le vent, la pluie, en songeant aux odeurs de pourriture qu’amplifierait l’humidité. Et on n’y croyait pas, on se disait bêtement qu’aucune catastrophe ne pouvait survenir en plein soleil. L’été se prêtait mal aux fins tragiques et on invoquait le ciel pour que le cadavre remue un doigt, pour qu’il entrouvre une paupière, puisqu’il se reposait seulement de la lourdeur du temps.

On essayait de se convaincre, malgré les mouches qui bourdonnaient près de la plaie. Dans le second cas, il vous semblait que tout était dévasté ou allait bientôt l’être, que le drame sur lequel vous enquêtiez n’était qu’un prélude à ceux qui suivraient. »

 

L’histoire. Eté 1967, confins du Québec et du Maine, autour du lac de Boundary pond, en pleine forêt. Une adolescente, Zaza, dont les parents possèdent une maison d’été sur les berges du lac est retrouvée morte, la jambe dans un piège à ours. Mais une autre jeune fille disparaît et l’inspecteur Michaud commence à flairer une affaire merdique à souhait.

 

Lorsque ce roman est paru en France, il a provoqué un certain émoi, une secousse sysmico-littéraire notable, on voyait la couverture partout, il y avait des papiers dans tous les bons blogs et la presse papier s’esbaudissait à l’unisson. On avait découvert une romancière qui venait de chez nos cousins du Québec, il y avait ce supplément exotique.

On ne va pas se mentir, tout cela n’était pas exagéré. Ce roman recèle une puissance évocatrice stupéfiante. Le lire revient à entrer un jour de canicule dans les eaux noires d’un lac, la fraîcheur nous saisit, nos pieds nous transmettent des informations sur les choses étranges que l’on sent du bout des orteils, des trucs qui agrandissent l’imagination flottent entre deux eaux, on est partagé entre l’envie de sortir en courant et le désir de rester. Parce qu’il y a une atmosphère et beaucoup à apprendre.

Ce roman est brillamment construit. Une alternance narrative entre une personne omnisciente et la jeune Andrée, qui a vécu les évènements. C’est toujours très efficace ce genre de méthode, quand c’est bien fait. On entend un narrateur omniscient qui nous refile des infos que les personnages n’ont pas, c’est une forme d’ironie dramatique et cela crée un double intérêt : on veut savoir qui a tué, et on s’inquiète de savoir quand le ou les personnages vont entrer en connaissance des infos qu’on détient.

 

Mais très vite, je me suis désintéressé de savoir qui était l’assassin. Tout l’intérêt de ce roman est ailleurs, il réside dans la narration, Andrée Michaud nous porte, on la lit et on l’écoute, on est à la veillée autour du feu et on écoute, et on n’a pas envie que ça finisse. Il y a un brassage linguistique extrêmement réussi, des expressions anglo-américaines se mêlent aux formules québécoises, ça chante, ça sonne, c’est beau, c’est beau (comme le dirait Ginette Réno en chantant Un peu plus loin un peu plus haut). Il y a une description de la Nature, on sent les odeurs d’épinette, les moisissures du sous-bois, l’air frais au-dessus de l’eau, la texture de la brume, les fleurs. Je ne veux pas faire rougir Andrée Michaud, mais elle habite au même étage que James Lee Burke.

Page 25 : Dans ma cabane, je m’exerçais à crever des bulles comme on s’exerce à créer des ronds de fumée, puis l’enterrais la gomme sous les aiguilles de pin et retournais au lac, aux pistes d’écureuils, à tout ce qui me comblait alors, à ces choses simples remplies d’odeurs qui me permettraient de revivre mon enfance et de toucher la simplicité du bonheur chaque fois qu’un froissement d’ailes soulèverait un parfum de genièvre.Quand on parvient à tisser de cette manière la Nature et la psychologie, on est indéniablement une pointure.  

 

L’auteure nous régale avec la description de cet été lointain, un été comme en a connu, l’insouciance, les baignades, la nature foisonnante, les senteurs qui s’échappent des cuisines, l’absence de limites, pas d’horaires, c’est soudain le monde plus vaste et la vie plus grande. Puis elle nous fait glisser vers le sombre, la première morte, l’inquiétude, la tension, la suspicion. Quand un crime est commis au sein d’une communauté, c’est toujours un drame, c’est dramatique parce que ça fendille le vernis de communauté parfaite, on commence à s’interroger sur son voisin, on trouve des choses banales étranges ou bizarres, et puis on a honte de penser ça, parce qu’on fait partie de la communauté. Mais quand-même, l’autre jour, le fils Machin, il avait l’air bizarre derrière la cabane, et l’autre connard au bout de la rue, il est rentré très tard le soir où Zaza a disparu. Le sel corrosif du doute est entré, il n’en sortira plus.

 

Bondrée, c’est un rappel de ce que c’était qu’être ado, et c’est un rappel ou un avertissement de ce que c’est qu’être parents, comme avec cette phrase sublime : Il s’était aussi contraint à cette tâche pour sa fille, Emma, qui aurait bientôt l’âge de la victime et entrerait dans ce long couloir où les femmes doivent courir lorsque la nuit tombe. Les pages 136 et 137, d’un très haut niveau littéraire, vous dépèceront le cœur.

Bondrée, c’est une immersion. Une immersion dans la psychologie des protagonistes, dans celle d’une adolescente narratrice, dans celle d’un flic pugnace, dans celle des parents.

Et puis c’est toujours un bon point de commencer par une légende, celle d’un trappeur qui se serrait installé à Boundary pond pour échapper à l’enrôlement lors de la seconde guerre mondiale et qui se serrait suicidé à cause d’un blessure de cœur. Au début de l’histoire ne restent de lui que les ruines d’une cabane et des pièges disséminés dans la forêt. Et sa légende. En plus il porte le nom et le prénom d’un libraire très apprécié qui a vécu et exercé près de chez moi, à Tulle.

 

L’auteure est une fan du Maître, et ce n’est pas un hasard si elle a placé son récit si près du Maine, ce trappeur dont le fantôme rode encore sur les lieux de sa mort, c’est peut-être Grippe-sou, ou bien Frank Dodd, le tueur de Dead Zone, c’est peut-être Cujo qui bave de rage, ou simplement, c’est le mal que nous portons toutes et tous en nous.

Clouer l'Ouest, de Séverine Chevalier

Publié le 14/08/2024 à 17:02 par sebastienvidal Tags : sur roman vie monde fond maison mort histoire fille dieu nuit sourire livre
Clouer l'Ouest, de Séverine Chevalier

Clouer l’Ouest

 

De Séverine Chevalier

Editions La manufacture de livres / Territori

 

 

« Dans la haute armoire, il choisit une robe en velours rouge. La mère se lève et il ôte sa robe de chambre, la chemise de nuit. Dessous, en culotte de chair, elle est maigre et les grains de beauté de la jeunesse se sont agglomérés en des endroits. Le reste de la peau, si blanc, si fragile. Elle s’assoit au bord du lit et il s’agenouille, saisit un pied noueux et froid, puis l’autre. Il les frotte avec ses mains chaudes et enfile le collant qu’il monte jusqu’à la moitié des cuisses. Elle est assise au bord du lit et se laisse faire, molle, docile. Debout, le collant remonte et s’ajuste, puis il assemble la robe au corps. Elle flotte un peu et il la retient à la taille par une ceinture. Il coiffe ses cheveux qu’elle porte encore longs comme un vestige, les noue en une natte lâche qui tombe entre ses deux omoplates. »

 

L’histoire. De nos jours, deuxième décennie des années 2000. Plateau de Millevaches. Karl revient au pays après vingt ans d’absence. Il revient avec sa fille qui ne parle pas, des anciens comptes pas réglés et de nouveaux pas soldés. Il retrouve dans la maison de l’enfance, son frère, son père et sa mère.

 

Ça faisait un bout de temps que j’avais ce roman à la maison, dédicacé par l’auteure sur un salon, un livre que je lorgnais depuis un moment tellement d’aucuns en avaient fait des dithyrambes. Séverine Chevalier est aussi douée que silencieuse. Elle publie peu, ne fait pas de vagues, et quand elle se présente au public dans des salons, elle se fond dans le décor, discrète à l’extrême, avec un sourire toujours prêt à fleurir.

 

Finalement, comme toujours, ce roman a fini par m’appeler. Je l’ai lu, j’ai pris mon temps parce que 180 pages ça passe vite, surtout quand c’est écrit avec cette classe particulière, qui ne tape pas à l’œil, qui ne fait pas dans l’esbrouffe. Le livre est construit comme une visite. À l’entrée, Angèle vous ouvre la porte de la bâtisse, elle commence à raconter ce qui s’est passé des années avant, lorsque son père, Karl, est revenu au bercail. Et à la fin, c’est elle qui fermera l’ouvrage, gardienne de l’histoire, la boucle est bouclée.

 

Tu as lu l’exergue de cette chronique ? Pas un mot de trop, pas un qui manque, mais surtout, c’est d’une densité émotionnelle rare. Pour décrire ces gestes, ces moments de vie dans l’intimité d’une personne, la fiction n’est d’aucun secours, pas plus que l’imagination, il faut les avoir vécus pour que ça sonne juste, et ça sonne juste.

Dans ce roman noir impitoyable, la dramaturgie monte en puissance tout du long. Une marche après l’autre. Pour commencer le lieu, ce fameux plateau de Millevaches qui est si romanesque par sa présence tellurique. On est sur les terres de Millet, Bergounioux, on est pile au bon endroit pour dérouler cette histoire. Karl, le fils contestataire qui revient, le frère qui est resté et qu’on surnomme « l’indien », la mère qui n’est plus tout à fait là, cette bête noire et insaisissable qui rôde dans la forêt, et le père, qu’on appelle Le Doc, figure tutélaire écrasante, impitoyable lui aussi, et je ne sais pourquoi, mais il m’a souvent fait penser au personnage du Juge dans le chef d’œuvre de McCarthy, Méridien de sang. Et ça, c’est un compliment.

 

Dans ce petit endroit du Limousin, tous les ingrédients sont réunis pour que ça tourne mal, ça fait des années qu’on y marine dans la rancœur, l’amertume de la soumission, des années qu’on suppure les non-dits, qu’on étouffe de ses rêves écrasés par l’autorité d’un autre, des années qu’on rumine ses pensées comme on aiguise sa lame, pour le jour où…il ne manque plus que l’étincelle balancée sur ce champ de poudre à perte de vue, un détonateur, et ce détonateur c’est Karl qui revient.

Cette histoire déjà lue, déjà écrite, ne serait que banale s’il n’y avait pas le tour de main de Séverine Chevalier. L’écriture précise et sèche et néanmoins poétique, des mots qui tombent comme des balles tirées avec un fusil de précision, ça gicle, ça fait du bruit, ça agrandit les silences, ça se tient tout seul avec un tour de magie.

 

Démonstration : Le lendemain, à l’église de Gentioux, la messe est rapide et vite expédiée. On sent qu’il fait trop froid pour laisser les vivants mariner dans la mort et l’esprit de Dieu. On sent qu’il sera vite temps des réchauffements et des libations, des souvenirs égrenés presque pour la forme, avant de reprendre le cours des préoccupations. (…) Néanmoins les rituels sont respectés, et peu ou prou tous savent quand se lever et quand s’asseoir, prononcer un amen bien balancé ou s’avancer lentement vers le cercueil pour s’y recueillir temporairement, sans trop grelotter des mains.

C’est l’histoire de l’amour et du désamour, des rancunes tenaces, des rapports père-fils, des désirs violents de liberté, de ne plus accepter le joug, c’est les mauvaises décisions, les bonnes idées qui s’avèrent mauvaises, les virages à droite alors qu’il fallait prendre à gauche, ces foutus carrefours qui changent une vie pour toujours, c’est la comédie humaine servie sur le plateau, avec le froid et la neige, cet hiver qui ne lâche rien, magnifique théâtre sous la plume de l’auteure.

Ne ratez pas Clouer l’Ouest, c’est de la pure. Pas coupée.

« Il y a des matins où tout ce qui pèse s’évanouit. Des matins presque magiques, sans qu’on en sache pourquoi, sans raisons particulières, objectives. Peut-être simplement une disposition particulière du corps, une ouverture et une réceptivité nouvelles, pour l’entrée totale du monde. »

 

PS : ce roman a été réédité avec neuf autres considérés comme emblématiques de la Manufacture de livres pour fêter les dix ans de la maison d’édition, avec une magnifique nouvelle couverture.

Les hamacs de carton, de Colin Niel

Publié le 12/08/2024 à 11:32 par sebastienvidal Tags : prix sur afrique roman vie france place monde fleur chez homme enfants mode fond fantastique femme histoire air création nature cadeau
Les hamacs de carton, de Colin Niel

Les hamacs de carton

 

De Colin Niel

Editions Le Rouergue et Babel Noir

 

« Anato sortit de son lit moite vers six heures. Il se leva, entama sa toilette, rasa de près menton et crâne, se parfuma à l’eau de toilette. Il enchaîna une série d’exercices sur le plancher de sa petite terrasse. Un rituel matinal bien rodé auquel il dérogeait rarement. Puis il regagna la chambre à coucher, s’assit sur le lit, une tasse de café à la main. Le drap gisait à terre, au pied de la porte vitrée. Le climatiseur expirait son air avec force, brassant les odeurs de transpiration. Mais il ne perturbait en rien la respiration régulière de la jeune femme endormie. Les cheveux bouclés couvraient l’oreiller, la courbure irrégulière des cuisses détonait sur le tissu blanc. »

 

L’histoire. Dans un village enfoncé en forêt en bordure du fleuve Maroni, gisent dans des hamacs les corps d’une femme et de ses deux enfants. Le capitaine André Anato est désigné pour enquêter. Il va devoir se frotter aux croyances ancestrales et aux règles des Noirs-Marrons, et le fleuve sombre qui coule en silence porte bien des secrets.

 

Ce roman est le premier de Colin Niel, il ouvre sa série guyanaise qui s’est depuis enrichie de trois opus. Je dois dire que pour un premier roman ça commence fort. Pourtant l’auteur s’est substantiellement compliqué la tâche, parce que la Guyane, qu’il connaît bien, n’est pas un territoire qui s’offre facilement, au touriste comme au romancier. La Guyane c’est un entremêlement. Un entremêlement de vies, de cultures, de traditions et de règles, de passé et de présent, autant que les lianes des arbres qui tiennent la forêt en un bloc impressionnant.

 

La grande idée de Colin Niel c’est la création de ce personnage atypique, le capitaine André Anato, guyanais de naissance mais ayant grandi en métropole. Un homme rigide, perdu entre ce qu’il sait de lui, ce que la vie métropolitaine lui a appris et ce qui stagne sous la ligne de flottaison, ses racines Aluku (sa tribu d’origine), les non-dits avec la famille restée en Guyane, la sensation de son grand écartèlement entre ces deux terres.

Son histoire est universelle, c’est celle des Harkis, des Amérindiens qui se sont mis au service des blancs, celle des Noirs réduits en esclavage en Amérique et qui reviennent au pays, en Afrique. Anato souffre, il souffre de ce mal silencieux et implacable, qui se caractérise par un mal être provenant du décalage, de plus en plus évident et aigu entre la vie qu’il a eue, celle qui a et celle qui l’appelle. Ses racines, ses origines hurlent en lui, chaque molécule de son corps cherche sa place. Il est en quête, et son affaire en cours va le faire se télescoper avec ses désirs et ces choses qui patientent sous la fleur de l’eau.

Ce personnage est riche, prometteur, sa lutte intérieure est un cadeau pour le lecteur, il évite l’écueil du flic alcoolique au fond du trou, on perçoit chez lui la douleur, sourde au départ, lancinante au fil du récit, celle d’un homme aux deux cultures qui n’est chez lui nulle part, finalement.

 

L’enquête est tortueuse, on n’y voit pas grand-chose, comme lorsqu’on progresse dans la forêt amazonienne, chaque pas est un piège potentiel, le danger est invisible la plupart du temps, mais il est là. La Nature elle aussi est là, partout même. C’est le supplément d’âme à ce récit.

Les hamacs de carton, c’est aussi et surtout l’exploration pour le métropolitain ou celui qui ne connaît pas la Guyane, d’un mode de vie, d’une façon d’appréhender l’existence, la réalité d’une pauvreté, d’une misère aussi, juste là, de l’autre côté du fleuve qui n’est plus la France. On croise des êtres humains en quête de vie meilleure, qui se débrouillent avec pas grand-chose, et ce pas grand-chose c’est déjà plus que ce possède un nombre conséquent d’habitants. Les méfaits du capitalisme sauvage sont partout, les ravages de la cupidité courent le territoire, le paysage est fantastique et le futur proche horrible.

 

Quand on lit ce roman en sachant où est arrivé l’auteur (Grand prix de littérature policière 2023), on n’est pas surpris par la qualité de ce premier roman. J’avais découvert Colin Niel avec Seules les bêtes (remarquablement adapté au cinéma par Dominique Moll) et j’avais été conquis par l’écriture, il y avait une voix, ce n’est pas tout le monde qui possède une voix. Beaucoup parlent, peu ont une voix.

Le journal d'un manœuvre, de Thierry Metz

Publié le 07/08/2024 à 10:26 par sebastienvidal Tags : sur roman vie monde homme travail pouvoir livre
Le journal d'un manœuvre, de Thierry Metz

Le journal d’un manœuvre

De Thierry Metz

Editions Folio

 

« Le travail de fouille est presque achevé. On est arrivé à un croisement : le chantier de terre va devenir le chantier de pierres, des parpaings, des « agglos » comme on dit ici. Le temps de changer d’outil, d’assurer nos prises, de refaire nos provisions : une montée nous attend, une voie d’escalade.

Une pioche m’a servi jusqu’à ce passage. Une pioche ou un bâton, je ne sais pas. Plutôt un bout de bois mais à l’étrange pouvoir : capable de mener un homme jusqu’à la cassure et de lui montrer des hommes dans cette cassure ! Un vertige mais qui soulève au lieu de faire tomber. Et là-haut : c’est le gouffre. On aperçoit ce que font les hommes mais reflété, déformé. Il faut vraiment du temps pour comprendre que c’est le fer cintré de la pioche qui nous reflète, que nous sommes sous une arche. »

 

Ceci n’est pas un roman, comme son titre l’indique c’est un journal. Mais pas n’importe quel journal. Un journal écrit par des mains calleuses et ravinées, des mains qui parlent d’un monde dont on détourne si souvent le regard.

En exergue, ceci, ça pose le ton et le décor : J’habite un monde sans trace et seule reste la mémoire de mon souffle. Proverbe touareg.

 

Thierry Metz est un manœuvre, soit. Mais en écriture, c’est un architecte. Un poète-architecte. Du 16 juin au 1er septembre il construit un récit quotidien et précis, où les petits gestes accumulés font les grandes choses. Il possède cette faculté de voir ce qui est et de discerner ce qui se cache derrière, la beauté fugace ou permanente, la grâce d’un geste de travailleur, la lassitude des fins de journées, lorsque la fatigue est telle que même des mots ne peuvent dire. Mais Thierry Metz les trouve quand-même, ces mots.

Ce journal, c’est l’histoire de millions d’êtres humains sur la planète, c’est la beauté tissée dans la sueur et l’éternité d’une journée harassante et répétitive. Ce sont les petits plaisirs qu’on invente entre les fournées de sable et de ciment, ce sont les parenthèses attendues comme des oasis, ces pauses, café, fraîcheur, repas, ces moments comme des cathédrales, on y échange des mots simples, on ne triche pas, parce qu’on porte ses pensées sur sa figure, en sinuosités de rides et de perles de transpiration.

Dans la poussière des travaux du bâtiment, ne subsiste que l’humain, avec ses évasions durant l’ouvrage, il travaille mais il rêve, à l’instar de Joseph Ponthus à la ligne.

 

Pas la peine d’en dire davantage, lis ce livre, celui d’un manœuvre qui poétise tout ce qu’il touche et regarde, qui invente de la douceur sous la pointe de la pioche, qui pose des mots pour dire son rapport au monde, ce grand décalage entre ce qu’il est et ce qu’il fait, ce qu’il ressent. Le grand décalage entre le travail de poussière et la vie conjugale, les dimanches qu’on tente de retenir pour tenir les lundis à distance.

Thierry Metz est parti bien trop tôt.

Ambernave, de Jean-Hugues Oppel

Publié le 29/07/2024 à 11:26 par sebastienvidal Tags : prix sur gratuit roman coup voyage fond fantastique sur fond travail mort histoire art livre
Ambernave, de Jean-Hugues Oppel

Ambernave

 

De Jean-Hugues Oppel

Editions Rivages/noir

 

« L’asiatique se détache sur fond de gardes du corps sanglés dans de longs imperméables de cuir gestapistes ; le perron paraît trop petit pour les trois hommes. Derrière eux, personne dans l’impasse. Un brouillard timide commence à se former au ras sol, en étoles de gaze mouillée qui semble naître du pavage de la chaussée. »

 

La quatrième de couv dit « un roman noir insolite et envoûtant ». La personne qui a écrit cela a diablement raison. Il paraît que c’est le grand livre de Jean-Hugues Oppel, je veux bien le croire, et franchement, je connais un paquet d’autrices et d’auteurs qui signeraient tout de suite pour avoir leur blaze sur la première de couv. Mais c’est Jean-Hugues Oppel qui l’a écrit. En 1995, ce roman fait une sorte de grand chelem en remportant le prix Mystère de la Critique et le Grand prix de littérature policière, et ça, ça n’arrive pas par hasard ni par un coup de chance.

 

Jean-Hugues Oppel, c’est une voix. Singulière. C’est bien les voix singulières. Avec elles, on voyage, on se transporte ailleurs, on fait des rencontres, on apprend une autre langue nichée à l’intérieur de la langue. Un langage argotique qui est dosé avec soin pour ne pas perturber la lecture et qui est suffisamment présent pour faire exister le personnage d’Emile. Sacré personnage le Emile. Ancien docker, docker à l’ancienne, un rustique, mis à la retraite d’office à la suite d’un accident du travail. Il n’était pas prêt le Emile, alors il picole sa pension pour oublier le bon vieux temps, ou se le remémorer.

Emile, il est lecteur de Steinbeck, ouaip, le prix Nobel de littérature. Çuilà même. Son roman fétiche c’est Des souris et des hommes, comme je le comprends. Ce livre, c’est ce qu’il possède de plus précieux dans le taudis qu’il habite. Comment oublier Lennie et Georges ? Stephen King a rendu un magnifique hommage à ce roman Noir avec un de ses romans écrit sous le pseudonyme de Richard Bachman, si tu as envie de le lire tu ne seras pas déçu, ce livre s’intitule Blaze, il n’est pas très connu parce que c’était la première fois que le Maître s’esquivait du Fantastique et de l’Epouvante, mais c’est un magnifique roman, et quand tu le lis, tu sens tout l’amour que King a pour Steinbeck. Et pour Lennie et Georges.

 

Je ne vais pas te raconter le début de l’histoire, mais je vais te dire que ce roman, Ambernave, c’est comme une mise en abime par rapport à Des souris et des hommes. Une mise en abime pour Emile. Et c’est beau, c’est poétique, c’est de la langue au service d’une histoire et un auteur de première bourre au service de la langue. Il faut savoir que le gazier ne sait pas résister à un bon mot, et que tu vas en trouver tout du long, mais là aussi, c’est dosé. Il affectionne les allitérations et les assonances, comme page 183 : Le policier laisse retomber la tête disloquée. Elle fait floc dans la flaque aux pieds du flic. Ça, j’adore. Elle fait floc à mes oreilles, aussi.

Si tu as lu l’exergue, tu sais déjà que l’auteur sait écrire. Tu as vu la dernière phrase « en étole de gaze mouillée… », du grand art.

Dans ce roman Noir (ça mérite une majuscule), tu vas croiser une faune très originale et intéressante, qui raconte la banalité de l’espèce humaine et ses éclairs de beauté, ceux qui font qu’on renonce à faire sauter illico la planète pour la débarrasser des humains, finalement. Pour l’instant.

La galerie de personnage présente une rare homogénéité, les dialogues se savourent comme ceux de Michel Audiard, dans la verve je veux dire, mais rien n’est gratuit, et quand tu lis les dialogues, tu sais d’où parle l’auteur.

Je ne vais pas en faire des tonnes ni dithyramber jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ce roman est sec dans un lieu très humide, il y flotte l’héritage des grands anciens, l’atmosphère n’y est pas créée, elle existe, et les personnages que tu vas croiser sont épais, profonds ; et puis tu clignes des yeux et tu te rends compte que tu t’es attaché, et que tu ne sais pas comment tu vas faire après la dernière page, sans Emile ni Johé.

Chevreuil, de Sébastien Gendron

Publié le 20/05/2024 à 12:22 par sebastienvidal Tags : moi sur gratuit roman saint coup chez enfants belle femme travail société histoire texte film

Chevreuil

 

De Sébastien Gendron

Editions Gallimard, collection La Noire

 

 

« La voix de Mme Mercadieux, comme ses yeux perçants, reste en suspens un instant, comme si elle cherchait à s’assurer que ses paroles sont bien entrées dans le crâne du gendarme et qu’elles ont bien neutralisé la toute petite portion de libre arbitre qui reste encore en activité chez lui. Une fois qu’elle voit la lumière passer en veilleuse dans le regard du gendarme, elle lui tourne le dos et s’en va féliciter ses pompiers volontaires pour le travail accompli et le courage déployé. »

 

L’histoire. De nos jours, en zone rurale, dans le village de Saint-Piéjac. Connor Digby, ressortissant anglais installé depuis des années en ce lieu, vit de sa plume en écrivant des romans jeunesse. Un jour, Marcelline, une femme opulente et désinhibée frappe à sa porte, il ne sait rien d’elle, juste qu’elle lui plait. C’est le début d’une belle histoire, peut-être de l’amour. Mais au village, Connor n’est pas en odeur de sainteté. Il possède son caractère, ne s’en laisse pas compter, n’est pas franchement très sympathique et a maille à partir avec son voisin, un membre du conseil municipal. Ça fait beaucoup dans un bled à tendance raciste et réactionnaire où les non-dits sont légion, certains chasseurs en roue libre, les rancœurs sévères, les passe-droits une habitude et la « préférence nationale » adaptée aux mensurations de la commune. Très vite, tout va déraper.

 

Qui n’a jamais lu Sébastien Gendron ne peut pas comprendre de quoi je parle. Si j’osais, je dirais que c’est l’hybridation du meilleur de Frédéric Dard et de Jean-Bernard Pouy. Quoi ? hein ? J’ai osé ? Ah oui, c’est vrai.

Mais affirmer cela est un peu court j’en conviens. En passant par le chemin de l’humour et du décalé, l’auteur, qui ne s’en laisse pas compter, construit une histoire loufoque et foutraque, avec des personnages très haut en couleurs, atypiques, imprévisibles ou très prévisibles, pleutres ou courageux, veules et pitoyables, atrabilaires, surprenants, il peint notre société. En tournant les pages, en avançant dans les chapitres, on se dit régulièrement « là c’est quand-même un peu gros », et puis on fouille sa mémoire et on se souvient d’untel ou unetelle, d’un coin perdu de notre beau pays où l’on est passé, où l’on a posé les valises, et on se dit que non, finalement, on connaît des profils similaires, des coins perdus aux mêmes relents xénophobes trempés dans la beaufitude banale et crasse.

 

C’est roboratif de tomber sur une telle écriture, le burlesque peut se montrer grave et n’est jamais gratuit, le ton est enlevé et certaines scènes ébouriffantes ne laissent jamais retomber la poussière. Mais si le roman se limitait à cet exercice, ça ne tiendrait pas 330 pages. Evidemment, l’auteur a la dent dure, il est caustique, juste ce qu’il faut, ironique, juste ce qu’il faut, pertinent dans la vision du tableau social et sociétal qu’il propose. Parce que c’est le cœur du projet, montrer un pays à l’échelle d’un village, avec ses tiraillements, ses névroses, ses élans, y jeter des personnages très variés et observer ce qui se passe. C’est de la chimie littéraire. On injecte les ingrédients, on secoue très fort, on laisse poser et on regarde. Ça vaut le coup croyez-moi.

Et l’analyse de la psychologie est pointue, comme là, page 123, lorsque Connor explique une chose fondamentale du fonctionnement de l’humain à Marcelline : C’est moi que les gens ici ils détestent. Tu sais, j’apprends une chose avec cette affaire : quand tu refuses de subir quelque chose, ceux qui acceptent de subir, ils te détestent plus qu’ils détestent celui qui les fait subir. Tu comprends ?Chaque parent devrait expliquer ça à ses enfants, ou lui lire cette tirade.

 

Sébastien Gendron apporte une plus-value. Le ton et l’écriture. Par moments on est à deux doigts de penser qu’il s’adresse à nous, avec des formules et des effets, et il colle dans le texte des précisions et des expressions de cinéma qui font penser qu’on regarde un film, on voit les scènes ou les séquences en question. Ce serait casse-gueule chez un autre auteur, ça marche avec lui.

 

Je ne vais pas raconter l’histoire, ça c’est ton boulot chère lectrice, cher lecteur, c’est ton taf de la lire et en faire ton interprétation. Je dis simplement que tu vas avoir droit à des fondus au noir, des travellings (je ne suis pas sûr qu’on puisse mettre ce mot au pluriel…), des gros plans et des hors-champs. Tu ne vas pas t’ennuyer c’est certain.

Tu vas trouver pas mal de références, et ça j’aime beaucoup, quand c’est bien fait ça passe comme un spéculoos avec le café.

 

Bref, entre deux averses, file chez ton libraire, demande Chevreuil, du sieur Sébastien Gendron, normalement on t’offre un fusil et un cendrier Cinzano pour l’achat d’un exemplaire. C’est une délicate attention.

Le coureur de serpents, de Christian Viguié

Publié le 08/04/2024 à 14:33 par sebastienvidal Tags : prix sur roman vie france monde animal chez homme histoire femmes pouvoir film
Le coureur de serpents, de Christian Viguié

Le coureur de serpents

 

De Christian Viguié

Editions Les monédières

 

« Le lieutenant jaugea le DAF. Des montagnes lointaines, presque irréelles, bouchaient une partie de l’horizon. Une cinquantaine de kilomètres à vol d’oiseau, estima-t-il, pour que le fuyard ait eu une chance raisonnable d’en réchapper. Toute l’après-midi, la barrière rocheuse avait tremblé dans la chaleur et s’était vêtue d’une parure mauve et orange. Sa carapace de couleurs avait semblé protéger un animal endormi. L’homme devant lui, avait dû rêver à ces fameux sommets. Il avait dû prier pour qu’ils viennent jusqu’à lui. »

 

L’histoire. De nos jours, un vieil homme solitaire meurt suicidé dans la campagne aveyronnaise. Dans les années 70, un mystérieux individu liquide des hommes en leur murmurant une poignée de mots à l’oreille. Hier et aujourd’hui, au Niger, en Algérie, en France, des personnes en clair-obscur interagissent dans l’ombre déportée de la guerre d’Algérie.

 

Il y a, dans ce roman noir, quelque chose du Cercle rouge, l’immense film de Jean-Pierre Melville, qui en a commis quelques-uns, des immenses. Cette trame lente, sournoise, ces chemins éloignés qui se rapprochent inéluctablement, avec dessus, ces hommes torturés par un passé purulent et toxique. Le temps les relie, le sang les condamne, l’Histoire les abrite.

 

Christian Viguié trousse une histoire singulière en utilisant l’outil très prisé de la vengeance. Déjà, faire cela c’est culotté et c’est réussi. Il faut dire que le client est aussi et avant tout un poète de première bourre (prix Mallarmé en 2021) pour son recueil Damages paru aux prestigieuses éditions Rougerie. Parce qu’un poète qui écrit un roman noir, c’est une chance pour la littérature. Il lui offre ce qu’il a de plus précieux, son regard sur ce qui l’entoure, sa capacité à dire le beau sans taire le laid, il lui offre sa façon d’être au monde, sa verve, ses mots imparables qui font mouche et aiguillonnent le cœur.

« Une pierre jetée dans l’eau était préférable au sommeil d’une eau immuable. »

 

Christian Viguié s’empare de la question de la guerre d’Algérie, un drame jamais réglé par la nation, un truc épouvantable enseveli sous le sable du désert et du tabou, rejeté par des générations d’hommes et de femmes politiques, renié par tous les présidents de la Vème république jusqu’à Jacques Chirac. Ce que le pouvoir gaulliste nommait « les évènements » (déjà la novlangue et la pratique de l’euphémisme à la charnière des années 50-60 !), fut une ignominie et un désastre qui laissa des cicatrices suppurantes chez les civils et dans la caboche de certains militaires, jeunes appelés du contingent impréparés à rencontrer la barbarie au pays de Montaigne et Voltaire.

On n’a pas fait mieux que la littérature pour parler de ce qui a été tu trop longtemps. On se demande parfois à quoi sert la littérature, quel est son pouvoir, si elle en détient un. Et bien elle sert à ouvrir des brèches dans le secret, à faire surgir la lumière dans les vieilles tombes, à désinfecter les âmes et les anciennes blessures en disant les choses, par le biais de la fiction qui traite du passé, ce passé qui, non assumé, pollue le présent. C’est une très vieille leçon que pourtant nous avons du mal à retenir.

 

Je ne vais pas te causer de l’histoire, tu dois la découvrir, marcher avec ces personnages, éprouver la violence brute, la sauvagerie, la vengeance, la solitude des assassins. Peut-être qu’un romancier n’aurait pas suffi pour parler de cela, mais le concours d’un poète, ça aide.

« On ne se débarrasse pas des morts mais plutôt de ce que fut leur vie. »

 

En racontant cette histoire avec une écriture sublime, en faisant vivre des personnages puissants et travaillés, l’auteur fait œuvre de justice, redonne vie à des oubliés et des fantômes qui n’avaient pas trouvé la paix. Il rappelle que les factures doivent être payées par les bourreaux pour que les fantômes puissent enfin rentrer en chez eux en paix.

 

Il faut lire Le coureur de serpents. En plus tu verras, il y a John Steinbeck qui se cache entre les pages. 

Les derniers indiens, de Marie-Hélène Lafon

Publié le 26/02/2024 à 16:48 par sebastienvidal Tags : sur roman vie place monde soi chez enfants mort nuit
Les derniers indiens, de Marie-Hélène Lafon

Les derniers indiens

 

De Marie-Hélène Lafon

Editions Folio et Buchet-Chastel

 

 

« L’histoire de l’Alice avait été comme un feuilleton en vrai qui l’avait distraite de la mort de Pierre. La mère, ou Jean, n’avaient pas été distraits. Elle ne savait pas ce que pensait le père ; mais elle avait compris pour Jean quand il avait refusé de venir à l’enterrement de l’Alice. Il avait dit à la fin du repas en regardant devant lui qu’il devait rester pour une vache dont le veau se présentait mal, et que, de cette église, des enterrements, des paroles des gens sur les jeunes qui partaient à la place des vieux, il en avait par-dessus la tête, et pour toute la vie. »

 

Avec sa plume en forme de scalpel, Marie-Hélène Lafon raconte la vie de Marie et Jean, derniers enfants de la famille Santoire, dont la ferme est toute leur vie. C’est le récit de la fin d’une lignée, et à la campagne plus qu’ailleurs, un nom qui se perd, il n’y a rien de pire pour ceux qui restent à regarder l’agonie.

 

Elle vient de ce milieu Marie-Hélène Lafon, alors elle connaît. Elle sait les longues soirées dans la scansion de l’horloge monumentale, elle sait les craquements des bûches dans l’âtre, elle sait les silences qui font des mots et puis des phrases. Elle sait aussi en creux, ce qui n’est pas dit autour de la table, cette table où chacun a sa place bien déterminée, une forme de hiérarchie. Pour parler des parents, ou même rien qu’y penser, les enfants disent « le père la mère », rocs pleins de mystères et de silences, surtout la mère, parce que chez les Santoire, si elle a pris le nom du père, c’est quand-même elle qui a apporté les terres et les moyens, et ça, à la campagne, ça compte.

 

En prenant son temps, en décrivant le quotidien de cette famille qui a raté le train de la modernité, qui a raté le train de l’amour aussi, par cette fenêtre de laquelle ils observent les voisins, ces tonitruants et remuants voisins, qui ne leur ressemblent en rien, l’auteure montre ce qu’est la vie à la ferme, dans une famille où on tient bien serré ses sentiments en-dedans de soi, où on cadenasse ses émotions, parce qu’on a toujours fait comme ça, depuis la nuit des temps, par atavisme, par fierté, surtout parce qu’on ne sait pas faire autrement.

 

Alors on suit cette lente et longue glissade vers la fin, avec les habitudes qui finissent par constituer des murs porteurs du quotidien ; rassurantes habitudes, l’heure du facteur, l’épluchage du journal, bien à sa place dédiée, les secondes qui cognent contre la vitre de la pendule, les allées et venues des voisins bruyants, le repas à penser puis à préparer, les bêtes à s’occuper et puis une fois la retraite prise, l’immense plaine du temps devant soi, avec un horizon si loin qu’il faut, pour ne pas devenir fou, se mettre des pensées dans la tête et les ressasser, ruminer comme dit la mère. Ruminer, encore et encore, tourner la chose dans tous les sens, envisager, refaire l’histoire, ruminer encore parce que l’histoire est là tout autour dans les murs et le plancher et qu’elle ne se refait jamais.

 

C’est aussi, et c’est peut-être le plus beau, le récit du deuil qui devient tabou. La perte d’un enfant, même adulte, c’est une croix trop lourde à porter. Même à plusieurs. Alors on range la chambre du mort, personne n’y dormira plus ; plutôt dormir par terre. On en fait un mausolée, une chambre qui ne sera plus qu’une porte fermée, silencieuse du dernier soupir du mort, remplie de souvenirs qu’on ne veut pas remuer parce que ça fait trop mal et que ça pourrait pousser à en parler. Verser une larme devant les autres, impossible. Mieux vaut rester droit, impassible faute d’être impavide.

 

L’histoire de ces derniers indiens, c’est l’histoire du cortège des jeunes et des vieux qui partent, pas toujours dans le bon ordre, et qui laissent un trou béant qu’on n’a pas appris à combler, alors ça résonne trop fort dans les caboches. Ça laisse trop de temps pour ressasser, penser aux mots qu’on aurait dû dire à un moment précis mais qu’on n’a pas prononcés, en sachant très bien qu’il fallait les dire pour faire aller mieux, mais la fierté, l’orgueil. Trop de temps pour ruminer les routes qu’on n’a pas prises à tous ces carrefours de la vie. Et par la fenêtre, ces voisins qui prennent tant de routes à la fois…

Il y a beaucoup de tendresse dans l’écriture sèche de Marie-Hélène Lafon, sèche de mots, mais pas d’émotions. À sa manière, elle nous montre un monde qui disparaît, et plus que ça, un monde mais aussi des histoires multiples, des gestes qui vont de perdre, des expressions et des mots qui s’effacent, une langue sous la langue qui s’éteint dans ses ultimes accents.

 

Comme avec ceux d’Amérique, on est en train de liquider ces indiens-là. On a confisqué leurs terres, doucement, lentement, avec les banques, le fameux marché qui dicte sa loi. On n’est pas allé jusqu’à les tuer, quoique, on les a laissés mourir, c’est presque pareil. On a laissé les fusils parler une dernière fois, ou les cordes à une poutre de la grange, au pire c’est avec la mort aux rats.

 

Rien que cela mérite amplement de fourrer son nez dans ce roman, mais il y a un supplément, ce mystère de la disparition de « l’Alice », ce fil rouge dont on sent bien que ça va nous mener quelque part à un moment donné, ça c’est subtil et grand, mais sans en rajouter, pas d’artifice, juste la douleur, juste la vie des gens. Et Marie-Hélène Lafon, enfiévrée, nous fait comprendre que même après des décennies à vivre avec d’autres êtres humains, ils restent pleins de mystère et d’ombre.

 

Venez voir les derniers indiens, ils ne sont plus là pour longtemps.

« L’artisan a posé les nouvelles fenêtres en plastique blanc, mais le froid vous gagne, et quand il est dedans, vous le sentez tout le temps, en regardant la télé, au lit, et là, c’est fini, c’est le signe. Les vieux croyaient revenir, l’été, peut-être, ils se le faisaient croire, pour gratter un bout de jardin et s’asseoir sur le banc, et être dans ses affaires ; mais dans ces maisons de retraite, les vieux perdent toutes les habitudes de lutte, ils oublient, ils baissent, très vite, ils ne reviennent pas. »