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je pense et même je le souhaite au plus profond de moi, qu'un jour une école de france pays initiateur des dro
Par Anonyme, le 02.10.2024
mon dernier commentaire semble avoir été coupé. avec le smartphone c'est moins pratique. je disais que j'avais
Par Michèle Pambrun , le 15.08.2024
je m'avise de ce que vous êtes du même pays géographique que marie-hélène lafon et bergou. pierre bergounioux
Par Michèle Pambrun , le 15.08.2024
j'ai regardé, on est toujours curieux de la vie des écrivains qu'on aime, tant pis pour eux
Par Michèle PAMBRUN , le 15.08.2024
je vais l'acheter illico.
de séverine chevalier j'ai lu jeannette et le crocodile.
c'est une voix singulièr
Par Michèle PAMBRUN , le 15.08.2024
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Date de création : 08.07.2011
Dernière mise à jour :
31.01.2025
425 articles
Soudain trop tard
Carlos Zanón, éditions Asphalte et en poche au Livre de poche
« Dans la réalité, la violence lui a semblé sordide, peu esthétique mais d’une incroyable capacité à générer le désespoir. Les coups ne se portent pas où tu le veux. Tes forces ne sont pas celles que tu crois. Recevoir des coups fait mal, mais en donner aussi. Et ce qui est terrible, c’est cette certitude du tout ou rien. Il n’y a pas de deuxième chance. Il faut continuer. Il n’y a pas de filet de sécurité. L’adrénaline a un goût de peur, c’est ça qui compte vraiment. »
J’ai rencontré Carlos Zanón lors de la manifestation littéraire « Vins Noirs », début juin à Limoges. C’est un garçon discret, un brin replet et qui porte la bonté sur le visage et dans les yeux. Nous étions tous les deux frustrés car il ne parle pas le français et mon espagnol se limite à « como esta ». Dans ces conditions, dur de causer littérature et Noir. Mais malgré tout, Carlos s’est fendu d’une dédicace en français, sympa hein !
Alors que souvent, les bouquins patientent plusieurs mois sur mes étagères avant que je m’en saisisse, « Soudain trop tard » m’a appelé assez vite. Envie de savoir, envie de sentir, besoin de connaître Barcelone, curiosité de comparer l’homme entrevu à l’auteur espéré. Donc PAF, le bouquin arrive entre mes mains.
De quoi ça parle ?
De nos jours, dans un quartier moche de Barcelone, au moment où le petit matin n’est encore qu’un simple changement dans la couleur sombre de la nuit qui finit. Epi, un jeune homme en déshérence achève une énième virée avec son pote Tanveer. Ils échouent dans ce bar qu’ils ont l’habitude fréquenter. Epi est stressé, il a un truc à faire. Un truc important, ou plutôt un truc nécessaire. Bref, quand il sort des chiottes avec un marteau dans la main, c’est dans le but de s’en servir pour exploser la tête de Tanveer. Le magrébin ne s’en remettra pas. Son sang et sa cervelle salissent le sol du bar sous le regard sidéré du patron et d’Alex le frère d’Epi. Pas d’autre témoin. Le jeune meurtrier prend alors la fuite mue par une idée fixe, retrouver Tiffany, la fille qu’il a dans la peau, la fille qu’il aime, la fille qui l’a quitté pour Tanveer. Mais tout ne va pas se passer comme prévu, comme d’habitude. La vie est ainsi faite que l’imprévu est en fait juste la routine qui porte un masque.
Avec ce roman Noir sec comme un coup de trique, Carlos Zanón nous offre un objet puissant dans la narration. Il débute avec un grand moment (l’assassinat de Tanveer) et par là même nous sidère d’entrée de jeu. Là où c’est très bien vu - et c’est ce qui m’a précisément séduit - c’est que l’auteur va nous faire remonter le temps de quelques heures. Avec une précision chirurgicale, il va nous faire vivre cette journée qui précède le meurtre, exposant tous les éléments qui ont permis ce final sanglant, les replaçant dans le contexte, comme des pièces de puzzle. Il convoque les personnages, les laisse naviguer, comme s’il avait décidé de n’être qu’un observateur qui raconte, sans jamais interférer. Pendant quelques heures, nous fréquentons une poignée d’individus en souffrance, possédés par leurs tourments, leur histoire, leur vécu. Epi, Alex, Tanveer et Tiffany. Un peu en recul, les flics blasés Pep et Rubén.
Et des accros et des imprévus il y en a dans ce Barcelone. Pas celui des touristes, pas la ville festive au patrimoine bâti exceptionnel. Non, pas celle-là. Carlos Zanón nous entraîne dans une cité glauque, celle des putes rattrapées par l’âge impitoyable, celle qui flirte en permanence avec le sordide, la dope qui galope dans les moindres recoins, le sombre, le demi-jour triste. Malgré ce soleil et cette chaleur qui accablent, tout semble gris et sale, c’est l’impasse finale du Monde qui se délite. Ces petits quartiers où la vie se cache, entre les poubelles qui dégueulent et les petits commerces qui survivent. Ces ruelles cradingues, ces murs tristes et labourés de peine et de colère, tout cela transpire dans les pages. C’est une écriture à l’os, qui ne juge pas mais transmet très fort les émotions. Carlos Zanón braque le projecteur sur ces âmes qui errent dans ces catacombes à ciel ouvert qui côtoient presque les beaux quartiers. Il raconte d’une manière à la fois documentaire et empathique les petites combines qui sauvent des journées vides, les destins qui se débattent pour glaner une bouffée d’espoir supplémentaire, et ces couches sociales superposées qui compose les strates de la misère latente. Cette misère qu’on suspecte d’immortalité tant elle semble avoir toujours existé.
Mais l’auteur ne se contente pas de peindre une société et les bas-fonds d’une ville. Il travaille ses personnages au corps, il passe et repasse sa plume jusqu’à trouver l’angle d’attaque, le caractère caché, le vice de forme et le défaut congénital ou la malédiction de la décrépitude enkystée dans les ADN. Et tout cela est réalisé dans les règles de l’art, c’est-à-dire sans perdre la volonté de départ et en donnant toute sa part à la stylistique. Parce que si ces quartiers catalans sont oubliés des puissants, la langue elle ne l’est pas.
Avec son écriture collée au sol et fichée dans la vie qui palpite, Carlos Zanón montre qu’il sait lire et décrypter parfaitement les changements soudains, les petites modifications d’ambiance qui annoncent (ou promettent) des évènements incontrôlables. Comme dans ces lignes subtiles page 161 :
« Lorsqu’on vit depuis de nombreuses années dans la jungle, on arrive à reconnaître parfaitement le silence avant la tempête. C’est la même chose dans le quartier. Ça transpire dans les boutiques et chez les gens, lorsque la rue devient nerveuse ou calme. C’est cette pulsion qui nous rappelle que, sous l’asphalte et les couches de béton, sous les parkings souterrains et les mille et une histoires emprisonnées derrière chaque porte, se trouve l’essence même de la vie, l’eau et le feu. »
Et ne comptez pas sur l’auteur pour esquiver les tabous. Il met de grands coups de latte dedans. Ça se passe page 218 :
« Rubén, bien sûr, ne sait pas que Pep est homosexuel. Peut-être s’en doute-t-il, mais ils n’en ont jamais parlé. Rubén est si préoccupé par l’invasion des Noirs, des Arabes et des Latinos que les pédés, pour le moment, ne sont pas encore de trop. »
Les personnages sont tellement travaillés que l’on a parfois l’impression d’un huis-clos alors que l’on parcourt la ville.
Allez, encore une flèche à décocher pour vous convaincre ? Page 231, c’est cadeau :
« Pauvres petites choses, les gens d’ici, aigris et peureux. Le ventre plein, la libido à plat et le cœur asséché par tant de solitude. »
D’habitude je termine toujours par une phrase qui tente de claquer au vent, pour laisser son empreinte dans votre esprit comme les traces de doigts sur une joue. Ce n’est pas toujours aisé. Alors aujourd’hui, je vais terminer avec un début de chapitre de « Soudain trop tard », un passage qui je crois, montre à qui vous avez à faire en la personne de Carlos Zanón. C’est parti.
« Le temps bouffe le temps », disait le père d’Epi. Il s’en souvient, à présent, et il est bien d’accord. On dirait que le temps a une présence physique. C’est un animal enragé fait de minutes qui à leur tour sont des pierres, des os, des dents. Chaque seconde est importante au point d’être douloureuse. Chaque instant est le dernier.