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pèle mèle

En guerre, de Stéphane Brizé

Publié le 02/06/2018 à 22:07 par sebastienvidal Tags : vie moi monde roman homme france chez fond travail sur argent musique soi carte film saint air maison solidarité prix cadres place coup
En guerre, de Stéphane Brizé

En guerre

Un film de Stéphane Brizé, avec Vincent Lindon

 

Je rappelle brièvement l’histoire du film : À Agen, une usine employant 1100 personnes est menacée de fermeture pure et simple par sa maison mère basée en Allemagne. Cette usine, qui fonctionne bien est rentable et fait des bénéfices. Les employés refusent donc cette fermeture programmée et entament un long et éprouvant combat pour conserver leur emploi et leur outil de travail. Ils sont d’autant plus remontés que deux ans auparavant, ils ont signé un accord avec la direction, un accord dans lequel ils consentent des efforts financiers et de travail supplémentaire en échange d’une activité garantie sur la durée. Menés par Laurent Amédéo (Vincent Lindon), ils vont se battre contre l’indifférence, le mépris, la complexité du système, la déchéance de la justice, l’indigence des pouvoirs publics, mais aussi contre leurs propres démons. C’est l’histoire du monde d’en haut contre la France d’en bas, c’est l’histoire de l’argent contre la sueur, c’est l’histoire du pot de terre contre le coffre-fort de fer, c’est l’histoire de ce qui est légal contre ce qui est moral. 

 

La sensation d’être passé sous un rouleau compresseur, l’impression d’avoir fait trois rounds face à Marvin Hagler au meilleur de sa forme. Mais aussi le net sentiment d’avoir toujours eu, durant toute la projection du film, ce recul nécessaire pour comprendre, appréhender, sentir, désosser, disséquer, et pour finir, s’émerveiller de la qualité de ce film. C’est brillant.

C’est parce que j’avais beaucoup aimé La loi du marché, du même réalisateur, que je suis allé voir celui-ci, et que je suis un inconditionnel de Vincent Lindon. Bien sûr, j’étais déjà sensibilisé au thème de ce long métrage. Alors du coup, en lisant ces premières lignes, légitimement vous vous dites, « Oula ! », méfiance, le chroniqueur était déjà convaincu avant d’avoir visionné le film, le gars était déjà converti avant même la première scène.

 

Vous avez raison de vous dire cela, c’est en effet le danger principal ; je pense néanmoins avoir évité l’écueil. Pour la simple raison que « En guerre » n’est pas du tout un film manichéen, une caricature militante qui met face à face, méchants patrons, autres aux cadres en cols blancs, politiques pleutres et les salariés gentils, détenteurs de la vérité.

Certes, le réalisateur choisit son camp, et moi aussi, ça tombe bien. Les grands patrons n’ont pas le beau rôle, les salariés ne sont pour autant pas les chevaliers blancs de l’histoire. La grande qualité de cette œuvre, c’est de tout montrer, de tout dire, tel que cela se passe, du côté du patronat, du côté politique, du côté des employés.

 

Ce film, c’est la grandeur des idées et des convictions qui se télescope avec la petitesse des hommes.

 

Peut-être que je devrais prendre un peu de recul avant de parler de ce film. Laisser passer quelques jours, que je puisse digérer, laisser tous ces personnages faire leur chemin en moi, m’imprégner. Mais je crois que c’est déjà fait, il y a eu immédiateté. Bon, je tourne un peu autour du pot (de terre), j’ai du mal à trouver un angle de départ.

 

Tout d’abord, Stéphane Brizé montre avec brio et une grande simplicité le fonctionnement d’une multinationale cotée en bourse. D’abord les actionnaires (c’est toujours les actionnaires d’abord). Ceux-ci, majoritairement issus de vieilles familles richissimes, mais aussi des fonds d’investissements ayant pour seul but de faire un maximum de profits en un minimum de temps ; ceux-ci donc, prêtent de l’argent à l’entreprise concernée pour se développer. En échange, l’entreprise octroie à ces prêteurs un petit ou plus grand morceau d’elle-même, des actions. Ces actions ont une valeur nominale qui est fixé chaque jour par « le marché », ce truc invisible et sans chef désigné qui régente le monde. Donc quand le cours de l’action monte, l’actionnaire voit la valeur de sa part augmenter en corrélation. Quand elle baisse c’est la même chose. Inutile de préciser que l’actionnaire à une nette préférence pour la hausse. En plus de cela, chaque année, le conseil d’administration (composé en majorité des plus gros actionnaires), décide d’utiliser une partie des bénéfices de l’exercice précédent pour rémunérer les actionnaires. C’est ce que l’on appelle un versement de dividende. Il va sans dire que montant du dividende n’est sans aucune commune mesure avec le montant des éventuelles primes versées aux salariés. (faut quand même pas pousser monsieur Gattaz dans les orties). Le problème, c’est que souvent, les actionnaires ne se contentent plus de cet argent gagné à attendre le cul sur une chaise. (parce que dans ce cas précis, l’actionnaire ne travaille pas, c’est son argent qui bosse à sa place). Très vite, l’actionnaire réclame plus. Et l’actionnaire a remarqué (car il est très observateur), que lorsqu’une usine du groupe fermait, le cours de bourse dudit groupe montait. Alors régulièrement, l’actionnaire exige qu’on ferme une ou deux usines de ci de là. Pour que ses actions se valorisent un peu plus que le rythme habituel. Faut le comprendre l’actionnaire. Il a des frais. Il doit entretenir sa villa, sa piscine, son spa. Et puis il y a sa petite bicoque à Saint Barth, et celle de Courchevel aussi. Sans compter l’abonnement au country-club et les cours de golf. Avant de critiquer l’actionnaire, avez-vous la moindre idée du prix d’une Rollex, d’une bouteille de champagne très haut de gamme ou d’un sac Vuitton ?  Hé ben voilà, j’en étais sûr.

 

 

Bon, je caricature à peine. Ou pas. Donc en haut lieu (c’est toujours avec ce terme qu’on désigne l’entité qui a entériné la décision de broyer des vies, ou à la rigueur « la direction », ça en impose assez et ça reste suffisamment flou pour qu’on ne sache pas réellement qui a fait quoi). Donc on ferme l’usine. Une usine qui gagne de l’argent, une usine rentable. Mais probablement une des moins rentables, mais rentable quand même.

 

Là où cela commence à devenir intéressant c’est lorsqu’on étudie l’argumentaire de la direction. On peut s’y perdre, entre la direction de l’usine, celle du groupe en France et le sacro-saint « siège » basé dans ce cas précis en Allemagne. Donc on explique aux employés que leur usine va fermer car l’entreprise connaît des difficultés, la conjoncture est mauvaise et la concurrence est rude. Ces deux mots, conjoncture et concurrence ne sont pas utilisés par hasard. Ils permettent d’affirmer tout d’abord que la direction n’y est pour rien (la conjoncture c’est une chose invisible et intangible, un truc vaguement mondial qui nous veut du mal) et ensuite d’asséner que le groupe doit être plus compétitif (à cause de la concurrence), ce qui permet de dire que ce n’est donc vraiment pas de la faute de la direction, que ce sont les autres, les concurrents, qui sont les responsables. Donc pas le choix. Il faut fermer. L’usine d’Agen met le groupe en danger. Sauf que. Sauf que. Le groupe, soi-disant en situation si précaire, vient de d’augmenter les dividendes de 38%. Que le PDG vient de recevoir une augmentation de salaire de 18%. J’imagine que vous ne diriez pas non à petite augmentation de 18% hein ? Allez, même 15%, ne soyons pas trop gourmands.

 

Le film de Stéphane Brizé démonte chaque argument les uns après les autres. Il montre le cynisme puant « vous n’avez qu’à déménager » répond le responsable France aux salariés. Il montre la faiblesse de l’état qui tente de sauver les meubles mais sans effrayer l’entreprise (cela s’appelle ménager la chèvre et le chou et ça donne toujours un résultat Perdant/Perdant). Le réalisateur expose la toute puissance des entreprises et la toute faiblesse de l’état, l’état qui, je le concède, ne peut pas « tout », mais peut quand même un peu plus que « pas grand-chose ».

 

Ce qui est éclatant dans ce film sec et direct comme un coup en plein visage, c’est avec quelle acuité on voit comment la direction gagne du temps. D’abord en faisant la sourde oreille, puis en envoyant des « sous-fifres » pour négocier ; trois mois et demi avant que le Big Boss daigne venir à la rencontre des salariés.

 

Nous voyons, un peu agacés, se développer les vieilles techniques de la division pour mieux régner. Un truc qui a toujours marché. Un truc tellement évident, car chaque individu a un prix, il suffit de le trouver. Car à partir d’un moment, quand ça chie, quand ça pue et que tout fout le camp, beaucoup et c’est humain, terriblement humain) sont tentés de jouer la carte perso plutôt que la carte « on fait la route ensemble ». Là-dessus viennent s’ajouter les velléités des syndicats qui essayent de tirer la couverture à eux sans se rendre compte qu’elle est trouée et minuscule.

 

Ce film montre aussi l’envers du décor, la vie de famille qui se délite, la pression omniprésente, la lutte qui bouffe les esprits et les corps, la lutte qui use. Et puis la solidarité, les dons qui viennent d’ailleurs, les soutiens, peu nombreux, et l’écrasante majorité du monde qui ignore et qui court comme un poulet sans tête, trop occupée à sauver sa peau et sa propre situation, en attendant que son tour vienne. Et il viendra. 

 

Enfin, une chose sous-jacente très intéressante. L’usage des mots. Des mots qui sont l’ombre portée d’un projet nocif qui avance masqué. Lors des réunions de négociation c’est un festival, c’est édifiant. Un régal de sémantique nauséabonde. L’emploi des mots par les journalistes, trop fainéants pour faire un petit effort intellectuel ou déjà convertis au système pour peu qu’il les nourrisse.

 

Ce film, c’est peut-être l’affirmation que l’image a définitivement supplanté le verbe. Comme cette scène qui rappelle l’affaire « des chemises arrachées » chez air France. Elles tournent en boucle devant les yeux des masses populaires. Et les médias qui usent et abusent des mots, « brutalité », « violence », les journalistes qui transforment les prédateurs en victimes. Ils ne disent pas que la vraie violence c’est de jeter à la rue 1100 personnes qui se sont défoncées pour leur boîte.

 

Dans un face à face dantesque et tendu, Stéphane Brizé renvoie presque dos à dos les deux parties, figées dans un jusqu’au boutisme impressionnant. D’un côté donc, la direction qui refuse de vendre au repreneur sous prétexte qu’il n’y a aucune garantie que l’emploi soit pérenne avec le projet de reprise (il ne vous aura pas échappé que l’emploi ils s’en cognent puisqu’ils veulent fermer la boutique). De l’autre côté, les salariés. Divisés. La majorité ne veut pas entendre parler d’indemnité de licenciement, elle est prête à tout perdre pour sauver son emploi.

 

Au-dessus de la mêlée, Vincent Lindon est habité par le personnage, il l’incarne de la seule façon possible, totalement, à fond, jusqu’au bout. Il donne tout, joue avec la tension, le calme, la révolte, la colère et le désespoir. Les autres actrices et acteurs, non professionnels, sont d’une crédibilité stupéfiante, tout sonne juste.

Le réalisateur lui, use de longues séquences qui installent le spectateur dans l’action et le quotidien, pas de filtre, pas de couleurs enjolivées, pas de musique, juste la réalité froide et dure.

 

Un grand film qui rappelle à ceux qui jouent avec les vies, qu’il ne faut jamais humilier les gens, qu’il faut se méfier du désespoir, celui qui étouffe tout, qui maintien la tête sous l’eau. Parce que quand un homme n’a plus rien à perdre, le pire est à craindre. Et du pire, parfois, peut jaillir une lueur d’espoir, mais juste une lueur au milieu d’un immense gâchis.