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21 February 2019

Capture et évasion d'un prisonnier canadien


Une des principales sources d'informations servant au renseignement militaire pendant la guerre de Sept Ans s'agit des prisonniers qui s'échappent du camp de l'adversaire. Voici une déposition d'un Canadien racontant son histoire alors qu'il s'était fait capturé et rapporté en Caroline du Sud. 

Source: ANOM, Colonies, C11A 125, F°538-540v. Déposition et rapport fait par un Canadien (François Mercier). À La Nouvelle-Orléans, le 1er décembre 1755.

Deposition Et raport fait par un Canadien de nation party de La Caroline Le 20. Aoust dernier Et arrivé a La Nouvelle Orléans le premier X.bre 1755

Ledit Canadien depose Et raporte qu’etant aux Illinois Et Voulant passer En Canada, il s’embarqua le 6 Avril 1754 sur la voiture du nommé Boisserau armée de neufs Engagés, Et Commandée par M. Rousselet lieutenant dans les troupes de la Garnison des Illinois, lequel alloit au fort S.t Ange. Que le 7. dudit mois, second jour de leur marche, Etant arrivés au grand Detour, ils apperçûrent sur le Bord du misissipy, un Canot renversé qu’ils accostèrent pour le deffaire. Qu’arrivés a l’endroit ou il Etoit ledit Canadien fut mis a terre, avec un des Engagés pour monter sur L’[eau/ceov/****] Et faire bonne Garde, tandis qu’on Briseroit ledit Canot. Lui ayant apperçû sur ledit [Ecor/*cor/****] quelque piste d’ennemis, il En fit aussy tôt le Raport a M. Rousselet, Qu’alors cet officier bien loin de profiter de l’avis qu’il luy donnoit de pousser au Large, le Badina sur sa frayeur, Et s’avanca avec quattre des Engagés pour reconnoitre les dites Pistes; Et que le dit Canadien Voulant luy prouver qu’il ne manquoit pas de Courage, le Suivit avec deux autres Que M. Rousselet plein de Bravoure Et qui marchoit a leur tête pour reconnoistre par luy même les dites Pistes n’eut pas fait trois cent, qu’il tomba dans une embuscade, [d’où] les Ennemis firent feu sur luy, Et sur Eux. Que cet Officier, ayant reçû un Coup de fusil a la cuisse tomba sur la place, ainsi que deux des dits Engagés, qui furent aussy blessés; que le dit Canadien Et deux autres des dits Engagés furent Envelopés Et pris, par les Sauvages, qui après les avoir Garrottés furent voir si le Chef françois (qui Etoit M. Rousselet) Etoit mort comme ils le Croyoient; Que l’ayant trouvé vivant, ils l’avoient tué à coup de Cassetête, après luy avoir Enlevé la Chevelure; Que quand aux deux autres Blessés, ils leur avoient fait grace.

Ledit Canadien raporte de plus, que les deux autres Engagés qui les avoient suivis dans Cette decouverte avoit Eu le temps de fuir, Et de regagner la voiture du S. Boissereau qui Avoit sans doutte poussé au Large.

Ce party de Sauvages n’etoit composé que de Cherakis qui après ce coup Conduisirent dans leur nation le dit Canadien avec ses deux autres Camarades, ou ils ont resté Et travaillé En qualité Et Comme des Esclaves, pendant Environ trois mois; au bout duquel temps les Cherakis les vendirent aux Anglois qui les Amenerent a la Caroline; ou le Gouverneur nommé M. Jacques Glaine [James Glen] les a fait Garder dans la ville Comme prisonniers. Ledit Canadien ayant trouvé le moyen de sortir de la ville en 1755. En partit le mois D’Aoust de laditte Année pour se rendre a travers les Bois, au Poste françois des Alibamons ou il parvint Sans accidents au Commencement d’otobre [sic].

Ledit Canadien Raporte, qu’avant son depart de la Caroline, on y Avoit apris que le General Bradok Etoit arrivé le 15. mars 1755. de Londres a la Virginie avec 4000. hommes de troupes de transport; Et que le 10. avril suivant il y Etoit Encore arrivé un renfort de 3000. [hommes]. ce qui faisoit 7000. hommes de troupes reglées. il ajoutte que le même General ne fut pas plûtôt arrivé a la Virginie, qu’il rassembla Encore 7000. hommes, soit En nouvelles recrües du païs, Soit En sauvages; Et qu’alors se trouvant a la tête de 14000. hommes, il se mit En marche le 15. may pour se rendre à Ouescrik, qui est le fort le plus avancé que les Anglois ayent du Cotte de la Belle Riviere ou l’oyo; Que ledit General rendu a Ouescrik il y Etoit arrivé deux françois, qui sous le pretexte de desertion En avoient Eté bien reçûs, Et bien traités; mais que le lendemain ces mêmes françois, aprés avoir pris connoissance de toutes les forces Angloises, avoient disparû : sur quoy le General Bradok, soubçonnant que ce ne fussent deux Espions, Envoya des ordres a tous les différents petits partis qu’il avoit Envoyé En avant et a la decouverte des françois, pour les faire arretter. Ces deux Espions pretendûs furent En Effet arrettés le Lendemain de leur depart de Ouescrik; mais L’un des deux trouva le moyen de s’echaper. mais quand a l’autre, on luy fit le procés tout de suitte; Et suivant les nouvelles, il a dû etre Executté le même jour, ou le jour D’aprés.

Ledit Canadien raporte Encore que Traverçant En fuyant, le haut de la Georgie il avoit apris dans le Village Sabanaston par un françois qui y est Etably, que le General Bradok qui avoit partagé son armée En deux corps, En partant D’ouescrik, et qui avoit marché a la tête du premier, composé de 2500. hommes de troupes reglées, Et de 500. sauvages avoit Eté attaqué dans sa Routte par les Canadiens, et sauvages, qui l’avoient Entierement Battu, Et déffait; que Toute son avant-garde avoit Eté taillée En pièces; que luy même avoit pery, ou avoit Eté pris dans l’action, Et que les françois S’étoient Emparés, et avoient pillé tout leur Bagage, et toute leur Artillerie. Il raporte de plus; que Cette nouvelle avoit mis La Consternation dans toute la Virginie.

Ledit Canadien raporte Encore qu’il a apris En passant a Sabanaston qu’il Etoit arrivé un nouveau Gouverneur a la Georgie Et qu’a son Arrivée, il avoit Envoyé des Emissaires dans toutes les nations sauvages même jusques aux Talapouches, Kaouita, Abekas, Et Alibamons, pour les Engager a prendre les armes Contre les françois; Et que pour reüssir plus Efficassement a les mettre dans le party des Anglois, il leur avoient Envoyé Et promis des presents Considerables; Enfin ledit Canadien raporte que Ce Gouverneur Ainsi que les Anglois mettent tout en usage pour seduire les hommes Rouges et les faire declarer contre les françois.

Il ajoutte Enfin, que ce nouveau Gouverneur Etoit en Marché a la tête de 200. hommes pour aller tenir une assemblée Chez les Cherakis nation Belliqueuse, Et en Etat de fournir plus de 4000. Guerriers, pour les Engager a prendre Les armes Contre les françois, Et obtenir D’Eux l’agrement, et le secours necessaires pour Battir un fort sur la Riviere des dits Cherakis; par laquelle ils ont Communication avec le Misissipy. Que ce Gouverneur leur a fait a Cette occasion de grands presents; par lesquels il n’a neanmoins obtenû Encore que la permission d’en Battir un petit a porté de la ditte Riviere Et pour 30. hommes. Ledit Canadien raporte Encore qu’il arrive tous les jours de grandes discutions parmi les habitans de La Virginie, Et de la Caroline que l’on fait marcher en guerre par force, Ainsi qu’a l’occasion des differentes Religions, qu’il y Exerçent.

Ledit Canadien declare Et professe que la presente declaration renferme toute vérité.

A La Nouvelle Orléans le 1.er X.bre‑1755

Ainsy signé. françois merçier

17 November 2018

La Nouvelle-Orléans : cette autre Nouvelle-France

2018 marque le 300e anniversaire de La Nouvelle-Orléans!
Photo: Cathrine Davis 2018

Cet article devait paraître dans les pages du Devoir. Un imprévu familial m’a obligé de le mettre de côté. Je remercie le journal de m’avoir permis de le récupérer et de le partager ici. J'aimerais du même souffle remercier le Centre de la francophonie des Amériques qui m'a permis cet automne de voyager en Louisiane afin d'y donner quelques communications et de retourner visiter La Nouvelle-Orléans pour son 300e anniversaire.

La Nouvelle-Orléans est célébrée entre autres pour
sa musique. Photo: Joseph Gagné 2012
L’an passé, Montréal fêtait son 375e anniversaire. Cette année, c’est au tour à La Nouvelle-Orléans de célébrer ses 300 ans! Si son âge vénérable vaut déjà la peine d’être souligné, c’est également sa culture qu’on célèbre en grand. La mention seule de son nom évoque d’innombrables images, même chez ceux qui n’y ont jamais mis les pieds : qui ne connaît pas entre autres son défilé du Mardi gras, son architecture coloniale espagnole, son tramway qui a inspiré Tennessee Williams, ses alligators, ses mets cajuns et ses beignets… Sans oublier que l’imagination des férus du macabre et de l’inédit va quant à elle penser au célèbre cimetière Saint-Louis, la prêtresse vaudou Marie Laveau, la sadique Delphine Lalaurie, ou encore aux vampires d’Anne Rice… Parlant de films, depuis l’ouragan Katrina le cinéma américain a repris de plus belle son amour pour La Nouvelle-Orléans. L’importance du « Big Easy » ne se limite pas à sa culture, toutefois, mais également son économie : en 2016, elle se classait quatrième port d’importance aux États-Unis. La Nouvelle-Orléans doit d’ailleurs son existence à cette vocation première de ville portuaire, débutée il y a de ça trois siècles lorsqu’elle est fondée par… des Montréalais!

La Louisiane, colonie française.
Photo: Joseph Gagné 2018

La guerre de la Ligue d'Augsbourg freine le
développement de la colonie 
L’aventure française en Louisiane se fait d’abord devancer par les Espagnols un siècle et demi plus tôt. En effet, le premier Européen à rejoindre formellement les méandres du fleuve Mississippi est Hernando de Soto en 1541. Les incursions françaises sur le fleuve, quant à elles, doivent attendre Louis Jolliet et le père Marquette qui découvrent la source du Mississippi par le nord en 1673. S’ensuit Cavelier de La Salle qui, entre 1679 et 1682, devient le premier Européen à explorer le Mississippi sur presque toute sa longueur. Malheureusement pour lui, son dernier voyage—mené par l’océan cette fois-ci dans le but de retrouver l’entrée du fleuve—se solde par un échec ainsi que son assassinat. Si plusieurs individus anonymes continuent de courir les bois de la Louisiane en quête de fourrures, l’intérêt de la couronne française pour le territoire est détourné par la guerre de la Ligue d’Augsbourg. La France abandonne donc toute tentative d’explorer ses prétentions louisianaises pendant presque dix ans, soit entre 1688 et 1697.

Pierre Le Moyne d’Iberville
1661–1706
Toile de Rudolph Bohunek, c1933. Louisiana State Museum

Jean-Baptiste Le Moyne, Sieur de Bienville
Fondateur de La Nouvelle-Orléans
1680–1767
Toile de Rudolph Bohunek, 1910. Louisiana State Museum

Le retour de la paix ne sera pas le seul facteur à influencer la Couronne française à s’intéresser à nouveau à la Louisiane : l’Angleterre la louche aussi. Il faut donc consolider les réclamations françaises et occuper le territoire. Le ministre Jérôme Phélypeaux de Pontchartrain confie la mission à nul autre que Pierre Le Moyne d’Iberville, célébré pour ses déprédations contre les Anglais sur les côtes de Terre-Neuve et le long de la Baie d’Hudson. Il est accompagné entre autres de son cadet (19 ans de différence!) Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville. Sitôt arrivés dans la baie de La Mobile le 31 janvier 1699, Bienville se fait confier la mission de reconnaître les côtes et les rivières de la région environnante. La Nouvelle-Orléans, bien entendu, n’apparaît pas de manière spontanée : les Français vont d’abord tâter le terrain, fondant divers forts dont Biloxi et La Mobile d’où poursuivre leurs explorations du territoire. Fidèle à la tradition familiale, Bienville va même intercepter des Anglais près d’où il fondera La Nouvelle-Orléans 19 ans plus tard. Ses explorations et ses exploits lui valent d’ailleurs le poste de commandant à l’âge de 21 ans.

Bayous, chaleur et alligators menacent le projet de Law.
Photo: Joseph Gagné 2018
Les débuts de la Louisiane n’augurent en rien une réussite, toutefois : la période entre 1701 et 1713 est marquée par les guerres européennes qui menacent la stabilité de la colonie naissante. Sans oublier le fiasco de la Compagnie du Mississippi de John Law : celle-ci stimule une frénésie de spéculation foncière s’appuyant sur l’image—fausse—d’une Louisiane paradisiaque. Les réelles conditions difficiles d’exploitation et la perte de confiance des actions de la compagnie conduisent celle-ci vers une faillite comparable au « krach boursier » de 1929. Au-delà ses bayous et sa chaleur, sept ouragans frappent la Louisiane entre 1717 et 1750! Enfin, les gouverneurs successifs de la colonie devront négocier, traiter, guerroyer et se réconcilier avec les nombreuses nations autochtones environnantes—Chaouachas, Ouachas, Houmas, Natchez, Atakapa, Tunia, Yazoo, Chocataws, Chicksaws, etc.

Sauvages Tchaktas matachez en Guerriers qui portent des chevelures
Alexandre de Batz c1730.
Original: Peabody Museum, Harvard University


Une nouvelle capitale nommé en honneur de
Philippe d’Orléans, 1674–1723.
Toile de Jean-Baptiste Santerre, 1717
Si l’aventure louisianaise fait plus ou moins bon train malgré tout, la fondation de La Nouvelle-Orléans, quant à elle, remonte au mois de février 1718 après que Bienville remarque « une place très-propre pour y bastir une habitation, sur le bord du Mississipy, à trente lieues depuis l’embouchure du fleuve ». Une centaine d’hommes s’occupe à construire le nouvel établissement. Baptisé en honneur du régent, Philippe d’Orléans, le poste se trouve sur des terres plus fertiles et faciles à cultiver que celles le long du golfe. En 1722, La Nouvelle-Orléans devient officiellement la capitale de la colonie lorsque la Compagnie des Indes, successeur de la Compagnie du Mississippi, y place son quartier général.

Comment peupler cette nouvelle colonie? À l’aide d’une propagande massive encourageant quelque 6 000 civiles à migrer. Contrairement à ce qui a été publicisé, ce n’est pas le paradis : Marcel Giraud, le grand historien de la Louisiane, estime que 60% d’entre eux meurent pendant le trajet ou peu après leur arrivée. À cette population naissante s’ajoutent environ mille soldats, ainsi que des centaines d’indésirables, hommes et femmes, kidnappés des rues de la métropole. Ces derniers sont si nombreux à se faire enlever que Paris doit émettre une loi en 1720 pour stopper les activités des « bandouliers du Mississippi »!

Les nouveaux migrants vont exploiter divers produits, dont l’indigo, le tabac et la canne à sucre. Contrairement au Canada, la traite des fourrures ne représente à cette période que 10 à 15% des exportations. Le développement de la colonie dépend malheureusement de la main d’œuvre d’esclaves africains : de 1719 à 1743, pas moins de 5 700 esclaves sont importés dans la colonie.

Peupler La Nouvelle-Orléans: Créoles, esclaves, autochtones, prostituées...

La Conquête sonne le glas du Régime français tant pour le Canada que pour la Louisiane. Il faut se rappeler que la guerre de Sept Ans (autre nom donné à ce conflit) éclata dans les colonies deux ans avant l’Europe, soit en 1754. À la source de cette hostilité se trouve la vallée de l’Ohio—représentant aujourd’hui l’état de l’Ohio et une partie de la Pennsylvanie, la Virginie de l’Ouest et l’Indiana—où coulent plusieurs rivières qui raccourcissent le lien entre le Canada et la Louisiane, mais lorgné par les colons britanniques. Si le front de guerre fini par se concentrer sur la Vallée du Saint-Laurent, la Louisiane—ayant jusqu’ici évité une invasion britannique—souffre néanmoins de l’absence de ravitaillement à cause des déprédations sur la marine française et sera finalement amputée à la France par les négociations de paix.

Pourquoi? Rappelons que l’Espagne rejoint la guerre contre les Anglais tardivement en 1762. Toutefois, les forces britanniques se démontrent plus puissantes que prévu : l’Espagne perd La Havane en août après deux mois de siège, ainsi que la Floride, au profit des Britanniques. La perte de ces deux dernières a un effet dévastateur sur l’avenir de la Louisiane. Lors des négociations de paix, la France négocie à la fois pour elle-même et l’Espagne. L’Angleterre accepte de restituer La Havane en échange du territoire à l’est du fleuve Mississippi. Toutefois, la prise de la Floride est vu comme la consolidation de l’emprise britannique sur la côte est de l’Amérique. L’Angleterre refusera donc de la rendre à l’Espagne. La France, pour faire passer la pilule, offre secrètement à l’Espagne le territoire à l’ouest du Mississippi, incluant La Nouvelle-Orléans, en compensation. Le tout sera confirmé par le traité de Paris en février 1763. Mais l’aventure française en Louisiane ne se termine pas là… D’ailleurs, suivant le traité, deux vagues d’immigrants acadiens arrivent en Louisiane, la première entre 1765-1769 comprenant environ 800 Acadiens qui étaient exilés chez les colonies britanniques et la deuxième, en 1785, composée de 1 600 individus arrivant de la France, soit les trois quarts de la population acadienne qui s’y trouvait. En tout, c’est environ 3 000 Acadiens qui fondent des communautés en Louisiane et deviennent les ancêtres des Cajuns d’aujourd’hui. Sans oublier que la Louisiane redeviendra française pendant trois brèves années avant 1803—mais ça, c’est une histoire pour une prochaine fois!




La toponymie locale témoigne de son passé français.
Photo: Joseph Gagné 2018

Il ne s’agit ici que d’un bref retour sur l’histoire de La Nouvelle-Orléans et de la Louisiane sous le Régime français. Mais on peut bien se demander : que reste-t-il aujourd’hui de ce régime? Autant l’architecture britannique finit par dominer la ville de Québec, autant l’architecture espagnole le fait à La Nouvelle-Orléans. En effet, l’incendie de 1788 rase la ville presque entière. Aujourd’hui, seuls quelques exemples de constructions françaises survivent. Outre le monastère des Ursulines—le seul bâtiment datant du Régime français—se trouvent la maison Madame John’s Legacy et la Lafitte Blacksmith Shop, construits à la manière créole à la fin du xviiie siècle. Néanmoins, l’esprit français continue de percer même après 300 ans : la toponymie locale témoigne des gouverneurs français et des noms originaux de certaines rues. La culture française, le plus célèbre exemple étant le Mardi gras, est toujours célébrée. Si la langue française reprend un nouveau souffle de vie après 1804 avec l’arrivée d’immigrants d’Haïti (l’ancien Saint-Domingue), en 2000 le français était parlé par 4,6% de la population de la Louisiane.


Bienville immortalisé.
Photo: Joseph Gagné 2018

Si elle fait aujourd’hui partie des États-Unis, La Nouvelle-Orléans incarne en réalité plutôt la limite nordique des Caraïbes (en effet, sous le Régime français, elle entretenait des liens plus étroits avec La Havane qu’avec le Québec—rappelons que d’Iberville est inhumé à Cuba!). En déambulant le long de ses rues, le visiteur ressent son histoire liée à quatre régimes successifs (autochtone, français, espagnol, et américain). La ville est une enclave culturelle et historique unique qui, paradoxalement, appartient aux États-Unis tout en y étant à part. Aujourd’hui célébré pour son architecture, sa musique et sa gastronomie, rien à l’époque pourtant ne prédisait que ce petit poste du Mississippi allait devenir un boulon économique et culturelle d’Amérique.

Comme on dit à La Nouvelle-Orléans, « Laissez les bons temps rouler! »


14 November 2017

Conférences, édition automne 2017

Ce n'est pas le nord, en tout cas!
La saison des conférences automnales m’a gardé très occupé cette année. J’ai passé une bonne partie du mois d’octobre au Michigan chez de bons amis, entre deux colloques. En tout, j’ai donné trois communications en moins d’un mois.

La rivière Mobile

Marqueur indiquant approximativement où on croyait
se trouvait le premier site de La Mobile

L'archéologue Greg Waselkov nous présentant le chantier archéologique.
Les sillons indiquent l'emplacement des murs des maisons.

Ici se trouvait un des bastions du premier fort de La Mobile

La première fut à La Mobile en Alabama, pour le congrès annuel du Centre pour l’étude du Pays des Illinois. Invité à y participer par l’archéologue Greg Waselkov, j’ai eu l’immense plaisir de découvrir l’ancienne capitale de la Louisiane. La journée du vendredi 6 octobre fut consacrée à la visite de différents sites importants du Régime français dans la région. Pour débuter, nous avons eu le plaisir de visiter le chantier archéologique de la vieille Mobile sur la rivière du même nom. Le site, aussi intéressant et riche en artéfacts soit-il, pose de nombreux défis aux archéologues : son cimetière, par exemple, se trouve sous un marécage qui s’est formé suivant la construction de deux routes sans drainage. C’est d’ailleurs dans ce cimetière où se reposerait Henri de Tonty. N’empêche que le site demeure d’une richesse exceptionnelle pour le patrimoine archéologique du sud des États-Unis.

Le musée d'archéologie de la University of South Alabama.

Malgré sa petite taille, ce musée contient une excellente exposition sur
la présence amérindienne et française à La Mobile.

Greg Waselkov explique les artefacts aux chercheurs présents.

Après, nous avons visité la magnifique University of South Alabama Archaeology Museum. Malgré sa petite taille, il s’agit néanmoins d’un des plus beaux musées dédiés à un site de la Nouvelle-France.

La maison La Pointe-Krebs, la plus vieille maison française encore debout
dans le sud des États-Unis.

Finalement, nous avons eu le privilège d’aller dans l’état voisin, au Mississippi, pour visiter la maison La Pointe-Krebs, sans doute la plus vieille construction française existant toujours dans le bassin du golfe du Mexique. Bien qu’il y ait un doute à savoir si la maison date réellement des années 1750 ou si son bois de construction a été simplement recyclé d’une maison antérieure, son statut patrimonial en demeure intact tout de même.

Cathrine Davis parle au sujet des sceaux de plombs.

Quand on fuit un ouragan, il faut s'approvisionner!
Alors que tous et toutes se plaisaient à visiter ces endroits, on ne pouvait s’empêcher d’être nerveux : on annonçait l’arrivée de l’ouragan Nate pendant la fin de semaine. Dans une tentative de sauver les meubles (le cas de le dire!), nous avons présenté pendant la réception du vendredi soir les conférences qui devaient avoir lieu samedi après-midi. J’y présentais ma recherche sur l’espionnage en Louisiane pendant la guerre de Sept Ans. Le lendemain, nous avons compressé les autres communications en matinée, nous donnant ainsi amplement de temps pour quitter la région. Si l’ouragan, en fin de compte, ne fit que quelques pannes d’électricité (un peu plus de 50 000 habitants) et quelques inondations anticipées, il valait mieux être prévoyant et ne pas tirer le diable par la queue.

Au cas où on oublierait qu'ici, c'est le sud...

Entrée de Mammoth Cave

Des fantômes? Non! Une photo à longue exposition.
(Il fait sombre dans une caverne!)

La cavité à qui on doit le nom de la caverne entière.

Ce qui restait de l'ouragan Nate nous avait rattrapé au Kentucky.

Sur le chemin du retour, j’ai eu l’immense plaisir d’accomplir un rêve d’enfance en visitant le célèbre Mammoth Cave au Kentucky. Le plus long réseau souterrain au monde, cette caverne a toujours frappé mon imaginaire depuis que j’ai écouté avec mon père un documentaire sur les grottes. C’est d’ailleurs l’histoire de cette équipe de spéléologues qui, en 1972, firent la découverte du lien entre la caverne Flint et Mammoth qui m’a toujours hanté en particulier : quelle aventure! Quel courage! Si ma petite visite d’une heure et demie ne se comparaissait pas à leur accomplissement, elle n’était pas moins fascinante. J’ai certainement l’intention de retourner visiter ce parc national à l’avenir.

Cathrine Davis présente sa recherche sur l'artillerie au fort Ticonderoga.
Du 13 au 15 octobre, je me déplaçais pour participer à la 13e édition de la Midwest Historical Archaeology Conference qui avait lieu à la Purdue University à Lafayette, Indiana. C’est avec grand plaisir que j’acceptais l’invitation de l’archéologue Michael Nassaney à venir discuter de mon expérience en tant qu’historien avec des reconstituteurs historiques (Historical reenactors).

J’ai d’ailleurs adoré le format de la conférence. Normalement, dans le déroulement habituel d’un colloque, chaque présentateur donne une communication de 20 minutes avec une période de questions de 20 à 30 minutes à la fin de la séance. Au lieu, nous avions chacun ici 10 minutes pour parler. Après, chaque présentateur s’assoyait à une table et discutait avec les gens qui s’y trouvaient. Après 10 minutes, il y avait une rotation des gens. J’ai trouvé que ce format était plus constructif que celui auquel j’étais habitué. Je craignais d’abord que je me répèterais à chaque table, par peur de sans doute recevoir les mêmes questions. Mais non! Sur les 5 ou 6 rotations, je ne me suis jamais répété. Ce format, selon moi, mène à des discussions plus constructives et enrichissantes que le format traditionnel des colloques.


Le site archéologique du fort Ouiatenon.
Tout près du vrai site du fort Ouiatenon se trouve le "Blockhouse",
une reconstitution anachronique de 1930.
La rivière Wabash, une des routes fluviales les plus importantes sous le
Régime français.
Le clou de la conférence fut la visite du site archéologique du fort Ouiatenon. Bien que le site s’agisse pour l’instant que d’un champ sans vestiges visibles à la surface, la Tippecanoe County Historical Association espère créer un centre d’interprétation. Justement, avant de visiter le site, nous avions eu le plaisir de participer à une séance de remue-méninges en vue de sa construction.

Enfin, du 19 au 21 octobre avait lieu le congrès annuel de l’Institut d’histoire de l’Amérique française à Montréal où je présentais au sujet de l’utilisation du déguisement pour infiltrer et espionner l’ennemi pendant la guerre de Sept Ans. Je suis heureux d’annoncer que ma communication a été bien reçue, et que mon directeur m’encourage d’en faire un chapitre dans ma thèse. On verra!

D’ailleurs, parlant de ma thèse, après trois semaines chargées à courir les conférences, il est maintenant le temps que je m’y remette! À bientôt!