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lundi 12 février 2018

"L'invention de la solitude"... (Une forme de réponse à mademoiselle Lynxxe)

J'avais écrit ce texte il y a une dizaine d'années. Peut-être que c'est à cette époque que tout a commencé, le manque, la tristesse non consolée dont parle mademoiselle Lynxxe. Peut-être aussi que nous sommes déterminés à être ce que nous serons dès notre naissance. Je n'en sais rien.


Fragment, cinq ans ...




ABSENCE ...

« Tu es mon amour et je t'aime. Il ne me reste que toi ».
7 mars . Cinq ans. Pas d'anniversaire cette année encore. Il ne se fête plus rien ici.
Vie suspendue.
Entre parenthèses.

Il y a quatre ans Jean-Luc est mort. Alors qu'il était hospitalisé pour une toxicose, il a contracté une méningite foudroyante. Je ne me souviens pas de lui. Aucune photo pour lui donner une identité. Il avait de l'eczéma et mes parents attendaient les embellies de sa peau pour fixer son image sur pellicule.

« Je n'ai plus que toi ».

Jean-Luc meurt tous les jours depuis trois ans. Visites quotidiennes au cimetière.

SILENCE...

Un ange de marbre blanc sur la terre. Les joues pleines, un sourire à peine esquissé sur les lèvres, pas d'ailes déployées vers le paradis. Les bébés morts vont directement au paradis. C'est ce qu'on m'a dit.
  • C'est Jean-Luc, maman, l'ange, c'est Jean-Luc ?
Ma mère pleure, elle se laisse engloutir par son chagrin, elle enlace la pierre froide.

Elle m'a dit, ton frère est dans la terre, tu le sais bien qu'il est mort, je te l'ai expliqué.

J'ai du mal à comprendre. Comment peut-il être à la fois sous mes pieds et au paradis ? Je ne sais pas ce qu'est le paradis. Le terre, je sais ce que c'est. On y plante des arbres, on y sème des légumes et des fleurs. Les bébés morts aussi.
  • Il va repousser Jean-Luc, maman ?
Le paradis est une abstraction. La terre c'est concret. La mort est une abstraction.
Je voudrais gratter la terre pour rendre son fils à ma mère. Pour que les larmes s'arrêtent. Pour exister.

SOUFFRANCE ...

Jean-Luc n'en fini pas de mourir. Il barre toute vie qui pourrait se faire depuis qu'il n'est plus là. Je pense souvent que je devrais mourir moi aussi pour prendre ma place, pour avoir une place, même toute petite.
Je ne sais pas crier. Je ne fais jamais de bruit. J'ai peur de réveiller le chagrin, peur de peupler le silence. J'attends. Toujours en éveil. Je guette sans cesse une attention, un sourire. Les sourires sont éteints. L'attention, si elle existe, n'est pas perceptible.

SOLITUDE …

Sentiment d'être un elfe transparent, une fée Clochette sans pouvoir. Chaque soir dans mon lit, je m'invente mon frère. Il parle, il joue, il se blottit dans mes bras, il s'endort contre moi. Je saurai veiller sur lui, je ferai bien attention de ne pas le faire tomber. Dix mois d'écart entre nous. Presque un jumeau. Une partie de moi évaporée qui me manque comme un membre amputé. Comment le dire, le faire comprendre ?
Ma mère est si loin, exilée.
« Tu le sais que je t'aime aussi. »
Je ne veux pas qu'elle m'aime aussi. Je veux que tu m'aimes, maman, moi, fille, brune, cinq ans, vivante. Certaine qu'elle n'aime que lui, garçon, blond, yeux bleus, mort. Lutte inégale. Je ne suis pas jalouse, je n'en veux pas à Jean-Luc d'être mort. Il était trop petit pour faire son intéressant.
Comme une évidence fulgurante, m'arrive parfois le sentiment d'une solitude infinie qui ne cessera jamais. Le sentiment que les êtres demeurent en état de solitude tout au long de leur vie.

VIOLENCE …

Mon père n'est jamais là. Il travaille loin et il revient rarement. A ce qu'il me semble. Bruit et fureur quand il est présent. Elle a encore maigri, tu t'en rends compte, tu ne lui fais donc pas à manger ?
Larmes. Il faut te secouer, je ne peux plus vivre comme ça, je reviens pour elle mais si les choses ne changent pas, je vais m'en aller.
Je me demande si lui aussi a du chagrin. Il ne pleure jamais. Il casse des assiettes, il jette les couverts à travers la cuisine, il crie.
C'est peut-être la manière qu'ont les hommes de montrer leur chagrin. Je n'en sais rien. A la fois je l'aime comme une folle et à la fois il me terrorise.
Lorsque nous sommes tous les deux loin de la maison, il me prend dans ses bras, il me porte sur ses épaules. Il m'apprend les arbres, leurs feuilles, le nom des étoiles quand il fait nuit. Il m'a offert un mot magnifique quand nous avons trouvé cette énorme chenille sur le chemin. Chrysalide. Il m'a dit que la chenille semblerait mourir, qu'elle se recroquevillerait et qu'elle se transformerait en chrysalide. Il m'a promis qu'un papillon en sortirait l'été prochain. « Un merveilleux papillon, tu verras ».
Il a fabriqué une boîte pour la chenille, il m'a demandé de la nourrir quand il s'en irait et de l'observer avec attention.

TRANSFORMATION. MUE...

Le temps n'a pas de valeur quand on a cinq ans. Un jour, un mois, c'est pareil. La lourdeur des secondes est la même. J'ai oublié de m'occuper de la chenille. J'ai oublié aussi la chenille dès qu'il est parti. Il part toujours.

CHRYSALIDE.

Je parle à maman. Je lui dit que Jean-Luc a peut-être fait semblant de mourir, qu'il est devenu une chrysalide. « On devrait aller voir demain si sa chrysalide est mûre ». Haussement d'épaules. « Encore une imbécillité de ton père ».

ERRANCE...

« Tu est ma petite fille, je t'aime, je n'ai plus que toi ».
Je n'y crois plus maman. Ce n'est pas moi qu'il te fallait. Tu ne me touches jamais, tu je joues jamais, tu ne ris jamais. Il n'y a que la pierre blanche de l'ange qui sache remplir tes bras. Je ne suis rien. Je n'existe pas.

Ma tante vient maintenant tous les matins pour me nourrir. Huit kilomètres à bicyclette. Elle ne reste pas longtemps, elle a à faire chez elle avec les bêtes. « Ce sera au moins ça de pris pour la journée ».
Je vais vomir le trop plein dès qu'elle s'en va.
Tout le monde me quitte, toujours.
Le médecin a dit que si ça continuait, il faudrait moi aussi me mettre à l'hôpital. Pourtant je ne suis pas malade, je n'ai pas d'eczéma ni de toxicose, pas de méningite non plus, rien.
Mais elle n'accepte de se nourrir qu'avec son père qui n'est jamais là. Ou avec sa tante.
Alors nous sommes parties nous installer chez Tante Gervaise dans sa maison à cheval sur la rivière.
Il y avait les vaches, les chèvres, les paons, les chiens. Les chiens ça touche les enfants. Ils ne sont jamais tristes. On les appelle et ils sont là, pour de vrai, vivants. Le museau et les yeux des chiens ça parle aux enfants.
Il y avait la rivière aussi. Ondulante, filante, mais toujours présente. Elle semblait fuir à chaque instant mais il en restait toujours autant. Tous les jours. Je courais sans cesse vérifier.
« Elle va se noyer, il ne manquerait plus que ça ».
Puis d'autres enfant sont arrivés qui ont distrait ma mère un temps. Des enfants qui ont pesé lourd sur moi. Il me fallait les surveiller sans arrêt, les cajoler, les maintenir vivants.

4 JUILLET 1974…

Ma mère a finit de jouer à la vie. Ça ne l'intéresse plus. Elle s'apprête à mourir.
« Tu es ma fille, mon amour et je t'aime.
« Je t'ai tant aimée, ne  l'oublie jamais.
« Tes frère et sœurs, veille sur eux.
« Promets-le.
« Toujours .


vendredi 9 février 2018

Souvenir



Elle était déjà grande et j'étais encore petite. Dix ans d'écart entre nous.
Papa l'appelait Lola.
Quand il travaillait au loin, sur ses lettres il écrivait toujours : «je vous serre tous dans mes bras,  un doux baiser pour ma tendre Lola ».
Je rédigeais les courriers-réponses à la place de ma mère (oui, à six ans, ça ne peut te faire que du bien, ça t'apprend au moins l'orthographe).
Je n'ai su bien plus tard qu'elle avait pratiquement oublié l'écriture.
Papa répondait collectivement.
Sauf pour elle qui avait droit au baiser unique et de surcroît, doux.

« Elle était brune elle était blanche, ses cheveux tombaient sur ses hanches … »

Elle m'ignorait.
Crapaud noir cachectique mal attifé.
Elle aimait le beau et je n'étais pas assez belle.
D'elle, aucun mot ne remonte en moi, aucun geste.
Elle n'était ni dure ni mauvaise, simplement je n'existais pas dans son regard.
Transparente.

L'hiver de mes six ans, la neige était tombée en abondance. Cour et jardin ressemblaient à un tapis de plumes d'anges qui auraient juste terminé leur mue.
Personne n'avait encore souillé de pas grincheux la virginité nouvellement acquise de la terre.
Elle est sortie doucement et je l'ai suivie, ombre parmi les ombres dans l'air gris.
Cachée derrière le tronc du gros noyer, je l'ai observée.
Elle a enlevé un à un tous ses vêtements ; elle en a construit un petit tas près de la fontaine. Elle a fait un bond en avant sur le tapis en prenant soin de ne y pas laisser trop de cicatrices, elle s'est allongée au cœur de la meringue givrée et elle a fermé les yeux.
Maman sortait de tuberculose, tonton magique était en plein dedans et moi au bord.
Je n'ai pas osé la rejoindre .
Elle n'aurait pas, non plus, voulu de moi.

Je me souviens de l'empreinte laissée par son corps nu, flamboyante trace d'une de seize ans qui ne savait pas les émotions qu'elle était capable de générer.
Ma demi-sœur aînée.

Pour l'état dit civil.

« Remets du rimmel à tes cils, Lola... »