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mercredi 12 août 2009

Le champion des adaptations involontaires

"Quel est selon vous l'auteur le mieux servi par l'adaptation de son oeuvre au cinéma ?"

A cette question figurant dans le fameux questionnaire estival, je répondrais par une pirouette en signalant qu'il est sans doute un auteur qui, quoique jamais adapté (à ma connaissance, en tous cas) diffuse fréquemment son parfum dans nombre de films. Cet auteur, c'est le grand, que dis-je l'immense Richard Brautigan. Qui s'il le savait dirait : « je me suis retrouvé plusieurs fois sur un écran, la faute à des tas de cinéastes qui, si ça se trouve, ne m'avaient peut-être même pas lu ».

Pour ceux qui ne connaîtraient pas, préférons donc le présenter à travers l’évocation d’une filmographie possiblement cousine qui dresse, on l’espère, un portrait chinois de son oeuvre.

Et commençons par la fin ! Richard Brautigan se donne la mort en 1984, année où surgit le cinéaste qui paraît prendre exemplairement le relais de sa veine : Jim Jarmusch. Traits communs à ces deux-là : humour désabusé teinté d’absurde, rythme laidback, verve minimaliste, fiction nécessairement fragmentée (plutôt que des vignettes ou des saynètes, préférons désigner les courts chapitres de RB et les fragments de JJ comme autant de bulles ou de flocons : il y passe de l’air entre eux, ils s’agrègent ou non, ils décident de raconter une fiction plus imposante ou non), et, last but not least, relecture toute personnelle du western (Dead man 1995 / Un général sudiste de Big Sur 1964) et du film/roman noir (Ghost dog 1999 / Un privé à Babylone 1977).

Et revenons, à aujourd’hui, à 2009, année où par deux fois, j’ai cru être revenu au milieu des années 80 quand la dernière sensation du moment provenait nécessairement (avant l’Asie, avant le ciném’art contemporain) de New York, ville dont les dernières coqueluches se nomment Josh et Benny Safdie, auteur de deux longs-métrages aux titres éminemment brautiganiens (The pleasure of being robbed et Go get some rosemary) et qui partagent avec Richard la capacité de faire surgir le merveilleux au coin de leur rue, mais avec une sèche âpreté qui chasse l’artifice et la mièvrerie.

Car les drôles de romans (et/ou journaux de bord) de Brautigan sont tapis de méditations dérisoires qui tissent autant de fables quotidiennes telle que celle-ci :


Qui ne sort pas d’une adaptation de Brautigan, mais des BD autofictionnelles d’Harvey Pekar (American splendor Shari Springer Berman & Robert Pulcini 2003, soit dit en passant la plus belle hybridation BD-cinéma) qui rejoignent aussi RB sur un point : le bel éloge de la velléité ou plutôt l’apologie de la bribe, de l’esquisse prometteuse mais jamais poursuivie. Le thème de l’un de ses romans les plus attachants L’avortement (1971), romance comico-brinquebalante relevant des mêmes thématiques et motifs (jouer frontalement la « naïveté », au bon sens du terme, des sentiments contre la brutalité qui court après les protagonistes) que…

Punch drunk love (Paul Thomas Anderson 2002) où, comme dans Retombées de sombrero (1976), la juxtaposition de lignes narratives a priori contradictoires et de genres diamétralement opposés (la romance et le polar) aboutit, au contraire, à une fiction quasi surréaliste mais d’une grande logique.

L’œuvre la plus connue de Brautigan reste son Tokyo Montana Express (dont les « poèmes japonais » constituent un bel appendice), journal en équilibre instable entre deux continents, écriture qui tente autant de jeter un pont entre deux cultures que de réinvestir leur décalage. Des lignes comme ça :

Avant de partir au Japon

J’appréhendais le décalage horaire

Mon avion devait partir

De San Francisco à 13 heures le mercredi

Et 10 heures et 45 minutes plus tard

Atterrir à Tokyo à 16 heures le lendemain jeudi.

A force de m’angoisser à ce sujet,

J’en oubliais qu’avec mes terribles crises d’insomnie,

Je vis en état d’éternel décalage horaire.

(Tokyo 9 juin 1976)

ça ne vous rappelle rien :

Et puisque nous sommes au Japon (et pour sortir de la galaxie indé US), signalons au passage que les épiphanies de Taste of tea (Katsuhito Ishii 2004) n’auraient guère déparé dans les pages de Brautigan.

Mais au final, le film le plus brautiganien n’est-il pas… français ? Un film qui, tel Richard, paraît parfois douter de sa propre écriture, essaye, bifurque, ne sait pas où il va mais sait qu’il pourra toujours se raccorder au prochain chemin de traverse, un film qui, comme l’écriture de Brautigan, donne à voir la concordance entre l’arpentage d’un paysage et la constitution d’un territoire poétique. Ce film, c’est Le dernier des immobiles (Nicolas Sornaga 2002), film à propos duquel Nanni Moretti y alla de l’un des plus beaux compliments qui soient : « un film pour l’immense minorité ». Oui, appartenir à une immense minorité, c'est bien la découverte de ce sentiment-là qui étreint les lecteurs de Richard Brautigan.


mardi 12 août 2008

Les lacs aux oxymores

De lac, il n’y a point dans Lake Tahoe (Fernando Eimbcke 2008)... ... alors qu’il y avait une célèbre séquence au bord du Lac Erie dans Stranger than Paradise (Jim Jarmusch 1984) comme il y avait de longs moments d’attente autour de la Corne d’Or du Bosphore (pour pinailler, pas tout un fait un lac, mais une vaste darse) ...... dans Uzak (Nuri Bilge Ceylan 2003).

Pour autant, le film de Fernando Eimbcke se présente à nous comme le petit frère « estival » de ces deux références « hivernales » qui, chacune en leur temps s’affirmèrent comme parangons du « cinéma indépendant » si ce n’est même « artisanal ». En d’autres termes, la découverte de ces trois films a réveillé le même sentiment chez moi. Non seulement la certitude de croiser un cinéaste, mais surtout un cinéaste qui nous dit non pas que le cinéma, c’est facile, mais plutôt qu’on peut réussir un grand film formaliste avec de tous petits moyens. Trois films dont les quelques traits saillants :

- Scénarios délestés de toute psychologie apparente, mais où les affects se devinent en creux ;
- Plans séquences qui, l’air de rien, parviennent à scénographier le quotidien ;
- Laconisme non seulement des dialogues mais aussi des postures et des attitudes qui finissent par en dire beaucoup plus ;
- Enfin, quelques discrètes touches d’humour (teinté d’absurde) pour alléger comme pour donner du liant à ce coulis cinématographique.
… dessinent au final de réjouissants oxymorons : « ampleur minimaliste », « laconisme parlant », « scénographie invisible ».

Pour mémoire, le plan introductif d’Uzak qui dit si bien un oxymoron de plus : « la présence de l’absence ».

Il y a donc tout cela dans Lake Tahoe et surtout un immense plaisir ressenti devant une nouvelle rencontre de cinéaste, mais quelque part, il y a aussi une interrogation. Est-ce moi qui suis trop analytique ou Eimbcke trop méthodique ? Sans doute un peu des deux, car comme rarement, j’ai eu l’impression de voir les éléments de la réussite (ce fameux sens du laconisme et de la scénographie « qui en disent peu mais en montrent tellement ») exposés noir sur blanc sur l’écran, éléments de réussite incontestables, mais qui au bout d’un moment s’exhibent pour eux-mêmes. Et si, le film, ne nous donnait-il pas en même temps, sa propre recette, en dissociant avec application chacun de ses ingrédients ? En somme, l’impression d’apprécier davantage une collection de pièces détachées (rendues manifestes par ces noirs sonorisés qui segmentent le film) qu’une belle mécanique. Peut-être manque-t-il justement une part d’âpreté que l’on croise chez Jarmusch ou Ceylan, ou alors des moments où le film abandonne ses préceptes pour aller respirer un autre air. Bon, je fais la fine bouche car, en même temps, le film procure un plaisir rare, et donne presque l’envie de se saisir soi-même d’une caméra tant il montre que finalement, on peut réussir du grand cinéma sans avoir besoin de grandes histoires, ni de fantasmes scénographiés, mais que suffit simplement la stimulation d’un regard, un regard palpitant et millimétré à la fois.


C’est sûr. Le film reste vraiment l’un des meilleurs de cet été et son réalisateur l’un des noms découverts cette année. Avec Eimbcke, nous avons rencontré un virtuose discret, un horloger du billard à trois bandes, tant les impacts indirects résonnent avec régularité tout le long du film. Attendons donc ses prochains films en espérant peut-être que sa pellicule humaniste soit un poil moins mécanique et déroge à la cadence qu’elle s’est elle-même imposée.