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dimanche 12 avril 2020

Paris vidé, Paris en friches

Le premier plan d'I Love You (Marco Ferreri 1986).


Christophe Lambert marche sur le grand axe Louvre-(future) Grande Arche. A gauche, la carapace du CNIT. La Grande Arche n'est pas encore construite, mais les grues délimitent déjà virtuellement son emprise. C'est déjà une présence en pointillé dans le paysage. Evidemment, à voir ça aujourd'hui, on est effaré de voir cette présence du vide. "L'autre côté" de La Défense restait une terra incognita, et c'est le génie du projet de Johann Otto von Spreckelsen d'avoir préféré ouvrir une fenêtre que de clore la perspective.
Le même plan tourné aujourd'hui donnerait à peu près ça (à la différence de focale, près) :

 ou ça :
Suivant qu'on veuille insister sur la densité urbaine ou la bulle paysagère de ce "nouveau quartier".

Il y a toujours un délice à débusquer dans les "vieux films", les traces d'un Paris d'avant, mais sans nostalgie ou conservatisme. Ce sont des films qui enregistrent, presque par accident, des mutations en train de s'opérer. En se situant dans un état intermédiaire, ils donnent à voir aussi bien l'avant que l'après.
J'avais déjà évoqué Les Coeurs Verts d'Edouard Luntz (1966). Il y a une courte séquence fabuleuse, au début, où les héros "blousons noirs" font le trajet retour entre prison de la Santé et Nanterre. En chemin, ils découvrent ébahis...  
Le chantier de la Tour Montparnasse...
Du haut de la butte, ils laissent derrière eux la coque du CNIT, bien isolée dans cet environnement encore très faubourien.
Plus tard, ils sont embauchés sur un chantier. On découvre, avec stupéfaction que sur les chantiers des Trente Glorieuses, la France se (re)construisait en santiags, avec des petits foulards mais sans casque et à mains nues.


Le Pont du Nord (Jacques Rivette 1980) est un jeu de piste dans un Paris de plus en plus défait. Le plan de Paris est redessiné, dans un jeu de l'oie "à la Lewis Carroll" où les cases périphériques sont évidemment les plus excitantes.


Ainsi, d'étranges rendez-vous se donnent au village de Bercy, village viticole alors en déshérence et, quinze ans plus tard, futur parc de Bercy (75012)



On va trouver un phare dans la friche du futur parc Georges Brassens (75015).


Et puis enfin, à quelques encablures du chantier de destruction des Abattoirs de La Villette, spectacle qui n'intéresse pas les héroïnes du film (Bulle et Pascale Ogier) mais qui attire toujours quelques quidams, restés en fond de plan...



... on affronte le toboggan dragon, première pièce de jeu du futur Parc de la Villette,




Pièce de métal et de feu, éructant et menaçant avant sa remise aux normes., dans une esthétique plus "pop rassurante".




Cela paraît aujourd'hui incroyable, où chaque mètre carré de la capitale semble être aménagé, affecté (pour ne pas dire spéculé) de constater que les arrondissements périphériques (12e, 15e, 19e, 20e) abritaient encore autant d'espaces plus ou moins libres, parfois à l'état sauvage. Autant de lieux aujourd'hui dédiés à la promenade, à l'agrément, au jeu mais ce qui est réellement ludique, c'est de constater que, cinq, dix, quinze ans avant tout le monde, Rivette et ses complices avaient déjà choisi ces terrains pour leur propres "règles du jeu".

Que ces vides et friches prennent l'allure d'envers de la modernité (chez Ferreri), de chantiers (chez Luntz) ou d'aires de jeu (Rivette), on est bien loin du vide de ces jours de confinement. Chez ces cinéastes, il s'agit d'un vide sauvage et aventureux, revendiquant même sa saleté, son inconfort, quand celui de ces jours-ci (ou plutôt les images qu'on en reçoit : places et monuments déserts, etc...) apparaît plus aseptisé et sécurisé. Quelque part, Elia Suleiman l'avait prédit il y a quelques mois :

mercredi 18 avril 2007

Jacques-Manoel de Olirivetteira

Ironique chassé-croisé qui sans doute ravit ses propres protagonistes.

Au moment où le dernier film Jacques Rivette prend des tournures très oliveiresques dans son approche des passions contraintes, de la représentation et du verbe filmé, c’est le cinéaste portugais qui reprend le flambeau du jeu de piste parisien avec Belle Toujours. Ce dont j’ai été frustré dans la rencontre annoncée entre « Balzac, grand écrivain de Paris » et « Rivette, grand cinéaste de Paris », c’est-à-dire tout simplement une approche de la ville au diapason des fantasmes sentimentaux des personnages, je l’ai trouvé dans le film d’Oliveira.

Evidemment, l’évidente filiation surréaliste de Belle Toujours ! Evidemment, son imprégnation de Nadja de Breton et du Paysan de Paris d’Aragon !

Au début du Pont du Nord (Jacques Rivette 1982), c’est Bulle Ogier qui ne parle qu’aux statues. Dans Belle Toujours, c’est le cheval de la statue de Jeanne d’Arc qui fait de l’œil à Piccoli. C’est fou toutes les confidences que recueillent les sculptures en plein air.

mardi 10 avril 2007

Héroïnes doubles pour films jumeaux

L’histoire commence quand la première, blessée, vient se réfugier chez la seconde.
L’histoire se poursuit parce que chacune veut rentrer à tout prix dans la fiction de l’autre.
L’histoire devient folle, quand chaque héroïne se substitue à l’autre, quand chacune des deux héroïnes devient tour à tour actrices et spectatrices de sa propre histoire.



La traversée du miroir se fait sous les projecteurs d’un cabaret minable où les héroïnes paraissent contraintes de livrer leur image en pâture aux yeux des spectateurs.


Tout se noue et se dénoue, s’embraye et se débraye dans des trajets en voiture conduits par des chauffeurs inconnus, des trajets sur les crêtes de la ville, Los Angeles…. Ou Paris.

Tous ces indices concordants ! Bon sang, mais c’est bien sûr ! Le véritable film matrice de Mulholland Drive (David Lynch 2001), ce n'est pas Sunset Boulevard (Billy Wilder 1950) mais bien Céline et Julie vont en bateau (Jacques Rivette 1974).

Ainsi l’œuvre somme du plus maniaque, du plus claustro, du plus postmoderne des cinéastes était-elle déjà en germe dans le film le plus enfantin, le plus ludique, le plus improvisé de la Nouvelle Vague. Quand le cinéma le plus « under control » prête allégeance au film le moins contrôlé qui soit.

lundi 9 avril 2007

Faut-il toucher à Balzac ?

Une adaptation soignée. Des acteurs habités. Une mise en scène au cordeau. Et pourtant Ne touchez pas la hache de Jacques Rivette ne m’émeut guère. Plus grave (enfin simplement pour moi et je m’en remettrai), ce film ne m’excite guère sur le plan du cinéma. Alors, faut-il toucher à Balzac ? Est-il soluble dans le cinéma ?

Pourtant Rivette s’était déjà attelé à Balzac et ce qui les réunit a déjà longuement été évoqué ailleurs : le goût pour les sociétés secrètes, la description du Paris en mutation comme labyrinthe ou jeu de pistes.


Mais c’est sans doute ça qui manque ici : pourquoi Rivette se cantonne-t-il à ce point à ces scènes de salons, certes toujours très bien écrites, dirigées, jouées mais qui finissent par produire une sensation d’étouffement obsessionnel. On me dira que l’obsession et l’entêtement orgueilleux sont précisément le sujet du film. J’apprécie, en général, les œuvres obsessionnelles, mais précisément quand je me rends compte qu’à force d’appuyer sur le même clou, elles dégagent des émotions inédites (aussi bien chez Bresson que chez Wong Kar Wai). Pas grand-chose de tel ici où le film fini, j’ai eu le sentiment d’une forte absence de contrechamp.


Ce qui m’a gêné ici, c’est peut-être d’avoir attendu, durant tout le temps de la projection, ce que j’ai tellement apprécié dans les autres films de Rivette : le sens du trajet, de l’aventure voire de la perdition au coin de la rue. Lui qui filme si bien les trajets dans Paris, pourquoi, dans son dernier film, met-il si peu le nez dehors ? Pourquoi n’a-t-on aucune idée de la distance physique qui sépare les demeures de Montriveau et de Langeais ? Pourquoi un simple intertitre nous informe-t-il que « la duchesse regardait Paris pour la dernière fois » (je cite de mémoire) ? Je sais bien que le budget du film était plus que modeste. Mais sans appeler à la reconstitution pittoresque, cette privation volontaire de filmer la ville et ses signes de pierre est plus qu’étrange. D’autant plus que c’était la grande force du Pont du Nord, fiction initiatique dans un Paris en friche minée par la ruine et les chantiers (Bercy, le parc Georges Brassens, la Villette).


Ces traces d’un Paris mutant sont toujours chez Rivette de formidables embrayeurs de fiction. Il suffit qu’un seul personnage croit à une aventure possible (Bulle Ogier dans Le pont du Nord ou bien Céline ou bien Julie ou bien…) pour que cette aventure démarre. Ici, la charrue est peut-être mise avant les bœufs, la fiction déjà écrite avant d’être filmée, le jeu de piste déjà balisé avant d’avoir été exploré.