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jeudi 19 septembre 2013

Scorsese dégaine mieux que Tarantino

Scorsese tirant sur De Niro dans Mean Streets (1973)
Tarantino se faisant dégommer par Jamie Foxx dans Django Unchained (2013)

Mes deux caméos de réalisateurs préférés, je crois. Qui sont sans doute un hommage au "clap-revolver" de Samuel Fuller, que dans mon souvenir, on entrevoit aussi dans l'inénarrable (au sens propre) film de Dennis Hopper  The last movie (à 25 minutes 13).


jeudi 20 août 2009

Glouare au basterd !

Continuons à « conceptualiser le bourrin » (cf dans les commentaires de ce billet), et collons lui carrément du Gilles Deleuze dont la quatrième de couverture de Pourparlers (entretiens s’étalant entre 1972 et 1990) paraît la meilleure synthèse d’Inglourious Basterds.

« Il arrive que des pourparlers durent si longtemps qu’on ne sait plus s’ils font encore partie de la guerre ou déjà de la paix ».

Bon sang, mais c’est bien sûr, le dernier Tarantino, c’est exactement ça : un film de guerre qui arrive après la bataille, au moment où il faut s’expliquer, où les mots remplacent les balles. Certes, cela n’est pas très nouveau chez Tarantino, mais le plus précieux réside dans les modulations de ces échanges. Premier échange verbal du film : long duel où les antagonismes sont bien définis. Ultime négociation, deux heures et demie plus tard : une armistice pour les dupes. Entre les deux, long échange où les masques tombent. En apparence, la parole, c’est ce qui permet de passer de la guerre à la paix, mais en même temps, elle charrie quantité de faux-semblants, de sous-entendus, d’ambiguïtés, de nuances intraduisibles (lost in translation) qui inévitablement ramènent d’autres germes d’incompréhensions, de négociations, de conflits. Sans doute, Tarantino n’a-t-il jamais aussi brillamment transformé en enjeux dramatiques ce cycle de la parole et de la négociation.

On continue avec Deleuze, la suite de sa quatrième de couverture. Là, on a remplacé le mot « philosophie » par « cinéma », juste pour voir ce que ça donne :

« Il est que le cinéma ne se sépare pas d'une colère contre l'époque, mais aussi d'une sérénité qu'il nous assure. Le cinéma cependant n'est pas une Puissance. Les religions, les Etats, le capitalisme, la science, le droit, l'opinion, la télévision sont des puissances, mais pas le cinéma. Le cinéma peut avoir de grandes batailles intérieures (idéalisme-réalisme, etc.), mais ce sont des batailles pour rire. N'étant pas une puissance, le cinéma ne peut pas engager de bataille avec les puissances, il mène en revanche une guerre sans bataille, une guérilla contre elles. Et il ne peut pas parler avec elles, il n'a rien à leur dire, rien à communiquer, et mène seulement des pourparlers. Comme les puissances ne se contentent pas d'être extérieures, mais aussi passent en chacun de nous, c'est chacun de nous qui se trouve sans cesse en pourparlers et en guérilla avec lui-même, grâce au cinéma. »

Bon, je ne sais pas si ça marche parfaitement (la télévision serait une puissance et pas le cinéma ? En même temps, si, de nos jours, le cinéma ne fait plus l’opinion, pas aussi facilement que ne le fait la télévision, en tous cas), mais quand même là aussi, on peut tenter la synthèse de la démarche tarantinienne : mener des batailles « pour rire », se faire le chantre d’un cinéma qui « n’a rien à dire, rien à communiquer », en apparence peu ouvert sur la vibration du monde, et qui pourtant produit des films qui nous mettent « en guérilla avec nous-mêmes » (nous mettre face à notre jouissance de nos propres pulsions violentes), nous forcent à parlementer avec elles. Il est clair qu’avec le finale d’Inglourious Basterds, Tarantino atteint le noyau dur de son cinéma : l’ivresse à se faire le reclus volontaire du cinéma au risque de se faire dévorer par lui. Mais à quoi sert cette façon de montrer le cinéma comme un instrument de résistance massive, mais un instrument aux tendances frankensteiniennes : incontrôlable, échappant à ses manipulateurs ? S’agirait-il de mettre à jour quelque chose de plus puissant que le simple retournement des signes de la barbarie contre elle-même (l’autodafé de pellicule, la croix gammée tatouée au couteau) ? S’agirait-il de montrer qu’il existe quelque chose de plus dévastateur que toutes les vengeances possibles et inimaginables : le témoignage, un visage filmé sur un écran qui acquiert soudain dans le chaos une troisième dimension, certes terrifiante et vengeresse, mais ignifugée, inaltérable et indélébile ?


Là, il est remarqué que « le seul cinéma qui fait peur à Tarantino, celui qu’il n’a pas le courage d’affronter et contre lequel il n’a pas d’arme, c’est le documentaire ». Inglourious Basterds donne précisément une forme à ce choc frontal, en s’inclinant devant la primauté de l’image documentaire, la plus simple qui soit : un gros plan sur une femme qui parle. On sait que l’année dernière, dans un exercice de grand écart œcuménique dont le Festival raffole, Claude Lanzmann avait vanté les films de Tarantino lors de l’ouverture cannoise. Faudrait-il alors voir dans le climax dévasté des Basterds, une réponse hommage ? Quoi qu’il en soit, on tient là, dans ce frôlement d’aveu d’impuissance quant à la valeur documentaire de ses propres films, le foisonnant paradoxe basterdien : un film sans fondement historique mais étrangement pertinent quant au maniement des représentations, un film qui joue avec le feu (en témoigne l’assez gonflée vraie-fausse bande-annonce que lui seul peut se permettre) pour mieux déconstruire les faux-semblants de la manipulation cinématographique. Rien que pour ça, on peut chanter la glouare du basterd, lui pardonner ses facilités, son mauvais esprit potache, lui pardonner d’avoir coupé Maggie Cheung au montage (une rumeur signifiait qu’il s’agissait de ne pas froisser Isabelle Huppert, d’abord pressentie pour le rôle, comme quoi une Maggie serait plus « froissable » qu’une Isabelle, n’importe quoi…). Mais cette présence fantôme de la diva de HK jumelle immédiatement ces basterds avec 2046 : attendu comme le messie à Cannes tout en perdant, sitôt la fin de la projection, de nombreux fans (qui semblaient reconnaître les ingrédients mais pas assaisonnés à la bonne recette) et pourtant deux films au plus près des obsessions de leurs auteurs, au plus près de leur propre virtuosité comme de leur limite à se fracasser sur des rivages où ils ont moins l’habitude de s’aventurer.

vendredi 5 juin 2009

Orgueil et Vanité

On fait vraiment des progrès sémantiques tous les jours. Jusqu'à il y a peu, j'utilisais souvent indistinctement les termes "orgueil" et "vanité", les maintenant dans une sorte d'équivalence floue. Or, ces derniers jours, quantité d'exemples pour m'éclairer sur la nuance. Et puis, le bac philo approchant, si ça peut être utile à quelque lycéen qui échoue sur ces pages..

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VANITE : "This might be my masterpiece."
(Quentin Tarantino donnant des verges pour se faire battre, ou plutôt la dernière réplique de Brad Pitt dans Inglourious Basterds 2009)

ORGUEIL : "Worst film you ever saw ? Well, my next film will be better !"
(déclaration apocryphe d'Ed Wood ou plutôt de son avatar Johnny Depp dans Ed Wood - Tim Burton 1994)

VANITE + ORGUEIL : "Disappointed  by my basterds ? Well, my next masterpiece will be better !"
(réponse imaginaire de Quentin Tarantino à ses ex-fans, espèce cannoise en brusque expansion)


***

Le genre d'exemple qui me fait comprendre tout de suite : "Cantona aurait un seul équivalent à Manchester. C'est Cristiano Ronaldo. Ce qui les distingue, c'est que Ronaldo a de la vanité et Cantona de l'orgueil". (lu ici)

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L'application pratique : La Panenka de Zidane. Comme elle est rentrée (qui plus est sans même faire trembler les filets), c'est de l'orgueil. Si elle avait été dehors, ça aurait été de la vanité.

***

Dialogue entre un vaniteux et un orgueilleux :

Crimes et délits (Woody Allen 1989)

V : La chaîne publique veut faire un documentaire sur moi. Me suivre, voir comment je parle, comment je pense. Ça fait partie de leur série « Esprit créatif ». Donc, je leur ai parlé de toi.

O : Merci, mais je travaille sur un de mes projets. Un petit film.

V : Oui. Wendy m’a dit. Un film sur un prof de philo. C’est bien. Mais ce serait l’occasion de gagner de l’argent et d’être reconnu.

O : Je ne suis pas vraiment le biographe qu’il te faut. Je fais des films sur les déchets toxiques et les enfants affamés.

V : Ecoute, je serai franc. Je n’ai pas pensé à toi en premier. Je fais ça pour Wendy. Elle dit que tu n’as pas travaillé depuis longtemps.

O : J’ai travaillé mais personne ne me paie.

V : Je sais que tu ne respectes pas ce que je fais, mais j’ai gagné un tas d’Emmys. Tu trouves que c’est nul. Très bien, je comprends.

O : Je ne sais pas. Je pourrais utiliser l’argent pour finir mon film. J’ai des dettes et tout ça.

V : Idée de farce : un raté accepte de filmer la vie d’un grand homme et en vient à apprendre les valeurs profondes.

mercredi 25 mars 2009

Substitute

Dans le numéro de janvier de So Foot, Kim Jee-Won (dont je n’ai vu que le schizoïde Deux Sœurs 2004) tente une analogie entre la narration cinématographique et le déroulé d’un match de foot. Il avoue réfléchir à la façon d'introduire des nouveaux personnages  dans son histoire comme un coach fait rentrer des remplaçants sur le terrain : pour insuffler du sang neuf. Gare tout de même ! Autant l’usage de l’impact player dénote un grand sens tactique et psychologique dans l’art du coaching, autant sortir de sa manche un protagoniste aux quatre cinquièmes du récit (et lui donner le statut de deux d’ex-machina) ne peut s’avérer, pour le story-teller qu’une énorme facilité.

En attendant, petit florilège des grands contre-exemples où les remplaçants (de l’histoire) se sont avérés plus marquants que les titulaires.

Rebecca  (Alfred Hitchcock 1940)

Une “deuxième épouse” dont on ne connaîtra jamais le nom étouffe sous l’emprise de Rebecca, la première épouse disparue, évanouie, et pourtant omniprésente, jusque dans ses linges (le R brodé qui surgit pendant la visite du vestiaire). Grand classique aussi bien du mercato que de la psychanalyse : le transfert raté. 

Ou comment oser prendre la place de l’idole évanouie tout en sachant que malgré toutes ses qualités, on ne réussira jamais à totalement la faire oublier. Somme toute, le destin de Gourcuff ou de Benzema, tel qu’il se joue ces années-ci chez les Bleus (glorieux meneurs de jeu ou ombres de Zidane ?). En même temps, Tigana avait bien osé reprendre le 14 de Johan Cruyff, mais pas fou, dans une autre équipe, sous un autre maillot…

Chaînes conjugales (Joseph Mankiewicz 1949)

Trois pré-Desperates Housewives et une quatrième, Addie Ross leur "meilleure amie", partie avec le mari d’une des trois premières. Film qui passe par le point de vue de chacune des trois amies, mais racontée par la voix off d’Addie, qui, on l’imagine, va rentrer dans l’histoire à chaque prochaine séquence, pour finalement mieux faire l’Arlésienne. Addie, c’est à première vue le remplaçant qui s’échauffe sans cesse au bord du pré sans jamais étrenner ses crampons… mais sa parole influe tellement sur le récit qu’elle la propulse dans une position plus glorieuse et stratégique : celle du coach éructant sur le bord de la ligne. Addie serait donc une sorte d’hybride contradictoire : l’entraineur-joueur, mais qui décide finalement de ne pas s’aligner.

Pour continuer sur Mankiewicz, rappelons qu’au générique du Limier (1972) figuraient... 

... tous ces noms d’acteurs inconnus pour des rôles (dont l'inspecteur Doppler pas si loin de doppelgänger) ne figurant pas dans le script. La légende dit pourtant que ces non-acteurs avaient pourtant droit à leurs loges –vides- sur le plateau, soit des n°12, 13, 14, 15, 16 figurant bien sur la feuille de match mais condamnés à en rester spectateurs.

Psychose (Alfred Hitchcock 1960)

Exemple canonique du changement de personnage principal, la pauvre Marion Crane étant zigouillée au bout de vingt minutes. Ce n’est qu’à la toute fin et plusieurs victimes plus tard que l’on comprend de qui le film racontait l’histoire : pas tant celle de Norman Bates que celle du propre effroi du spectateur, effroi qui prend la couleur de la complicité (avoir suivi Marion dans son vol et dans sa fuite), complicité immédiatement punie par les meurtres de Norman.  Somme toute, utiliser deux personnages principaux comme des leurres pour mieux démasquer le seul personnage qui au fond intéresse Alfred : son spectateur.

Bon, alors dans le foot, ça donnerait quoi le schéma de Psycho (schéma repris sur le versant schizophrène par Lynch dans Lost Highway 1996) ?  Un joueur star sorti ou blessé au bout d’un quart d’heure puis relayé par un obscur qui se transcende et se révèle aux yeux du monde. Ca doit bien exister dans les archives, mais comme ça, à chaud, pas d’exemple.

A moins que…. Sydney Govou lors de la Coupe du Monde 2006. Entrée superstitieuse et systématique à la 75e minute. Pas vraiment de saveur ni de poids dans le jeu, mais à chaque fois l’équipe gagne. Pour la finale contre l’Italie, Domenech se dit que quand même, les choses sérieuses commencent et le laisse en réserve. Pas de bol, coup de boule, défaite, drame national que l’on sait. Deux mois plus tard, revanche contre l'Italie, Govou titulaire plante deux buts, cinglants coups de couteau à la soi-disant « meilleure défense du monde ». Un gentil garçon qui se révèle un tueur : ça y est, on l’a trouvé, le Norman Bates du foot.

Boulevard de la mort  (Quentin Tarantino 2007)

Un cascadeur sur le retour drague quatre beautés qui finissent massacrées à la mi-temps du film. Coach Quentin fait alors rentrer un nouveau posse féminin qui prend son éclatante revanche dans un deuxième round lancé à toute berzingue. Ou la guerre des sexes sous forme de match aller-retour, équilibré en temps (une heure chacun) mais pas en impact : victoire éclatante des filles par un fun et un speed qui parviennent à conjurer la tragédie initiale quand le mâle n’a plus que sa pauvre testostérone pour pleurer.

Une sale histoire (Jean Eustache 1977)

Quelque part, une matrice du précédent tant dans la césure que dans la thématique (hommes, femmes, mode d’emploi, voyeurisme, vice et désir). Un homme (Michael Lonsdale) raconte sa sale histoire, mais dans la théâtralité de ses mots choisis. Ca recommence. Un autre homme (Jean-Noël Picq, présenté comme le protagoniste "réel" de l’histoire) raconte la même histoire, mais dans la veine crue du documentaire direct. mais dans cette répétition (aussi bien une sale histoire qu’une histoire sale), brouillage entre remplaçant et titulaire, entre « modèle » et « comédien », entre « document » et « fantasme ».  Entre « l’acteur » et le « modèle », lequel paraît le plus naturel, le plus sincère. In fine, lequel remplace l’autre ?  Montrer la « fiction » avant le « document », c’est aussi établir un jeu de miroir qui renvoie à l’essence même du récit « trop obscène pour être vrai » mais « trop vécu pour avoir été fantasmé ».

Cet obscur objet du désir (Luis Bunuel 1977)

Confusion entre titulaire et remplaçant, suite…  Toujours fuyant, jamais fixé, « l’obscur objet » ne peut être qu’à faces multiples, et partant avoir un double visage : deux actrices pour le même personnage de Conchita. Le plus étrange, c’est que finalement, cette substitution alternative de l’une par l’autre sans explication rationnelle (au gré des séquences) ne gêne finalement personne aussi bien dans le film que dans la salle. Obscur désir dès lors qu’il a deux visages d’anges…

Equivalence « poste pour poste » qui rappelle le dogme de Louis Van Gaal quand il entraînait le Barça : disposer de deux équipes A, chacune, qui plus est, composée de onze internationaux, deux équipes de stars, deux équipes interchangeables…. comme les deux stars en devenir, les deux visages d’Angela Molina et Carole Bouquet. Ou comment passer de La femme et le pantin (dont le film de Bunuel est une adaptation) à deux femmes et deux fois onze pantins.

Mulholland Drive (David Lynch 2001)

Variante de la situation précédente mais avec une combinatoire de substitutions des plus retorses : non seulement  deux actrices pour le même nom de star (Camilla Rhodes), mais aussi deux actrices qui jouent chacune deux personnages. 

Le conte lynchien, de coups de dés en battements d’ailes qui sont autant de déplacements psychanalytiques, tricote et détricote le rêve hollywoodien, comme un rêve cruel qui peut vous transformer star un matin, serveuse de fast-food l’après-midi. Symptôme de la star brutalement ramenée à la réalité qui résonne curieusement avec les débuts malheureux de Jean-Pierre Papin au Milan AC (saison 1992-1993) : ruminant sur le banc sa splendeur passée de l’autre côté des Alpes. Voilà ce qui arrive à ceux qui croient Berlusconi …

Et pour en revenir au Lynch, le souvenir d’une tribune de Kaganski  dans les Inrocks « Mulholland Life » remarquant que sept ans après les faits, l’effet le plus spécial du film restait son influence vénéneuse sur la carrière de ses deux actrices : Naomi Watts (en bas dans Le cercle 2003) étant devenu qui l’on sait quand Laura Elena Harring continuait à végéter entre téléfilms et films de séries plus ou moins exportables. Comme si l’émergence d’une star s’accompagnait nécessairement , en miroir, d’un destin marqué par la frustration. Comme si derrière chaque star se tapissait, dans son ombre, sa doublure inconnue…

Bon, ben voilà, Kim Jee-Won, si ça peut t’aider…

jeudi 17 avril 2008

Mots filmés

Au cinéma, chaque mot compte. La preuve !


MONOSYLLABES:

Dieu est dans les détails et la direction d'acteurs va parfois se nicher jusque dans la prononciation d'une seule syllabe. Les Coen héritiers de Feydeau, maniaque de la ponctuaction de chaque "Ah !" et chaque "Oh !" ? Et si Fargo (1996), leur film le plus pur, ne se condensait qu'en quelques interjections ?

Toujours dans le registre des "digests in 5 seconds", je ne me lasse pas de cet excellent parallèle et puis celui de Scarface est aussi assez bêtement jouissif.



FLOW:

Dans ce petit exercice d'admiration (que je ne partage pas totalement à propos de ce film d'ailleurs, mais peu importe) autour de Pulp Fiction, c'est surtout la transformation de chaque syllabe en corps sautillant qui saute aux yeux. Pas tant un film d'action qu'un film où la parole est action. Pas franchement original de dire qu'on y flingue finalement plus avec l'impact des mots qu'avec celui des balles, mais c'est encore plus manifeste dans cette animation.





En passant, j'espère que vous n'avez pas oublié ce merveilleux clip où la musique paraissait naître de la pulsation même des signes des mots. Clip d'ailleurs introuvable sur Youtube et Dailymotion, ce qui nous vaut ce genre d'hommage désabusé.


KARAOKE:


De cette alliance des mots, de leur signe et de la musique, nous arrivons naturellement aux deux extraits qui avaient inventé le karaoké avant le karaoké.





Uccellacci et Uccelini (Pier Paolo Pasolini 1966)





Tirez sur le pianiste (François Truffaut 1960)

vendredi 28 décembre 2007

Mon année érotique (Rétro 07 # 3)

Zoe Bell étendue sur le capot vrombissant de la Dodge de Boulevard de la mort (Quentin Tarantino), amazone à la fois alanguie et rugissante, c’est l’image la plus étonnamment érotique de l’année… mais d’un érotisme paradoxal : « non dénudé » et cependant puissamment évocateur, si ce n’est provocateur. Ravages de la suggestion et du contact des textures : le métal hurlant de la monture contre le corps ardent de la cavalière.
Cette juxtaposition et ces contrastes de postures languides et de sensations ardentes, je le trouve assez proche de l’érotisme que l’on rencontre dans la peinture de Balthus…
… et quand on dit Balthus, on pense à son disciple cinématographique Eric Rohmer…
La Marquise d’O (1975)

Rohmer, justement, dont son dernier opus Les Amours d’Astrée et Céladon, explore avec autant de vice languide que de délice alangui cette fausse innocence des drapés et des étoffes masquant les chairs pour mieux révéler leur potentiel érectile. Innocence (vraiment ?) et perversion (involontaire vraiment ?) toujours dans ce petit jeu consistant à aiguiser le mauvais esprit du spectateur par la marc-dorcelisation de la production (jeunes filles v vêtues de linges diaphanes dans les vieilles pierres du château) ou par plus d’un sous-entendu grivois glissé dans le dialogue. Si l’on ajoute à cela, la fausseté calculée du jeu des comédiens (c'est donc ça, la Rohmer’s touch ?), il y a plus que jamais le frisson de croire que décidément, un film de Rohmer, ce n’est pas loin d’un film porno sans les scènes de cul. Plutôt que de regretter cette pensée, plutôt que d’en être effrayé, peut-être peut-elle nous mettre sur la piste de ce qu’il y a de si précieux dans l’histoire d’Astrée et Céladon : le danger que les cœurs purs courent à se masquer à eux-mêmes leurs désirs qui affleurent en le recouvrant d’un voile aussi hypocrite qu’une feuille de vigne sur du Michel-Ange. L’obscénité demeure sans doute dans le déni plutôt que dans le kitsch dont ses détracteurs affublent Rohmer. Et l’œuvre de l’immense Eric (de grandes chances que ce soit son dernier film) de se conclure sur un chassé-croisé où la chambre des amants filmée comme un pur labyrinthe de rideaux et de désirs devient le théâtre de charnelles retrouvailles.

Enfin, parmi mes visions DVD de l’année, souvenir ému de La guerre est finie (Alain Resnais 1965) au cours duquel on trouve une étonnante scène d’amour, où plutôt de fantasme de scène d’amour, engendré par une simple et innocente caresse (là encore « vraiment ? » s’interroge le censeur)…
… scène d’amour quasi abstraite, toute entière basée sur des réminiscences tactiles et épidermiques. Une scène qui comme, rarement au cinéma, associe contact superficiel de la peau, la persistance mémorielle et l’incontrôlable du fantasme. Là encore, pas de nu « apparemment désirable » à l’image et pourtant vertige devant cet érotisme qui touche à l’ascèse.
Possible d’ajouter à ces exemples deux autres « scènes d’amour tout habillé » : la scène de première fois cadrée sur le flot des cheveux blonds recouvrant le visage de l’adolescent de Paranoid Park (Gus van Sant) ainsi que les rapprochements et caresses d’une gaucherie assumée entre Emmanuel Mouret et Virginie Ledoyen dans Un baiser s’il vous plaît (Emmanuel Mouret). Autant d’exemples pour dévoiler une part du secret du réel érotisme cinématographique. D’abord, proposer un éventail de textures et de matières (métal de la carrosserie, drapé volage, cheveux, derme, épiderme, pull angora…) pour bien exacerber les sensations tactiles et surtout, surtout : à la chair, préférer le cutané.

samedi 16 juin 2007

Quand on est fétichiste....

... il faut l'être vraiment et ne pas se laisser aller aux approximations.
Car contrairement à ce qu'indique le haut de la page 18 des derniers Cahiers du Cinéma
Ces pieds....

... que l'on voit apparaître sous toutes les coutures à la sixième minute de Jackie Brown...

... n'appartiennent pas à Pam Grier mais à Bridget Fonda ou plus vraisemblablement à sa doublure, puisque dans la suite de la scène...

... pas moyen d'apercevoir aussi nettement ses orteils.

mardi 12 juin 2007

Débouchage d'yeux

Non, je n’avais rien vu au romantisme de Boulevard de la mort. La faute à la Croisette de la mort ?... Repentir immédiat !

La lumière se rallume et tout penaud, je m’incline : « ben, oui, finalement, il est bien ce film ». Comment se fait-il qu’en deux semaines et deux visions, mon avis sur un film fluctue-t-il à ce point ? Pourquoi ai-je pris énormément de plaisir à la deuxième vision de Boulevard de la mort alors que la première m’avait ennuyée à mourir ? Etait-ce ma recherche d’antidote à l’hystérie cannoise qui me faisait élire d’emblée les films calmes et déprécier les films « tapageurs » ? La faute à la rallonge de 17 minutes de la version cannoise qui aurait suffi à délayer le film ? Avais-je cédé trop vite à la périlleuse tentation de brûler ce que j’avais précédemment adoré ?
Comme il était quand même impossible d’en vouloir à Quentin, je me raccrochais à l’incontestable : une super BO (mais ne serait-ce pas la moindre des choses, maintenant que nous nous y sommes habitués, cher Quentin), les génériques de début et de fin fétichistes, sensuels et malicieux et le morceau de bravoure de la poursuite finale, le meilleur moyen de ressentir le frisson d’expériences fort enivrantes, fort tentantes mais jamais reportées, suite à leur haut degré de risque : chute libre avec oubli de parachute ou sniffage de douze lignes de coke consécutives. Certes, tout cela, c’est déjà pas mal, mais ça ne suffit pas à faire un film. Telle était ma ligne de défense…
Spontanément, mes deux moments préférés de tous les Tarantino sont parmi les moins spectaculaires de sa filmo : le tout début et la toute fin de Jackie Brown. Le visage de Pam Grier, une fois de profil, une fois de face, une fois muette, une fois qui chantonne, et deux fois la même chanson (Across 110th street de Bobby Womack).

Un visage et une chanson, rendus dans toute leur rondeur et leur plénitude, et ça suffit à ressentir toute l’intensité d’un regard amoureux du réalisateur pour son actrice.
Et des moments comme ça, Boulevard de la mort en est rempli à ras bord et aucun de ces moments n’avaient imprimé ma mémoire. J’avais les yeux bouchés ou quoi pour ne pas apprécier :

Les plantes des pieds de Rosario Dawson qui ne demandent qu’à être chatouillées.
Le regard médusé de Vanessa Ferlito devant les phares éblouis et qu'elle comprend que la mort va lui surgir dans la gueule.
Les « I’m soooo sooooorrrryyyy » susurrés par Lee, la pom-pom girl en chef,
La prière « Don’t finish in dead end » psalmodiée par Tracy Thoms au volant.
Le « or something » lâché laid back pour toute réponse de Jungle Julia à la réponse « Are you famous or someting ? ».
And above all, her majesty Zoë Bell « as herself », en amazone rugissante sur le capot de la Dodge Challenger. Et puis ce geste incroyable de la part de Quentin : offrir un tel rôle à Zoë Bell, starifier la doublure d’Uma dans Kill Bill, et remettre la travailleuse de l’ombre en pleine lumière. Un geste d’amour incroyable, si godardoannakarinien, un geste qui à lui seul vaut bien un film.

And so on… On pourrait multiplier les exemples à l’envie tant chaque membre du posse féminin est bien servi par le regard du réalisateur, suivant sans doute le souhait fantasmatique de Tarantino qui voudrait que chaque scène, chaque réplique, chaque seconde de son œuvre soit culte. Mais tous ces petits moments, fétichisés à l’extrême, dessinent derrière le blockbuster d’action, un monument fleur bleue, un précis de romantisme contemporain, une sorte de carte du tendre de l’ère pop.

Cher Quentin, peut-être ton film vient-il trop tard pour moi. L’aurais-je vu à 14 ans, il m’aurait fait gagner du temps. J’aurais enfin su de quoi parlent les filles entre elles, pendant que nous autres, idiots de garçons, nous autres qui n’y connaissons rien aux bagnoles, avons le dos tourné.
L’aurais-je vu à 14 ans, il m’aurait permis de savoir que pour faire fondre les canons, il n’y a rien de plus simple que de leur offrir l’« Italian Vogue » du mois et qu’elle sont dix fois plus sensibles aux K7 enregistrées qu’aux CD gravés.
L’aurais-je vu à 14 ans, sa dimension fleur bleue, elle m’aurait beaucoup plus parlé. L’aurais-je vu à 14 ans, l’aurais-je sans doute mieux cerné, vraiment apprécié à sa juste valeur, sans arrière-pensées malveillantes.

Cher Quentin, l’ambivalence de ta démarche justifierait-elle la versatilité de mon jugement ? Quentin, on sait bien que tu es le roi des petits malins, des roublards patentés, mais qu’au fond, tu restes d’une sincérité rare. On sait bien que tu ne fais que citer, recycler et que pourtant tu aboutis à des moments de pure innocence, comme filmés pour la toute première fois. Pour faire valoir tes expérimentations narratives, tu es obligé de prendre sur toi toute la crétinerie de l’entertainment. Cher Quentin, je t’avais prédit un destin à la Wenders : être le cinéaste icône d’une décennie, le gourou ultra-cinéphile invoquant le cinéma comme un dieu, recyclant et fabriquant l’air de sa propre époque, mais paraître soudainement hors du coup la décennie suivante. Désolé pour moi, mais le « devenir Wim » de Quentin n’est pas encore pour cette fois.
Depuis quand n’avais-je pas été excédé ou dérouté par un film avant de reconnaître plus tard son intérêt et son importance ? Je pourrais citer des titres de Godard, Garrel, Tsaï Ming Liang, Oliveira ou Rivette. Le fait qu’un cinéaste mainstream rejoigne cette confrérie plus que subjective en dit long sur le paradoxe de ce film. Ce n’est pas parce qu’il est facile à voir qu’il est si évident à recevoir.
Cher Quentin, ton générique de fin, que j’avais quand même sauvé à la première vision offre la plus belle dénégation qui soit. « Laisse tomber les filles » chante April March en reprenant France Gall. Petit menteur, va ! Tu n’en crois pas un mot, toi qui filme si bien les filles, toi qui est le meilleur réalisateur d’action romantique. Tu n’y crois pas plus que Franck Black quand il hurle « This ain’t the planet of sound »…. alors que tous les disques des Pixies sont tombés tout droit de cette planète du son, planète bien éloignée de notre système solaire, planète que seuls quelques génies de la musique savent localiser.
Mon cher Quentin, on sait bien que tes films sont tombés de la planète du cinéma, mais la planète du son n’est jamais loin non plus dans ton inspiration. Maintenant, que tu as dépassé l’énergie et l’envie du rock, pour passer à la volupté et au velouté de la soul, lance-toi dans des grands films romantiques, des films où on retrouvera intact nos frissons et nos sensations d’amours adolescents.


(rassurez-vous les filles, Quentin vous laissera jamais tomber!)