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lundi 29 septembre 2025

Je est un autre (Joël Alessandra)

[...] L'homme aux semelles de vent.


À 20 ans Arthur Rimbaud arrête définitivement la poésie et s'en va se perdre sur les chemins d'Afrique. Alessandra part aujourd'hui sur ses traces pour nous ramener le carnet de route que le poète maudit n'a jamais dessiné. Une belle invitation au voyage où les aquarelles font écho aux vers du poète.

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L'auteur, l'album (160 pages, août 2025) :

On ne connaissait pas encore Joël Alessandra, un bédéiste voyageur qui a vécu à Djibouti et déjà suivi les traces d'André Gide au Tchad ou d'Amin Maalouf au Moyen-Orient.
Il n'est donc pas très surprenant qu'il nous invite ici à suivre les pas d'Arthur Rimbaud dans la Corne d'Afrique, entre Aden et Djibouti, à « Bab-el-Mandeb, la 'porte des larmes'. C'est le détroit qui fait communiquer la mer Rouge et l'océan Indien ».
Voici ses carnets de voyage : Je est un autre1.

Le canevas :

Arthur Rimbaud n'a pas vingt ans (vingt ans !) quand il arrête définitivement d'écrire de la poésie et, en 1876, s'engage dans les troupes coloniales jusqu'aux Indes Néerlandaises de Java, puis se fait déserteur pour Alexandrie, Chypre, le Canal de Suez, Djeddah, et enfin Aden et le Harar, une région du nord-est de l'Éthiopie où il s'essaie au commerce de café et d'armes.
« Ma journée est faite ; je quitte l'Europe. L'air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. »2
« Je suis arrivé dans ce pays après vingt jours de cheval à travers le désert de Somalie. Harar est une ville colonisée par les Égyptiens et dépendant de leur gouvernement. »3
Rimbaud n'a que 26 ans quand il arrive dans la ville sainte de Harar. On l'appelle Ato Rimbo, il fréquente une femme abyssine quelque temps, Mariam, est-ce celle d'un dernier poème ? 
Mais du Harar, la postérité littéraire n'aura droit qu'à quelques lettres du poète maudit échangées avec les siens.
« Rimbaud n'a plus écrit, non ... pas de vers de fin de vie ... son dernier poème date de 1874, il est mort en 1891. »
« Moi, je crois qu'il a continué la poésie ... dans sa tête. »
Alors 140 ans plus tard, Alessandra s'imagine un double de papier (comme en écho au titre de l'album1), un autre Joël qui part à la recherche d'un hypothétique dernier poème, même un dernier vers seulement, écrit par celui que Paul Verlaine surnomma « l'homme aux semelles de vent », celui que Paul Delahaye appela « le voyageur toqué ».
« Une chimère ! Une drôle de quête ! Je crois bien que ce voyage est finalement un prétexte. Une échappatoire. [...] Fuir, en somme. Et si fuir était une bonne chose ? »

♥ On aime beaucoup :

 Joël Alessandra est un « poète discret des cases et des encres », c'est ce qu'en dit l'écrivain djiboutien Idris Youssouf Elmi dans sa postface.
Il fallait du culot pour s'intéresser à ce monument de la littérature, à ce poète maudit qui n'écrivait plus. Pour aller questionner la poésie des Soufis jusque dans leurs villes saintes.
Mais le magnifique carnet de voyage qu'en a rapporté Alessandra, c'est un peu celui que Rimbaud n'a jamais dessiné, les images qui peuplaient sans doute ses visions à l'époque, où le khat avait remplacé l'absinthe, dans une région où les maisons et les habitants n'ont peut-être pas tellement changé.
 On tient là un bel et gros objet, 160 pages de papier épais où se déploient les aquarelles d'Alessandra, à couper le souffle : de véritables peintures aux chaudes couleurs exotiques d'autant que la mise en page est un peu celle d'un roman graphique qui laisse place à de belles planches et même de doubles-planches.
Une très belle invitation à la poésie du voyage et des rencontres que l'on reviendra feuilleter souvent comme un album photos, celles d'un beau voyage que l'on vient de faire en compagnie de Joël et du fantôme d'Ato Rimbo.
___________________
1 : le titre est celui d'une phrase célèbre de Rimbaud dans sa Lettre du Voyant à Paul Demeny (1871)
2 : extrait de Une saison en enfer (1873)
3 : extrait d'une lettre d'Arthur Rimbaud datée du 13 décembre 1880 

Pour celles et ceux qui aiment la poésie des rencontres.
D’autres avis sur BD Gest et Babelio.
Album lu grâce aux éditions Daniel Maghen (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.  

lundi 15 septembre 2025

Lire Lolita à Téhéran (Azar Nafisi)

[...] Cette histoire leur avait plu, voilà tout.


Entre l'essai littéraire et le récit autobiographique, la professeure Azar Nafisi nous invite à réviser nos classiques et la révolution iranienne.

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L'auteur, le livre (432 pages, mai 2024 chez Zulma, 2004 chez Plon et 2003 en VO) :

Azar Nafisi est née en 1947 à Téhéran dans une famille privilégiée et lettrée (son père fut maire de Téhéran lorsque le Shah régnait et reçut la Légion d'honneur des mains de De Gaulle). 
Après avoir été exclue de l'université où elle enseignait la littérature occidentale puis réintégrée, elle finira par démissionner et réunira clandestinement chez elle quelques jeunes femmes, tous les jeudis matin pendant près de deux ans, notamment pour leur faire Lire Lolita à Téhéran.
En 1997, elle choisira l'exil aux États-Unis.
Ce livre autobiographique raconte cette expérience et un film (un peu décevant) en a été tiré cette année, réalisé par l'israélien Eran Riklis avec Golshifteh Farahani dans le rôle de l'auteure et professeure Azar Nafisi.
Un film qu'il faut sans doute relier au Cercle des poètes disparus ou au Sourire de Mona Lisa.

À l'heure où les femmes afghanes ont volé la vedette aux iraniennes, à l'heure où certains voudraient ré-écrire des œuvres du passé jugées non conformes et où d'autres voudraient interdire le port du voile chez nous, il n'est peut-être pas inutile de lire ou relire Azar Nafisi. 
La traduction de l'anglais (États-Unis) est signée par Marie-Hélène Dumas.

Le pitch et ... les livres :

Laissons Azar Nafisi nous résumer elle-même ses mésaventures de professeure iranienne :
« À l’automne 1995, après avoir démissionné de l’université, j’ai décidé de me faire plaisir et de réaliser un rêve. J’ai choisi sept de mes étudiantes, parmi les meilleures et les plus impliquées, et je les ai invitées à venir chez moi tous les jeudis matin pour parler littérature.
Le séminaire avait pour thème les rapports de la fiction et de la réalité.
Nous lisions les classiques persans, comme Les Mille et Une Nuits de Schéhérazade, notre dame de la fiction, et ceux de la littérature occidentale, [...] ceux de Jane Austen, de Nabokov et de Flaubert. »
Au cœur de cet érudit gynécée littéraire, les meilleurs moments sont sans doute les arrivées des jeunes femmes le jeudi matin, chacune leur tour, quand elles retirent leur uniforme imposé, voile et robe sombre, dévoilant les couleurs de leurs vêtements occidentaux. 
« Quand elle a enlevé sa robe et son foulard, je suis restée pétrifiée. Elle portait un T-shirt orange rentré dans un jean moulant, et des bottes marron, mais le plus impressionnant était encore la masse luisante de cheveux brun foncé qui flottait maintenant autour de son visage et qu’elle secoua de droite à gauche. »
Bien loin d'être une simple collection d'anecdotes personnelles, le livre, découpé en plusieurs parties ou sections, est un véritable essai littéraire : n'oublions pas que l'auteure est tout de même professeure de littérature !
Chaque épisode est l'occasion de décortiquer minutieusement l'un des grands romans de la littérature étasunienne (heureusement Wikipédia nous propose d'excellents résumés !) et de nous immerger dans l'une ou l'autre des périodes de la révolution iranienne

 La première partie est consacrée à la Lolita de Nabokov, à Téhéran c'est la fin des années 90 avant que Azar Nafisi ne quitte l'Iran pour les US, c'est l'épisode du fameux gynécée littéraire.
À première vue le parallèle est assez limpide : si Humbert (le héros solipsiste de Nabokov) tentait de façonner sa Lolita à l'image de sa fiction sexuelle, les imams iraniens voulaient modeler les femmes du pays selon leur propre fiction.
« Un régime totalitaire qui s’introduisait constamment jusque dans les moindres recoins de nos vies privées et nous imposait sa fiction sans pitié. »
Fiction, c'est bien le mot-clé pour Azar Nafisi et c'est le thème de ses séminaires, de ses conférences et de son enseignement littéraire.
Quand à l'âge de la trop jeune Lolita victime de son prédateur...
« Cette enfant, si elle avait vécu sous la République islamique, aurait été depuis longtemps bonne à être mariée à des hommes plus vieux que ne l’était Humbert. »
 Lorsqu'elle s'attaque à Gatsby (Le magnifique de Fitzgerald), l'auteure revient sur la révolution islamique des années 79 et c'est peut-être la partie la plus intéressante où l'on va redécouvrir ces événements, vécus de l'intérieur.
 Ce sera ensuite le tour de l'écrivain Henry James et des années 80, celles de la guerre Iran-Irak et des raids aériens sur Téhéran.
 Enfin, nous revoici dans les années 90, Khomeiny est décédé, réactionnaires et réformistes s'affrontent sans que s'améliore beaucoup la condition des iraniennes et le lecteur retrouve le gynécée littéraire qui entreprend cette fois l'étude des romans de Jane Austen, avant que vienne le temps de l'exil.

♥ On aime :

 On peut s'étonner du succès de cet ouvrage atypique qui tient plus de l'essai littéraire que du classique récit autobiographique. Il faut se laisser promener entre deux par la très belle plume d'Azar Nafisi, qui laisse son lecteur picorer de ci ou de là, mais j'avoue en avoir appris beaucoup plus sur la littérature que sur l'Iran. 
Peut-être parce que l'auteure se met délibérément en retrait des convulsions politiques qui ont secoué son pays.
Mais c'est assurément un livre écrit au féminin, avec ces jeunes iraniennes au cœur d'une histoire racontée par une femme qui s'intéressent beaucoup aux personnages féminins des romans des auteur(e)s cité(e)s plus haut.
 Et puis bien sûr, il est impossible de ne pas succomber au charme de ces étudiantes et leur professeure, celles qui ouvrent et referment le livre, ce gynécée littéraire, ce cercle des poétesses disparues [clic et clac]. 
C'est avec elles que l'on va (re-)découvrir les grands classiques de la littérature anglo-saxonne et/ou (re-)visiter les épisodes de la révolution iranienne.

Pour celles et ceux qui aiment les femmes et la littérature.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Zulma (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.  

vendredi 28 mars 2025

La maison des portes (Tan Twan Eng)


[...] Il n’y avait pas de secrets.

Direction la Malaisie pour un bel hommage à Somerset Maugham et à la splendeur passée des colonies britanniques.

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L'auteur, le livre (384 pages, mars 2025, 2023 en VO) :

Tan Twan Eng est un écrivain d'origine chinoise mais il est né en Malaisie en 1972. Il vit désormais en Afrique du Sud à Cape Town. Plusieurs de ses livres ont déjà été traduits en français.
Dans ce nouveau roman, La Maison des Portes, il met en scène le célèbre écrivain William Somerset Maugham (un peu has-been aujourd'hui mais c'est l'occasion de le (re-)découvrir) qui a longtemps sillonné l'Asie du Sud-Est et qui signa plusieurs nouvelles dont celle qui donna, dans les années 20, son titre au recueil intitulé Le sortilège malais
Maugham était connu pour être homosexuel mais aussi appointé comme espion par l'Intelligence Service.
[...] Le paquet s’est déchiré et j’ai vu apparaître le coin d’un livre. J’ai détaché le papier pour lire le titre : Le Sortilège malais, de W. Somerset Maugham.
La table des matières énumérait une demi-douzaine de nouvelles. J’ai feuilleté le livre pour arriver à la dernière. En lisant à voix basse le premier paragraphe, j’ai été transportée instantanément en Malaisie. 
Je n'ai pu moi-même résister à l'appel du large et au plaisir de découvrir cette époque, cet écrivain et ce pays méconnus.
La traduction de l'anglais (Malaisie) est signée par Philippe Giraudon.

Le canevas, les personnages :

Sur la véranda d'une belle maison coloniale de Penang, où à l'heure dite "le gong du dîner retentit et vous invite à gagner la salle à manger", il y a là Lesley et Robert Hamlyn, des britanniques charmants qui accueillent dans les années 1920 le célèbre écrivain Somerset Maugham et son amant-secrétaire Gerald.
Dans les années 1910, ces hôtes charmants avaient même fréquenté Sun Yat Sen, le révolutionnaire chinois malchanceux (jusqu'à cette époque du moins : il finira tout de même par fonder le Kuomintang et présider la nouvelle république chinoise !). 
Mais si, en apparence, les Hamlyn semblent former un couple parfait, qu'en est-il réellement ?
Et quel est le secret de cette maison des portes ?
[...] Les murs s’ornaient de battants de porte peints de fleurs et d’oiseaux, ou de montagnes embrumées.
— Je les ai prises dans des boutiques et des temples qu’on allait démolir, expliqua Arthur. J’ai toujours éprouvé un tel sihm-tnhia… 
Il se servit du mot hokkien pour « peine de cœur ». 
—… à l’idée qu’on allait en faire du bois de chauffage. Un jour, je me suis dit : pourquoi ne pas les acheter ? Ma grand-mère m’avait laissé cette maison, qui était restée vide. C’est l’endroit où j’entrepose mes portes.

♥ On aime beaucoup :

 Tan Twan Eng nous offre un bel hommage aux années 20, à Somerset Maugham, à la splendeur passée du Commonwealth, au charme désuet et rétro des colonies britanniques.
Il n'est plus très fréquent aujourd'hui de lire une belle prose classique : le style du roman est lui-même un hommage à Somerset Maugham, écrivain du siècle passé.
On peut évoquer L'histoire Birmane de Eric Arthur Blair (alias George Orwell) mais là où Orwell se montrait ironique et caustique, Tan Twan Eng nous invite plutôt à siroter "whiskys stengah et gins pahit" sur la "véranda profonde et ombreuse" de ces colons britanniques où il fait si bon vivre, si l'on veut bien ne pas lire entre les lignes.  
 Ce roman rend un bel hommage aux œuvres de Somerset Maugham et il y sera donc beaucoup question de relations dysfonctionnelles (comme on dit aujourd'hui) au sein de couples de la bonne société. L'homosexualité sera aussi largement évoquée, un sujet que Maugham évitait soigneusement dans ses œuvres, époque oblige.
[...] — Personne ne verrait rien d’extraordinaire à ce que des hommes comme vous restent célibataires toute leur vie. 
— Après ce qui est arrivé au pauvre… Oscar Wilde ?
 Tout le roman est inspiré d'histoires vraies (y compris le procès de Ethel Proudlock) et c'est une lecture qui permet de découvrir la société britannique et ses colonies, la Malaisie, l'écrivain Somerset Maugham, les premiers soubresauts révolutionnaires en Chine et Sun Yat Sen.
[...] —Je ne puis qu’approuver Sun d’avoir choisi Penang pour y installer son quartier général. On y trouve des banques anglaises pour transférer des fonds partout dans le monde, un service de télégraphie et un…réseau de transport considérable.
—Vous parlez comme un vrai espion, dit Lesley en lui jetant un regard oblique.
Avec une très belle fin, toute au service de la magnifique héroïne de ce roman un peu mélancolique : Lesley.
[...] Nous avions réussi l’impossible : notre liaison était restée secrète. Personne n’était au courant , personne ne se doutait de quelque chose. Au fil des ans, le souvenir de tout ce que j’avais partagé avec lui ne s’effaça pas, mais ses contours pâlirent peu à peu, devinrent flous, si bien qu’il m’arrivait souvent d’avoir l’impression que nous n’avions jamais eu de liaison, que ce n’était qu’une histoire que j’avais trop lue et relue autrefois, au point que je n’aurais su dire quand la fiction cédait la place au souvenir, ni quand le souvenir se fondait avec la fiction.

Pour celles et ceux qui aiment les colonies.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Flammarion (SP).
Ma chronique dans les revues Actualitté et Benzine.

lundi 2 septembre 2024

L'invisible Madame Orwell (Anna Funder)


[...] Son œuvre à lui est devenu son objectif à elle.

La réhabilitation de l'épouse d'Orwell. Dans ce procès à charge, la condamnation du système patriarcal genré est sans appel qui veut qu'une bonne épouse réunisse toutes les conditions nécessaires à l'épanouissement essentiel du génie d'un artiste. 

L'auteure, le livre (496 pages, septembre 2024, 2023 en VO) :

On ne connait guère Anna Funder, auteure d'un ou deux bouquins ayant comme décor l'histoire récente de l'Allemagne (elle est née en Australie mais a vécu à Paris, San Francisco et Berlin).
Elle s'attaque ici à l'histoire du couple Orwell : on y découvre Eileen O'Shaughnessy, la femme d'Eric Blair, le génial auteur de 1984, dans une très surprenante entreprise de réhabilitation de l'épouse de l'écrivain occultée par l'Histoire. Un travail rigoureux, édifiant, qui étonnera plus d'un lecteur et qui démonte un à un les mécanismes de notre société culturelle patriarcale. 
[...] En 2005, ont été découvertes six lettres de la première épouse de George Orwell, Eileen O’Shaughnessy, à sa meilleure amie, Norah Symes Myles, datant de la période de son mariage avec Orwell, entre 1936 et 1945.
[...] Six lettres d’Eileen à sa meilleure amie, Norah Symes Myles, ont été découvertes en 2005 parmi les affaires de son neveu, après que les biographies eurent toutes été écrites.

♥♥♥ On aime vraiment beaucoup :

 George Orwell fut "l'un des hommes les plus lus et les plus influents de son siècle" (selon l'un de ses biographes, Jeffrey Meyers). Ce siècle qui a façonné notre monde d'aujourd'hui. Le lecteur curieux ne peut donc que se montrer ravi d'approcher une nouvelle fois cet écrivain mythique, surtout quand on lui propose d'entrer chez lui au bras de son épouse, un angle d'approche plutôt original.
Cela va sans dire mais disons-le tout de même : tout cela se lit comme un roman !
 Mais ce lecteur curieux va vite être surpris par l'angle d'attaque choisi par Anna Funder : car c'est bien une véritable attaque en règle, sans concession, efficace, qui va chercher (et parvenir !) à démontrer l'effroyable effacement de la personnalité de Eileen O'Shaughnessy - une femme intellectuelle, libérée, émancipée - dans l'ombre ou le sillage de son auteur de mari.
Eileen va devenir l'Ange au foyer, celle que Virginia Woolf avait, de son propre aveu, tuée de ses propres mains : [...] Si je ne l’avais pas tuée, écrit Woolf, c’est elle qui m’aurait tuée. Elle aurait arraché le cœur de mon écriture.
 La démarche d'Anna Funder est riche d'enseignements : elle analyse les biographies d'Orwell et les lettres de ses proches d'une manière méthodique et rigoureuse, féroce et terriblement efficace. 
Elle va jusqu'à nous inviter dans la chambre à coucher du couple Orwell. 
Elle décortique les photos comme les textes, jusqu'à la syntaxe utilisée par les biographes du génial Orwell : l'usage du "on", de la forme passive, ... 
Elle démonte pièce par pièce toute la mécanique (la plupart du temps inconsciente) qui vise à oblitérer le rôle de l'épouse de l'écrivain, à occulter les côtés sombres de la personnalité de Eric Blair, alias George Orwell, qui fut un impardonnable égoïste dans son rôle de mari, inconsciemment, en toute "innocence", comme la plupart des hommes de son époque (notre époque ?).
 Même si l'on se fiche un peu aujourd'hui - on dirait qu'il y a prescription devant l'oeuvre ? - que le génial écrivain fut ou non un triste sire (un incorrigible séducteur, un drôle d'imposteur, ... cochez la case vous concernant - plusieurs réponses possibles), on ne peut qu'être en admiration devant le minutieux et rigoureux travail littéraire réalisé par Anna Funder. 
Son approche (herméneutique) est vraiment époustouflante, sa démonstration réellement brillante.
Mais la vraie puissance de son bouquin, le véritable tour de force, c'est qu'en miroir de cet impressionnant travail d’exégèse, on ne peut qu'être subjugué par l'énormité de la mécanique qui est ainsi démontée sous nos yeux : on a rarement l'occasion de réaliser ce dont est capable notre société culturelle, de mesurer la puissance d'une telle entreprise d'occultation systématique de l'épouse (ici, celle d'un artiste).
 On sait bien que ce sont les vainqueurs qui ont écrit l'histoire, mais le propos d'Anna Funder est pour le moins ironique et paradoxal quand on songe qu'il s'agit de l'auteur qui mit en scène dans 1984, le Miniver, le ministère de la vérité, chargé de remanier les archives du passé pour les faire correspondre aux attentes du pouvoir ! 

Le canevas :

Le bouquin est à la fois une biographie du couple Orwell que l'on va suivre dans ses pérégrinations et sa vie de bohême : la Guerre d'Espagne, le misérable cottage de la campagne anglaise, un autre sur l'île de Jura, les vacances au Maroc, le Blitz de Londres, ... et en même temps une analyse fouillée des textes et biographies précédents pour mettre au jour les véritables rôle et personnalité de Eileen O'Shaughnessy, l'épouse de l'écrivain.
Eileen O’Shaughnessy rencontre Eric Blair en 1935 et l'épouse un an plus tard. 
Elle décédera en 1945 (on ne vous en dit pas plus mais c'est dramatique à pleurer, la séquence émotion du bouquin, si, si).
Si Anna Funder réussit à rendre son livre agréable et passionnant, c'est tout de même une lecture exigeante tant la brillante démonstration flirte souvent avec l'essai philosophique.
[...] Son œuvre à lui est devenu son objectif à elle.
[...] C'est agréable d’être dans le sillage de quelqu’un de si talentueux.
S'il vous manquait encore quelques motivations pour vous plonger dans cet étonnant bouquin (et peut-être relire les œuvres d'Orwell), sachez également que 1984 est tout de même le titre d'un poème de dame Eileen et que c'est elle qui eut l'idée d'écrire sous forme de fable animalière le premier véritable succès d'Orwell : La ferme des animaux.
L'analyse d'un autre écrit d'Orwell  "Hommage à la Catalogne" sur la Guerre d'Espagne en dit long sur l'invisibilité de l'épouse, laissons le dernier mot pour Anna Funder :
[...] J’avais reconstitué le séjour d’Eileen en Espagne, pourtant je me sentais toujours perplexe à l’idée d’avoir lu deux fois "Hommage à la Catalogne" sans avoir compris qu’elle était là.

Pour celles et ceux qui aiment comprendre.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Héloïse d'Ormesson (SP).
Mon billet dans le magazine Actualitté, Benzine et dans 20 Minutes.
Peut-être aussi l'occasion de découvrir Julia, le roman de l'américaine Sandra Newman qui parait cet été chez Robert Laffont et nous propose une version féministe de ... 1984 justement.

dimanche 28 novembre 2021

Les heures furieuses (Casey Cep)


[...] Qu'était-il advenu du livre de Harper Lee ?

    L'auteur, le livre (400 pages, 2021, 2019 en VO) :

Casey Cep est une journaliste américaine et Les heures furieuses est son premier roman. Dans le style "non-fiction" elle s'attaque à un mythe littéraire : Harper Lee !

    On aime :

❤️ La prose de Casey Cep, éclairante et méticuleuse, adossée à un gros travail patient de journaliste ce qui nous donne quelques belles digressions sur l'Histoire des États-Unis : les débuts de l'assurance-vie, la diffusion du culte vaudou, et cette ségrégation que les états du sud tardent un peu à abandonner ....

      Le contexte :

Comme celui de la page blanche, le syndrome Harper Lee est bien connu : le premier roman de l'auteur est un best-seller qui connait un grand succès. Mais ce premier roman sera le dernier de l'écrivain désormais incapable de produire une autre ligne, sans doute étouffé par un succès trop rapide ou trop précoce.
C'est ce qui arriva donc à Harper Lee après son trop célèbre roman Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur.
Avec Les heures furieuses, la journaliste Casey Cep prend le sujet par un autre angle, celui d'une enquête : Harper Lee a forcément écrit un autre manuscrit, d'autant que quelques années après son premier roman à succès, elle avait bien pris soin d'assister à un autre grand procès à la fin des années 70 toujours en Alabama, un sujet en or et donc la trame idéale pour ce fameux second roman.

      L'intrigue :

Le 18 juin 1977, le révérend noir William Maxwell est abattu de trois balles de revolver devant des centaines de témoins réunis pour les obsèques d'une victime du révérend.
Le "pieux révérend" était quand même soupçonné de plusieurs meurtres et une rumeur persistante lui attribuait des pouvoirs vaudous.
[...] Trois cent personnes avaient assisté à la scène. La plupart étaient présentes aujourd'hui à son procès, non pour découvrir les raisons de son acte - tout le monde les connaissait, et certains s'étonnaient que personne ne l'ait commis plus tôt - mais pour comprendre la troublante série de décès qui avaient précédé celui dont ils avaient été témoins.
Malgré la quantité de témoins, l'assassin avéré du révérend diabolique sera finalement acquitté !
Casey Cep s'attaque donc à un double mystère : ces procès aux verdicts surprenants et ce qu'aurait pu être le second roman d'Harper Lee sur ces procès.
[...] Si la question qui captivait la salle d'audience ce jour-là était de savoir ce qu'il adviendrait de l'homme qui avait abattu le révérend Willie Maxwell, un autre mystère captiverait les esprits des décennies encore après le verdict ; qu'était-il advenu du livre de Harper Lee ?
C'est dense, copieux mais jamais indigeste grâce à une écriture fluide et agréable : l'auteure visiblement passionnée, réussit à nous inviter comme des jurés aux procès et à nous intéresser à ses (vrais) personnages, à l'histoire de cet Alabama ségrégationniste et rétrograde, et pour finir à la romancière Harper Lee.
Une première partie du bouquin est consacrée à l'énigmatique révérend noir soupçonné d'avoir tué ses épouses et plusieurs de ses proches pour toucher leurs assurances-vie, un serial-killer avant l'heure.
[...] La mort du révérend Maxwell : trois mariages, cinq parents décédés dans des circonstances étranges, aucune condamnation, et un homme qui avait finalement mis un terme à tout ça dans la chapelle ce jour-là.
La seconde partie nous donne rendez-vous avec l'avocat Tom Radney, un blanc progressiste (un profil rare en Alabama !) qui avait obtenu les fameux acquittements du révérend ... et qui, à la surprise générale, obtiendra également celui de son assassin ! Un procès encore plus surprenant que ceux imaginés par les meilleurs romanciers.
Ces deux histoires (celle du révérend et celle de l'avocat) sont savoureuses et fort bien racontées mais avouons que l'on est venu là pour Harper Lee tout de même : c'est donc le sujet de la seconde moitié du bouquin enfin consacrée à l'auteure et son mystérieux deuxième roman.
C'est une véritable biographie de Nelle Harper Lee, depuis son enfance avec un petit voisin nommé Truman Capote. On découvrira d'ailleurs qu'Harper Lee fut l'assistante de Capote pour son enquête sur le true-crime De sang froid et que la contribution de la dame fut essentielle à ce monument littéraire.
On y apprend beaucoup de choses sur l'écriture du roman de T. Capote (de quoi donner une furieuse envie de le ressortir de la bibliothèque) et sur celle de l'Oiseau Moqueur bien sûr, mais aussi sur la dépression d'Harper Lee qui suivit son immense succès et enfin sur la genèse d'un second roman qui ne verra jamais le jour.
[...] Pour quiconque la connaissait, c'était depuis longtemps une évidence. Lee n'éprouvait pas seulement des difficultés à écrire son deuxième roman; elle éprouvait des difficultés à vivre.
[...] Pendant dix-sept ans après la publication de Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, les lecteurs se demandèrent ce que Lee écrirait ensuite; au cours des années qu'elle passa à frapper aux portes des habitants du lac Martin, certains savaient précisément ce
qu'elle écrirait, mais se demandaient quand. Beaucoup connaissait le titre. Une femme déclara même avoir vu une jaquette de livre.
[...] Finalement, les rumeurs au sujet du révérend s'apaisèrent, comme elles l'avaient toujours fait. À ce moment-là, après tout, il était mort depuis près de quatre décennies, et son avocat depuis cinq ans. Et bientôt, la femme qui essaya d'écrire leur histoire s'éteindrait aussi.
C'est le premier roman de la journaliste Casey Cep et il connait un grand succès, bien mérité. Aïe aïe aïe, espérons que cette jeune auteure ne sera pas victime à son tour du syndrome Harper Lee !

Pour celles et ceux qui aiment les procès et la littérature.
D’autres avis sur Bibliosurf.

jeudi 4 février 2021

Du rififi à Wall Street (Vlad Eisinger)

[...] Certains détails ne seraient peut-être pas rigoureusement exacts, mais tout serait vrai.

Exercice de style et paradoxe littéraire : c'est à quoi s'est livré le franco-américain Antoine Bello avec ce bouquin, Du rififi à Wall Street.
Un pastiche de la série noire (le titre !) et un hommage aux grands de ce genre, des deux côtés de l'Atlantique, les Hammett, Chandler, Malet, Manchette et consorts. 
[...] Tom est dos au mur. En l'espace d'une semaine, il a été cambriolé, tabassé et on a égorgé son agente. Il n'est pas pressé de découvrir ce que lui réserve la prochaine étape.
Un curieux personnage que ce monsieur Bello : polytechnicien précoce, homme d'affaires français installé aux US, fasciné par les vraies fabulations et les faux mensonges, proche de la mouvance des "objectivistes" un courant de pensée voisin des libertariens, fondé par Ayn Rand où l'on retrouve les partisans du plus pur laissez-faire capitaliste comme Alan Greenspan (l'ex-patron de la FED) ou Jimmy Wales (le fondateur de Wikipédia).
Le bouquin est une construction alambiquée à plusieurs étages (un bouquin dans le bouquin dans le bouquin), l'auteur est un habitué de l'exercice.
En prologue (et en épilogue) Antoine Bello lui-même prétend avoir reçu un manuscrit expédié par un ami (Vlad Eisinger qui lui sert donc ici de pseudo) et nous propose donc de découvrir cette histoire.
Un roman où Vlad Eisinger raconte son enquête dans les milieux d'affaires US des câblo-opérateurs.
Poursuivi par les avocats et les sbires des puissants dont il entend dénoncer les malversations, Eisinger tente une pirouette en mettant en scène un écrivain, Tom Capote (hommage à Truman C.) qui raconte son enquête dans les milieux d'affaires US du pétrole et de la fracture hydraulique. 
Poursuivi par les avocats et les sbires des puissants dont il entend dénoncer les malversations, Tom Capote ... etc.
Aaaargh ! Il faut s'accrocher mais Antoine Bello connait son affaire : sa construction savante est farcie d'humour, d'auto-dérision, de références littéraires, on se régale !
[...] — Tu remontes d'un cran en racontant l'histoire du type qui a écrit le premier livre. Mon salaud, il fallait y penser ! Songeuse, elle ajouta :
— Je me demande si tu pourras rééditer le coup une troisième fois ?
[...] Il se trouve que mon arme à moi consiste à brouiller les frontières entre la fiction et la réalité. Je ne sais faire que ça.
Et puisque l'on parle de bouquin(s) dans son bouquin, il pousse même la coquetterie jusqu'à citer des critiques littéraires (journaux, blogs, ...) de ces romans (pas vraiment le sien, ceux qu'il met en scène, mais bon, le lecteur n'est pas dupe) :
[...] L'intrigue tient sur une carte postale, les personnages sont taillés à la hache, le style utilitaire, mais l'ensemble dégage une vitalité irrésistible.
[...] Je n'arrivais pas à trouver le résultat mauvais. Appuyé, racoleur, simpliste peut-être, mais pas mauvais.
[...] Un hommage au roman noir, pour déboucher sur une interrogation plus vaste du caractère sacré du langage et des pouvoirs de la littérature. 
L'élégance, c'est que ces vraies-fausses critiques sont tout à fait judicieuses et appropriées, bien sûr !
Quelques longueurs (du fait des emboîtement gigognes) mais nécessaires pour qu'à mi-parcours le roman prenne son véritable envol.
Un polar original, amusant et bien mené, qui a le mérite de nous faire découvrir ces fameux "objectivistes" (l'un des personnages en fait partie) dont on pourrait bien reparler puisque nous sommes loin d'en avoir terminé avec le trumpisme.

Pour celles et ceux qui aiment les constructions tordues.
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samedi 28 novembre 2020

Les fantômes de Mahattan (Roger Jon Ellory)

[...] Croire qu'un livre avait le pouvoir de changer une vie.

Encore un roman de ce grand écrivain contemporain qu'est le britannique Roger Jon Ellory [clic]. 
L'histoire (ou plutôt les histoires imbriquées) d'Annie, une jeune libraire new-yorkaise, un peu esseulée, qui voit débarquer un homme mystérieux qui lui remet quelques lettres de son père qu'elle n'a pratiquement pas connu et quelques chapitres d'un non moins mystérieux manuscrit.
[...] Ce désespoir silencieux qui était pour Annie la marque des solitaires.
[...] - Comment avez-vous connu mon père ?" demanda Annie, dont les mots avaient du mal à se frayer un chemin jusqu'à sa bouche. Elle sentait sa poitrine se serrer, comme si elle retenait ses larmes depuis longtemps.
L'homme eut un clin d'œil à son adresse.
- Ah ça, ma chère, c'est une très longue histoire ..."
Avouons qu'on a eu du mal à rentrer dans ce bouquin. Il nous a fallu un peu de persévérance pour supporter la bluette entre Annie, la jeune midinette et David, un bel inconnu, bien mystérieux lui aussi.
[...] Les premiers rayons du soleil filtrant à travers la fenêtre, la manière dont ils découpaient sur le lit le corps de David endormi, la tiédeur du soleil sur sa peau - tout paraissait intemporel, éternel, inoubliable. [...] Un moment Kodak pour le cœur.
Non mais franchement Mr. Ellory ?!
Le bouquin était pourtant taillé pour le succès : une libraire et des livres, un roman dans le roman, y'avait là de quoi faire gloser pendant des mois les amateurs de littérature sur les réseaux sociaux.
Paradoxalement, l'histoire dans l'histoire, le mystérieux manuscrit dont on découvre des extraits au fil de l'eau, est plutôt réussi et ce sont ces pages dans les pages qui nous tiennent en haleine. C'est sans doute l'effet recherché.
[...] Ce meurtre tu le regrettes pas. Non, le meurtre lui-même, tu ne le regrettes jamais. Ce que tu déplores c'est de t'être fait prendre. Vous connaissez l'existence du onzième commandement : Tu ne te feras point prendre. Là-dessus j'ai merdé.
De manière assez prévisible, on se doute bien que les deux histoires finiront par se rencontrer mais les dernières pages cachent encore une autre petite surprise, une cerise sur la gâteau.
Ce bouquin, écrit en 2004, est l'un des premiers de R.J. Ellory mais il n'a été traduit en français qu'en 2018, sans doute pour profiter de la renommée acquise entre temps par l'auteur.
C'est tout de même l'occasion de rappeler deux excellents romans écrits un peu plus tard : Seul le silence, bien sûr, mais aussi Les neuf cercles.
[...] - Il semblerait qu'un livre passe par vingt paires de mains au cours de son existence.

Pour celles et ceux qui aiment les belles histoires bien racontées.
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mardi 17 mai 2016

Trois jours avec Norman Jail (Eric Fottorino)

[...] J’ai été employé aux écritures.

La vérité sur l'Affaire Norman Jail ?
Oui mais que dire de ces Trois jours avec Norman Jail ?
Que dire de ces trois heures passées avec Eric Fottorino ?
Ça commençait plutôt bien, et c'est même ce qui nous a piégé, parce que le bonhomme sait écrire : il n'est pas journaliste et directeur du Monde pour rien.
Les effets sont enfilés avec brio mais comme des perles dont l'éclat aurait été terni, le brillant épuisé, d'avoir été passées d'un collier à un autre puis à un autre encore.
[...] La majorité était alors fixée à vingt et un ans. Il tenait à devenir, avait-il prétendu, un écrivain mineur.
[...] Lire me plaisait. C’était comme rêver les yeux ouverts.
[...] Vous y verriez une ironie du sort. Le plus clair de mon existence, j’ai été employé aux écritures.
[...] L’auteur s’était épuisé plus encore que son livre.
Mais justement son bouquin parle (trop) du travail d'écriture : un sujet battu et rebattu, qui fera à coup sûr les unes de la blogoboule, un thème qui ne sent peut-être pas la finale du prix qu'on court mais tout au moins l'épreuve éliminatoire, peut-être même le match de gallinacées et très certainement l'entrainement par équipe sous le maillot gallimard (Fottorino est mordu de vélo).
Pendant de trop longues pages et d’interminables chapitres, les premiers jours passés avec Norman Fottorino s'étirent en longueur pendant qu'il nous raconte, les affres de l'écriture, de l'écrivain, de son stylo et de sa page blanche.
Avec brio mais sans grande originalité. Tout a déjà été dit et redit, du moins sur ce ton là, et n'est pas Bukowski qui veut, qui osait se mettre à nu, au propre comme au figuré.
Le personnage de Norman Jail est plein de suffisance et - même si ce caractère désagréable annonce bien entendu la chute - on n'est pas loin de penser que l'auteur finira par ressembler à sa créature.
Dans ce registre où les écrivains parlent des écrivains, Norman Jail a beau se dire lui-même buvard, on est très très loin du charme discret du premier roman de Julia Kerninon et en dépit d'un dénouement qui se donne des allures de polar, on est également très loin de l'auto-dérision haletante de l'Affaire Harry Québert.
Et puis, Fottorino le dit lui-même, le lecteur n'aime pas trop qu'on lui démontre les tours de magie des écrivains et préfère rester sur sa naïve surprise : ô bravo, mais d'où lui est venue cette tournure-là, ô joli, mais de quel chapeau ou stylo sort-il cette belle phrase aux oreilles de lapin, ...
L'écriture comme la prestidigitation doit rester un peu secrète et la voici étalée et décortiquée sur des dizaines de pages.
[...] Un roman réussi est un tour de magie.
[...] Vous ne savez pas bien comment l’auteur a fait, et si vous le saviez, le charme serait brisé.
Alors oui, le spectateur est bien déçu. Le show est bien rodé, les éclairages sont professionnels, la musique est de qualité, alors on reste dans la salle jusqu'au clou du spectacle : un retournement que même le lecteur le plus inattentif a vu venir de loin mais Norman Fottorino n'est pas avare de son métier et nous ressert encore un ou deux twists, des rappels en quelque sorte.
Mais nos applaudissements ne sont guère enthousiastes, comme son livre : de convenance et sans chaleur.

Pour celles et ceux qui aiment les écrivains
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vendredi 4 septembre 2015

La mort lente de Luciana B. (Guillermo Martinez)

Meurtres en série aléatoire.

Déception que cette Mort lente de Luciana B. de l'argentin Guillermo Martinez .
En dépit d'un début prometteur dans le style un peu suranné d'Edgard Poe, la mort lente sera plutôt celle du lecteur.
[...] Ses romans, dès les premiers paragraphes, éblouissaient, tels les phares d'une automobile sur la route, et l'on découvrait trop tard qu'on s'était transformé en un lièvre terrifié, figé et palpitant, incapable de faire autre chose que de continuer à tourner les pages, hypnotisé.
Deux écrivains, l'un est célèbre, l'autre est jaloux.
Tous deux font dans l'exercice de style et la construction alambiquée : crimes parfaits et probabilités mathématiques, jeux de musiques, de go et de hasard seront au menu.
Entre ces deux hommes, au centre du terrain de jeu, une jeune et jolie femme qui joue les dactylos et les séductrices.
Le plus tordu de ce trio infernal n'est pas celle ou celui qu'on pense ou plus exactement, le lecteur se retrouve bien seul face à trois esprits tordus (sans compter l'auteur, le vrai !).
Alors qui manipule qui ? Qui mène le jeu ? Des trois histoires, des trois points de vue, quel est le délire le plus paranoïaque ? Combien y'a-t-il de 'vérité(s)' ? Mais y'en a-t-il seulement une ?
Malheureusement le livre souffre de la froideur théorique de sa construction même : trois personnages sans chaleur, pas un de plus, une écriture qui s'avère finalement assez plate et un dénouement très en-deçà de ce que l'on avait cru entrevoir.
La savante mise en abyme (j'écris un livre sur un gars qui écrit un livre sur un gars qui écrit un livre sur ...) apparait bien vaine et les réflexions sous-jacentes sur l'écriture et son rapport au réel apparaissent bien nombrilistes.

Pour celles et ceux qui aiment les délires paranoïaques.
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mardi 6 janvier 2015

Le liseur du 6h27 (Jean-Paul Didierlaurent)

Attention à la marche en descendant du train.

C’est B. qui nous a fait inscrire sur la liste de nos envies, celle d’un trajet en compagnie du Liseur de 6h27, roman du vosgien Jean-Paul Didierlaurent(1).
Un bouquin autour duquel on tournait déjà depuis un petit moment puisqu’il alimente de nombreux blogs depuis quelques mois.
La recette de ce succès est désormais bien connue : un titre intriguant, une prose facile mais élégante, un brin d’érudition, pas mal d’humour voire d’autodérision, un ancrage dans le réel d’aujourd’hui, une nette empathie pour les ‘gens’ en général voire quelques éclopés de la vie en particulier, …
Et si en prime votre bouquin parle de … bouquins, alors vous êtes assuré de faire la une de la blogoboule.
Mais le fait que la recette soit connue ne doit pas nous empêcher de reprendre une assiette de ce plat savoureux.
Nous voici donc confortablement assis dans le RER (j’ai dis une bêtise ?). À la station suivante, c’est Guylain Vignolles qui monte dans la rame.
Et il se met à lire, c’est le liseur du 6h27.
Jusque là, rien que du normal et du banal.
Oui mais, Guylain n’est pas un liseur de RER comme les autres : Guylain lit quelques pages à haute voix, forçant l’attention de ses covoiturés …
[…] Pour tous les voyageurs présents dans la rame, il était le liseur, ce type étrange qui, tous les jours de la semaine, parcourait à haute et intelligible voix les quelques pages tirées de sa serviette. Il s’agissait de fragments de livres sans aucun rapport les uns avec les autres. Un extrait de recette de cuisine pouvait côtoyer la page 48 du dernier Goncourt, un paragraphe de roman policier succéder à une page de livre d’histoire. Peu importait le fond pour Guylain. Seul l’acte de lire revêtait de l’importance à ses yeux. Il débitait les textes avec une même application acharnée. Et à chaque fois, la magie opérait.
Effectivement, c’est le secret de la recette quand elle est bien réussie, la magie opère : on pense à Le Guern, le crieur de nouvelles de Fred Vargas.
Très vite Guylain aura lui aussi son fan club :
[…] - Attendez, je ne fais que lire des morceaux de textes, des pages volantes qui n’ont pas de rapport entre elles. Je ne fais pas de lecture de livres.
- Ah ! non mais ça on sait. Ça ne nous gêne pas, au contraire ! c’est même mieux. C’est moins monotone et puis au moins, si le texte n’est pas intéressant, on sait que ça ne va jamais durer plus d’une page. Ça va bientôt faire un an que Josette et moi, on vient vous écouter dans le RER tous les lundis et jeudis matin. Ça fait un peu tôt pour nous mais c’est pas grave, ça nous force à sortir. Et puis comme c’est les jours de marché, on fait d’une pierre deux coups. »
Quelques pages et stations plus loin on apprendra que Guylain travaille au pilon dans une usine à broyer des livres (dont il sauve quelques pages évidemment, on l’aura compris). Cette fois ce sont les ombres bienveillantes de Lila K et de Blandine LeCallet qui planent au-dessus de cette histoire aux saveurs kafkaïennes.
[…] C’était bon de constater qu’il existait un autre monde […], un monde où les livres avaient le droit de finir leur vie douillettement rangés dans les casiers verts le long des parapets en vieillissant au rythme du grand fleuve sous la protection des tours de Notre-Dame.
La seconde partie du livre est moins originale où Guylain découvre (sur clé usb pour faire branché) le journal d’une dame-pipi d’un centre commercial. Journal qu’il se met à lire au fil des rames. Il se mettra aussi à la recherche de la dame(-pipi).
Une bluette humoristique dans la veine de La liste de mes envies , du Mec de la tombe d’à-côté ou du Hérisson, avec des vraies gens dedans ou du moins ce qu’on imagine être des vraies gens … parce que fort heureusement il va s’avérer que la dame-pipi n’est (je cite) ni une vieille femme revêche, ni une ivoirienne rigolarde en boubou, ni une gamine au crâne rasé et couverte de piercings.Le tout est donc à ranger au rayon du easy-reading et du feel-good-booking ! Un petit livre sans prétention à lire agréablement pour se mettre de bonne humeur … dans le métro ou le RER, parce que :
[…] Lorsque le RER s’arrêta en gare et que les gens quittèrent leur wagon, un observateur extérieur aurait pu sans peine remarquer à quel point les auditeurs de Guylain détonnaient d’avec le reste des usagers. Leur visage n’affichait pas ce masque d’impassibilité qu’arboraient les autres voyageurs. Tous présentaient un petit air satisfait de nourrisson repu.
Sans bouder ce plaisir, on se dit que les deux parties du bouquin auraient peut-être gagné à être retaillées (ou à rester taillées ?) en deux petites nouvelles plus aigües.
(1) - oui, l’auteur lui aussi, tout comme son héros Guylain Vignolles (et non pas Vilain Guignol) avait des parents facétieux : pauvre gars qui doit se faire engueuler chaque fois qu’il répond gentiment à la question : bon, alors, nom, prénom ?  …


Pour celles et ceux qui aiment lire dans le métro ou le RER.
D’autres (nombreux !) avis sur Babelio.

dimanche 12 octobre 2014

L’écrivain national (Hervé Joncour)

La promenade de Narcisse en forêt.

Rentrée littéraire, bouquin à la mode d’un écrivain à la mode, blogs dithyrambiques, … on aurait dû se méfier de L’écrivain national.
Pourtant le pitch était prometteur : un écrivain est invité dans une petite ville de province (réceptions, signatures, ateliers, lectures, cocktails) et se retrouve à côtoyer un fait divers dans une ambiance chabrolienne.
Une disparition mystérieuse ou un meurtre ? Un règlement de compte crapuleux ou l’élimination d’un gêneur ? 
Serge Joncour et son héros (ils ne font qu’un) ont franchi le périph’ et se sont mis en tête de découvrir, pire : de nous faire découvrir, la France profonde. Celle des forêts du Morvan. Celle des notables et des bourgeois, celle où parfois viennent trouver refuge des marginaux et des écolos.
L’auteur sait parfois trouver le bon rythme et nous préparer des saveurs des plus goûteuses :

[…] On suivait des routes onduleuses qui nous soulevaient chaque fois vers un nouveau panorama.
[…] Du côté des pâturages, là où l’on produisait de la viande rouge et du fromage blanc.

Une plume appliquée qui vire quelques paragraphes plus loin à la pire des catastrophes, de celles qui sentent à plein nez les ateliers d’écriture, ceux que justement Serge Joncour évoque dans ses rendez-vous littéraires de province :

[…] Le tragique vient de ne pas anticiper l’inéluctable.
[…] Il ne suffit pas de dire vrai pour que le livre soit sincère.
[…] Elle avait bien trop la couleur du drame pour ne pas être mon soleil masqué.

Passent encore ces prétentions de plumitif qui a oublié parfois de se relire car le rejet vient encore plus sûrement de l’autodérision ironique des premières pages qui se révèle très vite n’être qu’un incorrigible narcissisme. Le jeu tourne court, il n’en reste que le je.
Serge Joncour se met en scène jusqu’à l’écœurement, apitoyé sur son propre sort et celui de son double, héros ou miroir :

[…] En plus d’être isolé, je n’avais personne pour s’apitoyer sur mon sort.

Malgré toute la bonne volonté du monde, il est bien difficile de s’intéresser au sort du héros et de son auteur, de se laisser prendre un moment par une histoire d’amour à peine crédible, de se pencher avec un peu d’empathie sur des personnages falots, de rester captivé par une intrigue policière bien mollassonne. Sans doute une lecture qu’il fallait prendre à un second ou troisième degré que l’on n’a pas trouvé en dépit de nos efforts.
Livre lu grâce à Flammarion et à l’opération Masse Critique de Babelio (SP).


Pour celles et ceux qui aiment le Morvan.
D’autres avis plus positifs sur Babelio.


jeudi 5 juin 2014

Buvard (Julia Kerninon)

Au début était l’écriture.

Attention, jeune talent français.
La nantaise Julia Kerninon n’a que 27 ans mais vient de sortir un excellent premier roman : Buvard.
Et en s’attaquant à un sujet pas facile puisqu’il est question de littérature et d’écriture : beaucoup de choses ont été dites (et écrites !) là-dessus et il est toujours un peu casse-gueule de vouloir faire entendre sa voix dans un paysage déjà bien balisé.
Julia Kerninon réussit à tirer sa plume du jeu grâce en grande partie à son personnage principal, Caroline N. Spacek une écrivain(e) plus vraie que nature.
Une auteure à la réputation un peu sulfureuse, un peu secrète, un peu sauvage, recluse dans sa campagne, planquée à l’abri des regards indiscrets et fuyant les interviews intrusives, c’est la rançon de son grand succès.
Contre toute attente, un jeune homme épris de sa prose réussit à obtenir un rendez-vous avec la dame …

[…] L’interview s’est avérée tellement longue que ce livre en a découlé – puisque je suis arrivé chez elle un après-midi de juillet et reparti seulement en septembre, au terme de neuf semaines passées avec elle sous sa véranda à boire et parler et boire et parler et remettre inlassablement des piles dans le dictaphone.

Nous voici donc avec dans les mains un livre de Julia Kerninon avec dedans le livre du jeune Lou sur la romancière Caroline qui écrit des livres … Joli jeu de miroirs avec au centre, l’écriture, ses affres, ses douleurs, ses enchantements, on connait la chanson …
Julia Kerninon entonne son refrain sur cet air connu. Et fort justement, l’écriture  de la jeune nantaise est à la hauteur de son sujet.
Avec des petites phrases tracées pour faire mouche, parfois un peu convenues :

[…] Je l’écoutais parler et il me touchait – avec des mots – moi qui n’avais jusqu’ici été touchée que par des mains.

Mais le plus souvent éclairée de perles sublimes :

[…] Elle semblait vieillir au fur et à mesure de la journée, et je trouvais merveilleuse cette manière qu’elle avait d’être neuve tous les matins et vénérable tous les soirs, cette régularité qui faisait une boucle comme si sa vie n’arrêtait pas de recommencer pendant qu’elle me la racontait.

Durant ces quelques mois d’été naîtra une histoire d’intelligence (au sens premier) et presque d’amour(1) entre ce lecteur et cette auteure, un dialogue exploratoire où l’on découvrira chacun porteur d’un trop lourd passé :

[…] Nous avions survécu, vraiment. Elle avait écrit des livres et j’en avais lus, et nous étions là.

Et puis bien sûr on découvre ce métier, cette magie, cette passion qu’est l’écriture et qui semble plus tenir de la folie que de la vocation :

[…] J’étais confus, je me sentais désolé d’être cette personne qui voulait savoir comment s’écrivent les livres.
[…] Il n’en pouvait plus de me voir en train d’écrire toute la journée, il me rapportait des robes et du maquillage, il les déposait devant moi comme on attire les bêtes sauvages avec des fruits et du miel. Il aurait fait de moi une femme si je l’avais laissé faire, mais j’étais un écrivain.

L’aventure littéraire recèle également (et même fait corps avec) une belle histoire d’amour, tout aussi folle et passionnée.
Cette vraie-fausse biographie qui se dévore comme un polar, nous plonge au cœur des mystères de l’écriture. Caroline N. Spacek aura eu une vie et un métier passionnant.
C’est aussi le métier de Julia Kerninon : espérons que sa vie sera plus calme !

(1) - on vous laisse découvrir toute la subtilité de Julia Kerninon sur les relations entre ces deux personnages - c’est très fin et c’est l’un des charmes de ce bouquin très maîtrisé


Pour celles et ceux qui aiment les écrivains (et les femmes).
D’autres avis sur Babelio. Yue Yin et Cuné en parlent.




lundi 12 mai 2014

La ballade de Lila K (Blandine Le Callet)

1984+451=2090

On avait découvert Blandine Le Callet avec de curieuses épitaphes [clic].
Décidément, cette auteure entend nous secouer les neurones et bousculer un peu les structures classiques du roman : après les pierres tombales, voici La ballade de Lila K qui recèle bien des surprises déroutantes.
À commencer par le titre puisqu’il n’y a pas de point après le ‘K’, ce n’est pas une initiale, et surtout puisque Lila essaie de prendre son envol avec deux ‘L’ et ne nous convie pas à une promenade mais bien à écouter la complainte de sa vie.
À suivre par la forme du récit : une dystopie où 2090 serait le résultat d'une opération croisée entre 1984 et 451. Mais on aurait bien tort de s'arrêter à cette arithmétique réductrice : le propos n'est pas de nous décrire un monde orwellien de plus et l'on est bien loin d'un bouquin de SF à l'ancienne mode.
Il faudra même quelques chapitres avant de réaliser qu'on n'est pas exactement en 2014 : cette petite liberté permet juste à Blandine Le Callet de nous plonger non pas dans un futur improbable mais bien dans les travers les plus redoutables de notre monde bien actuel.
Lila est toute jeune lorsqu'elle est enlevée à sa mère et internée dans un centre de ré-éducation.
[…] – Quand tu es arrivée ici, il y a quatre ans, on ne nous a communiqué aucune information concernant ta maman. Ni son nom, ni son âge, ni même une photo. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue, Lila. Je suis désolé.
– Vous ne savez rien ! Il a secoué la tête avec tristesse.
– Quelques semaines après ton arrivée, on nous a informés que ta mère venait d’être déchue de ses droits maternels. C’est tout ce que l’on sait.
Sans plus d'explications, du fait de son isolement, à la fois souhaité et forcé (elle souffre de divers traumatismes dont une forte agoraphobie), ce n'est que peu à peu, par petites touches successives, que l'on découvre le paysage : le monde orwellien qui l'entoure, la maltraitance dont elle semble avoir été victime, d'autres ombres à éclaircir, d'autres mystères à percer, ... c'est presqu'un polar.
L'auteure évite judicieusement tout infantilisme : en dépit de son jeune âge, Lila parle, jure, cogne et pense comme une adulte, ça nous va bien et cela sert le sérieux du propos qui tient plus du conte philosophique que du récit initiatique.
Enfermée et isolée contre son gré, arrachée de force à sa mère, totalement inadaptée aux règles kafkaïennes qui semblent régir le monde inhumain hors des murs du ‘Centre’, ... Lila va-t-elle échapper à son sort, va-t-elle pouvoir se révolter et prendre en main son destin, retrouver sa mère, dépasser ses peurs et affronter ses propres monstres dans le placard ?
Tout au long du difficile apprentissage de Lila (au long de la bal[l]ade ...) on découvre en même temps qu'elle, le monde auquel elle va devoir s'adapter : pression sociale, grossesse conditionnée, vidéo-surveillance permanente, sexualité normalisée, prohibition hygiénique, eugénisme assurantiel, ... un monde à la recherche de toujours plus de conformité et de normalité, un monde où un mur nous sépare des déviants de la ‘zone’, un monde qui de toute évidence n'a rien à voir avec le notre, fort heureusement.
[…] – Qu’est-ce que vous comptez faire de moi, exactement ?
– Te rendre plus conforme. Plus banale, si tu préfères.
– Oh oui, Fernand, banale, je préfère : c’est tellement plus enthousiasmant ! Il a feint de ne pas remarquer l’ironie.
[…] À compter de ce jour, j’ai suivi son programme. Je me suis appliquée à devenir – du moins, en apparence – la fille normale et terne qu’il voulait que je sois. Ça n’a pas été simple. Je partais de très loin ; les efforts à fournir étaient considérables.
[…] À presque dix-sept ans, j’étais en mesure de singer parfaitement une personne normale. Je me coiffais chaque matin. Je ne dormais plus sous mon lit.
Mais on l'a dit, ce n'est pas un nième bouquin de SF et tout cela n'est que le décor volontairement un peu flou planté par Blandine Le Callet pour nous raconter le cheminement de sa Lila, à la recherche de son passé et de sa mère : cette Lila est une sacrée trouvaille, un personnage au cœur du roman (qui fait le roman), un personnage émouvant et passionnant, très attachant de la première à la dernière page.
Ajoutons que l'écriture de cette auteure est toujours aussi claire et limpide : une prose fluide et élégante, qui va tranquillement à l'essentiel, sans les affèteries et les coquetteries dont sont parfois coutumiers nos auteurs français.
Et puis aussi, il y a ces propos étranges et inquiétants sur les livres désormais numérisés dans le monde de Lila où un ‘vrai’ livre papier représente un trésor interdit.
[…] – Regarde bien, Lila. J’ai soudain vu le livre s’ouvrir entre ses mains, éclater en feuillets, minces, souples et mobiles. C’était comme une fleur brutalement éclose, un oiseau qui déploie ses ailes.
– Ça t’en bouche un coin, n’est-ce pas ? Je n’ai pas répondu. Je regardais ses gros doigts qui feuilletaient les pages, couvertes de signes noirs et de taches colorées.
– Eh bien, tu as perdu ta langue ?
– Comment dites-vous que ça s’appelle ?
– Un livre. C’est ce qu’on avait, avant les grammabooks.
– Et… qu’est-ce qu’il y a écrit là-dedans ?
– Cela dépend du livre. J’ai ouvert des yeux ronds. Je n’y comprenais rien.
– Laisse-moi t’expliquer : tu vois, avec un grammabook, on n’a qu’un écran vierge sur lequel vient s’inscrire le texte de ton choix. Un livre, lui, est composé de pages imprimées. Une fois que le texte est là, on ne peut plus rien changer. Les mots sont incrustés à la surface. Tiens, touche. J’ai posé la main sur la feuille. J’ai palpé, puis j’ai gratté les lettres, légèrement, de l’index. M. Kauffmann disait vrai : elles étaient comme prises dans la matière.
– Ça ne peut pas s’effacer ?
– Non, c’est inamovible. Indélébile. Là réside tout l’intérêt : avec le livre, tu possèdes le texte. Tu le possèdes vraiment. Il reste avec toi, sans que personne ne puisse le modifier à ton insu. Par les temps qui courent, ce n’est pas un mince avantage, crois-moi, a-t-il ajouté à voix basse. Ex libris veritas, fillette. La vérité sort des livres. Souviens-toi de ça : Ex libris veritas.

[…] Maintenant que je prenais le temps de comparer chaque article avec ce qu’il en restait après sa numérisation, je me rendais bien compte qu’il y avait un problème. Trop de coupes, parfois si pernicieuses qu’elles en arrivaient à inverser le sens du propos, ou à le rendre totalement incompréhensible.
Des propos inquiétants sur la numérisation et le contrôle qu’elle pourrait donner.
Ironie du roman, c’est à la TGB, la Très Grande Bibliothèque que se pratiquent ces coupes normalisatrices ! Quand on a suivi il y a quelques années [clic] la résistance acharnée de son ancien responsable (Jean-Noël Jeanneray) tout cela ne manque pas de sel !
Et puisqu’on a lu évidemment le livre de Blandine Le Callet sur notre liseuse électronique, on se demande inquiet, s’il ne nous faudrait pas acquérir sans tarder la version ‘papier’, histoire de vérifier qu’on n’a pas eu entre les mains une version expurgée …

Pour celles et ceux qui aiment les mères et les livres.
D’autres avis sur Babelio.

jeudi 5 décembre 2013

La vérité sur l’affaire Harry Quebert (Joël Dicker)


À vérité, vérité et demie …

La vérité sur l’affaire Harry Quebert ?
La vérité c’est qu’avec tout le bruit qui entourait ce bouquin, on ne l’aurait sans doute jamais lu si l’amie Véro ne nous l’avait pas prêté. On se méfie (parfois à tort) des engouements médiatiques et des emballements de la blogoboule.
Pour une fois on aurait eu bien tort : ce gros pavé (650 pages) est une bonne affaire. Une bonne affaire difficile à classer.
Inclassable ce roman qui parle de littérature, d’écriture et d’écrivain, qui s’étend sur les affres des auteurs devant leur page blanche. C’est plein d’humour et d’autodérision, une histoire comme seuls les américains juifs new-yorkais savent les écrire. On connait bien. Sauf que ?
Sauf que Joël Dicker est … suisse !
Chapeau l’artiste qui, encore tout jeune(1), sait reprendre et sans faute, le style de ses meilleurs confrères d’outre-Atlantique ! On s’y croirait vraiment.
Inclassable ce roman qui mélange les genres, roman littéraire, histoire d’amour ou comédie et puis polar ou thriller psychologique ! On navigue d’un style à l’autre, sans heurts et en douceur, et dès que la redite pointe le bout du nez, hop, on bascule d’un autre côté.
Haletant et hilarant. Un “page-turner” comme on se plait à la dire désormais : prévoyez une ou deux nuits blanches.
C’est donc (entre autres choses) l’histoire de deux écrivains : le vieux maître blasé de succès et le jeune ambitieux plein d’avenir. En 2008, plus de trente ans après leur première rencontre, le jeune Marcus est en panne d’inspiration, pressé par son agent et son éditeur de pondre à nouveau, après un premier et gros succès(2).
Histoire de se ressourcer, Marcus Goldman part retrouver son ancien mentor, Harry Quebert, dans une petite ville de province (Aurora, Massachussetts), dans la belle-maison-si-typique-de-l’écrivain-en-bord-de-mer.
Et hop, on bascule dans le polar : on découvre le squelette d’une jeune fille enterrée depuis trente ans dans le jardin de la résidence de Harry !
Un amour interdit de Harry qui fut jadis fou amoureux de Nola, une gamine de quinze ans (lui, en avait trente en 1975). Un amour qui aura mal finit (la jeune Nola fut donc assassinée) mais (et hop !) qui inspira un best-seller à Harry (on retrouve d’ailleurs le manuscrit avec le cadavre de l’adolescente et un mot d’amour et d’adieu).
[…] L’opinion publique était bouleversée : non seulement la présence du manuscrit parmi les ossements de Nola incriminait définitivement Harry, mais surtout la révélation que ce livre avait été inspiré par une histoire d’amour avec une fille de quinze ans suscitait un profond malaise. Que devait-on penser de ce livre désormais ? L’Amérique avait-elle plébiscité un maniaque en élevant Harry au rang d’écrivain-vedette ? Sur fond de scandale, les journalistes, eux, s’interrogeaient sur les différentes hypothèses qui auraient pu conduire Harry à assassiner Nola Kellergan. Menaçait-elle de dévoiler leur relation ? Avait-elle voulu rompre et en avait-il perdu la tête ?
Harry jure qu’il est innocent mais se retrouve en prison en attendant son procès. Marcus commence à enquêter sur les anciens évènements des années 70 et se promet d’innocenter son vieil ami.
Et hop, retour du côté de la littérature : pressé par son éditeur, Marcus se met à écrire un roman sur l’affaire Harry Quebert. Le bouquin dans le bouquin. Et hop, etc …
On passe d’un style à l’autre, d’une époque à une autre. C’est fluide et passionnant.
On frôle parfois le roman facile un peu cucul (alors c’est un écrivain qui mène une enquête …) mais non, Joël Dicker maîtrise bien son écriture et nous maintient en éveil tout au long de ce gros pavé.
Les amateurs de bons romans tout comme les fans de polars et d’enquêtes sont ravis ! Pour peu qu’on soit un peu des deux, c’est le bonheur !
Et comme on évoque une histoire à moitié littérature et à moitié thriller, sachez que Joël Dicker nous mène dans son bateau jusqu’au bout : à côté des rebondissements “policiers”, il faudra donc aussi compter sur des rebondissements “littéraires”. C’est d’ailleurs là tout le sel de ce roman.
Au fil de ces pages, Joël Dicker prend le temps de bien camper ses personnages, comme par exemple ce flic qui, en 2008, reprend l’enquête sous la pression de l’ami Marcus.
[…] - Mais ceci ne nous explique pas pourquoi il y a ce mot d’amour écrit à même le texte.
- C’est une bonne question, concédai-je. Peut-être la preuve que le meurtrier de Nola l’aimait. Devrait-on envisager la piste d’un crime passionnel ? Un accès de folie qui, une fois passé, pousse le meurtrier à écrire ce mot pour ne pas laisser le tombeau anonyme ? Quelqu’un qui aimait Nola et n’a pas supporté sa relation avec Harry ? Quelqu’un au courant de sa fuite et qui, incapable de l’en dissuader, a préféré la tuer plutôt que de la perdre ? C’est une hypothèse qui tient la route, non ?
- Ça tient la route, l’écrivain. Mais comme vous dites, ce n’est qu’une hypothèse et il va maintenant falloir la vérifier. Comme toutes les autres. Bienvenu dans le difficile et méticuleux travail de flic.
- Que proposez-vous sergent ?
On sent que le sergent Gahalowood et l’écrivain Marcus composent un tandem très ciné-génique.
[…] - Vous conduisez trop lentement.
- Je conduis prudemment.
- Cette voiture est une poubelle, sergent.
- C’est un véhicule de la police d’État. Un peu de respect, je vous prie.
- Alors c’est une poubelle d’État. Si on mettait un peu de musique ?
- Même pas dans vos rêves, l’écrivain. Nous sommes sur une enquête, pas en train de faire une virée entre copines.
- Vous savez, je le dirais dans mon livre, que vous conduisez comme un petit vieux.
-  Mettez la musique, l’écrivain, Et mettez-la très fort. Je ne veux plus vous entendre jusqu’à ce que nous soyons arrivés.
Je ris.
Fausses pistes, faux semblants, coups de théâtre, cadavres (oui, y’en aura même plusieurs) et rebondissements en tous genres, … On ne s’ennuie pas un instant et on tourne, tourne, tourne les pages, pressé de lire enfin les derniers mots de l’histoire, de découvrir qui se cache ou se cachait derrière tel ou tel masque … Et alors qui est ce Harry qui ne semble pas lui-même convaincu de sa totale innocence ? Et finalement cette jeune fille autour de qui tout le monde tournait, la jeune Nola était-elle aussi pure que le rêvait Harry, aveuglé par son amour ? Qui était réellement Nola ?(3)
[…] Depuis New-York, où elle reprenait avec un dévouement et une efficacité rares mes feuillets, Denise me téléphona un après-midi et me dit :
- Marcus, je crois que je pleure.
- Pourquoi cela, demandai-je.
- C’est à cause de cette petite, cette Nola. Je crois que je l’aime moi aussi.
Je souris et je lui répondis :
- Je crois que tout le monde l’a aimée, Denise. Tout le monde.
Oui, beaucoup trop de monde tournait autour du petit papillon Nola …
[...] - Et comment sait-on que l'on est écrivain, Harry ?
- Personne ne sait qu'il est écrivain. Ce sont les autres qui le lui disent.
Et bien, Joël Dicker, tout suisse que vous êtes, sachez que vous êtes un sacré écrivain et un habile faiseur de mélanges !
[…] - Pour un véritable écrivain. Écrivain c’est être libre.
Il se força à rire.
- Qui vous a mis ces sornettes en tête ? Vous êtes esclave de vos idées, de vos succès. Vous êtes esclave de votre condition. Écrire, c’est être dépendant. De ceux qui vous lisent, ou ne vous lisent pas. La liberté, c’est de la foutue connerie ! Personne n’est libre. J’ai une partie de votre liberté dans les mains, de même que les actionnaires de la compagnie ont une partie de la mienne dans les leurs. Ainsi est faite la vie, Goldman. Personne n’est libre. Si les gens étaient libres, ils seraient heureux. Connaissez-vous beaucoup de gens véritablement heureux ? (Comme je ne répondis rien, il poursuivit.) Vous savez, la liberté est un concept intéressant. J’ai connu un type qui était trader à Wall Street, le genre de golden boy plein aux as et à qui tout sourit. Un jour, il a voulu devenir un homme libre. Il a vu un reportage à la télévision sur l’Alaska et ça lui a fait une espèce de choc. Il a décidé qu’il serait désormais un chasseur, libre et heureux, et qu’il vivrait du bon air. Il a tout plaqué et il est partit dans le sud de l’Alaska, vers le Wrangler. Eh bien, figurez-vous que ce type, qui avait toujours tout réussi dans la vie, a également réussi ce pari-là : c’est devenu véritablement un homme libre. Pas d’attache, pas de famille, pas de maison : juste quelques chiens et une tente. C’était le seul homme vraiment libre que j’ai connu.
- C’était ?
- C’était. Ce bougre a été très libre pendant trois mois, de juin à octobre. Et puis il a fini par mourir de froid l’hiver venu, après avoir bouffé tous ses chiens par désespoir. Personne n’est libre, Goldman.
Ce n’est certainement pas le roman du siècle (l’écriture reste simple, l’histoire superficielle, les rebondissements divertissants et certaines figures un peu convenues) et l’engouement dont ce bouquin a été l’objet est certainement disproportionné, ok, mais voilà quand même un bon gros moment de plaisir. À ne pas bouder, même si le tapage fut assourdissant (plus de 450 avis sur Babelio ! pas tous d’accord avec nous d’ailleurs).
(1) - il n’a pas trente ans
(2) - passionnantes descriptions du milieu littéraire
(3) - on retrouve ici certains renversements de perspective comme ceux qu’utilise avec brio Pierre Lemaitre

Pour celles et ceux qui aiment lire la nuit.
D’autres avis (plus de 450 !!!) sur Babelio.

mardi 20 avril 2010

Le cercle littéraire des amateurs … (Mary Ann Shaffer & Annie Barrows)

84 bis Charing Cross road.

Beaucoup de points communs entre Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates et 84 Charing Cross Road.
Deux romans épistolaires anglo-saxons. Deux histoires au cœur de l'après-guerre. Deux amours ouvertement déclarés pour les livres et la littérature. Deux incontournables de la blogoboule.
Le premier était une correspondance incroyable mais vraie, celui-ci a été très récemment écrit par deux américaines : Mary Ann Shaffer(1) et Annie Barrows.
Dans les deux cas, le plaisir de la lecture est total et garanti.
En 1946, l'Angleterre qui se remet difficilement des années de Blitz et du chuintement des V2, court encore après les tickets de rationnement.
Au même moment, Guernesey s'ouvre à nouveau sur le monde, après cinq années noires d'occupation, d'embargo et de famine : les îliens n'avaient pas connu pire envahisseur depuis Napoléon.
S'ensuit une correspondance littéraire entre une auteure anglaise et les membres de ce fameux Cercle littéraire des amateurs de tourte aux épluchures de patate - en temps de guerre, on fait avec ce qu'on a.
Un club créé à l'origine pour donner le change à l'occupant nazi, dont les participants lisaient ce qui leur tombait sous la main et n'avait pas encore servi à allumer la cuisinière, de Sénèque à Catulle en passant par les Sœurs Brontë ou Shakespeare, et se sont finalement laissés happés par le plaisir de lire et de parler de leurs lectures.
Peu à peu sous les anecdotes frivoles et les souvenirs amusants percent les effroyables horreurs de la guerre.
Mine de rien et l'air de ne pas y toucher, les deux américaines nous plongent au cœur de ses années noires.
Dès que l'on a lu les deux ou trois premières lettres, impossible de lâcher le bouquin qui se dévore en quelques heures.
Dans la seconde partie du livre, toujours sous formes d'échanges de lettres, l'auteure anglaise débarque à Guernesey et découvre les membres du cercle avec lesquels elle correspond depuis plusieurs mois : c'est un véritable moment de bonheur, lorsque la dame descend du bateau vêtue de sa cape rouge prévue en signe de reconnaissance :
[...] Mon cœur tambourinait dans ma poitrine. J'ai essayé de me persuader que c'était à cause de la splendeur de la scène, en vain. Toutes ces personnes que j'en étais venue à connaître, et même à aimer, étaient là. Elles m'attendaient. Je ne pouvais plus me retrancher derrière une feuille de papier. Tu sais, Sydney, au cours de ces deux ou trois dernières années, je suis devenue plus douée pour écrire que pour vivre [...]. Sur le papier, je suis absolument charmante, mais c'est juste une astuce que j'ai trouvée pour me protéger. Ce n'est pas moi. Ça n'a rien à voir avec moi. Du moins, c'est ce que je pensais où la navette postale est arrivée à quai. Dans un accès de lâcheté, j'ai failli jeter ma cape rouge par-dessus bord pour passer inaperçue.
Quand nous nous sommes rangés le long de l'embarcadère, j'ai regardé les visages des personnes qui attendaient. Il était trop tard pour revenir en arrière. Je les ai reconnus d'après leurs lettres. J'ai d'abord vu Isola, avec son chapeau indescriptible et son châle violet épinglé d'une broche clinquante, regardant dans la mauvaise direction, un sourire figé sur les lèvres. Elle se tenait à côté d'un homme au visage ridé et d'un garçon long et anguleux. Eben et son petit-fils. J'ai fait signe à Eli [...].
On en vient presque à regretter parfois le format épistolaire tant on aimerait que cette formidable histoire prenne de l'ampleur. Et puis on se dit un peu plus loin que le changement de ton d'une lettre à l'autre permet justement au lecteur de respirer : il est quand même pas mal question des séquelles de la guerre.
L'ironie profondément humaine de ce livre nous permet de ricaner et de glousser entre deux souvenirs d'horreurs.
On avait été enchanté par quelques jours de rando le long des chemins côtiers de Jersey il y a quelques temps [photo de MAM ci-contre] ... nul doute que nous irons prochainement sur l'île voisine marcher dans les traces de Juliet !
Quelques perles pêchées dans la baie de Guernesey :
[...] Ma voisine, Evangeline Smith, va accoucher de jumeaux en juin. Comme elle ne semble pas transportée de joie à cette idée, je vais lui demander de m'en donner un.
[...] Suis-je trop difficile ? Je n'ai aucune envie de me marier pour me marier. Passer le restant de mes jours avec un être à qui je n'aurais rien à dire, ou pire, avec qui je ne pourrais pas partager de silences ?
[...] Je me demande comment cet ouvrage est arrivé à Guernesey. Peut-être les livres possèdent-ils un instinct de préservation secret qui les guide jusqu'à leur lecteur idéal. Comme il serait délicieux que ce soit le cas.
[...] C'est ce que j'aime dans la lecture. Un détail minuscule attire votre attention et vous mène à un autre livre, dans lequel vous trouverez un petit passage qui vous pousse vers un troisième livre. Cela fonctionne de manière géométrique, à l'infini, et c'est du plaisir pur.
[...] La tache rouge qui ressemble à du sang sur la couverture est bien du sang. Une maladresse avec mon coupe-papier.
[...] Je fréquente cette librairie depuis des années et j'y ai toujours trouvé le livre que je cherchais - et trois autres dont j'avais envie à mon insu.
[...] Lire de bons livres vous empêche d'apprécier les mauvais.
Un livre où l'on découvre quelques recettes originales ...
(1) : la santé déclinante de la vieille dame l'amènera à se faire aider par Annie Barrows pour terminer le livre avant sa mort.

Pour celles et ceux qui aiment les livres et les lecteurs.
Les éditions NIL publient ces 391 pages qui datent de 2008 en VO et qui sont traduites de l'américain par Aline Azoulay.
Bien sûr tout le monde en parle : Pisi, Edelwe, Nane, Mizzenmast, ...
D'autres avis sur Critiques Libres.
Le site presqu'officiel : The Guernsey Literary and Potato Peel Pie Society.