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jeudi 30 novembre 2023

Canicule (Jane Harper)

[...] Tu as menti. Sois présent aux funérailles.

    L'auteure, le livre (448 pages, 2017) :

L'australienne Jane Harper partage sa vie entre l'Angleterre et l'Australie.
Canicule (The dry en VO) est son premier roman paru en 2017, un premier polar très réussi qui lui a valu quelques prix et une belle renommée et qui, ma foi, supporte fort bien une seconde lecture (on n'avait pas commenté sa sortie en 2017).
Canicule inaugurait une série d'enquêtes menées par Aaron Falk, un flic de la brigade financière de Melbourne.

    On aime beaucoup :

❤️ On aime cette histoire qui tient plus du roman noir que de l'enquête policière. Une de ces histoires où l'on comprend rapidement que tout est réuni pour que ça finisse mal, que notre héros n'aurait pas du revenir dans ce village où il n'est pas le bienvenu, qu'il ne fallait pas venir remuer la poussière et le sable du désert sous lequel le passé est enterré.
[...] — Vous enquêtez là-dessus, alors ? fit le fermier, avec un mouvement de tête en direction des cercueils.
— Non, je ne suis ici qu’à titre amical, répondit Falk. D’ailleurs, je ne crois pas qu’il y ait encore matière à enquêter.
❤️ On aime le portrait de ce petit village du bush australien où tout le monde se connait trop bien et se surveille de trop près, où [trop de gens savent trop de choses sur leurs voisins], où le climat est plombé par le sable, la poussière et la sécheresse, où l'ambiance est lourde de secrets et de mensonges dont, à l'évidence, il ne peut rien sortir de bon.

      L'intrigue :

La sécheresse sévit dans le bush australien.
[Officiellement, on n’avait pas vu pire depuis un siècle] et les éleveurs sont à la peine : [pas de pluie, pas de fourrage. Et l’absence de fourrage obligeait à des décisions difficiles]
Les yeux sont fixés sur le panneau d'alerte d'incendie qui indique que [le risque était passé de sévère à extrême].
Dans le petit village fermier de Kiewarra [tout le monde ou presque est au bout du rouleau] et [les gens sont plutôt tendus ces temps-ci. Il ne faudrait pas grand-chose pour qu’ils explosent].
Pas étonnant donc que certains fermiers pètent les plombs. Comme Luke qui vient de flinguer femme et enfant avant de se tirer une balle : [ouais, encore un fermier qui a pété les plombs » et le tour était joué. Enquête ouverte et aussitôt refermée].
Pour les obsèques de Luke, son ami d'enfance, Aaron Falk devenu flic à la brigade financière de Melbourne, revient au pays.
Il n'est pas le bienvenu : le temps a passé mais les questions demeurent sur son rôle trouble dans la mort d'une jeune fille, il y a plus de vingt ans et [les rumeurs avaient pris de l’ampleur, pour devenir de quasi-certitudes].
Manifestement, les secrets passés et un [mensonge forgé et convenu vingt ans plus tôt] encombrent toujours le présent ... est-ce en lien avec le drame qui vient de se produire à la ferme de Luke ?
[...] Luke a menti. Tu as menti. Sois présent aux funérailles.
[...] Elle n’est pas au courant pour la lettre, et tout ça. On fait en sorte que ça continue, d’accord ?
[...] Tu as caché la vérité tout comme moi. Et donc, si je suis coupable, tu l’es toi aussi.
Mais un mensonge, un secret, peuvent en cacher bien d'autres et le lecteur n'est pas au bout de ses surprises.

Pour celles et ceux qui aiment la chaleur.
D’autres avis sur Babelio et sur Bibliosurf.

lundi 29 mai 2023

Tous les membres de ma famille ... (Benjamin Stevenson)

[...] Vous avez déjà lu ce genre de livres.

    L'auteur, le livre (418 pages, 2023, 2022 en VO) :

Benjamin Stevenson est un humoriste australien qui n'en n'est pas à son premier roman, mais Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu'un est son premier traduit en français.
On pouvait craindre un peu ce roman dont tout le monde parle, écrit par un transfuge du "stand-up" et packagé pour faire le buzz mais non, Stevenson est bien un pro de la scène et justement il connait de bonnes histoires et son métier est de bien les raconter : après le succès à l'oral, ce sera donc une bonne note à l'épreuve écrite.
[...] Je réunis pratiquement tous les ingrédients d’un roman policier réussi.

    On aime un peu :

❤️ La verve débridée de l'auteur-humoriste qui n'hésite pas à interpeller son lecteur et même son éditeur !
[...] J’ai été réveillé par une série de violents coups à la porte. Évidemment. Vous avez déjà lu ce genre de livres.
❤️ L'intrigue rocambolesque aux multiples chutes et rebondissements : évidemment avec un titre pareil, la réunion de famille promet d'être riche en surprises et en découvertes de nombreux cadavres tout frais ou bien conservés en terre, ... il y en aura pour tous les goûts. On n'y croit pas une seconde mais l'auteur ne se prend pas au sérieux et le lecteur s'amuse autant que lui.
[...] Enfin, nous étions tous des tueurs, comme vous le savez déjà. Mais un seul d'entre nous venait de récidiver.

      Le contexte :

Avec cet amusant pastiche, l'auteur fait explicitement référence aux romans policiers à la manière d'Agatha Christie, jusqu'aux explications finales qui seront dévoilées ... dans la bibliothèque !
[...] Si nous sortons d’ici assez vivants pour vendre notre histoire à Hollywood, ils risquent d’être contrariés si nous n’utilisons pas la bibliothèque, tu ne crois pas ?
Benjamin Stenvenson se réfère également au Décalogue du britannique Robert Knox, les dix commandements à respecter pour un polar réussi !
[...] Ai-je moi-même tué quelqu’un ? Affirmatif. Qui était-ce ? 
Assez discuté, commençons.

      L'intrigue :

Une réunion de famille à la montagne : les Cunningham se retrouvent à la neige pour fêter la libération d'un des leurs, emprisonné il y a quelques années pour ... pour meurtre bien sûr ! Il avait été dénoncé par le témoignage accusateur ... de son frère ! Ambiance garantie pour ces retrouvailles chaleureuses dans les chalets de montagne !
Et ce n'est que le début : les cadavres vont s'aligner au fil des pages, certains seront tout frais, d'autres enterrés depuis belle lurette, d'autres arriveront couverts de cendre (ah, le supplice perse raffiné de la tour de cendre !).
Un amusant bon moment passé en compagnie de la famille Cunningham parce que l'auteur maîtrise parfaitement le dosage de sa recette qui mélange habilement intrigue policière et humour sans prise de tête.

Pour celles et ceux qui aiment les whodunit à la manière d'Agatha Christie.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio - livre lu grâce à Netgalley et aux éditions Sonatine (SP).
Chronique reprise par 20 Minutes.

dimanche 28 octobre 2018

L'affaire Isobel Vine (Tony Cavanaugh)

[...] « Putain, Darian. Ça sent le mauvais plan. »

La promesse était celle faite par l'australien Tony Cavanaugh d'une bonne série policière avec un Darian Richards qui serait une sorte de cousin down under du Harry Bosch de Connelly.
Promesse tenue avec cet autre épisode : L'affaire Isobel Vine (le n° 4 en VO).
Darian et sa collègue Maria (celle qu'il a connue à Noosa dans La promesse) se retrouvent donc à Melbourne pour rouvrir un cold case qui pourrait nuire à la carrière du nouveau patron.
[...] Isobel Vine, dix-huit ans, avait été retrouvée morte dans sa maison d’Osborne Street, dans le quartier de South Yarra. Elle était affalée, nue, derrière la porte de sa chambre, retenue par une cravate d’homme qui avait été enroulée autour de son cou. Elle, ou quelqu’un d’autre, avait attaché la cravate à un solide crochet de cuivre fixé sur la porte. Comme elle était nue, l’hypothèse immédiate avait été qu’elle était morte au cours d’une asphyxie érotique qui avait horriblement mal tourné.
Des suspects en nombre, du côté des flics comme du côté des truands, des manipulations et des coups tordus. mais rien n'arrête l'incorruptible Darian Richards, son flair légendaire et ses chevaliers servants.
[...] – Pourquoi le commissaire a-t-il fait appel à toi ? Pourquoi ne pas demander à la brigade des affaires classées de s’en charger ? Tu ne trouves pas ça un peu bizarre ?
– Il a dit qu’il voulait quelqu’un de l’extérieur. Quelqu’un sans liens récents avec le département. Mais je suis certain que je découvrirai la véritable raison le moment venu. »
L'auteur semble toujours se contenter de lorgner du côté du modèle Connelly et l'on retrouve ici les sombres arcanes de l'hôtel de police et les rivalités dans les coulisses du pouvoir (et même l'ombre d'un serial-killer qui serait une sorte de Poète des trains). Il faut reconnaître que la comparaison ne joue guère en faveur de l'australien qui peine à épaissir ses personnages, taillés tout d'une pièce. Mais Tony Cavanaugh sait écrire une histoire comme un pro et nous emmène visiter de lointaines contrées. Après tout, on a toujours bien aimé les ambiances à la Harry Bosch. Ne boudons pas ce plaisir.
On regrette juste que Sonatine nous sorte les bouquins dans le désordre (le 4 puis le 1 en attendant le 2 et le 3 : pour avoir relu le 4 après le 1, ça fait quand même perdre pas mal de saveur aux relations entre les personnages récurrents).

Pour celles et ceux qui aiment l'Australie.
D’autres avis sur Bibliosurf.

samedi 27 octobre 2018

La promesse (Tony Cavanaugh)

[...] Je voulais juste que le désespoir s’arrête.

Tony Cavanaugh est l'un de nos lointains voisins, un Aussie.
Avec son écriture sèche et percutante, le sens aiguisé de la formule, La Promesse est d'abord celle d'une bonne histoire, celle de Darian Richards, un flic de Melbourne, un des meilleurs flics du pays, venu en Studebaker rouge se ranger des voitures sur la côte est, au bord de la Noosa River, la Floride locale, fatigué et usé par les promesses non tenues aux familles des victimes des serial-killer qu'il n'a pas coffrés.
[...] Elle a dit : « Vous le promettez ? » Je voulais juste que le désespoir s’arrête. Pas seulement le sien.
Alors, j’ai répondu. « Oui. » 
Mais l'auteur n'en serait pas un s'il laissait Darian se reposer en paix et l'ex-flic ne restera pas longtemps à l'ombre dans le comté de la Noosa (endroit ombragé en VO abo) poursuivi par ses démons depuis Melbourne.
[...] Six filles avaient disparu au cours des quatre derniers mois. Toutes blondes et jolies. La plus jeune avait treize ans ; la plus âgée, seize. Les flics les avaient déclarées « en fugue » ou « disparues » – c’est ce qu’ils doivent dire quand il n’y a pas de cadavre. Mais je savais qu’elles étaient mortes.
[...] Deux mois après, la cinquième victime était Carol Morales. Je faisais mon possible pour ignorer ces disparitions. Ce n’était pas ce que j’étais venu chercher dans cette région ; un tueur en série n’entrait pas dans mes plans de retraite anticipée. Je me débrouillais plutôt bien à faire semblant que tout ceci ne me concernait pas.
Les thèmes et l'écriture, le flic et l'intrigue, cette obsession pour les victimes, ... tout cela rappelle bien sûr la série de Connelly, mais Tony Cavanaugh devra encore étoffer un peu ses polars pour soutenir la comparaison. Il lui faut sortir du cliché photo léché et appliqué, professionnel mais impersonnel, tant pour décrire son pays que ses personnages.
Il a le temps : La Promesse était chronologiquement le premier épisode des enquêtes de Darian Richards, même si le bouquin est paru en VF après L'affaire Isobel Vine.

Pour celles et ceux qui aiment l'Australie.
D’autres avis sur Bibliosurf.

samedi 3 septembre 2016

La rose de fer (Peter Temple)

[...] Le passé n’est pas enterré.

Encore une belle occasion de voyager, cette fois jusqu'en Australie avec La rose de fer de Peter Temple.
Un polar ou un roman noir qui nous emmène du côté de Melbourne : mais le décor down under n'est pas vraiment dépaysant (hormis le fameux footy) et l'histoire s'avère finalement très 'américaine', tout comme le style de cet auteur ... né en Afrique du Sud.
Le personnage principal, Mac Faraday, battait tranquillement le fer jusqu'à ce qu'il découvre Ned, son meilleur ami et voisin, pendu dans sa grange. Pour notre forgeron, il ne peut s'agir d'un suicide et nous voici à enquêter sur le passé d'un étrange manoir, Kinross Hall, un pensionnat où des jeunes filles auraient été maltraitées ...
[...] C’est quoi, Kinross Hall ?
– Un foyer d’accueil pour jeunes filles, un centre de détention, Dieu seul sait quel nom on attribue aujourd’hui à ces institutions.
[...] Ç’aurait pu être un hôtel de campagne onéreux, mais l’ensemble avait ce caractère commun à tous les lieux de résidence forcée : silence, odeur de désinfectant, apparence très ordonnée de chaque chose, impression de soudaine froideur dans l’air.
[...] Les tribunaux nous envoient toutes sortes de jeunes filles : des riches, des pauvres, certaines que nous pouvons aider, d’autres non. Toutes ont une chose en commun. Personne ne veut d’elles, à moins que ce ne soit pour les pires raisons.
Qu'avait donc découvert Ned le pendu ? Qui voulait le faire taire à jamais ?
[...] Une jeune fille nue, à la nuque brisée, jetée dans un puits de mine, peu après 1984. Une jeune fille nue, battue, sur le bord d’une route déserte en octobre 1985. Ned avait travaillé à Kinross Hall en novembre 1985. Et n’y avait plus jamais remis les pieds. Jusqu’à quelques jours avant d’être assassiné.
Mais il n'y pas que Kinross Hall à être hanté par des fantômes, Mac Faraday a lui aussi un lourd passé : c'est un ancien agent fédéral qui a quitté les stups avec pertes et fracas.
[...] Est-ce que j’appartenais vraiment au passé ? Qu’avait dit Berglin ? Le passé n’est pas enterré.
Et comme l'Australie est un petit pays (bon d'accord : un grand pays, mais quand même très peu habité) les deux histoires pourraient bien finir par s'entremêler ...
Peter Temple possède l'art et la manière de raconter une histoire et même plusieurs, de camper de solides et nombreux personnages, d'enrichir son roman de détails et d'anecdotes, ... peut-être au risque de perdre un lecteur éventuellement peu concentré.
C'est là un de ses premiers romans, récemment traduit en français, après le succès des suivants.
Et l'on assiste là sans doute à la naissance de ce que seront les thèmes de prédilection de l'auteur : le souvenir d'un père regretté, l'absence d'une épouse, la difficulté de comprendre ou retenir les jeunes, la corruption d'une ville gangrenée, l'impunité des riches et des puissants, ...
Et il nous donne une vision très américaine de l'Australie.
[...] Avez-vous remarqué que les gens malfaisants sont mus par une sorte de force ? Une sorte d’indépendance qui confère un grand pouvoir à ceux qui la possèdent. C’est une forme de sérénité, une absence de doute, une indifférence à l’égard du monde. Ça attire les autres. Le vide moral aspire les gens.

Pour celles et ceux qui aiment les australiens.
Bientôt d’autres avis sur Babelio et sur Bibliosurf.

lundi 22 juin 2015

L'invité du soir (Fiona McFarlane)

La vieille dame sur la dune
qui avait un tigre dans son salon.

Il ne fallait surtout pas refuser l'invitation de la jeune australienne Fiona McFarlane pour son premier roman : L'invité d'un soir.
Cela commence comme une douce histoire de vieille dame, toutes deux (l'histoire et la vieille dame) pleines de charme, de dignité.
Ses enfants sont partis par delà les mers, son mari est parti au-delà, et Ruth coule une fin de vie paisible, seule dans sa maison sur les dunes, au bord d'une plage d'Australie.
[...] Elle n’était pas vieille… enfin, pas tant que ça, elle n’avait que soixante-quinze ans.
[...] Elle connaissait les limites de son indépendance ; elle savait aussi qu’elle n’était ni en détresse ni particulièrement courageuse, juste entre les deux ; mais elle était encore capable de se débrouiller toute seule.
[...] Depuis quelque temps, elle espérait que sa fin serait aussi extraordinaire que son commencement. Elle savait aussi que c’était peu probable. Elle était veuve et vivait seule.
Et puis un soir, ou plutôt une nuit (Night guest en VO), Ruth entend le feulement d'un tigre dans son salon.
Le lendemain, une grosse dame, Frida, semble débarquer de la plage, tirant sa valise sur le sable et se présente comme aide-ménagère, auxiliaire de vie dit-on désormais.
[...] Ruth s’est tournée vers Frida. « Veuillez m’excuser, mais qu’êtes-vous au juste ? Une infirmière ?
– Une infirmière ? a répété Jeffrey.
– Une aide-ménagère du gouvernement », a indiqué Frida. Ruth préférait cela.
Une relation à la fois douce et étrange va se tisser entre la robuste Frida et la distinguée vieille dame.
[...] – Vous donniez des cours de langue ?
– Pas tout à fait. Il s’agit de l’art de bien s’exprimer. De manière claire et précise, en articulant. La prononciation, la production vocale…
– Vous voulez dire que vous appreniez aux gens à parler comme les riches ? »
Difficile de dire si Frida était dégoûtée, incrédule, ou les deux à la fois. « À parler correctement. Ce n’est pas la même chose.
– Et les gens vous payaient pour ça ?
– En général je donnais des leçons à des enfants dont les parents me payaient. » Frida a secoué la tête comme si elle venait d’entendre une histoire ridicule mais divertissante.
« C’est pour ça qu’on dirait une Anglaise quand vous parlez ?
– Je n’ai pas une prononciation anglaise », a contredit Ruth, qui avait l’habitude d’entendre pareille accusation. Naguère ç’eût été un compliment.
Bien vite, Frida devient indispensable et sa présence se fait tantôt rassurante, tantôt envahissante. Qui est-elle vraiment, d'où vient-elle réellement, que veut-elle finalement ?
Et Ruth, est-ce qu'elle perd un peu la tête, à son âge ce serait bien normal, est-ce que ce sont plutôt les cachets ?
Tout cela se met patiemment en place, on l'a dit la première moitié du bouquin est toute de douceur et de charme. Fiona McFarlane sème sur le sable des indices qui crèvent les yeux, les nôtres mais pas ceux de Ruth, ça se voit gros comme une maison sur la dune, mais on ne veut rien voir.
Non, on voudrait comme Ruth couler des journées paisibles en compagnie de Frida en regardant les surfers sur la plage ou les baleines en mer. Non, on ne veut rien voir et on voudrait presque ne pas avancer dans ce fichu bouquin, ou relire sans cesse le début et seulement rêver du tigre de temps à autre.
[...] « Que diriez-vous si je vous racontais qu’un tigre s’est promené ici, la nuit dernière ?
– Ici ? Vous voulez dire dehors ou à l’intérieur ?
– À l’intérieur.
– Quel genre de tigre ? Un adulte ? Un jeune ?
– Oui.
– Adulte ou jeune ? a répété Frida qui demeurait sensée.
– Un jeune adulte.
– Un tigre de Tasmanie, ou du genre ordinaire ?
– Ordinaire.
– Et qu’est-ce qui vous fait croire qu’on a un tigre dans le secteur ?
– Je pense l’avoir entendu.
– Mais vous l’avez pas vu ?
Mais la jeune auteure ne nous laissera pas nous en tirer à bon compte.
Dès le début on a senti que ça dérapait et que cette Frida n'était pas arrivée tout simplement par la plage, mais on ne voulait pas voir l'évidence, on ne voulait pas voir que tout cela glissait dangereusement dans le sable des dunes. Parti sur une douce histoire de vieille dame qui serait une cousine australienne d'Emily, on sent finalement le vent d'hiver de Laura Kasischke souffler sur la plage.
Un drôle de roman, fort bien écrit, empreint de douceur mais suintant l'angoisse, un cocktail plutôt original.
Comme ce n'est que le premier roman de la jeune australienne, on se dit que voilà une auteure à suivre, même si elle a la tête en bas.

Pour celles et ceux qui aiment les vieilles dames.
D’autres avis sur Babelio.

lundi 11 novembre 2013

Les fiancées du Pacifique (Jojo Moyes)

En bateau, Simone !

Ce bouquin de la britannique Jojo Moyes pourrait faire écho(toutes proportions gardées) à celui de l’américano-japonaise Julie Otsuka : Certaines n’avaient jamais vu la mer, car voici une autre histoire de femmes déracinées d’un pays à un autre, pour trouver sinon bonne fortune peut-être bon mari.
Les japonaises de Julie Otsuka partirent aux États-Unis avant guerre et déchantèrent à leur arrivée et plus encore lorsque la guerre fut déclarée.
Jojo Moyes cette fois, nous conte l’histoire des Fiancées du Pacifique, de jeunes australiennes (certaines avaient peut-être vu la mer mais avaient à peine seize ans) qui se marièrent pendant cette même guerre aux soldats GB ou US en mission là-bas (certains craignaient que les japonais ne débarquent en Australie).
En 1946, la guerre enfin terminée, les gouvernements GB et US affrétèrent différents moyens de transport pour ramener les “épouses de guerre” (war brides en VO) auprès de leurs valeureux soldats de maris.
Étrange balancier de l’Histoire qui fit que les britanniques après avoir envoyé leurs forçats sur l’île-continent, allèrent y chercher des épouses cent cinquante ans plus tard …
Nous voici donc embarqués avec plus de 600 war brides australiennes, en route pour l’Angleterre, à bord du HMS Victorious, un porte-avions de Sa Majesté.
L’auteure nous conte donc par le menu la vie à bord : celle de 600 jeunes femmes, peu familières de la discipline militaire britannique, embarquées sur un navire peu adapté aux croisières frivoles et forcées de cohabiter avec encore plus de marins qui n’avaient pas vu jolies gambettes depuis des mois !
[…] “La traversée, qui dura huit semaines à cause des pannes, fut un vrai calvaire. Un meurtre et un suicide eurent lieu à bord, un officier de l’armée de l’air devint fou, entre autres drames. Tout cela parce que l’équipage négligeait son travail et se ménageait du temps libre pour aller flirter avec les épouses. Certains allèrent jusqu’à se livrer à des actes sexuels avec elles, parfois sans prendre la peine de se cacher. Ils faisaient cela dans tous les endroits possibles du navire ; l’un de ces couples avait même choisi ce qu’on appelle le nid-de-pie, un poste d’observation placé haut sur le mât, pour se livrer à leurs étreintes.” [Extrait du Journal de feu Richard Lowery, architecte naval]
[…] « Je ne pense pas que ces petites Australiennes soient très difficiles, tout ce qu’elles cherchent, c’est un type qui les emmène loin de leur bon vieil élevage de moutons fermiers. »
[…] « Elles n’étaient décidément qu’une marchandise qu’il fallait éviter d’endommager, un lot de femmes à trimballer d’un point du globe à un autre, de leur père à leur mari, d’un groupe d’hommes à un autre en quelque sorte. »
Jojo Moyes nous raconte aussi la vie de quelques unes de ces jeunes femmes (on suit un petit groupe d’héroïnes) et nous explique ce qui pouvait pousser ces dames à épouser de lointains maris : pour fuir le plus souvent, qui  la ferme trop rude, qui un passé trop douloureux, …
[…] « Parce que nous n’avons pas fait cette satanée traversée pour rien, tu ne crois pas ? Nous devons tout faire pour réussir cette nouvelle vie. »
En dépit d’un sujet historique et humain particulièrement intéressant, l’écriture de Jojo Moyes est vraiment trop légère et trop frivole pour nous convaincre :  son histoire est une romance et ses femmes des midinettes.
Certes, les meilleures pages pourraient faire penser à une comédie américaine des années 60. Mais trop de passages sentent non pas l’eau de mer mais l’eau de rose.
Au fil de ce voyage, la lecture est fluide et plaisante mais comme dirait MAM, en résumé c’est gentil
Paradoxalement, le bouquin s’ouvre et se ferme sur deux belles mises en perspective qui font d’autant plus regretter l’absence de troisième dimension dans une histoire un peu plate : en 2002, une grand-mère en voyage en Inde tombe par hasard sur un chantier de démantèlement de navires (rappelez-vous l’Histoire d’Usodimare) et reconnait, échoué sur la plage … son HMS Victorious.
Cette grand-mère, c’est celle de Jojo Moyes … elle était sur le porte-avions ! 

Pour celles (et ceux ?) qui aiment toucher les pompons des marins.
D’autres avis sur Babelio.

dimanche 23 juin 2013

Ce qu’il advint du sauvage blanc (François Garde)


Rencontre du 3° type.

Voilà bien un étrange bouquin(1) que celui de François Garde qui se verra attribuer le Goncourt du premier roman pour Ce qu'il advint du sauvage blanc.
L'auteur s'inspire (très librement) d'une histoire vraie(2) : celle du matelot Narcisse Pelletier, moussaillon du Pacifique et du XIX° qui fut abandonné par accident sur une côte australienne. Après avoir passé plus de quinze ans au milieu des aborigènes, il sera finalement récupéré par un autre équipage.
François Garde brode son roman sur cette trame et fait en sorte qu'après quinze ans passés chez les 'sauvages'  (on est en 1860 !) Narcisse a tout oublié de la civilisation, comme on dit.
Lorsqu'il est abandonné, il hurle et répète sur la plage :

[...] Je suis Narcisse Pelletier, matelot de la goélette Saint-Paul !

Lorsqu'on le retrouve quinze ans plus tard, c'est devenu incompréhensible : Sis Tié-Let-Pol !
François Garde met en pages un autre personnage de fiction (à partir de plusieurs personnages de l'époque) en la personne d'Octave de Vallombrun. Cet aristocrate qui se pique d'être un esprit éclairé, prend en charge le 'sauvage blanc' et tente d'en découvrir plus pour le bien de la science et le progrès de la connaissance humaine, accessoirement pour sa propre gloriole.
Le roman alterne les chapitres entre les années 1860 avec les lettres 'à l'ancienne' que Vallombrun écrit à la Société de Géographie et les années 1850 avec le récit des aventures de Narcisse au milieu des aborigènes.
Tout le propos de François Garde semble tourner autour de l'incompréhension totale, mutuelle et réciproque.
Incompréhension de Narcisse qui débarque chez les sauvages qu'il trouve laids et bestiaux.
Incompréhension des aborigènes qui traitent le naufragé comme leurs propres enfants, encore ignorants des coutumes ancestrales comme des simples règles de survie dans le bush.
Incompréhension du rescapé Narcisse qui ne voit pas pourquoi on l'a arraché à la vie qu'il s'était reconstruite patiemment et durement après quinze longues années de renoncements. Il se réfugie dans un mutisme complet, refuse de ré-apprendre le français et veille à ne donner aucun indice sur ce qu'il a vécu.
Incompréhension de Vallombrun qui est fasciné par le fait que l'homme blanc supérieur a 'régressé' et tout oublié de sa civilisation, coutumes, pudeur, langage, ...Tout cela est bien sûr fictif.
Ces abîmes d’incommunicabilité réciproques et l'alternance des chapitres et des points de vue, finissent par dégager un étrange sentiment de malaise et de frustration.
Flagrante est l'arrogance de la civilisation blanche (même [surtout ?]  teintée d'une curiosité pseudo-scientifique).
Tout aussi évidente est l'altérité des aborigènes qui sont littéralement à mille lieux des préoccupations occidentales.
Écartelé entre les deux, Narcisse aura mis plus de quinze ans à se renier patiemment pour se reconstruire, s'intégrer tant bien que mal à sa culture adoptive et renoncer à son héritage occidental. Et voilà qu'on lui demande maintenant de refaire le chemin inverse ?
Cette fois, c'est au-delà des forces humaines.

[...] S'il répondait à mes questions, il se mettait dans le danger le plus extrême. Mourir, non pas de mort clinique, mais mourir à lui-même et à tous les autres. Mourir de ne pas pouvoir être en même temps blanc et sauvage.

(1) - un bouquin que c'est encore K. qui nous l'a prêté
(2) - les libertés prises furent d'ailleurs critiquées par la communauté scientifique [clic] qui n'est pas toujours équipée pour faire la différence entre un bon roman et une mauvaise étude anthropologique


Pour celles et ceux qui aiment les robinsonnades.
Le Monde en parle, ainsi que Moustafette.

vendredi 28 mars 2008

À coups redoublés (Kenneth Cook)

L’assommoir.

Kenneth Cook nous retourne la tête en bas, chez nos voisins des antipodes, en Australie, le pays «down under» comme on dit là-bas.
Avec son troisième roman traduit en français, À coups redoublés, plutôt que tête en bas, c'est plutôt tête en vrac.
Tout se joue dans un pub-resto-pub-hôtel-pub-bordel-pub de la lointaine banlieue de Sydney entre quelques personnages : Mick le tenancier obèse du pub-resto-pub-... qui frelate discrètement ses doses de whisky aux côtés de sa grosse femme et de son gros chat, Peter un jeune gringalet qui espère bien séduire ce soir une jeune fille facile avec sa chemise et sa moto et John qui travaille du merlin à l'abattoir avant de venir se soûler au pub-resto-pub-... de Mick.
Chaque chapitre de ce petit bouquin (à peine plus de 100 pages) s'ouvre sur les minutes d'un procès. Car procès il y aura. Puisque victime il y aura.
Et chaque chapitre nous replonge dans ce qui s'est passé ce soir-là.
Pour décrire la beuverie du samedi soir quand tout le monde vient au pub-resto-pub-... de Mick écluser bières sur bières et autres alcools. Draguer et baisouiller. Castagner un peu aussi.
Sauf que ce soir-là, ça a mal tourné.
Ça ne pouvait que mal tourner. On le comprend dès les premières pages du bouquin. Quand Mick empoigne sa batte de base-ball dès qu'un client s'échauffe un peu. Quand John rentre de l'abattoir déjà ivre du plaisir qu'il a pris à assommer ses bœufs au merlin. Chronique annoncée d'une bagarre qui va mal finir.
Mais il faudra attendre la toute dernière page pour savoir qui a pris le coup fatal et ce bouquin pourrait bien figurer au rayon polars.
Sauf qu'il s'agit d'une étude de mœurs. L'étude sans concession de la profonde noirceur des mœurs des compatriotes de Kenneth Cook qui nous plonge la tête en bas dans un abime de bêtise, dans un gouffre de beaufitude.
L'immensité des territoires australiens et l'immensité du vide des vies de ces gens-là semblent propices à l'épanouissement de l'immensité de la bêtise la plus crasse. C'est noir et c'est froid.
Précisément, ce froid c'est aussi celui de l'écriture de K. Cook qui nous raconte tout cela du ton détaché de l'entomologiste qui vous montre la mouche qui tourne en rond dans son bocal jusqu'à se péter la figure sur le verre (de bière). Plus aucune humanité dans les personnages (tout est parti dans les chiottes en pissant la bière) mais plus d'humanité non plus dans l'écriture.

[...] Comme deux chiens qui s'entretuent pour établir leur suprématie, puis, une fois le vainqueur désigné, réalisent qu'ils n'ont plus besoin de se battre. Le chien dominant garderait toujours un air de supériorité envers le vaincu et resterait mal disposé à son égard, allant même jusqu'à lui montrer les dents à l'occasion, mais ils ne se battraient plus et cette certitude provoquait un certain réconfort chez les deux bêtes.

C'est noir, c'est froid et c'est terriblement désabusé.
Ce manque d'humanité résonne de façon glaciale dans l'immensité australienne.
Paradoxalement, l'écriture déshumanisée nous éloigne un peu plus de ces personnages lointains. Et ça nous touche moins.
Reste un pamphlet à distribuer gratuitement dans les débits de boisson ...


Pour celles et ceux qui aiment le noir et la bière.
Pitou en parle très bien, Cathe aussi.

vendredi 14 septembre 2007

BD : Là où vont nos pères

La BD sans bulles.

>Avec Là où vont nos pères de Shaun Tan (The Arrival en VO), voilà bien une bande dessinée qui sort de l'ordinaire puisque les cases sont ... muettes.
Une BD sans texte où seul le dessin parle de lui-même et se montre suffisamment expressif pour raconter quand même une (belle) histoire.
Une idée originale mais aussi réussie, puisqu'ici «BD sans bulles» ne signifie pas «BD plate».
On déambule avec plaisir dans le montage des images sépias (alternant zooms, gros plans et vues d'ensemble), genre photos à l'ancienne, d'où se dégage un parfum étrange et un peu nostalgique qui rappelle les films expressionnistes du début du siècle (films ... muets, eux aussi !).
L'agencement des cases sans bulles de cet album fait d'ailleurs penser à un montage de cinéma.
Shaun Tan est australien et son album raconte une histoire d'émigrant parti «là-bas» («là-bas, là où vont nos pères», et pour une fois le titre en VF vaut largement la VO).
Parti «là-bas» pour travailler bien sûr et nourrir sa famille restée au pays, quitter une terre inhospitalière et gagner un eldorado.
On ne sait ni où ni quand situer cet universel «là-bas», même si les premières planches font assurément référence à Ellis Island où débarquaient les émigrants candidats au statut d'américain (et dont la visite aujourd'hui dégage toujours une forte émotion, visite qu'on vous recommande lors d'un passage à NY !).
La suite nous plonge dans un monde un peu fantastique peuplé de fruits et d'animaux étranges.
Le héros y est confronté à une langue et des signes inconnus. Et comme lui, l'absence de dialogues et la présence de signes cabalistiques nous rend nécessairement attentif aux expressions, aux visages et aux gestes.
Un monde d'exil plein de poésie et une BD très «graphique».


D'autres en parlent sur Critico-blog ou sur Critiques Libres. 
Malaurie en parle longuement. Gachucha et Philippe aussi. 
Guillaume présente quelques planches de l'album, de même que le site de l'auteur Shaun Tan. 
Le site de Dargaud propose de beaux fonds d'écran.

vendredi 2 février 2007

Ambiguïtés (Elliot Perlman)

Le roman de l'australien Perlman, Ambiguïtés, sort en poche chez 10/18.
C'est l'occasion de découvrir la vie de nos voisins "down under" même si le dépaysement n'est pas au rendez-vous car on se croirait bien chez leurs cousins américains.
C'est plutôt l'occasion d'ouvrir les différents tiroirs de ce roman où un presque fait divers (un homme obnubilé par son ex lui enlève pendant quelques heures le fils qu'elle a eu après leur séparation avec son remplaçant) un fait divers sert de prétexte à une histoire toute en ... ambiguïtés.
Chaque personnage fait ainsi l'objet d'un long épisode (il y en a 7) et l'on voit successivement à travers les yeux de chacun d'eux ce que pourrait être l'histoire et comment les incompréhensions réciproques (vous avez dit ambiguïtés ?) peuvent influer sur le destin de chacun d'eux.
Il y a donc pratiquement 7 petits romans qui nous font progresser tout doucement dans l'intrigue (à chaque épisode on comprend un peu plus du passé et on découvre un peu plus du présent).
Sur le principe voisin des histoires à plusieurs voix, même si le style est très différent, rappelons aussi les bouquins de Murakami Ryû.
On pourrait juste regretter chez Perlman certaines coïncidences qui font se croiser les personnages, un peu comme si le hasard faisait trop bien les choses, mais c'est sans doute le prix à payer pour la richesse romanesque de ces destins entrecroisés.
[...] Une relation entre deux êtres, tout comme une relation entre deux mots, est ambigüe si elle prête à différentes interprétations. Et si deux êtres ont une perception différente de leur relation - je ne fais pas seulement allusion à l'évolution de cette relation, mais à sa nature - , alors cette différence peut affecter le cours de leur existence.