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lundi 20 octobre 2025

White City (Dominic Nolan)

[...] Dave Lander ne dormait jamais.


Ce roman noir est une véritable fresque historique sur le Londres des années 50. Une ville qui se remet à grand peine des bombardements du Blitz et qui attire déjà les premières vagues migratoires. Le roman s'ouvre en 1952 sur l'un des plus grands braquages de l'histoire britannique et se termine avec les émeutes raciales de 1958.

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L'auteur, le livre (464 pages, octobre 2025) :

Le britannique Dominic Nolan s'était déjà fait remarquer avec Vine Street (publié en français en 2024 mais pas lu ici), un polar qui emmenait le lecteur sur les traces d'un tueur en série dans le Londres des années 30 puis 40.
Le revoici cette année avec White City, un roman noir qui part d'un fait divers célèbre outre-Manche : le 21 mai 1952, un fourgon de la Poste britannique est intercepté par sept hommes à bord de deux voitures. 
Il s’agit, à l’époque, du plus grand braquage de l’histoire britannique ; il le restera jusqu’à la fameuse attaque du train postal Glasgow-Londres. Le butin ne fut jamais récupéré et les brigands ne furent jamais inquiétés.
La traduction de l'anglais est signée David Fauquemberg que l'on connait également pour ses romans

Le pitch et les personnages :

Le personnage principal est Dave Lander, un flic qui est infiltré 'sous couverture' dans un gang des mauvais quartiers londoniens tenus par Teddy 'Mother' Nunn, lieutenant principal du parrain Billy Hill. Une position très inconfortable pour un boulot ambigu et sous très haute tension.
« Perché depuis six ans sur le fil du rasoir entre flics et gangsters, Lander ne voyait plus guère de différence entre les deux. Peu lui importait dans quel camp les gens croyaient qu’il était – à ceci près que si l’un de ces deux camps venait à penser qu’il appartenait à l’autre, cela importerait au plus haut point. Dave Lander ne dormait jamais.
[...] Lander se demanda, pas pour la première fois, s’il était vraiment en sécurité à naviguer ainsi entre deux mondes, et si l’un de ces deux mondes l’aiderait, le moment venu, quand quelqu’un déciderait de le renvoyer, lui, là d’où il venait.
[...] Peu à peu, les choses avaient dégénéré, jusqu’à devenir incontrôlables. Vous volez quelques trucs ici, tabassez quelques personnes là. Et sans vous en rendre compte, vous voilà devenu plus gangster que flic.
[...] Les dimensions de son existence se réduisaient à vue d’œil : il vivait chaque instant en s’attendant à voir surgir un tueur à gages au coin de la rue. Chaque voiture dans laquelle il montait pouvait être celle dont il ne redescendrait jamais. »
Dans le bouquin, Dave Lander est à bord de l'une des deux voitures du fameux braquage qui ouvre le roman.
En parallèle, on va suivre une adolescente Adlyn 'Addie' Rowe, sa sœur Nees, leur mère Stevie.
Le père, Reggie Rowe, était le postier complice du gang, la taupe qui avait rencardé les braqueurs : on ne le reverra plus.

♥ On aime 

 Comme dans son précédent roman, Dominic Nolan n'hésite pas à dérouler une intrigue sur plusieurs années : nous allons découvrir le Londres d'après-guerre, ses rues bombardées, ses immeubles en ruine, ses terrains devenus vagues. Une ville meurtrie par le Blitz qui se prépare à de grandes transformations, ce qui aiguise tous les appétits.
« La ville était pleine d’endroits de ce genre. De petites zones d’anéantissement où des bâtiments s’étaient écroulés et personne n’avait eu les moyens ou le cœur de les remplacer.
[...] Même si personne ne pensait plus trop à la guerre, ses cicatrices étaient partout.
[...] Les architectes du London City Council ont d’ambitieux projets. La moitié de la ville a déjà été rasée par la guerre, l’autre moitié ne demande qu’à l’être. De nouveaux boulevards plus larges menant jusqu’au cœur de la ville, adaptés à l’ère de l’automobile. »
 Dans ce Londres délaissé par la middle-class, débarque une vague d'immigration venue de Jamaïque et de Trinidad avec son calypso. Le père de la jeune Adlyn vient de ces colonies britanniques et la famille vit pauvrement dans « une petite ruelle près des docks, une « rue domino » comme on disait, où familles blanches et noires vivaient côte à côte. »
Mais l'extrême droite et les gangs de Teddy Boys n'écoutent pas la même musique et si les premières pages s'ouvraient en mai 1952, l'intrigue va courir jusqu'aux émeutes raciales de 1958 pour nous faire découvrir tout un pan méconnu de l'histoire londonienne et britannique.
 Adossé à tout ce 'background' historique, Dominic Nolan déploie sur près de cinq cent pages une fresque passionnante qui offre de multiples niveaux de lecture : les portraits de multiples personnages complexes et fouillés, l'urbanisation et ses trafics, l'immigration et le racisme, le suspense d'une captivante histoire de gangsters et même la chaleur humaine et les difficultés des familles de ce petit peuple londonien qui habitait des quartiers comme l'ancien Notting Hill, bien avant que Hugh Grant ait le coup de foudre pour Julia Roberts.

Pour celles et ceux qui aiment Londres.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Payot Rivages Noir (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.  

mercredi 15 octobre 2025

Les alexandrines (Marjan Tomsic)

[...] Pourquoi s’était-elle mise en route ?


Le récit, au ton un peu désuet, de ces femmes slovènes qui acceptèrent de partir au début du siècle dernier pour Alexandrie ou Le Caire. Quelques années d'un difficile exil pour gagner quelques sous et permettre de sauver la ferme, les champs, la famille qui croule sous les dettes.

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L'auteur, le livre (416 pages, septembre 2025) :

Le slovène Marjan Tomšič (récemment décédé) est né en 1939 : il avait pratiquement l'âge des enfants de l'une de ces Alexandrines dont il retrace le parcours dans son livre.
Les Alexandrines est son premier roman traduit en français (par Andrée Lück Gaye).
Une histoire d'exil au-delà des mers qui est comme un écho douloureux à celle de l'australienne Jojo Moyes (Les fiancées du Pacifique) ou celle de la japonaise Julie Otsuka (Certaines n'avaient jamais vu la mer).

Le pitch et les personnages :

Elles sont trois. Trois femmes venues de Gorica, au fin fond agricole de la Slovénie, qui était à l'époque (vers 1930) sous le joug fasciste italien avant d'intégrer la future ex-Yougoslavie. 
Trois goriciennes parmi une multitude d'autres femmes slovènes qui acceptèrent de partir au début du siècle dernier pour l'Égypte, pour Alexandrie ou Le Caire.
Quelques années d'un difficile et douloureux exil pour gagner quelque argent et permettre de sauver la ferme, les champs, la famille : là-bas au pays, de l'autre côté de la Méditerranée, le paysan croule sous les dettes.
« Tu iras à Alexandrie car il n’y a pas d’autre solution . La seule qui peut nous sauver, c’est toi. Tu travailleras comme nourrice jusqu’à ce qu’on ait réglé nos dettes. Si on ne rembourse pas cet emprunt, on se retrouvera tous sur le pavé.
[...] Pourquoi s’était-elle mise en route ? Par quelle fatalité se retrouvait-elle sur un paquebot qui l’emportait loin de son fils, de son nourrisson ? Loin de son village, de son mari, de sa mère et de son père, de tous les siens. Que lui arrivait-il, quel rêve atroce faisait-elle, quel cauchemar ? »
Ces Alexandrines, seront donc nourrice, femme de ménage, domestique, dame de compagnie, chez de riches européens, anglais, français, ou chez de puissants commerçants, turcs, grecs, arabes, ...
Elles laissent derrière elles leur village, un mari ou un fiancé, leurs enfants, leur langue, les futures nourrices abandonnent leur bébé, car « dans tout Alexandrie et Le Caire, et aussi ailleurs, les Slovènes étaient depuis longtemps extrêmement recherchées et respectées. Elles avaient la réputation d’être travailleuses, honnêtes et fidèles. »
Nous allons suivre le parcours de la très pieuse Merica, la très jeune et très belle Vanda et d'Ana, la débrouillarde.
Toujours travailleuses, souvent belles, les tentations (et les dangers) ne vont pas manquer dans une Alexandrie cosmopolite où elles vont côtoyer de riches anglais ou français, des arabes ou grecs influents.
Pour certaines d'entre elles, viendra ensuite le temps du retour, tout aussi difficile, « un retour long et pénible [...] plein de silence, de soupçons et d’humiliations et de vexations qu’il vaut mieux ne pas raconter ».

♥ On aime 

 Au premier abord, le style de Marjan Tomšič va sembler déroutant, même s'il n'écrit pas en alexandrins !
Le ton est un peu suranné, démodé, et les émois amoureux de la jeune Vanda ou de la pieuse Merica paraissent quelque peu vieillots : « il y avait en effet beaucoup de cas d’amourettes entre une Slovène et un homme qui avait une autre religion, par exemple orthodoxe, musulman ou protestant et, parfois aussi, une autre couleur de peau. »
Le récit date d'une époque révolue et ne s'accorde plus trop avec nos grilles de lecture d'aujourd'hui.
Mais notre intérêt pour le destin de ces femmes, notre curiosité pour cette Alexandrie en pleine mutation après l'ouverture du Canal de Suez, vont faire que cette histoire captivante ne va plus nous lâcher. 
 Et puis bientôt le lecteur comprend que Marjan Tomšič ne se contente pas de suivre le parcours de ses trois héroïnes. Ces femmes et leurs consœurs ont de nombreuses occasions (comme le dimanche à la messe chez les Sœurs !) de partager leurs peines souvent, leurs joies parfois, leur nostalgie du pays et le souvenir de leurs familles. Ces discussions sont alors le prétexte à se raconter le destin de Marija, Katica, Ančka, Olga, ... 
Et ce sont bien des dizaines d'Alexandrines que nous allons côtoyer au fil des pages.
« Katica n’était pas la seule qui vivait ses vieux jours à Alexandrie, faute de pouvoir rentrer chez elle.
[...] Elle trima, trima, et envoya sagement son argent à sa famille. Des décennies passèrent et quand elle voulut rentrer chez elle, il lui arriva ce qui était arrivé à bien d’autres. Pour elle, au pays, il n’y avait plus ni chambre ni pain. »
Un récit qui prend parfois l'allure d'un conte des mille et une nuits.

Pour celles et ceux qui aiment l'exil.
Un site qui évoque cette émigration avec de savoureuses photos d'époque.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Agullo (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.  

lundi 24 mars 2025

Islander (Caryl Férey, Corentin Rouge) tome 1 - L'exil


[...] Les illégaux sont trop nombreux !

Premier épisode d'une trilogie dystopique qui nous emporte avec d'autres réfugiés climatiques jusqu'en Islande.
Avec les dessins magnifiques de Corentin Rouge et un scénario post-apocalyptique signé Caryl Férey.

❤️❤️❤️🤍🤍

Les auteurs, l'album (160 pages, janvier 2025) :

📖 Rentrée littéraire hiver 2025.
On avait déjà bien aimé Sangoma, un polar en Afrique du Sud aux parfums exotiques de sorcellerie et nous retrouvons ici ce duo très efficace : Caryl Férey au scénario, Corentin Rouge au dessin.
Les revoici avec Islander, premier tome (intitulé : L'exil) d'une trilogie.

Le canevas :

Dans un futur proche, l'Europe est à feu et à sang et les réfugiés affluent dans les ports pour gagner "les îles épargnées". Le port du Havre est un nouveau Calais où trop de migrants se pressent pour embarquer sur de trop rares bateaux et tenter de gagner l'Écosse, dernier refuge. 
Il y a là un homme âgé que l'on appelle le Prof, deux jeunes femmes (des sœurs semble-t-il) et Raph, un passeur.
Un autre migrant mystérieux, sans passeport. Tout comme en Méditerranée aujourd'hui, la traversée ne sera pas de tout repos et tous n'arriveront pas ... en Islande.
Une Islande curieusement séparée en deux avec, au nord, un état sécessionniste de Reykjavík.
Pourquoi le prof voulait se rendre coûte que coûte en Islande ?
Pourquoi cette île est-elle coupée en deux ?
Et quel est donc ce mystérieux projet Islander ?
Même si Reykjavík n'a rien à voir avec Le Cap, les échos sont nombreux avec Sangoma : magnifiques dessins, regard inquiétant sur la couverture de l'album, discussions houleuses au parlement, contexte sociopolitique à la base même de l'intrigue, liens complexes entre les personnages, histoires de famille au sombre passé, ...

♥ On aime :

 Après Sangoma, on retrouve avec beaucoup de plaisir les dessins très réalistes de Corentin Rouge qui flirtent parfois avec la précision photo. Les traits des visages et les regards sont esquissés avec une grande expressivité et une précision méticuleuse pour donner vie aux personnages. La mise en page est dynamique, du vrai cinéma, ce qui est idéal pour les thrillers de Caryl Férey.
Mais Corentin Rouge ne se limite pas à des portraits serrés, il excelle également à capturer la splendeur des paysages islandais, nous offrant des fresques grandioses, certaines s'étalant sur deux pages.
 Côté scénario, ce premier volume nous laisse forcément un peu sur notre faim, c'est naturel : Caryl Férey met en place les décors et les bases de son histoire en trois épisodes et ce n'est que le premier.
Il y a peu d'explications (elles viendront plus tard !) mais le contexte semble propice à une bonne histoire où plusieurs personnages aux passés mystérieux et aux liens complexes vont s'entrecroiser. On est impatient de découvrir la suite, mais il faudra être patient car ce n'est sans doute pas pour cette année !
 Et puis il y a ce contexte d'Europe dévastée, affamée (sans doute par des catastrophes climatiques), que fuient les migrants en quête de terres plus accueillantes : une inversion des rôles plutôt bien vue mais qui nous fait grimacer et nous oblige à ouvrir les yeux sur une réalité qui, même si aujourd'hui n'est pas "la nôtre", pourrait bien le devenir (morale : on est toujours le migrant de quelqu'un).
[...] - Nous avons fermé nos frontières face à l'afflux de réfugiés européens. Mais des navires continuent d'arriver malgré nos lois !!! Les illégaux sont trop nombreux ! [...] Nous devons faire face à la grogne de nos administrés, qui se crispent sous la menace démographique des réfugiés. Il faut être drastiques !

Pour celles et ceux qui aiment les mystères.
D’autres avis sur BDthèque, BédéThèque et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Glénat (SP).
Ma chronique dans la revue ActuaLitté et dans Benzine.

samedi 30 avril 2022

Mer (Bertil Scali et Raphaël de Andreis)


[...] Même la pluie était salée.

On a déjà oublié le dernier rapport du GIEC opportunément éclipsé par la guerre en Ukraine. Cent ans plus tard, quand même la pluie sera salée, il sera trop tard pour pleurer, c'est que nous raconte le roman de Bertil Scali et Raphaël de Andreis au titre sec qui sonne comme une claque : Mer.
Alors que nous faisons à peine notre deuil du monde d'avant, les deux compères nous plongent (c'est le cas de le dire) dans le monde d'après-demain. En 2100, le réchauffement climatique est là, les villes côtières sont noyées sous les eaux, les plaines centrales ravagées par les incendies géants, le monde envahi par les réfugiés climatiques et quelques autres bestioles qui pullulent dans ce nouvel éco-climat.
Bordeaux n'est plus qu'une nouvelle Venise marécageuse battue par les eaux, ce qui nous vaut cette belle couverture. Le Cap Ferret a disparu, du fameux immeuble Signal, seul le toit émerge encore et sert de quai de fortune aux boat people, et la place des Quinconces est devenu un port de plaisance, ...
[...] Ils marchaient le long d’une digue étroite bordée de filins électriques anti-alligators – le reptile carnassier pullulait dans les nuits suffocantes du delta de Bordeaux.
La mise en scène d'une côte française envahie par les eaux est bien entendu spectaculaire, d'autant qu'elle est plutôt réussie et "réaliste", ce décor suffira à faire la renommée du bouquin mais il en fallait un peu plus pour réussir un bon thriller.
Alors les auteurs ont décidé de mettre en avant le retour à l'esclavage, intelligent clin d'œil au lointain passé bordelais, en noircissant à peine le trait de notre monde actuel : la traite humaine des migrants n'a malheureusement pas attendu le réchauffement climatique.
[...] Il semblerait, selon les derniers rapports de l’Onu, que l’esclavage ait également repris aux États-Unis. Les autorités nord-américaines seraient peu enclines à réguler la résurgence de ce commerce, semble-t-il excellent pour leur économie. 
[...] Les villes peinent à juguler ce commerce de la main-d’œuvre humaine.
Et puis ils imaginent également une sorte de dictature écologique (tiens donc ...), en donnant un tout autre sens au titre de leur bouquin.
[...] Les agents du mer (Migration, Équité, Réaction), service de contrôle des réfugiés climatiques mis en place par l’Onu lorsque le niveau des mers et des océans avait commencé à monter.
Dans ce décor apocalyptique, une enquête policière va nous servir de guide : des réfugiés disparaissent en masse, ça fait désordre et sème le trouble ...
Une fliquette sympathique et un vieux commissaire roublard mènent leur bateau de police dans les canaux de Bordeaux.
❤️ Tout cela est plutôt bien écrit, c'est pas du thriller au rabais (même si le prix est modique) même si l'on regrette quelques personnages un peu 'cliché' aux traits un peu grossiers.
Le thriller idéal pour les plages cet été, ambiance garantie "les pieds dans l'eau".
Sauf qu'on ne sait pas toujours comment prendre certaines petites phrases assassines :
[...] L’homme s’adapte vraiment à tout. Il s’acclimatera même à la fin du monde …

Pour celles et ceux qui aiment avoir les pieds dans l'eau.
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samedi 8 décembre 2018

Bratislava 68, été brûlant (Viliam Klimacek)

[...] On nous envahit facilement.

Au printemps 1968, les chars soviétiques entrent en République Tchèque, histoire de remettre au pas un pays qui commençait justement à profiter du printemps. Viliam Klimàcek n'avait que dix ans. C'est donc l'histoire de ses aînés qu'il nous raconte avec Bratislava 68, été brûlant.
[...] Nous sommes une nation condamnée à la tendresse. On nous envahit facilement.
On apprendra finalement peu de choses sur la grande Histoire, mais on découvrira par le menu ce qui faisait la vie quotidienne des tchèques ordinaires. Toute une galerie de personnages (l'auteur a réussi un beau puzzle fait de pièces piquées ici et là, dans la vraie vie) dont les destinées vont être balayées et renversées par le vent venu de l'est.
Le printemps (avant l'entrée des chars) est empreint d'une jolie nostalgie (ah, la Felicia !) mais c'est surtout la vie d'après dont veut nous parler Klimàcek  : celle de ceux qui sont restés du mauvais côté du mur et celle ceux qui ont pu (ou dû) s'échapper et pour la plupart, se réfugier au Canada, en Israël ou en Amérique du Sud.
[...] Jozef retira un peu de cash et salua avec sincérité un Noir dans la fleur de l’âge, élégamment vêtu. Celui-ci serra la main de Jozef, échangea quelques mots avec lui et partit derrière une porte vitrée. Lajoš le dévisagea.
— Qui est-ce ?
— Le directeur de la banque.
Cette réponse l’obligea à s’appuyer au comptoir. Jozef eut peur qu’il s’évanouisse.
— Ça va ?
En dépit des drames relatés, c'est une jolie histoire pleine de douceur et de tendresse pour ses personnages malmenés par les vents de l'Histoire.
[...] Tereza emporta avec elle un peu de neige qui disparut aussitôt. Dans sa main, il n’y avait plus que de l’eau. Mais cette sensation de froid lui resta en mémoire des semaines durant.
Comme un écho nostalgique aux flux migratoires de notre époque dont la poésie a disparu.

Pour celles et ceux qui aiment la petite histoire.
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vendredi 16 mai 2014

Les hamacs de carton (Colin Niel)

Dossiers classés.

Petit polar bien sympathique écrit par Colin Niel, un chercheur français qui a travaillé plusieurs années en Guyane : avec Les hamacs de carton, voici de quoi découvrir cette région dont on a beaucoup parlé à chaque mise sur orbite mais qu'on connait si mal.
C'est presque un polar ethnique où l'on fait la connaissance des descendants des esclaves noirs, les nègres-marrons qui avaient fuit lors des grands marronnages.
En Guyane, le long du fleuve Maroni, vivent les populations alukus et ndjukas : orpaillage, culture de cannabis, sorcellerie, ...
Un crime inhabituel est commis dans un petit village en amont du fleuve : une mère et ses deux enfants sont morts de façon étrange. L'inspecteur Anato, d'origine guyanaise mais récemment débarqué de la métropole, prend l'enquête en main.

[…] Anato, au final, se demandait si ses origines étaient réellement un atout. Il reconnaissait cependant une chose : la Guyane lui était peu familière, il la découvrait un peu chaque jour. Ni métropolitain ni vraiment ndjuka. Un négropolitain, avait-il entendu dire.

On découvrira évidemment plein de choses sur la vie de ces peuples, sur la vie en Guyane aussi (y compris celle des expatriés). Mais l'intérêt de ce petit bouquin, c'est que l'intrigue policière elle-même n'est pas anodine puisqu'elle est construite à partir des conditions de vie des gens de là-bas, de ceux qui vivaient le long du fleuve et qui se retrouvent désormais écartelés entre deux pays : la Guyane française et le Suriname, l'ancienne colonie hollandaise désormais indépendante (le fleuve trace une frontière récente qui n'a guère de sens pour les familles qui vivent sur les rives).
On ne peut pas vous en dire plus bien sûr sur cette enquête qui n'a rien de fracassant mais qui est plutôt originale et bien ancrée dans le pays guyanais : les explications qui sont données au fil de l'eau sont passionnantes.
Et au passage vous découvrirez ce que sont ces fameux hamacs de carton :

[…] Anato comprit surtout que par le terme hamac, l’homme parlait de ces dossiers suspendus, alignés à la verticale dans le placard, qui devaient faire partie du quotidien de Véronique Morhange. Il ne connaissait pas l’expression, mais trouva la métaphore pertinente. Il imaginait tous ces étrangers, Surinamiens, Haïtiens, Brésiliens, Dominicains, suspendus dans leurs hamacs de carton, hibernant patiemment dans l’attente des papiers qui leur donneraient enfin une existence officielle sur le territoire français.

Certes on objectera que ce petit polar ne va pas détrôner ceux des grands maîtres, on pourra aussi regretter une écriture un peu naïve, notamment dans la description des personnages et dans leurs dialogues, mais il faut bien admettre que la lecture est agréable et le voyage instructif.


Pour celles et ceux qui aiment les pirogues.
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vendredi 28 mars 2014

Terminus Belz (Emmanuel Grand)

Polars en l'île (2/3).

Deuxième épisode de notre mini-série intitulée ‘polars en l'île’.
Après L'île des hommes déchus de Guillaume Audru, voici Terminus Belz, d'Emmanuel Grand, encore un polar franco-français, encore un premier roman, et toujours d'après les conseils du Blog 813.
Cet auteur vendéen nous emmène au large de Lorient, dans une petite île bretonne qu'il a choisi de nommée Belz(1).
Belz sera le terminus de la cavale de Marko, un ukrainien passé à l'ouest(2): une odyssée rapide et violente qui se termine mal pour les passeurs roumains et véreux et pas très bien pour les compagnons d'infortune de Marko. Le voici planqué en l'île, espérant échapper ainsi à la mafia roumaine toujours à ses trousses.
Les îliens voient d'un mauvais œil cet ‘immigré’ qui semble venir de l'est pour toucher les allocs et qui se fait passer comme grec pour prendre une place sur un chalutier : l'île n'est pas grande et les poissons se font de plus en plus rares.
Il n'y a finalement que le marin Joël pour prendre Marko en affection, qui a perdu son fils en mer et qui voit peut-être là une nouvelle compagnie pour les sorties en mer.
Il est d'ailleurs pas mal question de pêche, tout comme dans Poisson récemment lu, ce qui nous vaut quelques belles scènes en mer, au rythme des traits du chalut.

[…] Il y avait à Belz de nombreuses maisons touchées par le malheur.  Un malheur qui prenait toujours, quelle qu’en soit la forme, la couleur de l’eau. L’eau trouble, l’eau noir, l’eau déchaînée et hurlante contre ces hommes qui avaient le vœu de la braver chaque jour que Dieu fait pour nourrir leurs familles et gagner leur vie. Et ce corps à corps incessant des hommes contre la mer dans lequel elle remportait un nombre incalculable de victoires faisait partie de la vie d’une île comme Belz. Chaque maison pleurait un père, un fils, un cousin … Et quand elle ne le pleurait pas, c’était qu’elle ne le pleurait pas encore.

Mais le temps va vite se gâter pour Marko : un cadavre est découvert sur une plage, salement mutilé. Un de ceux qui ne voulaient pas trop de bien à notre faux grec. En plus de la mafia roumaine, voilà maintenant que la police française s'intéresse à Marko : Belz n'était peut-être pas la meilleure idée de planque.

[…] J’ai la mafia au cul, les flics aux basques et un crime sur le dos. Moi, je suis dans la merde.

Les esprits s'échauffent sur la petite île qui vit en vase clos et où l'on a vite fait de tourner en rond : les superstitions ressortent du bois, les rumeurs enflent sur la lande, le curé vitupère du haut de sa chaire, les rancœurs macèrent dans l'alcool, la bêtise prospère au café du port ...
Les fantômes du passé débarquent et revoici l'Ankou, un avatar breton de la Grande Faucheuse, qui vient réclamer son dû(3).
On retrouve là une ambiance assez proche (l'humour poétique en moins) de cette fameuse Armée furieuse qui avait été ranimée par Fred Vargas, lorsque les peurs ancestrales et les vieilles croyances viennent maquiller confusément des actes criminels bien d'aujourd'hui.

[…] Il y avait là tout ce qu’ils aimaient, du sang, de la barbarie, de la tragédie humaine.

En dépit d'un démarrage prometteur, MAM n'a pas trop goûté la potion magique.
BMR s'est laissé emporter, sans doute sur la lancée donnée par Vargas.
Le bouquin d'Emmanuel Grand est plutôt bien écrit, une prose professionnelle, même si cela semble un peu formatée au standard actuel et anonyme des polars, mais il faut reconnaître qu'au fil des pages, son scénario devient de moins en moins crédible, tant pour les péripéties rocambolesques de la mafia roumaine que pour le volet mystico-bretonnant.
On déplore aussi quelques clichés qui pèsent un peu lourds dans le filet comme cette inutile romance avec la si charmante institutrice qui n'attendait que notre malheureux et valeureux héros.
On s'exaspère aussi de l'intrusion horripilante d'e-mails dans le récit : encore une fois, quitte à passer pour ringard, on ne comprend pas pourquoi les auteurs contemporains cherchent ainsi à faire pseudo-modernes et soit-disant branchés. À moins qu'il s'agisse là d'une facilité scénaristique un peu paresseuse ?


Au final, il est évidemment bien tentant de trier notre pêche dans le filet et de comparer nos deux épisodes de ces polars en l'île :
Emmanuel Grand est vendéen, Guillaume Audru poitevin, perso on n'a pas d'avis, de toute façon c'est au-delà du périph.
L'île de Stroma existe bel et bien au fin fond de l'Écosse, Belz est une île imaginée plus près de chez nous au large de Lorient. Toutes deux sont joliment décrites avec tout ce qu'il faut d'atmosphère maritime.
L'écriture du vendéen est plus assurée, mieux maîtrisée même si sa prose semble formatée au standard du genre, et on avait regretté chez le poitevin quelques maladresses de premier roman, notamment dans les dialogues.
Mais la victoire aux points reviendra tout de même au scénario de Guillaume Audru : originalité et rigueur étaient au rendez-vous et L'île des hommes déchus sera donc notre destination préférée(4).
En avril, viendra d’ajouter un troisième voyage, en Écosse encore, dans les Hébrides cette fois, avec Peter May sur L’île des chasseurs d’oiseaux.

(1) - pour de vrai, Belz est une petite commune côtière du Morbihan et l'île du bouquin ressemblerait plutôt à l'île de Groix
(2) - si c'est pas de l'actualité ça !
(3) - on l'a déjà croisé quelque part celui-là, mais pas foutu de retrouver où ...
(4) - sans déc' ? t'as vu où c'est ? nan, tu rigoles !


Pour celles et ceux qui aiment la pêche aux fantômes.
D'autres avis sur Babelio. EncoreDuNoir en parle.
Une petite interview de E. Grand.

samedi 18 mai 2013

La couleur de la peau (Ramon Diaz Eterovic)

Direction le Chili en classe polar.

Un polar chilien ! Belle occasion de compléter le tour du monde en classe polar …
D’autant que l’affiche nous promet un détective privé (Heredia) amateur de littérature et un chat nommé Simenon. Un chat qui parle en plus.
Le voyage est effectivement très sympa et l’auteur, Ramón Díaz-Eterovic, sait nous plonger dans l’ambiance des quartiers de Santiago.
L’auteur est annoncé comme le Maigret chilien (d’où le chat Simenon) mais on pense plutôt à Montalban, un autre hispanique.
Un polar bien sympathique dans les pas d’un privé cool et pas prise de tête.

[…] – Les liquides sont mes seuls vices, tu le sais bien.
– Et aussi les courses de chevaux.
– Ça, c’est plutôt du sport.
– Et les femmes.
– Des clins d’œil du destin.
– Sans oublier les citations pêchées dans vos bouquins.
– Un moyen de m’expliquer la vie.
– Si je ne vous connaissais pas aussi bien, je dirais que vous êtes un saint.

Et les dialogues imaginaires avec le chat sont assez savoureux et fournissent un second degré plein d’autodérision.

[…] Ce sont les miaulements de Simenon qui m’ont réveillé. Allongé sur mon oreiller, tout près de ma tête, le chat attendait que mon corps fatigué par une nuit blanche revienne à la vie par ses propres moyens. Il a gentiment passé sa patte sur mes cheveux. Le soleil maussade de l’après-midi entrait par la fenêtre et j’ai senti dans mon estomac un furieux besoin de café et de tartines.
– Tu as vu l’heure ? La Péruvienne t’a ramolli le cerveau. Qu’est-ce que tu espères ?
– Rien. Je n’espère rien. J’étais seul et elle est arrivée en rêvant d’être ailleurs. C’était juste un petit moment de tendresse, une autre manière de passer le cap de la nuit.
– Ta naïveté est touchante. Hier, deux hommes sont venus pendant ton absence, je les ai entendus marmonner devant l’entrée. Ils ont glissé des lettres sous la porte. Tu as dû perdre deux clients.
– Les notes que j’ai trouvées ce matin le confirment. Il y avait aussi quelques grossièretés mais je ne les répèterai pas pour ne pas blesser tes oreilles, fouille merde de chat.
– Que penses-tu faire ?
– J’ai gagné assez d’argent aux courses pour payer mes vices et les tiens.
– Je faisais allusion au Péruvien et non pas à tes maigres revenus.

Mais le bouquin s’appelle La couleur de la peau et l’histoire est donc bien moins sympathique : une plongée dans un Santiago où les immigrés péruviens n’ont rien à envier à nos africains … et où le racisme des chiliens peut rivaliser avec le notre.

[…] En revenant vers mon bureau je me suis arrêté devant un mur sur lequel quelqu’un avait écrit : “Dehors, les Péruviens.”
J’avais déjà lu ce genre de graffiti, ils accusaient les Péruviens de faire entrer la tuberculose au Chili, d’augmenter la délinquance ou de priver les Chiliens de leur travail.
Certains étaient anonymes, d’autres signés par des groupes néonazis qui exprimaient tous les jours leur nationalisme odieux sur les murs du quartier dans l’indifférence générale.
Rien de nouveau sinon la stupidité vieille comme le monde de croire qu’un nom, la grosseur d’un porte feuille ou la race fait de vous un être supérieur.

C’est Le Monde des livres qui nous avait fait la promo du billet d‘avion pour le Chili et Jean-Marc en parle aussi.
Et il existe d’autres enquêtes du privé Heredia comme Le deuxième vœu.

(1) - lors de notre voyage en Bolivie avec une incursion en territoire chilien on avait pu nous même, constater que les boliviens qui nous accompagnaient n’étaient pas les bienvenus au Chili


Pour celles et ceux qui aiment les chats.
D’autres avis et d‘autres bouquins du même auteur sur Babelio.

mercredi 30 janvier 2013

Certaines n'avaient jamais vu la mer (Julie Otsuka)


Boat people.

Les dieux, même les kamis japonais, savent qu'on n'est pas fan des prix concours mais il faut dire et redire que le jury du Femina a souvent la main heureuse.
Après avoir couronné notre petit roman français préféré de 2012 (Peste et choléra), voici dans la rubrique Étranger le retour de Julie Otsuka dont on avait déjà beaucoup apprécié Quand l'empereur était un dieu.
et Empereur racontait, après Pearl Harbor, la déportation dans les camps US des familles japonaises immigrées avant guerre : ces japs qui, soudain, n'étaient plus les bienvenus.
Ce roman-ci, Certaines n'avaient jamais vu la mer, est en quelque sorte l'épisode précédent : lorsque les vagues d'immigration des années 20 étaient accueillies à bras ouverts pour peupler l'ouest et dynamiser à bas prix l'économie américaine.
Et c'est l'histoire d'un bateau de jeunes femmes venues du pays du soleil levant : mariages arrangés, photos arrangées des futurs maris au courrier postal, rêve occidental pour échapper aux rizières, ...
Évidemment la déception sera grande ... brutalité conjugale et labeur difficile, racisme latent et pauvreté persistante, rien ne leur sera épargné ... Le rêve américain n'est pas pour tout le monde.
Jusqu'à Pearl Harbor et la crainte de la dénonciation pour complicité supposée avec l'ennemi, la déportation inévitable. La boucle est bouclée.
Mais revenons à ces jeunes femmes qui n'avaient pas encore vu la mer avant de traverser le Pacifique.
Comme avec son précédent roman paru dix ans plus tôt (celui qui est un peu la suite, vous avez compris ?), Julie Otsuka confirme qu'elle a une plume très sûre. L'émotion est là, à fleur de mots et l'auteure déploie tous ses efforts pour maintenir la distance réglementaire.
Cette fois-ci, c'est en racontant l'histoire de toutes les femmes embarquées sur le bateau, simultanément et comme dans un choeur antique, les voix de ces femmes s'élèvent pour dire ce qui devait être dit.

[...] Certaines des nôtres travaillaient comme cuisinières dans les campements ouvriers, d'autres faisaient la plonge, abîmant leurs mains délicates. Certaines avaient été emmenées dans des vallées reculées pour y tondre les moutons. Peut-être nos maris avaient-ils loué huit hectares de terre à un dénommé Caldwell,  qui en possédaient des  des milliers en plein coeur de la vallée de San Joaquin, et chaque année nous devions lui remettre soixante pour cent de notre récolte. Nous vivions dans une une hutte de terre battue sous un saule, au milieu d'un vaste champ sans clôture, et dormions sur des matelas de paille. Nous allions faire nos besoins dehors, dans un trou. Nous tirions notre eau du puits. Nous passions nos journées à planter et ramasser des tomates du lever au coucher du soleil, et nous ne parlions à personne hormis à nos maris pendant des semaines d'affilée. Nous avions un chat pour nous tenir compagnie et chasser les rats, et le soir depuis le seuil de la porte, en regardant vers l'ouest, nous distinguions une lueur diffuse au loin. C'est là, nous avaient dit nos maris, que vivaient les gens. Et nous comprenions que jamais nous n'aurions dû partir de chez nous.

Le procédé répétitif finit, touche par touche (leurs maris, leurs travaux, leurs enfants, ...) par composer une sorte de tableau impressionniste qui très habilement, donne la vision d'ensemble de la vie de ces jeunes femmes perdues dans les profondeurs de la Grande Amérique naissante. 
Non contente de ce coup de maître, Julie Otsuka clôt son bouquin par un dernier chapitre très émouvant dont on vous laisse découvrir le procédé en contre-chant : avec la déportation dans les camps US du middle-west, il suffira de quelques saisons pour que ces japonaises soient oubliées, parties aussi discrètement qu'elles étaient arrivées.
Seule Julie Otsuka poursuit son travail de mémoire au rythme (trop lent à notre goût) d'un excellent bouquin tous les dix ans.


Pour celles et ceux qui aiment les immigrants.
Phébus édite ces 142 pages qui datent de 2011 en VO et qui sont [brillamment] traduites de l'américain par Carine Chichereau.

D'autres avis sur Babelio.

samedi 11 avril 2009

De sang et d’ébène (Donna Leon)

Noël à Venise.

Voici pour la seconde fois en quelques jours Donna Leon et son commissaire fétiche, Guido Brunetti, le vénitien.
On l'a déjà dit, Donna Leon, c'est un petit peu la Fred Vargas italienne.
Et son dernier polar De sang et d'ébène est excellent, encore meilleur que le précédent : Dissimulation de preuves.
Toujours au premier plan, la ville de Venise et le commissaire Brunetti, ils sont désormais indissociables.
Le charme de Venise à Noël, voilà qui nous rappelle une récente escapade quand on arpentait les quais de la Sérénissime, sur les traces du commissaire Brunetti, rares touristes parmi les italiens en train de faire leurs derniers achats avant les fêtes.
On retrouve tout cela dans cet épisode, jusqu'aux blacks en train de vendre leurs contrefaçons de sacs Dolce & Gucci sur les pavés vénitiens.
Et justement, c'est l'un de ces Sénégalais qui est assassiné au beau milieu des touristes.
[...] - Il y avait des américains quand c'est arrivé.
- Comment savez-vous qu'il s'agissait d'américains, signora ?
- Ils avaient des chaussures blanches et parlaient fort.
C'était l'un de ces vu comprà ("vous achetez !" en VO) en vénitien de la rue, ou extracomunitari en italien politiquement correct..
[...] Il s'assit dans la cabine et ouvrit l'édition du matin du Gazzettino, mais il y apprit encore moins de choses que ce qu'il avait découvert lui-même la veille. Ne disposant que de peu de faits, le rédacteur de l'article avait choisi de faire dans le sentimental et de parler du terrible prix à payer pour ces extracomunitari qui tentaient si difficilement de survivre et voulaient gagner un peu d'argent afin de l'envoyer à leur famille. Le mort restait anonyme et sa nationalité n'était pas connue, même si l'on pensait qu'il était originaire du Sénégal, le pays d'où venaient la plupart des ambulanti. Un vieil homme, monté à Sant'Angelo, vint s'asseoir à côté de Brunetti. Il vit le journal et lut le titre en silence, puis dit : "Rien que des emmerdements, dès qu'on les laisse entrer. " Brunetti l'ignora.
Tiens donc, il y a quelques jours on évoquait les vagues du racisme qui s'attaquaient aux rivages de l'Islande, la patrie d'Indridason (c'était l'Hiver arctique). La lagune vénitienne ne semble pas non plus à l'abri.
Avec l'aide de ses rares collègues pas trop corrompus (dont la fameuse signorina Elettra dont on a déjà parlé la dernière fois !), Brunetti enquête sur cette exécution sommaire alors que le rapport d'enquête ... a disparu.
Ou plus subtilement et plus justement, comme le fait remarquer un collègue : on l'a disparu ...
Encore une lente et subtile enquête du commissaire Guido Brunetti, comme si la douceur de vivre vénitienne pouvait un temps masquer les dures réalités de la vraie vie.
Cet épisode est une excellente façon de découvrir les polars de Donna Leon.

Pour celles et ceux qui aiment les canaux de la Sérénissime, même en hiver.
Points poche édite ces 327 pages qui datent de 2005 en VO et qui sont traduites de l'anglais (Donna Leon est une américaine qui vit à Venise) par William Olivier Desmond.

dimanche 22 mars 2009

Hiver arctique (Arnaldur Indridason)

Mal des banlieues islandaises.

Raisonnable, on avait longtemps attendu avant d'acheter le précédent Arnaldur Indridason : L'homme du lac s'était avéré excellentissime et on avait donc bien regretté notre hésitation.
Cette fois, aussitôt sorti, aussitôt dans la PAL : l'Hiver arctique n'aura guère attendu.
Malheureusement, Indridason semble un peu fatigué de ce long hiver et sa dernière livraison n'est pas à la hauteur (certes, très élevée) des précédents romans et donc de notre attente.
Dans ce nouvel épisode, Arnaldur fils d'Indrid s'attaque au racisme qui semble ronger la vie sociale islandaise (tiens donc ...).

[...] - Ce n'était qu'une question de temps, commença Kjartan, d'un ton qui laissait transparaître de l'agacement. On ne devrait pas laisser ces gens-là entrer dans notre pays, continua-t-il. Ils ne font qu'engendrer de la violence. Il fallait que ce genre de choses arrive tôt ou tard.. Qu'il s'agisse de ce garçon-là dans cette école-là, dans ce quartier-là, à ce moment-là, ou d'un autre garçon à un autre moment ... ne change rien à l'affaire. Cela serait arrivé et arrivera à nouveau. Soyez-en sûr.

Et encore :

[...] - Il y en a trois comme lui dans sa classe, continua Kjartan. Et plus de trente dans l'ensemble de l'école. On ne le remarque même plus quand il y en a de nouveaux qui arrivent. Et c'est partout comme ça. Vous êtes allé au marché aux puces de Kolaport ? On se croirait à Hong-Kong ! Et personne ne s'en inquiète. Personne ne s'inquiète de ce qui est en train d'arriver à notre pays.

Heureusement qu'Elinborg, la collègue de l'inspecteur Erlendur, est là pour tempérer les propos de ce sinistre Kjartan !

[...] - Nous sommes d'accord pour que les étrangers viennent chez nous se coltiner le sale boulot sur les chantiers des barrages et dans les usines de poisson; ça ne nous gêne pas qu'ils fassent le ménage pendant qu'on a besoin d'eux pourvu qu'ensuite, ils repartent !

Bref, la lointaine Islande ne semble pas épargnée par les maux du siècle.
Apparemment nombre de Thaïlandais ont immigré là-bas : mais que diable vont faire les thaïs en Islande ?!!!
Mais bon, l'inspecteur Erlendur semble comme dépassé par les évènements : il se promène presque à côté de l'enquête, laissant le boulot à ses deux collègues (Elinborg et Sigurdur).
Il ne nous reste qu'à attendre la traduction du prochain épisode (écrit en 2007), en espérant que la crise dans laquelle se débat aujourd'hui l'Islande n'aura pas eu raison du sombre inspecteur ... 


Pour celles et ceux qui aiment les îles lointaines, même froides et pluvieuses.
Métailié édite ces 335 pages traduites de l'islandais par Éric Boury et qui datent de 2005 en VO.
Cottet, Essel et Clarabel en parlent.

mardi 29 janvier 2008

Le bouddha de banlieue (Hanif Kureishi)

Londonistan.

Hanif Kureishi est plus connu comme l'auteur de My beautiful Laundrette qui a servi de scénario à Stephen Frears.
Avec Le bouddha de banlieue, voici un roman fortement autobiographique qui raconte la jeunesse à Londres d'un fils d'émigré Paki ...
[...] Comme beaucoup d'indiens, mon père, quoique petit, était beau et bien fait avec des mains délicates et des manières gracieuses. À côté de lui, la plupart des anglais donnaient l'impression d'être des girafes maladroites. [...] Il était en particulier aussi fier de sa poitrine que nos voisins l'étaient de leur cuisinière électrique. Au moindre rayon de soleil, il enlevait sa chemise, se précipitait dans le jardin avec un transat et son journal.
et d'une mère British ...
[...] Ma mère était une femme potelée qui n'attachait guère d'importance à son corps. Elle avait un visage rond et pâle et de gentils yeux mordorés. Elle considérait son corps comme un objet gênant qui l'entourait, uen sorte d'île déserte, inexplorée, sur laquelle elle aurait échoué.
Hanif Kureishi est fin et plein d'humour, tendre envers ses personnages, et il n'est jamais aussi bon que quand il décrit sa famille paki émigrée dans la banlieue Sud de Londres : les parents, les frères, la cousine émancipée, les tantes ou les oncles épiciers, ...
On parcourt ainsi les rues de Londres mais aussi les années 70 (puis 80) et c'est, pour ces immigrés comme pour beaucoup d'autres, les années de la découverte de la liberté : Soft Machine, Pink Floyd (ahh Ummagumma !), King Crimson, Emerson Lake & Palmer, tout y est ! ... avant plus tard les punks.
Une époque où les drogues n'étaient pas encore dures et où le désir n'était pas synonyme de maladie sexuellement transmissible (Karim, le héros de Kureishi s'essaie à tous les plaisirs et avance à voile et à vapeur).
On a lu en diagonale un passage un peu plus lourdingue quand Karim se lance dans le théâtre (l'agit-prop des années 70 !) et se regarde un peu trop le nombril (pour ne pas dire un peu plus bas) préfigurant ainsi la gay generation dont la seule préoccupation existentielle semble être de savoir avec qui coucher ce soir.
Mais cela ne suffit pas à gâcher cette intéressante et amusante plongée dans les années passées et les milieux indiens de Londres.

Pour celles et ceux qui aiment replonger avec nostalgie dans leurs années 70. 
D'autres avis sur Critiques Libres.