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mercredi 10 septembre 2025

Rojava - tome 1 (Ducoudray & Morice)

[...] La vie ! La femme ! La liberté !


Il faut saluer cette sympathique mise en images du combat des femmes du Kurdistan : il n'y a pas que des barbus au Moyen-Orient.

❤️❤️❤️🤍🤍

Les auteurs, l'album (56 pages, août 2025) :

La rentrée littéraire c'est aussi des albums BD : voici Rojava avec Aurélien Ducoudray au scénario et Sébastien Morice au dessin.
Sa formation d'architecte permet à S. Morice de se montrer très réaliste dans les scènes de guérilla urbaine au cœur des ruines syriennes et A. Ducoudray a réalisé de son côté un gros travail de documentation pour décrire cet épisode de la guerre civile syrienne. 
Un second épisode est programmé : on a déjà hâte !

Le contexte, le pitch et les personnages :

L'héroïne, Rojava, est une très jeune femme kurde (16 ans !) qui s'engage comme sniper (snipeuse ?) dans les YPJ, la déclinaison féminine (depuis 2013) des YPG (Yekîneyên Parastina Gel : Unités de Protection du Peuple), la branche armée de la lutte pour l'indépendance du Kurdistan au Moyen-Orient.
La nouveauté peut-être, c'est que les dirigeants des unités YPJ sont des dirigeantes, leurs chefs sont des cheffes, et ça c'est un peu nouveau dans l'histoire du combat au féminin.
Leur cri de ralliement : « La vie ! La femme ! La liberté ! »
L'ironie de la chose (si ironie il y a ici), c'est qu'elles sont devenues les bêtes noires de Daesh : aux yeux des barbus intégristes, se faire tuer par une femme est déshonorant et ferme la porte du paradis ...
Rojava c'est aussi le nom de la région du nord de la Syrie, c'est donc la partie sud-ouest du Kurdistan.

Lorsque la snipeuse Rojava débarque dans l'album, elle tient le rôle principal dans un reportage Youtube filmé par des journalistes occidentaux, ce qui ne plait pas forcément à la commandante de la section, Rukan.
Pour la petite histoire, A. Ducoudray a eu cette idée en lisant (chez son dentiste !) un reportage-photo de Paris-Match sur des combattantes kurdes vêtues de propre, maquillées, baskets neuves aux pieds, comme à la fashion-week : sans doute un peu d'habile propagande de la part du PKK !

♥ On aime :

 Au premier abord, on pourrait croire à une BD pour ados, mièvre et éducative : l'héroïne est moitié snipeuse moitié youtubeuse et il y a même dans l'équipe une gamine qui collectionne les photos de martyrs !?
De plus, A. Ducoudray parsème son récit de blagues anti-Daesh histoire de détendre un peu une atmosphère de guérilla pour le moins tendue.
Mais ce n'est qu'une amusante façade, et le propos, très documenté, va s'avérer bien plus sérieux que cela.
« [...] Après mon premier affrontement, j'ai décidé de ne plus avoir mes règles ... À partir de là, j'étais dans un monde où il n'y avait plus que la mort, donc continuer chaque mois d'avoir un rappel que je pouvais donner la vie, ça ne coïncidait pas avec ce que je vivais ... »
Ou bien encore :
« [...] - Tiens, mets ce caillou dans ton slip. Chaque fois que tu seras couchée pour tirer, ça te griffera le ventre et tu t'endormiras pas ... Le confort c'est l'ennemi du sniper. »
Pour cette dernière anecdote, A. Ducoudray s'est sans doute inspiré du livre de Azad Cudi, célèbre sniper kurde iranien ("Sniper - Ma guerre contre Daech" éditions Nouveau Monde).
➔ On sait que les guerres changent les pays et les frontières, mais aussi les habitants et les mœurs. Les américains l'ont découvert à la fin de la Seconde Guerre Mondiale quand les noirs sont revenus au pays après avoir servi dans les armes et été acclamés en libérateurs en Europe, ... tout comme les blancs, ou bien encore quand les GI sont rentrés chez eux et ont retrouvé des femmes qui avaient pris les affaires en main ... en leur absence.
Les femmes des brigades YPJ espèrent qu'il en sera de même au Kurdistan, si du moins ces guerres prennent fin un jour.
« [...] Contre Daesh, on est tous égaux, mais après ?
Ils me respectent parce que j'ai un fusil et un uniforme. Change le costume, le respect part avec. 
Notre plus grand combat après Daesh, sera celui d'une société mixte vraiment égalitaire. » 
 Les dessins de S. Morice sont ceux d'une belle ligne claire et laissent toute la place à l'intrigue et aux personnages, dessinés et typés avec soin. On a déjà évoqué son passé d'architecte et la colorisation comme les éclairages font ressortir les différentes ambiances : le bleu pour la nuit sur la terrasse, le rouge au fond des tunnels creusés sous la ville, les ocres du désert, ... 

Pour celles et ceux qui aiment les femmes battantes.
D’autres avis sur BD Gest, Bdthèque et Babelio.
Album lu grâce aux éditions Bamboo/Grand Angle (SP).
Ma chronique dans les revues ActuaLitté et Benzine.  

dimanche 5 avril 2020

Juste parmi les hommes (François Dupaquier)

[...] Enfin dénoncer ces dérives de l’aide humanitaire.

Avec son premier roman, Juste parmi les hommes, François Dupaquier nous conte deux histoires qui vont s’entremêler, deux histoires tirées de son engagement personnel dans la vraie vie : l’une commence en 2011 quand le jeune Ali vit les premiers jours d’un printemps syrien que le régime de Bachar el-Assad va étouffer dans le sang.
Ce sera bientôt la bataille d’Alep.
En 2018, le même Ali est maintenant réfugié aux Etats-Unis et tombe sur une affaire de trafic de farine destinée à l’aide humanitaire USAid.
 Mais sans le savoir, il a visiblement dû mettre son nez où il ne fallait pas et le voilà pris en chasse par des mercenaires surentraînés qu’il ne fallait pas rouler dans la farine.
Dupaquier réussit une double prouesse, façon Le dessous des cartes.
Avec sa première histoire il nous raconte la guerre de Syrie au ras non pas des pâquerettes mais des décombres, des gravats, des kalash et des fuyards, mais tout en nous expliquant, l’air de rien, toute la géopolitique complexe de ce p... de pays. Remarquable de clarté.
[...] Elle qui a toujours refusé les armes, la militarisation de la contestation, se demande comment la Syrie a pu en arriver là. Comment ce combat pour la liberté a attiré des quatre coins de la planète ce que l’homme a de plus mauvais.
[...] La guerre a pris un nouveau tournant. C’est le moment où il va falloir se débarrasser de tous les témoins gênants et effacer de l’histoire les atrocités commises. 
Le second volet est peut-être encore plus passionnant : une plongée sans concession, à la limite du cynisme, dans les dessous de l’aide humanitaire.
[...] On produit davantage qu’on ne consomme. Il faut alors trouver quoi faire de ces surplus pour continuer à soutenir les agriculteurs des pays occidentaux.
[...] On en est à deux générations nées dans ces camps qui reçoivent de la farine comme nourriture mois après mois, année après année. 
On ne vous raconte pas pour vous laisser découvrir tout cela au fil des pages mais c’est tout simplement effarant, il n’y a pas d’autre mot et l’on préférerait ne pas savoir tout ça. Trop tard maintenant.
L’écriture reste modeste et standard mais la lecture fluide et agréable, la bluette entre le syrien et la journaliste est parfois peut-être un peu trop rocambolesque, mais ces petits défauts sont à pardonner sans hésiter au vu de l’intérêt de cette détonante histoire.

Pour celles et ceux qui aiment voir le dessous des cartes.
D’autres avis sur Babelio.