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mercredi 29 octobre 2025

Un jour, ça finira mal (Valentin Gendrot)

[...] Les signaux faibles du drame.


En 2021, Jérôme a tué Magali à coups de batte de base-ball.
Le meurtrier se suicidera avant son procès et c'est Valentin Gendrot qui va nous faire le récit (incroyable) de l'histoire vraie de son cousin Jérôme.

❤️❤️❤️🤍🤍

L'auteur, le livre (320 pages, septembre 2025) :

Le journaliste Valentin Gendrot cède à son tour aux sirènes de la mouvance littéraire française d'aujourd'hui qui veut qu'un bon auteur écrive sur sa vie, sa mère, son père, sa famille.
Mais après la lecture de son récit, il y aura largement de quoi lui pardonner d'avoir écrit sur son cousin : Un jour, ça finira mal est sous-titré Jérôme a tué Magali car il faut bien appeler un chat, un chat et un féminicide, un meurtre.

Le pitch et les personnages :

Ce n'est pas vraiment un pitch ni même un résumé, plutôt une brève d'actualités [clic] ...
En février 2021 près de Rennes, Magali Blandin, mère de quatre enfants, est tuée à coups de batte de base-ball par son mari Jérôme Gaillard, parce qu’elle l’avait quitté.
Jusque là ..., mais c'est pas tout.
Les parents de Jérôme, Jean et Monique, avaient prêté une belle somme d'argent à leur fils pour acheter les services d'un petit gang de géorgiens. Les voyous sont partis avec le fric et le pauvre Jérôme a dû s'occuper lui-même de Magali.
Jusque là ..., mais c'est toujours pas fini.
Jérôme va se suicider en prison avant son procès.
Ses parents, inculpés comme complices, vont également se suicider rapidement. Il n'y aura donc pas de procès.
Et si ça ne vous suffit toujours pas, sachez également que Franck, le frère de Jérôme, second fils de Jean et Monique, s'était suicidé lui aussi quelques années auparavant : poussé à bout parce que sa chérie le quittait (faut dire qu'il la cognait un peu aussi).
De la famille Gaillard, deux parents, deux frères, il ne reste donc plus personne.
Si c'est pas une famille dysfonctionnelle ça !
S'il ne s'agissait pas d'une histoire 100% vraie, on aurait pu se dire que Valentin Gendrot poussait vraiment le bouchon un peu loin et en faisait un peu trop.
Son éditeur avait même quelques appréhensions : « Éviter les additions d’horreurs, un conseil de mon éditrice. Je le note, promets d’essayer. »
Mais non, les faits, rien que les faits : Monique était la sœur de son père, Franck et Jérôme ses cousins, l'écrivain se contente de raconter l'histoire d'une branche de sa famille, « la branche pourrie de [son] arbre généalogique. » 
« Mon grand- père cognait ma grand- mère. Jean cognait Monique. Franck cognait sa femme. Jérôme a tué Magali.
[...] Une longue liste de violences conjugales, un terme souvent mal choisi car il devient impossible d’en connaître l’auteur et la victime. Ici , le schéma se répétera, encore et encore, et toujours dans le même sens.
[...] Je suis le cousin de l’assassin. Je suis le neveu des complices. »

♥ On aime mais c'est rude :

 On peut supposer que Valentin Gendrot a longtemps hésité avant de se lancer dans ce récit.
« Je pose une question. Pourquoi écrire sur ce sujet ? Et mes réponses, courtes, de s’enchaîner. Pour la gravité des faits. Pour raconter ce monde que beaucoup croient enfoui. Parce que l’histoire familiale est dingue. Pour documenter les raisons d’un féminicide. Ce qui pousse un homme à tuer sa femme, à y entraîner ses parents. »
Le journaliste documente ici un monde rural qu'il connait bien « pour l’avoir souvent subi. [...] Les idéaux de la propriété : la femme, la terre, la maison. »
Le messager se doit de porter la parole, raconter « l'histoire de ces coupables qui ne seront jamais jugés, de ce clan ».
Et puis en filigrane, tenter de répondre à cette puissante question : « celle de ne pas avoir décelé les signaux faibles du drame », de ne pas avoir imaginé, ou du moins pas assez clairement, que « un jour ça finira mal ».
 Autant vous prévenir, Valentin Gendrot ne fait vraiment aucun effort pour rendre son histoire attrayante ou la lecture agréable. Aucun effort car « nous ne sommes pas dans un polar, où la vérité, rien que la vérité, éclate à la fin du texte ».
Les faits rien que les faits, bruts, sidérants, d'une horreur indicible à vous en faire lâcher le bouquin.
L'homme insondable, masculinité toxique, instinct de propriété, à vous faire désespérer du genre humain.
Voilà une lecture absolument nécessaire mais particulièrement éprouvante : Magali fut la « vingt-troisième victime de féminicide de l’année 2021 ».

Pour celles et ceux qui aiment comprendre.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Stock (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.  

vendredi 22 août 2025

Les adversaires (Michael Crummey)


[...] - Ça va mal, ça va mal, murmura-t-elle.

Un récit truculent et plein de verve pour ce roman très noir : dans un petit village de pêcheurs de Terre Neuve au XIXe, l'affrontement terrible d'un frère et d'une sœur pour le contrôle du commerce et de la pêche.

❤️❤️❤️❤️🤍

L'auteur, le livre (368 pages, août 2025, 2023 en VO) :

Michael Crummey est un auteur canadien anglophone déjà bien connu chez lui.
Son roman Les adversaires était paru en 2024 chez Phébus et le voici ré-édité en petit format chez Libretto pour la rentrée littéraire 2025.

Le pitch et les personnages :

Mockbeggar, un petit village de pêcheurs, un simple poste de pêche, un « coin reculé du Royaume de Dieu », sur la côte Est de Terre-Neuve (aujourd'hui un quartier de Bonavista).
Au début du XIXe, c'est là que quelques colons protestants venus d'Angleterre, une poignée de catholiques irlandais et quelques austères quakers, affrontent une nature rude et sauvage dans l'espoir d'une bonne fortune ou l'oubli d'un sombre passé. 
Une terrible épidémie vient de décimer la petite communauté et de rebattre les cartes parmi ceux qui entendaient dominer le commerce de la région. Un frère et une sœur se retrouvent à la tête de deux compagnies de pêche concurrentes : la désormais riche Veuve Gaines, intrigante et manipulatrice, et le rustre Abe Strapp, violent et mal dégrossi.
« [...] – Tu souhaites ma mort, pas vrai ? demanda-t-il en lui jetant un sourire. 
– De tout mon cœur. 
– Moi, vois-tu, je souhaite pas la tienne, dit-il en se dirigeant vers la porte. Il posa une main dessus avant d’ajouter : J’espère que tu vivras longtemps. Et que chaque instant sera pour toi un tourment aussi noir que ce que tu vis maintenant. »
Mockbeggar va devenir le théâtre de leur affrontement et sur ce petit échiquier, les habitants ne sont que des pions manipulés par l'une ou par l'autre dans cette lutte incessante. Un plateau de jeu que les tempêtes, les flibustiers, les famines, les caprices de la mer ou les glaces du Labrador, viennent régulièrement renverser pour relancer la partie.
Leurs deux intendants, le sacristain Abraham Clinch pour Abe Strapp et Aubrey Picco pour la Veuve Caines, essaient tant bien que mal d'endiguer le chaos.
« [...] Le Sacristain ne tolérait pas les commérages au sein de son équipage, mais hors de portée de ses oreilles, le meurtre de Dallen Lambe et la noyade de Seamus Fleet le jour de la Saint-Patrick furent amplement commentés. Tout comme la Veuve Caines et l’accoutrement répréhensible qu’elle avait adopté depuis la mort de son mari, ainsi que le fléau sans pitié qui avait ravagé la côte et pris trois d’entre eux. En mettant bout à bout tous ces signes et ces épreuves, les marins en vinrent à la conclusion qu’ils assistaient probablement à la fin des temps dont il était question dans le Livre de l’Apocalypse. »

♥ On aime :

 Voilà un roman truculent, haut en couleur, plein de pittoresque et de vigueur. Le canadien est très en verve et sa faconde élégante manie la langue avec brio pour nous brosser une fresque digne des plus sombres naturalistes flamands : né à Terre-Neuve où il vit toujours, cet écrivain a des récits captivants à partager sur sa terre natale.
 Avec ce presque huis-clos (le lecteur ne quittera pas le village et ne prendra même pas la mer) l'auteur nous fait partager la vie de ces exilés qui affrontaient une nature rude et impitoyable, dans un lieu et une époque où il ne faisait pas vraiment bon vivre.
Michael Crummey a réussi à donner vie à une sacrée galerie de personnages d'où émerge l'énigmatique figure de la Veuve Caines, une femme qui s'habille en homme et pour laquelle le lecteur, partagé entre fascination et suspicion, hésite à prendre fait et cause, instinctivement poussé à se méfier d'elle autant que du diable en personne.
La prose éloquente et l'humour féroce cachent un roman très noir, où l'on ne sait trop si le chaos va naître de la folie des hommes ou de celle de la nature.

Pour celles et ceux qui aiment la pêche à la morue.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Libretto (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.  

lundi 18 août 2025

Les mandragores (Marius Degardin)


[...] - Encore en vie ?

Un premier roman percutant signé par un très jeune auteur : l'histoire d'une fratrie abandonnée par les parents. Marius Degardin ose se faire une place sur la scène littéraire.

❤️❤️❤️❤️🤍

L'auteur, le livre (312 pages, août 2025) :

On sait depuis Corneille, que la valeur n'attend pas le nombre des années. En voici encore la preuve avec ce premier roman Les mandragores, du très jeune (22 ans !) Marius Degardin.
Notre record était détenu à 23 ans par l'italien Matteo Porru avec La douleur fait naître l'hiver.
C'est toujours un grand plaisir et une grande satisfaction que de découvrir une nouvelle plume, une nouvelle voix qui, même noyée dans le bruyant tumulte d'une rentrée littéraire, reste assez forte pour se faire entendre et captiver l'attention de ses lecteurs.
L'an passé, les éditions Le Panseur nous avait proposé le premier roman de Bénédicte Dupré La Tour (Terres promises), une sacrée lecture, qui était monté sur notre podium 2024 et c'est encore une bonne pioche cette année avec ces Mandragores.
Les mandragores a été sélectionné cette année pour le Prix Fnac et le Prix Envoyé par la Poste.

Le pitch et les personnages :

Ce jeune auteur nous invite au restaurant à Paris, entre Bastille et République, un établissement à l'enseigne prometteuse « Amore e Gusto »
Mais ne salivez pas trop vite : le resto a été abandonné par les tenanciers italiens Silvio Cipriani et Giuletta Umiliani.
Abandonné, tout comme les quatre enfants qui vivotent dans le resto de leurs parents qui leur ont laissé « juste un grand vide au fond du bide ».
Et c'est donc l'histoire de cette fratrie, quatre enfants d'immigrés italiens, les quatre Cipriani littéralement abandonnés par leurs parents : « quelques photos, des lettres, un portefeuille troué avec quelques lires dedans, et un carnet. On avait plus que ça des parents. Ça et des souvenirs qu’on aurait préféré enterrer. ».
L’aîné c'est Primo, la colère incarnée, c'est lui qui organise tous les mois un « dîner de famille » où ils se retrouvent tous les quatre, pour boire plus que pour manger, peut-être parce que « c’est seulement quand on a le ventre rassasié qu’on sait si on est vraiment malheureux. ».
Piero, c'est l'aveugle qui picole et « il tapait fort dans l'éthanol ».
La fille c'est Chiara, une jeune sage-femme affligée d'un bec de lièvre ce qui lui donne parfois un « beau sourire vertical ». Elle, c'est une révoltée.
« [...] « Sages le jour, femmes la nuit » : c’était la devise qu’elles avaient brodé sur leur veste en cuir. Le collectif se retrouvait toujours en tête de cordon les jours de manif. Drapeau rouge sur l’épaule , foulard sur le nez et pavé dans la gueule des CRS, c’était le même refrain : ma sœur revenait toujours amochée de ses entrevues avec le pouvoir. »
Le petit dernier de la fratrie, c'est lui qui raconte. Il se fait appeler Benoît car il aime pas trop le prénom sous lequel il a été déclaré par son père : Benito ... en l'honneur du Duce.
« [...] Une fratrie d’Italiens qui pieute dans une brasserie de ritals en perdition, ça n’avait choqué personne dans le quartier. Une fois nos parents partis, on avait même gagné la pitié des concierges voisins. Ça se traduisait par des petits sourires et des invitations qu’on déclinait toujours en regrettant, le ventre vide, mais fiers. »

♥ On aime beaucoup :

 Ces quatre-là sont nés de parents plus que toxiques, délétères, dangereux, les mots ne sont pas assez forts, et ils ont vécu des histoires vraiment pas possibles. Et encore, j'ai pas mal édulcoré la présentation. 
Heureusement, le roman navigue bien au large de l'écueil du misérabilisme complaisant. 
Bien au contraire, c'est la rage qui domine ce récit. Une rage nourrie par une injustice implacable et une rage de (sur-)vivre et de s'en sortir, coûte que coûte. 
S'il fallait une référence, le ton serait un peu celui de L'enragé de Sorj Chalandon.
 La première partie du bouquin où Benito/Benoît nous présente sa fratrie est une véritable claque littéraire. Ça fuse de toutes parts et Marius Degardin tape fort à coups de bonnes formules sur le thème "familles, je vous hais".
« [...] Je farfouille dans les chips mais je trouve pas le goût que je cherche. Poulet, barbecue, moutarde, ils ont de tout mais pas « retrouvailles heureuses en famille ». Merde alors !
[...] Un curé en fin de carrière. Il a visiblement pas trop suivi l’histoire puisqu’il a parlé d’une famille aimante qui se retrouvera dans l’au-delà. Je suis bien content que ce dernier n’existe pas. »
Marius/Benito, « la rage au ventre et les tripes tordues », tape, cogne, comme un boxeur sur son sac de frappe, soufflant à grand bruit de han ! et de han ! qui viennent déranger quiétude et silence car chacun sait que « les histoires de famille ont la très mauvaise habitude de se consumer dans un odieux silence » .
Mais cette furie est aussi « une invitation au courage, le refus de la passivité angoissée ».
 Un peu plus loin, la furie devient folie furieuse, et au sens propre, puisque nous voici enfermés à Sainte-Anne : si le titre évoque la floraison des mandragores, c'est que les pendus ne sont pas bien loin.
Ce n'est qu'un premier roman et l'on sent là que Marius Degardin ne maîtrise pas toujours sa plume et se laisse parfois emporter par la véhémence de son personnage, et il y a de quoi.
 Au fond de nous, on préfère ne pas savoir ce que l'auteur partage avec ses personnages, mais visiblement Marius Degardin est quelqu'un qui a quelque chose à dire. 
Un premier roman percutant signé par un auteur bien jeune qu'il va falloir suivre de près.

Ce livre fait partie de la sélection du prix Envoyé par la Poste qui récompense les jeunes talents ayant transmis par voie postale leur manuscrit à un éditeur.
Il est également retenu dans la sélection du Prix Fnac 2025.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires de famille.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Le Panseur (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.  

vendredi 27 juin 2025

La colline qui travaille (Philippe Manevy)


[...] Parce qu’ils sont ordinaires et uniques.

Plus qu'une autobiographie, Philippe Manevy nous propose une "biographie généalogique" avec l'histoire de ses grands-parents, ouvriers de la soie à Lyon au siècle dernier. Devoir de mémoire.

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L'auteur, le livre (369 pages, janvier 2025) :

Le français Philippe Manevy a posé ses valises au Québec il y a belle lurette. L'abandon de ses racines l'a finalement poussé à écrire sur sa famille, peut-être sur une idée de sa mère : « Et ma mère de conclure la soirée : « Toi qui aimes écrire, tu pourrais raconter tout ça, un jour. ».
Un bouquin dont les thèmes (filiation et classe sociale) sont à rapprocher de ceux abordés, par exemple, par José Enrique Bortoluci dans son livre Ce qui m'appartient, ou encore par Annie Ernaux à qui Manevy consacre tout un chapitre.
Un ouvrage qui fait partie de ceux qui « me font traverser des périodes de l'Histoire que je n'ai pas vécues, m'aident à comprendre des réalités sociales dont j'ignore tout. ».

♥ On aime :

 Voici encore un auteur qui semble, du moins en premier abord, s'inscrire dans le mouvement très tendance de ces écrivains français qui considèrent que le meilleur roman est encore celui de leur propre vie. 
Ou plus exactement ici, le roman de leur propre famille puisque Philippe Manevy va nous raconter l'histoire de ses grands-parents (lui-même est né en 1980, ses grands-parents dans les années 1900).
Manevy parvient néanmoins à prendre du recul et à offrir un regard suffisamment distancié sur ce récit comme lorsqu'il écrit que « la famille [...] n’a jamais autant fasciné que dans les dernières décennies. Tout le monde ou presque, moi compris, est tenté de raconter son histoire. On pourrait mettre cela sur le compte d’un narcissisme typique de notre époque : valorisation des blessures intimes au détriment des luttes collectives. »
S'il sera ici toujours question du "je", pour autant il s'agira plutôt de biographie généalogique.
Et si ce bouquin arrive à se distinguer du flot des autofictions qui inondent nos librairies, c'est parce que Philippe Manevy s'intéresse finalement un peu moins à lui-même qu'à sa famille et surtout à ses grands-parents : « je les raconte parce qu’ils sont ordinaires et uniques. Parce que je me cherche en eux, et dans notre passé disparu. Parce que, me cherchant, j’espère bien trouver autre chose. ».
➔ Ce qui rend également ce roman captivant, c'est son enracinement dans le "social". Le titre provient d'une bonne formule que connaissent tous les lyonnais dont la bonne ville est ancrée à la confluence de deux fleuves et aux pieds de deux collines : la colline de Fourvière où trône, majestueuse, la basilique du même nom et à l'ombre de laquelle prospèrent les bons bourgeois, et la colline de la Croix-Rousse dont les pentes abritèrent longtemps les fameux canuts, ces ouvriers de la soie qui furent à l'avant-garde des révoltes ouvrières du XIXe. 
Les lyonnais vivent donc entre la colline qui prie et la colline qui travaille« deux buttes jumelles et ennemies, se faisant face. ».
Comme le suggère le titre du livre, c'est sur cette dernière qu'a pris racine la famille de l'auteur et son grand-père maternel est « l'anticlérical, l'ouvrier, le syndicaliste de toujours ».
« [...] Ces canuts ne correspondaient pas à l'image que je m'étais faite du prolétaire d'après "Germinal" : propriétaires de leurs métiers à tisser, ils devaient avoir des connaissances techniques assez poussées pour les faire fonctionner, les réparer, les perfectionner au besoin.
Éduqués, tenant leur propre journal et se réunissant régulièrement, ils n'avaient pas besoin qu'un chef venu d'ailleurs les secoue pour prendre conscience de l'injustice. Leurs revendications, exprimées haut et fort, menaçaient le pouvoir en place. »
 À la fin de cette lecture à plusieurs niveaux (famille, histoire, Lyon, besoin d'écriture, ancrage social, ...), une question demeure, presque un regret : pourquoi nous, nous n'avons pas transcrit la mémoire de nos grands parents ? 
Sans prétendre au roman bien sûr, mais au moins dans le but de coucher sur le papier ce qui a déjà disparu ... Étions nous donc si pressés de tourner la page du siècle passé ?
On a presque tous connu, même brièvement, un grand-père ou une grand-mère, mais quels sont les métiers que cet aïeul a exercés, les chemins qu'il a suivis, les différents lieux où il a vécu, les difficultés qu'il a surmontées, les événements qui l'ont façonné, les gens qu'il a aimés, les blessures dont il a souffert, ... ? 
Et puis, est-ce que cette mémoire perdue manquera aux générations futures ?

Les personnages :

Philippe Manevy est né en 1980, ses grands-parents dans les années 1900.
Son grand-père maternel, René, appartenait à l'élite de la classe ouvrière, les ouvriers du livre : il travaillait à la linotype dans les journaux lyonnais et « l'orthographe était pour lui la forme typographique de l'élégance vestimentaire ».
Alice, son épouse, tirait les fils de soie dans les ateliers de tissage.
Dans ce récit de leur histoire, l'auteur se fait souvent très didactique comme, par exemple, lorsqu'il explique la chanson Nini Peau de Chien : peut-être pour son public québécois ou des français trop jeunes qui ne maîtriseraient pas nécessairement toutes les références de ce passé populaire.

Pour celles et ceux qui aiment les canuts de Lyon.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Le bruit du monde (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.  

vendredi 20 juin 2025

Un perdant magnifique (Florence Seyvos)


[...] Le sentiment de vivre avec un fou.

Portrait de famille recomposée : une mère et ses deux filles fascinées par un beau-père mythomane.
Florence Seyvos décortique avec soin et délicatesse, les relations subtiles et complexes de ces trois femmes prises tour à tour dans le tourbillon d'une folie douce.

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L'auteure, le livre (144 pages, janvier 2025) :

Florence Seyvos, née en 1967, n'a pas volé son succès et a déjà raflé plusieurs prix, notamment pour Le garçon incassable (2014).
Avec Un perdant magnifique (déjà couronné du Prix Livre Inter 2025 et d'autres encore), elle s'inscrit dans le mouvement très tendance de ces auteurs français pour qui le meilleur roman est celui de leur propre vie. 
Cette autofiction qui a envahi nos librairies, on aime ou on n'aime pas c'est selon, mais indéniablement Florence Seyvos se distingue du lot grâce à son travail sur l'écriture et peut-être aussi parce qu'elle a su mettre un peu moins d'auto et beaucoup plus de fiction dans sa recette : un mélange plutôt réussi.

Les personnages et le canevas :

Les années 80 (avec plein de petits détails amusants qui datent !). 
Une mère, Maud, deux filles d'un premier mariage, Irène et Anna (la narratrice), et un beau-père, Jacques.
Une famille en plein tourbillon, mère et filles habitent au Havre, de retour d'Abidjan où Jacques travaille toujours. Il revient les voir régulièrement, disparaît, réapparaît, tel le lapin d'un prestidigitateur.
Magicien, il l'est, assurément. Il sait comment hypnotiser son public, sa famille assise au premier rang. Le lecteur juste derrière.
« [...] Nous ne parlions pas du fait que nous avions le sentiment de vivre avec un fou. Pourtant depuis des années, le soir, sous nos yeux, Jacques allait se coucher, une carabine à l’épaule. Parce qu’il était persuadé que des gens pouvaient venir nous attaquer la nuit. »

♥ On aime :

 Le beau-père Jacques, c'est lui Le perdant magnifique. Il est dépensier, instable, impatient, inconséquent, égoïste, autoritaire, imprévisible, irresponsable, ...
Mais il est aussi, flamboyant, fascinant, affectueux, gentleman, héroïque, joyeux, charmeur, ...
Les deux listes pourraient s'allonger encore et encore et même se mélanger car quand on est un peu l'un, on est aussi un peu l'autre.
Aucune violence dans cet homme (c'est pourtant très tendance, ça aussi) même s'il est incroyablement toxique et si ses magnificences causent pas mal de dommages collatéraux.
Ce perdant magnifique on va le découvrir par les yeux des femmes de sa vie : Anna, sa sœur et leur mère.
 Plus qu'au bonhomme, le roman s'intéresse plutôt aux trois femmes que Jacques subjugue et tient sous son charme. Mais il ne s'agit pas d'une fascination naïve et béate. La relation de ces quatre-là est bien plus subtile, ambiguë et compliquée que cela. On n'en dévoile pas plus mais c'est assez passionnant et l'on dévore ce petit bouquin, avide de comprendre ... si tant est que l'on puisse comprendre.
 Et puis bien sûr, il y a la prose de Florence Seyvos. Factuelle, simple, anecdotique, quasiment dépourvue d'introspection, de sentiments. C'est toute la puissance de ce roman qui laisse au lecteur le soin d'imaginer (sans gros effort : les faits relatés sont transparents) d'imaginer les sentiments de ces trois femmes prises tour à tour dans la tourmente de ce magnifique perdant.
« [...] Nous nous étranglons de rire en silence pour ne pas que notre mère nous entende, nous rions comme des hyènes en frappant la table, nous en tombons presque de nos chaises, nos larmes ruissellent. »
Au lecteur le soin de juger si ces larmes sont de joie ou de désespoir. Ou d'un peu des deux.
Voilà un portrait de famille tendre et attachant (tiens, on serait pas fasciné, nous aussi ?).

Pour celles et ceux qui aiment la famille.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions de L'Olivier (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.  

lundi 9 décembre 2024

La propagandiste (Cécile Desprairies)


[...] Elles avaient su « se débrouiller ».

Pendant l'Occupation, le monde des collabos antisémites décrypté de l'intérieur : dans ce roman autobiographique, l'historienne Cécile Desprairies dresse un captivant portrait intime de son passé familial. Pour mieux s'en libérer.

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L'auteure, le livre (216 pages, août 2023) :

Cécile Desprairies est historienne, spécialiste des années d'occupation et de collaboration, une période sur laquelle elle a écrit plusieurs ouvrages très sérieux.
On la découvre ici avec son seul roman, très autobiographique, La propagandiste, un roman de 2023 qui vient de sortir en poche : un de nos derniers coups de cœur de l'année !

Les personnages :

La propagandiste dont il est question, c'est Lucie, nom de code dans le roman pour sa maman. 
La vocation d'historienne de Cécile Desprairies pour l'occupation et la collaboration s'explique alors : elle est née dedans ! 
Ou plus exactement elle est née après (une fois sa mère remariée), mais dans une famille de collabos antisémites qui n'a jamais tourné la page : dans les années 40, maman s'efforce de "traduire" et promouvoir en France la propagande allemande et l'idéologie nazie. Et elle est plutôt douée, “elle est même qualifiée de « Leni Riefenstahl de l’affiche » !”.
[...] Les Allemands ont surnommé la jeune femme “Die Propagandistin”, la propagandiste. Son esprit pragmatique et son sens des priorités la guident.
Elle a épousé en premières noces Friedrich, un nazi bon teint, un biologiste passionné par les théories des gènes et des races.
Il y en aura d'autres, un second époux (le père de l'auteure), et puis des tantes, des oncles, ... tous ont trempé dans la collaboration et se sont enrichis par spoliation et usucapion.

♥ On aime très beaucoup :

 Il est facile de dépeindre les collabos de l'époque comme d'affreux méchants : ils font d'excellents salauds dans de nombreuses histoires. 
Mais Cécile Desprairies réussit là un tout autre exercice : en tirer un portrait (difficile puisqu'il s'agit "des siens"), un portrait qui ne tombe pas dans la caricature, un portrait qui nous éclaire et nous aide à comprendre.
Avec un courage remarquable, elle nous dévoile les secrets de sa famille, nous offrant un aperçu intime de son passé, maintenant que ses parents ne sont plus là.
 La première partie de la vie de Lucie est une “belle histoire d’amour, certes nazie, mais d’amour tout de même”. C'est ce qui fait tout le charme et l’ambiguïté de cette femme, jeune et belle, vive et intelligente : elle est fascinante. Des collabos il y en a eu d'autres, et ce n'était certainement pas la pire. 
Mais Lucie restera éternellement prisonnière de son passé, incapable de laisser derrière elle son ancienne gloire et son premier amour. Elle passera les trois quarts de son existence dans le déni de la réalité car “seul le déni lui reste. Se mentir rend les choses plus supportables”.
[...] Vivre dans le monde d’aujourd’hui, voilà ce qu’elles ne savaient pas faire.
C'est ainsi que l'auteure va grandir dans le mensonge, le déni et le non-dit.
Depuis son enfance Cécile Desprairies cherche à décrypter dans son histoire familiale, le sens réel que peuvent cacher des mots comme occupation ou collaboration. La voici contrainte de jouer à un terrible “Jeu des Sept Familles. On ferait comme si, dans la famille nazie, je demandais le père savant fou, la mère collabo, la grand-mère morphinomane, la fillette perturbée”.
De toute évidence, cette quête a nourri ses ouvrages historiques tout comme ce roman. 
Alors si vous pensiez connaître des parents toxiques, découvrez l'enfance de Cécile Desprairies ! 

Le canevas :

“La petite” Coline (nom de code de l'auteure dans le roman) a grandi à Paris entourée de femmes pieds-noirs.
[...] Le matin, dans l’appartement de mes parents, lorsque la parentèle féminine – mère, tante, cousine, grand-mère – s’y retrouvait, dans une ambiance de gynécée. C’était un club de femmes « à l’italienne ».
[...] Avant neuf heures du matin, elles étaient toutes déjà là. Il allait y avoir des cris et du mouvement, car la paix n’était pas leur fort.
[...] Le cirque des femmes se mettait en branle. Elles jouaient indéfiniment la même pièce, avec variantes mineures.
[...] Et parce qu’il n’y a pas de spectacle sans spectateur, j’étais le témoin muet, « la petite ».
Ces pages sont savoureuses et auraient pu faire un beau roman de famille mais hélas, il nous faut aller au-delà des apparences, des non-dits et fouiller dans le passé de “Lucie”.
[...] Quand elles étaient plus calmes, ma mère et ma tante évoquaient une époque qui leur avait été favorable, juste rétribution du temps où elles avaient « trimé dur pour s’en sortir ». Elles avaient su « se débrouiller ». À les écouter, le monde de « l’Occupation » avait été une sorte de conte de fées. Elles répétaient de façon énigmatique : « On n’est pas passées à côté. » J’ai mis des années à comprendre ce que signifiait cette expression.
Pour comprendre ces femmes, il faut remonter jusqu'à cet hiver 1940 au cours duquel la jeune Lucie qui a tout juste vingt ans, va faire la connaissance d'un alsacien étudiant en médecine.
Lucie et Friedrich, unis dans leur quête d'un monde nouveau et plus pur, filent le parfait amour. Lui, plongé dans la biologie, elle, dans la propagande anti-juive, tous deux œuvrent avec ardeur à façonner cet avenir qu'on leur promet.
À Paris, “le logement du couple a été fourni par le Commissariat général aux questions juives, qui a constaté que le locataire en était « parti »”.
Ils fréquentent Céline (l'écrivain) et Philippe Henriot, “le Goebbels français”, ils participent aux “conférences de l’Institut d’étude des questions juives. L’IEQJ est une sorte d’institut d’opinion sur la « question juive » (c’est le temps où la question n’a pas encore trouvé sa Solution).”
Mais après la Libération, sa mère ne pourra jamais tourner la page et regrettera toujours et son premier amour et cette belle époque où tout lui souriait, où tout lui semblait possible. 

Pour celles et ceux qui aiment les histoires de famille.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Ma vidéo sur facebook et ma chronique dans les revues ActuaLitté et Benzine.

lundi 21 octobre 2024

Les enfants maigres (Tang Loaëc)


[...] Et qui mange les gardes ?

Un roman très court (fort heureusement) sur un sujet terrible : les enfants volés (en Chine) pour travailler clandestinement dans des usines illégales. Un aspect effrayant de notre esclavage moderne.

❤️❤️❤️❤️❤️

L'auteur, le livre (90 pages, mars 2024) :

Tang Loaëc est né de mère chinoise et de père breton : un métissage pas banal ! Un tel héritage l'a poussé sur les mers et il partage sa vie entre Paris et Shanghai.
Son bouquin Les enfants maigres s'attaque à un sujet terrible.

Le contexte :

On oublie trop souvent combien nos sociétés sont dures, violentes, impitoyables.
J'ai même ajouté un sinistre mot-clé enfants-volés sur ce blog pour repérer les bouquins qui évoquent de tels sujets !
En Chine, plus de 50.000 enfants sont enlevés à leur famille chaque année et obligés de travailler comme des esclaves clandestins dans des usines illégales. 
Ceux qui tentent de fuir sont bouffés par les chiens, si les gardiens ne les amputent pas d'une jambe ou d'un bras pour les revendre comme mendiants.
Un véritable marché, un trafic innommable mais nécessaire pour produire à bas coût les gadgets dont nous avons besoin.

Les personnages :

Pour ménager quelques respirations, le livre alterne les chapitres qui portent tous les mêmes titres :
 Un père au cœur arraché : le récit d'un père qui depuis huit ans parcours obstinément les villes de Chine (et la Chine c'est grand !) pour tenter de retrouver son fils volé.
[...] Je n’ai pas l’habitude d’être grandiloquent, ni de me prendre pour un philosophe, je ne suis qu’un homme ordinaire.
 Des enfants volés : le récit de l'un de ces enfants volés, devenu esclave dans une usine clandestine.
[...] Ici nous fabriquons vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours par an, des coques de magnésium et de nickel pour des téléphones.

♥ On aime beaucoup :

 Alors même si Tang Loaëc prend soin de nous avertir que cette histoire nous concerne bien tous (les téléphones), faut-il vraiment se plonger cette sordide histoire tandis que nous sommes abreuvés de catastrophes et de mauvaises nouvelles à longueur d'écrans ?
D'abord parce que c'est un ouvrage court (moins de cent pages) qui se lit rapidement avec une fluidité remarquable et un style agréable, on n'est pas chez Dickens. Les faits, rien que les faits, monsieur le juge.
En évitant le reportage, le pamphlet et même le procès uniquement à charge, l'auteur dresse sans voyeurisme excessif, un tableau précis des conditions de travail des enfants, qu'ils soient employés dans un commerce familial, une mine de charbon ou l'une de ces terribles usines.
 Tang Loaëc évite tout misérabilisme complaisant. Le récit du père comme celui de l'enfant (peut-être son fils ?) sont exemplaires. Pour nous faciliter l'approche, l'auteur a fait de son jeune personnage un warrior ou plus exactement un survivor et l'on pense souvent à l'Enragé de Sorj Chalandon
La combativité du gamin nous permet de poursuivre la lecture en nous laissant entrevoir une petite lueur dans cette vie brisée dès la petite enfance.
 Et puis il y a ce très beau dénouement dont l'élégance mérite à elle seule la lecture de ce tout petit roman, presqu'une nouvelle. On ne peut pas vous en dire plus ici mais sachez que ce n'est pas tout à fait un happy end, on reste en Chine et c'est loin de Hollywood.
 En dépit du terrible sujet, c'est une lecture coup de cœur que l'on ne peut que conseiller, histoire d'ouvrir les yeux sur notre monde pendant une heure ou deux.
Ça passe vite et puis ouf, on peut les refermer ensuite sur un bon polar horrifique et bien sanglant pour changer de cauchemars !
[...] Eux ce sont les gras. Le terme désigne tant les chiens que les gardes. Nous avons pour eux le même jargon, la même haine. Certains courent à quatre pattes, d’autres sur deux jambes, c’est toujours après nous. Nous sommes les maigres, ceux qui travaillent du soir au matin – l’équipe paire – ou du matin au soir – l’équipe impaire. Douze heures d’affilée, c’est trop long. Le corps titube, l’esprit se brouille, les mains commencent à commettre des erreurs. C’est peut-être exprès.
[...] Ce n’est pas pour rien que les gras sont gras. Quand un enfant tente de s’enfuir, les gardes lâchent les chiens. On raconte chez les gardes que si les chiens attrapent le maigre ils le mangent, s’ils ne le rattrapent pas ce sont les gardes qui mangent les chiens. Ce sont les gardes qui le disent et les chiens sont gras. « Et qui mange les gardes ? » C’est la question préférée des maigres. En attendant, nous sommes du mauvais côté des crocs.

Pour celles et ceux qui aiment les enfants.
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mardi 15 octobre 2024

Avec toi je ne crains rien (Alexandre Duyck)


[...] Il faut se méfier de la montagne à tout moment.

Une histoire vraie, un fait divers du Valaisan, racontée dans un beau roman porté par une plume ample et généreuse. Une histoire triste mais une belle histoire.

❤️❤️❤️🤍🤍

L'auteur, le livre (208 pages, avril 2024) :

Alexandre Duyck est un reporter et journaliste français qui pour son roman, Avec toi je ne crains rien, s'est inspiré d'un fait divers suisse, dans le canton du Valais : la disparition en montagne du couple Dumoulin en 1942, dont les corps ne seront retrouvés qu'en 2017.
[...] La presse du monde entier se passionne pour cette tragédie familiale devenue fait divers.
[...] L’histoire des Héritier. Il la connaît par cœur, comme tout le monde par ici. Les deux parents, le 15 août 1942, les vaches, le glacier, les enfants devenus orphelins en un claquement de doigts, la famille explosée.

Le canevas :

C'est donc une histoire vraie que nous raconte Alexandre Duyck. Celle d'un couple disparu en montagne : Francine et Marcelin Dumoulin dans la vraie vie, Louise et Joseph Héritier dans le livre.
Un couple suisse de montagnards valaisans partis à l'alpage surveiller quelques vaches. Ils partent pour deux jours laissant leurs quatre enfants aux bons soins de leur fille aînée et d'une voisine.
Ce matin du 15 août 1942, ils partent un peu tard et Louise ralentit le pas de son colosse de mari (d'habitude il monte seul, elle a insisté pour l'accompagner).
[...] — C’est dangereux, très dangereux.
— Avec toi je ne crains rien. Tout ira bien, ne t’inquiète pas.
Une bonne montée (2.500 mètres tout de même) avec la traversée du glacier des Diablerets à près de 3.000 mètres, avant de redescendre sur l'alpage. 
Ils partent un peu tard et le mauvais temps va se lever trop vite. L'orage et la neige les prendront au milieu de la dangereuse traversée du glacier.
On ne les reverra jamais. Les secours ne retrouveront personne là-haut.
[...] Nous quittons définitivement le glacier meurtrier, tentés de le maudire, si désormais, il ne servait de tombeau à deux excellents chrétiens. L’impossible ayant été tenté pour retrouver leur dépouille, il nous reste à prier pour eux et, à ceux qui généreusement vont se charger de l’éducation de leurs enfants.
Le doute même s'installera au fil des mois et des années : auraient-ils choisi de laisser sur place les dettes et les enfants d'une vie trop rude pour partir aux Amériques ou ailleurs ?
[...] Tous ont grandi accompagnés de cette musique lancinante de l’abandon, à l’école surtout, les fameuses dettes jetées au fond du glacier, l’Argentine…
À l'été 2017 (ah vive le réchauffement climatique !) le glacier des Diablerets rend les corps momifiés par le gel. Des quatre enfants, il ne reste alors plus que les deux filles, deux petites vieilles qui ont maintenant dépassé les quatre-vingts ans et qui peuvent, enfin, faire le deuil de leurs parents. Des parents dont les corps ont la moitié de leur âge.
[...] La vraie disparition, c’est ne pas savoir ce qu’il s’est passé et moi, ça, je l’ai connu, nous l’avons connu et nous avons dû grandir avec ça. Et c’est terrible.

Les personnages :

On aime le portrait très fouillé que l'auteur dresse de cette famille de montagnards sur près de trois générations. Un tableau avec les femmes debout au premier plan.
La grand-mère Ernestine, celle qu'on appelle l'américaine, celle qui a quitté une vie trop dure pour partir en Californie vers une vie peut-être encore plus dure, au début du siècle, à l'époque des chercheurs d'or.
Elle reviendra dans la vallée avec dans ses bagages quelques dollars et une fille, Louise.
Cette Louise c'est la mère, que le père Joseph est venu chercher jusque dans son village.
[...] Il est allé la chercher en 1929 au loin, dans un autre village, plus fou encore, dans une autre vallée. Ce sont des choses qui ne se font pas.
Joseph aurait pu être bûcheron, il fut cordonnier. Louise, instruite par sa mère Ernestine, sera l'institutrice du village, la seule à savoir la langue, à parler sans fautes et sans patois.
Et les enfants, Marguerite l'aînée, à qui Louise transmet le flambeau de l'instruction, puis Suzanne et enfin les deux jumeaux André et Jean.
En 1942, voici quatre orphelins, séparés brutalement et placés dans des familles comme valets dans les fermes ou servantes dans les maisons. Adieu l'instruction et les projets d'avenir.

♥ On aime :

 On aime le portrait panoramique de cette famille sur près d'un siècle et trois générations avec les femmes campées au premier plan. Une histoire "rurale" de montagnards à la vie rude.
 On aime la prose ample et généreuse d'Alexandre Duyck. De la belle langue, à l'ancienne, aux mots choisis et aux tournures classiques. Une véritable logorrhée qui coule comme un torrent de montagne, un flot continu de mots, un flow musical de phrases, et qui pourra peut-être dérouter quelques lecteurs. Mais le bouquin est court et se dévore très vite, au rythme de la marche puissante de Joseph en montagne.

Pour celles et ceux qui aiment la montagne.
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Livre lu grâce aux éditions Actes Sud (SP).
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mercredi 25 septembre 2024

Mater Dolorosa (Jurica Pavicic)


[...] Car c’est ce que font les mères.

Un roman noir fataliste au cœur d'une Croatie meurtrie : restons fidèle aux histoires tristes du croate Jurica Pavičić qui poursuit sa description désabusée d'un pays toujours tourmenté par les souvenirs de l'époque socialiste et les traumatismes d'une guerre encore récente.

L'auteur, le livre (395 pages, septembre 2024, 2022 en VO) :

Rentrée littéraire 2024.
Le croate Jurica Pavičić est né sur la côte Dalmate, à Split en 1965, dans l'une des fédérations de ce qui s'appelait à l'époque la République fédérative socialiste de Yougoslavie avant de devenir la République de Croatie en 1991 lors de l'explosion des Balkans.
Mater Dolorosa est déjà son quatrième roman paru en français et les trois précédents, on s'en souvient, furent de sacrées bonnes lectures.

♥ On aime beaucoup :

 On apprécie toujours autant ce conteur désabusé d'histoires tristes, rythmées par les vents des Balkans, le jugo et la bora. Ses bouquins valent vraiment le détour et ses textes elliptiques, tout en non-dits lourds de sens et d'histoire, marquent fortement le lecteur avec la peinture fataliste d'un pays aux couleurs des vestiges d'un socialisme passé et des traumatismes d'une guerre plus récente. 
Entre la maladie de l'amiante, la pollution des usines désaffectées ou les tragédies récentes comme l'opération Oluja (1995), Split est une ville qui "craque sous le poids de son propre désordre".
[...] Split – cette ville dure et exigeante, chaque jour plus rude et plus laide. Une ville, comprend-elle, qu’elle n’aime pas autant qu’elle l’imaginait.
 La noirceur un peu désespérée du propos est balancée par l'humanité des personnages et la profonde empathie de l'auteur pour ses créatures.
Le récit très factuel est bâti de petites phrases courtes et sèches qui laissent entendre de lourds silences entre les acteurs.
 Trois récits vont s'entrecroiser au fil des chapitres : la mère Katja, la fille Ines et le flic Zvone, vont traverser ces événements jusqu'à une fin peu commune pour un roman noir mais bien dans le ton désabusé qui est celui de Jurica Pavičić.
[...] — Je ne sais pas de quoi vous parlez.
— Ah non ?
— Je n’ai rien à vous dire. Vous pouvez vous en aller maintenant.
— Je peux m’en aller ?
— C’est ça.
— Je vais vous dire. Moi je peux m’en aller. Mais… tout ça, ça ne va pas s’en aller comme ça. Vous le savez. À la fin, tout ça va ressortir.

Le canevas :

Il y a là Katja, la mère, dévastée par l'accident qui a transformé sa vie et qui se réfugie à l'église sans trop y croire, Mario, le fils, qui ne lâche guère les manettes de sa console de jeux, et puis Ines, la fille, qui tente de s'en sortir en bossant dans l'hôtel dont le patron est aussi son amant.
Entre eux trois, règne le silence le plus épais, celui des familles où l'on ne parle pas.
[...] Elle cherche un moyen d’entamer cette discussion. Mais elle n’ose pas. Car cela pourrait les conduire à un endroit où elle ne veut pas aller.
[...] Elle a besoin de paix. L’église lui fait du bien, comme une boîte de silence. Elle est assise et contemple un autel sur le côté, le plus proche d’elle. Sur cet autel, il y a Notre- Dame des Sept Douleurs. [...] Mater Dolorosa. Mère de toutes les mères, une mère qui souffre comme chacune des femmes ici, comme moi, pense souvent Katja.
Mais un séisme va secouer la famille Runjić quand une jeune fille de très bonne famille est retrouvée assassinée dans la vieille usine désaffectée après une soirée alcoolisée dans une boîte à danser.
Alors il y a là Zvone, le flic, qui, tout comme le lecteur, devine bien vite qui suspecter au vu des indices laissés sur les lieux du crime.
Et il y a là encore deux autres flics, Krivić et Tomaš, qui vont préférer suivre la piste d'un violeur récidiviste que tout le monde verrait bien retourner en prison.
[...] Si la police fait fausse route, cela repousse d’autant la confrontation. Chaque jour nouveau est un jour gagné avant que leur vie ne soit emportée par un cataclysme. Mais il est tout le temps clair aux yeux d’Ines que cette histoire ne peut pas bien se terminer.

Pour celles et ceux qui aiment les mères.
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Livre lu grâce aux éditions Agullo (SP).
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vendredi 13 septembre 2024

La barque de Masao (Antoine Choplin)


[...] Je ne sais pas bien ce que signifie être artiste.

Une parenthèse japonisante tendre et délicate dans le tumulte de cette rentrée littéraire, même si le livre fait partie des sélections du Femina et du Renaudot !

L'auteur, le livre (208 pages, août 2024) :

Rentrée littéraire 2024.
Avec La barque de Masao, Antoine Choplin quitte son Dauphiné pour nous emmener au Pays du Soleil Levant.
Et plus précisément autour de l'île de Naoshima, l'île-musée de l'archipel nippon (qu'on a eu la chance de parcourir en vélo il y a quelques années !) : il sera donc question d'art dans ce voyage littéraire, d'autant que l'auteur, un peu poète, un peu artiste, est un habitué des récits où la peinture, l'art ou les musées prennent place.

♥ On aime beaucoup :

 On apprécie la douceur un peu triste de ce court voyage, presque une nouvelle, comme une fable. Avec une délicatesse toute japonaise, même si l'auteur est français, nous voici conviés aux retrouvailles difficiles et maladroites, mais pleines de tendresse, d'un père et de sa fille désormais adulte, longtemps séparés.
 Le livre n'est guère épais mais les navigations de Masao sur la mer de Seto au large des îles nippones, laissent une impression durable chez le lecteur. 
 On goûte avec intérêt les quelques propos d'Antoine Choplin sur les deux musées qu'il évoque dans son livre. Deux musées bien réels où l'architecture du lieu et du bâtiment est conçue en fonction de l'oeuvre qui y est exposée. 
Lorsque le musée est lui-même une oeuvre d'art.
Il s'agit, à Tashima, de celui de l'architecte Ryue Nishizawa créé pour l'oeuvre de Rei Nato et à Naoshima, de celui de Tadao Ando qui abrite des Nymphéas de Monet.

Le canevas :

Voici Masao, ancien gardien de phare, il travaille à l'usine de Naoshima.
Et voici sa fille Harumi, architecte, qui vient travailler dans la région à la construction d'un nouveau musée.
Ils étaient séparés depuis de longues années, n'ayant pas réussi à surmonter le deuil trop difficile de la mère, Kazue.
[...] Elle lui a proposé de prendre le thé mais Masao a préféré attraper le premier ferry pour rentrer chez lui.
[...] Et puis elle a cessé de l’interroger à ce sujet et une gêne est venue, comme une ombre, s’installer au milieu d’eux. Masao a fini par se lever et ils sont redescendus en silence jusqu’au port.
Au fil de ces quelques chapitres, le narrateur nous invite à leurs tendres retrouvailles et Masao nous livre quelques souvenirs d'un passé douloureux.
En creux, se dessine le portrait de l'étrange et mystérieuse Kazue tandis que la fameuse barque construite par Masao sert de fil rouge à cette belle histoire joliment racontée.
[...] Tu sais, Harumi, je ne sais pas bien ce que signifie être artiste. Mais, même sans le savoir, je dirais volontiers que Kazue en était une.

Pour celles et ceux qui aiment le Japon.
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jeudi 15 août 2024

Écume (Patrick K. Dewdney)


[...] La mer le tuera avant quoi que ce soit d’autre.

L'histoire d'un père, d'un fils et de la mer. Un texte étonnant, particulièrement riche, qui enchantera les passionnés de la langue écrite mais qui pourra aussi ne pas plaire à tout le monde.

L'auteur, le livre (176 pages, 2019) :

Patrick K. Dewdney est un auteur britannique de poésie et de fantasy. 
Il vit en Limousin et écrit en français. Après Crocs (pas lu ici), Écume est son second "roman noir" paru initialement en 2017 et ré-édité en 2019 : une histoire de mer, de père et de fils, servie par une prose remarquable.
Ce livre fut couronné du prix Virilo en 2017 (un prix qui voulait parodier le Femina).

Le canevas :

Le quotidien de deux pêcheurs bretons aux prises avec la furie des flots. Le Père et le Fils (ils n'auront pas d'autres noms). La Mère est morte. 
Le Père est s'enfermé dans son mutisme et ne reprend vie qu'à la barre de son bateau face à la démence des tempêtes. Le Fils supporte mal et son sort et l'emprise de ce père à demi fou.
Mais la pêche ne nourrit plus son marin et tous deux survivent en transportant quelques migrants en Angleterre.
[...] Ils vont tous deux en file indienne. Le père marche à l’avant. Son pas est rapide, pressé par l’appel de l’écume. Le fils traîne sur ses talons.
[...] Devant, le père force l’allure et le fils peine à suivre. Le fils a beau dépasser le père d’une tête, la vigueur du père est telle qu’on le croirait surgi de l’âge antique.
[...] Les frasques du père font jaser depuis longtemps. En conséquence, le fils traîne une réputation de tête brûlée qu’il n’a pas vraiment méritée.
Comment font ces deux hommes (le fils est dans la trentaine) pour supporter leur dure condition de marins pêcheurs et pour se supporter l'un l'autre ? Pour affronter sans cesse la violence assourdissante de la mer comme la fureur silencieuse de leurs rapports ? Comment fait le fils pour endurer le vacarme de la pêche comme le mutisme buté de son père ?
[...] Il ne faut pas regarder en arrière. Si le père est balayé par la furie des vagues, s’il part à l’eau cette nuit, le fils a décidé qu’il ne le verrait pas.

♥ On aime beaucoup :

 Lorsque le lecteur embarque à bord de ce roman de mer puissant, cette dure histoire de marins, c'est d'abord le choc de la houle marine.
Et puis très vite celui de la prose elle-même qui déferle écumante, le vocabulaire bouillonnant qui submerge le lecteur, phrase après phrase, vague après vague.
 Après la violence de la mer et de la prose, viendra celle des rapports entre ces deux hommes. Un père quasi dément qui, tel un nouvel Achab, ne vit que dans les risques insensés pris face à la tempête, un fils qui ronge son frein, remonte inlassablement les lignes et les hameçons, attend le point de non retour, mais tout de même qui suit, quoiqu'il advienne.
 Et puis surviendra le drame, promesse de tout bon roman noir. Pas celui que le lecteur attendait mais un enchaînement encore bien plus épouvantable. Face à l'impitoyable dureté du monde, une noirceur terrible baigne ce roman, une noirceur sans fond comme les flots insondables, une noirceur poisseuse comme l'humidité de la timonerie. Mais le lecteur, emporté par le flot, est désormais fermement accroché à l'hameçon et ne pourra plus refermer le bouquin jusqu'au final, remarquable.
[...] On n'oblige pas Charon à faire demi-tour.
[...] Vieux fou, pense-t-il. Le temps qu’il t’aura fallu pour devenir taré ne reviendra pas. Ça a tué ma mère. Ça me tuera aussi, sans doute.
Ouf, quel voyage ! Un voyage où le sang des hommes et des poissons coule ... à flots.

Pour celles et ceux qui aiment la mer qui prend l'homme.
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Ma chronique dans les magazines ActuaLitté et Benzine.

mercredi 10 juillet 2024

Le nid du coucou (Camilla Läckberg)


[...] “Meurtre familial sur l’île”, disait l’Aftonbladet.

L'auteure, le livre (352 pages, juin 2024, 2022 en VO) :

La suédoise Camilla Läckberg n'est pas une inconnue chez nous depuis que Actes Sud publie ses romans dans sa fameuse collection Actes Noirs au liseré rouge qui aura tant fait pour le succès de la vague des polars nordiques. 
La plupart de ses romans policiers se situent à Fjällbacka sur la côte ouest de la Suède, sa région natale, et mettent en scène une romancière, Erika Falck, mariée à un policier, ce qui permet des intrigues avec une double enquête !
Les débuts d'Erika commencent en 2008 (La princesse des glaces) et l'épisode précédent date déjà de 2017 : La sorcière, mais voilà longtemps qu'on avait délaissé cette auteure. 
Il était temps de renouer avec et ce sera Le nid du coucou.

♥ On aime un peu :

 On goûte cette pause estivale. Les polars de Camilla Läckberg ne sont pas là pour nous prendre la tête. Ce sont des bouquins sans surprise, ni bonne, ni mauvaise non plus. Contrairement à l'un des personnages de ce roman, l'auteure ne prétend pas au Nobel de littérature et comme d'habitude, l'intrigue est plutôt travaillée, les personnages relativement fouillés, la prose assez fluide, et tout concourt à une lecture facile et agréable, idéale pour les plages de l'été.
 Avec la riche et arrogante famille Bauer réunie ici, on retrouve un peu l'esprit du Clan Snaeberg de l'islandaise Eva Björg Aegisdóttir paru cette année également : quand secrets de familles, jalousies amères, vieilles rancunes et lourdes compromissions refont surface ...
 Avec homosexualité, abus sexuels, féminisme, l'auteure profite de son enquête pour approcher l'univers des transgenres et des drag-queen. 
Mais d'où viennent ces quelques vulgarités désagréables et hors de propos qui nous sautent de temps à autre à la figure (bite, chatte, pute, ...). On préfère penser qu'il ne s'agit pas d'un souci de traduction mais plutôt d'une volonté vraiment déplacée de paraître moderne ? 

Le canevas :

Un écrivain va recevoir le Nobel de littérature, seule distinction qui manquait encore à son palmarès. Il fête avec sa femme, grande famille suédoise, éditrice très en vue, leurs noces d'or avec leurs enfants, leur famille, les pièces rapportées, les enfants de différents lits, tous leurs amis, leurs relations d'affaires et tout le gratin de la brillante société littéraire et culturelle suédoise. 
Riche et arrogant, le clan Bauer est réuni au grand complet.
Un invité manque à la fête : le photographe Rolf prépare sa nouvelle exposition où de mystérieuses photos doivent dévoiler secrets et culpabilités.
Mal lui en prend : le lendemain matin, les fêtards à la gueule de bois vont le retrouver assassiné.
[...] — Il y a un problème ? demanda Elisabeth. Ils la regardaient tous les deux, surpris. Louise respirait encore profondément pour maîtriser sa voix, puis dit :
— Rolf est mort. Il a été tué.
Dans ce milieu, Erika Falck, l'héroïne récurrente de Camilla Läckberg, dénote un peu, elle qui n'est qu'une simple auteure de biographies criminelles au succès populaire (!). 
Intriguée par cette famille, Erika va enquêter sur un incendie criminel non élucidé depuis les années 80 dans lequel une femme transgenre, proche du clan Bauer, a perdu la vie.
Pendant que son mari, le flic, aura fort à faire avec les meurtres dans la petite ville de Fjällbacka : le couple idéal pour une double enquête !
Les choses vont se compliquer encore lorsqu'un autre meurtre, horrible, est commis sur l'île du clan Bauer ...
[...] — C’est terrible, et en plus, juste après le meurtre du photographe. On se croirait à Stockholm, pas dans notre paisible Fjällbacka !
[...] — Qu’est- ce que vous fabriquez dans ce bled ? On dirait un western, dit Frank, laconique.
[...] En un instant, leur famille avait été brisée. Samedi, ils avaient célébré leurs noces d’or. Entourés de leurs fils, leurs petits- fils et leurs amis, ils avaient fêté une longue vie commune marquée par le succès, leur vie de couple et leur vie de famille. Deux jours plus tard, il n’en restait que les décombres.
Une enquête familiale, une enquête policière, et même une enquête littéraire, avec un final en apothéose où pleuvent les révélations jusqu'aux toutes dernières pages. 
Parce que tout de même, qui est ce coucou venu faire son nid ?

Pour celles et ceux qui aiment Camilla Läckberg et Erika Falck.
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mercredi 3 juillet 2024

Il ne se passe jamais rien ici (Olivier Adam)


[...] J’étais peut-être vraiment dans la merde.

Avec Il ne se passe jamais rien ici, l'auteur breton se fait un temps savoyard pour décortiquer la vie provinciale au bord du lac d'Annecy. Hors-saison.
Une intrigue qui se partage entre analyse sociale et secrets de famille.

L'auteur, le livre (360 pages, mai 2024) :

Olivier Adam s'est fait un peu le porte parole des anti-héros, des petites gens ordinaires en difficulté, des losers en tout genre, des handicapés de la vie, "tous ces gens que personne ne voyait jamais, à qui on ne prêtait jamais vraiment attention".
C'était lui en 1999 l'auteur de Je vais bien, ne t'en fais pas dont Philippe Lioret tira un si beau film en 2006.

Le canevas :

Un petit village de province où tout le monde se connait (trop).
Antoine est l'archétype du loser qui va de petit boulot en galère et qui vit encore aux crochets d'une figure paternelle haïe.
Une soirée trop arrosée au Café des Sports : c'est la seule distraction du coin, hors saison.
Antoine raccompagne Fanny, son ex-petite amie, jusqu'en bas de chez elle.
Le lendemain, Antoine se réveille avec la gueule de bois : le corps de Fanny a été retrouvé flottant sur la rive du lac.
[...] Ils ont retrouvé un corps dans le lac ce matin. Enfin, au bord.
[...] Apparemment ce serait une femme. L’identification serait en cours.
[...] C'est un coin tranquille ici. Il ne se passe jamais rien. Qui pourrait imaginer un truc pareil ? Qu’une jeune femme se fasse tuer comme ça. Et qu’on la retrouve dans l’eau.
[...] Je ne me faisais pas d’illusion. Une femme morte. Fanny. Ça allait partir dans tous les sens. Évidemment deux heures plus tard tout le village était au courant.
[...] C’est là que j’ai réalisé que j’étais peut-être vraiment dans la merde.

♥ On aime un peu :

 On aime retrouver le décor qui sied à tout bon roman noir où l'on sait d'avance que ça va très mal finir : la fille trop jolie, le gars un peu paumé, quelques personnages vaguement inquiétants (un dentiste violent, un père castrateur, ...), tous réunis dans un lieu propice au huis-clos. 
Le lecteur se retrouve enfermé avec eux dans ce petit village au pied des montagnes où, hors saison, le Café des Sports est la seule et unique distraction des gens du coin qui errent de petit boulot en petite galère. Rares sont ceux qui tirent leur épingle du jeu dans ce bled où tout le monde se connait depuis toujours, où tout le monde a plus ou moins couchaillé avec tout le monde, ambiance étouffante garantie.
 On aime la construction de ce roman choral (un style à la mode !) où chaque acteur y va de sa confession pour nous raconter ses tourments, voire même de sa déposition comme pour un interrogatoire de police, réel ou imaginé, face à un curieux flic (ou un flic curieux, ça marche aussi).
Cela nous donne une prose sèche, rapide, dans le style très "oral" du monologue (qui, pour tout dire, pourrait lasser un peu à la longue).
 L'air de rien avec ce faux polar, Olivier Adam s'applique à retourner la carte postale touristique habituelle du lac d'Annecy : les lumières de la riviera brillent peut-être au loin mais ici le lac est d'une profondeur insondable sous l'inquiétante surface noire. 
En choisissant soigneusement ses personnages, il va disséquer patiemment et consciencieusement toute cette micro-société provinciale, une véritable radiographie de la France rurale et ordinaire : chômage, galères et petits boulots, alcoolisme, handicap, sexisme et masculinisme, viol et féminicide, ...
 Et bientôt émergeront les secrets de famille, les tabous, les non-dits enfouis au plus profond des eaux du lac : les lacs sont souvent le décor de nombreux romans noirs [1] [2] [3] !
[...] C’est plein de secrets, cette histoire. Tellement secret qu’il y a que vous qui savez que vous enquêtez.


Pour celles et ceux qui aiment les lacs et les montagnes.
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Livre lu grâce aux éditions Flammarion.
Ma chronique dans 20 Minutes.

lundi 6 mai 2024

Après minuit (Gillian McAllister)


[...] Je passe une drôle de journée, c’est tout.

L'auteure, le livre (400 pages, avril 2024, 2021 en VO) :

Gillian McAllister est une auteure britannique de polars à succès, des psycho-thrillers, connue pour son premier roman Jusqu'à ce que la vérité nous sépare qui date de 2017, 2018 en VF.
Elle vit à Birmingham où elle est avocate, tout comme son héroïne.
Après minuit (Wrong place, wrong time en VO) s'annonce comme un étrange roman à énigme où le temps s'écoule de façon curieuse, un peu à la manière de un jour sans fin ...
Gillian McAllister a écrit son roman pendant le Grand Confinement et dit avoir été initialement inspirée par une série de 2019 : Poupée russe. Elle a voulu écrire "un roman policier où l’on doit empêcher la fin, et raconté à reculons".

Le canevas :

Jen, une maman de Liverpool aperçoit un soir à sa fenêtre son grand fils Todd rentrer à la maison et ... poignarder un inconnu dans la rue ! Sans raisons, ni explications.
[...] – J’étais obligé », répète Todd, plus insistant.
Après une nuit éprouvante au commissariat, Jen se réveille ... la veille du jour fatal ! 
Le surlendemain, elle se réveille ... l'avant-veille ! Et ainsi de suite, jour après jour, perdue dans une boucle temporelle, la maman du fils assassin remonte le temps. Alors que personne ne la croit (évidemment) et que chaque "jour" précédent défait ce qu'elle a pu assembler et qui n'est donc pas encore arrivé (une Pénélope du temps), pourra-t-elle éviter le drame qui attend son fils dans quelques jours ?
[...] Sauf erreur de sa part, demain sera mercredi. Puis ce sera mardi. Et ensuite ? Un retour en arrière perpétuel ? Elle vomit encore , cette fois dans l’évier de la cuisine, le café noir sucré, toute la panique et l’incompréhension.
[...] Ce n’est pas comme ça que se passe dans les films ? Les protagonistes interviennent dans l’histoire. Ils ne peuvent pas y résister, ils deviennent gourmands, ils jouent à la loterie, ils assassinent Hitler.

On aime :

 Ô lecteur, sache bien que tu auras vraiment beaucoup de mal à rentrer dans l'histoire invraisemblable imaginée par l'auteure ! Tout comme Jen l'héroïne d'ailleurs. Pourquoi donc Gillian McAllister s'est-elle embarquée dans un pareil scénario ?! Et toi, qu'es-tu venu faire ici ? Où tout cela va-t-il te mener, si cela mène bien quelque part ? Tu te retrouveras partagé entre le doute raisonnable du sceptique et l'envie furieuse de connaître le fin mot de cette histoire de la marmotte revisitée à rebrousse-poil.
 Mais peu à peu, cette surprenante intrigue trouvera son rythme et toi aussi, lecteur : finalement Gillian McAllister maîtrise bien son coup (te voilà rassuré !) et c'est un peu comme une enquête policière montée à l'envers. Tu penseras peut-être à des histoires vues à l'écran comme Memento, Vortex, 13 reasons why, Poupée russe, Plan B, ... 
Et chaque jour "passé" sera l'occasion pour l'héroïne Jen de rebondir sur une nouvelle piste et pour toi d'explorer une nouvelle explication du pourquoi du comment ...
 Dans ce psycho-thriller domestique au montage original mais qui s'avère plus classique qu'il n'y paraissait, tu ne pourras que prendre fait et cause pour Jen, cette femme de Liverpool qui fait de son mieux, dans son rôle d'épouse et mère comme dans son rôle d'apprentie voyageuse temporelle. Ce roman, plus classique qu'il n'y parait, est également le portrait d'une femme attachante.
[...] Elle a fait de son mieux. Et même quand elle n’y est pas arrivée, son sentiment de culpabilité est une preuve comme une autre : elle a voulu faire de son mieux pour lui, pour son petit garçon.

Pour celles et ceux qui aiment retourner vers le futur.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Sonatine (SP).
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