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samedi 30 août 2025

Hiver à Sokcho (Élisa Shua Dusapin)


[...] Sokcho, une destination balnéaire.

En plein hiver dans une station balnéaire de Corée (du Sud) la brève rencontre d'un dessinateur français et d'une jeune coréenne. Ambiance douce et zen pour ce très court récit d'une amourette qui n'a pas eu lieu.

❤️❤️🤍🤍🤍

L'auteure, le livre (144 pages, 2016) :

Voilà une lecture pour le moins "internationale" : Élisa Shua Dusapin est né en 1992 d'un père français et d'une mère coréenne. Elle même partage sa vie entre la Suisse et la France !
En 2016, elle publie son premier roman, un succès, Hiver à Sokcho, récompensé par le prix Régine Deforges à Limoges en 2017 et qui a été joliment adapté au cinéma en 2024 par Koya Kamura, un réalisateur ... franco-japonais !
Film et livre sont au programme du Festival de Vernoux Roman et Cinéma 2025, ce qui motive cette année notre lecture tardive.

Le pitch et les personnages :

Un français Yan Kerrand, un normand, débarque en plein hiver dans un hôtel pas trop glamour de Sokcho, petite ville provinciale sur la côte nord-est de la Corée du Sud, tout près de la frontière avec celle du Nord. « Sokcho, une destination balnéaire. Qu’il soit prévenu, il n’y avait pas grand-chose à faire en hiver. Les clients étaient rares à cette période. » 
Kerrand est un bédéiste, un dessinateur, venu chercher inspiration et décors exotiques pour de futurs albums. Il trouve que Sokcho ressemble au « monde Playmobil » et voudra visiter les montagnes du Seoraksan et la DMZ (c'est tout de même la frontière la plus infranchissable de la planète et le plus ancien "mur" de notre époque éclairée).
La réceptionniste de l'hôtel est elle-même métissée (de père français) et son visage fait se retourner ses compatriotes sur son passage. Sa mère travaille comme poissonnière au port et voudrait voir sa fille de 25 ans déjà mariée. Maman sait préparer le fugu, ce fameux poisson aux viscères toxiques, « seule poissonnière de la ville à posséder la licence qui lui permettait d’en cuisiner, ma mère en préparait chaque fois qu’elle voulait briller ».

♥ On aime :

 Voilà un court récit, celui d'un arrêt sur image dans cette station balnéaire déserte. Tout est comme suspendu ici : la ville de mer entre deux saisons, le français entre deux avions ou deux albums, la coréenne entre deux amours. 
Une ambiance douce, rêveuse, zen, qui nous évoque les BD japonaises de Jiro Taniguchi ou Frédéric Boilet ou même peut-être le récent Jour de ressac de Maylis de Kerangal au Havre.
L'ambiance qui convient à cette très petite chronique d'une amourette qui n'a pas eu lieu.
Une carte postale, la photo d'une promenade sur une plage battue par les vents et la mer d'hiver.
 Une petite écriture sèche et factuelle (c'est elle qui raconte) qui laisse au lecteur tout le soin (et le plaisir) d'imaginer les sentiments au-delà des gestes.
Avec tout un tas de petites infos sur la vie coréenne, les bains, la chirurgie esthétique (« la chirurgie t’aiderait peut-être à trouver un meilleur emploi »), le froid de l'hiver, et bien entendu la cuisine, ...
En prime, quelques jolies pages sur le dessin puisque le héros est bédéiste.

Pour celles et ceux qui aiment la Corée.
D’autres avis sur Bibliosurf et BabelioBenzine et ActuaLitté.
Livre lu dans le cadre du Festival de Vernoux Roman et Cinéma 2025.

vendredi 3 janvier 2025

Prisonnier du rêve écarlate (Andreï Makine)


[...] Ces cocus de l'Histoire.

L'itinéraire d'un “cocu de l'Histoire” parti visiter le paradis socialiste et qui passera vingt ans au goulag avant de retrouver une France où il ne se retrouve plus lui-même.

❤️❤️❤️🤍🤍

L'auteur, le livre (416 pages, janvier 2025) :

📖 Rentrée littéraire hiver 2025.
Auteur discret, Andreï Makine fait partie des grandes plumes du paysage littéraire français (il est membre de l'Académie Française depuis 2016).
Pour autant il n'oublie pas sa Russie natale qui reste au cœur de la plupart de ses ouvrages. 
On l'avait découvert avec L'archipel d'une autre vie, coup de cœur 2016.
On le retrouve ici avec : Prisonnier du rêve écarlate, un joli titre pour une belle histoire.

Le canevas :

L'itinéraire d'un ouvrier du nord, né en 1918, “un an après la Révolution d'Octobre”, qui part visiter la nouvelle patrie du socialisme en 1939. Par un concours de circonstances digne d'un théâtre de l'absurde, il manquera le train du retour et sera rapidement emprisonné dans les camps staliniens.
Interné sous le nom de Lucien Baert, il en sortira vingt ans plus tard sous le nom de Matveï Belov et ne retrouvera la France qu'en 1967 où il ne se retrouve pas lui-même : l'époque est troublée, les choses, les mœurs et les gens ont beaucoup changé. 
Dans cette France moderne qui se libère, il est un peu perdu “comme un astronaute égaré sur une planète inconnue”.
Viendront alors quelques succès pour ce “rescapé de l'enfer” et l'intelligentsia parisienne fera de lui un nouveau personnage - c'est l'époque Soljenitsyne (avec qui Andreï Makine règle encore quelques comptes).

♥ On aime :

 Les “prisonniers du rêve écarlate” ce sont ces “communistes étrangers happés par la grande illusion”, qui sont venus se réfugier en URSS au plus mauvais moment : eux qui fuyaient les guerres ou les fascistes, ils seront happés dans le tourbillon paranoïaque de Staline et finiront au goulag. Ceux qui croyaient trouver refuge sous la bannière rouge, se retrouveront bientôt perdus dans la blancheur des steppes sibériennes.
Parmi ces “cocus de l'Histoire” on pourrait croiser “un ancien communiste espagnol après la défaite des républicains”, “un allemand antinazi”, “un japonais qui faisait du renseignement au profit de l'URSS”, la liste pourrait être longue de ces “vies déchirées, fabuleusement complexes et qui vacillent au bord de l’effacement définitif”.
 Andreï Makine va nous entraîner dans ce tourbillon de l'Histoire : 50 ans d'Histoire soviétique bien sûr mais aussi, et c'est la bonne surprise, de notre histoire française. Tout cela est filmé en grand-angle dans un travelling historique passionnant qui met en lumière le regard amer et désabusé que le cinéaste porte sur notre époque. 
 C'est finalement la dernière partie du parcours de Lucien Baert/Matveï Belov qui fait tout le charme de ce bouquin. On y retrouve le souffle glacé de la taïga qui anime les meilleurs romans de l'auteur, on savoure la prose pleine de poésie sauvage qui termine en beauté cette formidable histoire.
Une prose emplie d'humanité pour ces “gens revenus de toutes les illusions et qui retrouvent la simple humanité depuis longtemps perdue ailleurs”, pour ceux qui vivent dans ce “village au milieu des forêts où les gens vous accueillent sans rien demander en échange”.
Une histoire un peu triste mais pas tout à fait désespérée.
Une histoire qui n'était peut-être finalement qu'une simple histoire d'amour.
[...] Dans le silence de la taïga déjà hivernale, retentissent de profonds échos répétés. Une hache est en train de rompre la glace sur la surface d’un lac. Une percée d’eau libre où viendront les oiseaux blessés qui, à l’automne, n’ont pas pu quitter cette contrée du Nord.

Pour celles et ceux qui aiment le drapeau rouge.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Grasset (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.

vendredi 13 décembre 2024

Un ballon sur la banquise (Harris MacDonald)


[...] Personne à part un Suédois fou.

En 1897, une expédition en ballon vers le pôle tourne au drame. Ce roman, librement inspiré de cette odyssée tragique, fusionne avec ironie l'ambiance de Jules Verne et celle d'une romance délicieusement old-school.

❤️❤️❤️🤍🤍

L'auteur, le livre (368 pages, septembre 2024) :

Encore une histoire vraie, comme on dit, décidément 2024 aura été l'année de ces récits (qu'on adore évidemment).
Cette fois c'est Harris MacDonald (pseudo de l'universitaire californien Donald Heiney) qui s'inspire de la folle et tragique odyssée de l'ingénieur suédois Salomon August Andrée qui, un peu avant 1900, partit en ballon pour le pôle nord avec deux acolytes.
Curieusement seuls deux romans de cet auteur ont été traduits en français : visiblement il y a du retard à rattraper car c'est une belle plume, très agréable à lire.

Les personnages :

Côté casting, c'est très simple : ils ne sont que trois à prendre place dans le ballon à l'été 1897, trois ingénieurs téméraires et ce roman serait le récit de l'un deux, le major suédois Gustav Crispin, très très librement inspiré de cette expédition.
Mais une jeune dame va également prendre place dans le bouquin et venir égayer notre cohabitation avec les trois aéronautes : voici Luisa, la délicieuse chérie du major qui, au fil du voyage, va s'inviter dans les pensées et rêveries du major, un récit dans le récit.

♥ On aime :

 On aime l'humour subtil, l'autodérision, le ton aristocratique et désuet dont Harris habille son récit : cette ambiance à la Jules Verne est tout bonnement délicieuse.
 Et puis il y a ces pages peuplées des pensées, souvenirs et divagations du major qui faisait la cour à une charmante jeune femme. Leurs jeux amoureux, leurs chassés-croisés, leurs aventures sont un aimable divertissement digne du meilleur théâtre. Une histoire d'amour teintée d'un érotisme subtil et d'une plaisante ironie.
[...] – Alors avec ce système, un ballon pourrait aller n’importe où ?
– Si le vent le permet.
– Comment ça, si le vent le permet ?
– Il est possible de louvoyer contre le vent en diagonale, mais pas de le heurter de front.
– Pourrait- on aller, par exemple, jusqu’aux lacs italiens ?
J’éclatai de rire.
– Vous êtes une incorrigible sentimentale.
– Et vous un barbare arithmétique.
[...] Ma compréhension de la femme (je commençais seulement à le voir) était imparfaite.
 Le lecteur arrivait passionné par le défi aéronautique et se retrouve ému par un challenge amoureux. 
Dans la préface, Philip Pullman résume fort bien tout le plaisir que l'on a pu prendre à cette lecture :
[...] L'absurdité tragi-comique de l’existence. Les protagonistes de Harris ne font en général pas preuve d’héroïsme. Ils sont ironiques, spirituels et pleins d’empathie, avec un sens aigu du ridicule.
[...] Harris savait mieux que quiconque comment capter l’attention et la retenir, et comment agencer les événements d’un récit de manière à nous faire tourner la page. 

Le canevas :

Voici encore un récit d'explorateurs partis à la conquête d'un but impossible.
[...] Le Pôle est un but difficile, voire impossible, à atteindre que l’on doit néanmoins poursuivre, puisque l’Homme est condamné à rechercher et à connaître toute chose, que ce savoir lui procure ou non du plaisir.
[...] Et supposons que vous le trouviez malgré tout, cet endroit merveilleux où tout le monde est tellement impatient de poser le pied. Vous trouveriez quoi, au juste ? Absolument rien.
[...] C’est une abstraction, une fiction mathématique. Personne à part un Suédois fou ne pourrait lui trouver le moindre intérêt.
Le bouquin entrelace astucieusement le récit de l'expédition et les souvenirs amoureux du major Crispin.
Mais, chut, Harris MacDonald nous a réservé quelques surprises !
Dans la vraie vie de 1897, l'expédition fut hélas bien plus tragique : mal préparés, les aéronautes s'échouèrent sur une île au bout d'une trentaine d'heures de vol sans avoir atteint le pôle. On les retrouvera congelés 30 ans plus tard, à la faveur d'un été torride qui poussa les chasseurs de phoques un peu plus au nord des routes habituelles.

Pour celles et ceux qui aiment jouer au ballon.
L'histoire vraie racontée (avec photos) par les éditions Phébus ou un autre site web.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Phébus (SP).
Ma vidéo sur Bookstagram.  Ma chronique dans les revues Benzine et Actualitté.

vendredi 13 janvier 2023

Le soldat désaccordé (Gilles Marchand)

[...] Tout le monde la connaît, la Fille de la Lune.

      L'auteur, le livre (208 pages, 2022) :

Le bordelais Gilles Marchand est venu assez récemment à l'écriture et ses histoires peu communes rencontrent peu à peu le succès.

      On aime bien :

❤️ La légende de la Fille de la Lune qui traverse d'un pas léger et lumineux les horreurs guerrières décrites ici.
❤️ Une histoire d'amour qui veut transcender la terrible réalité de cette guerre épouvantable, inimaginable, une guerre démentielle que l'on s'empressera d'oublier une vingtaine d'années plus tard avec d'autres horreurs. Comme quoi, même de la boue sanglante des tranchées on peut modeler un peu de poésie. 
❤️ Un auteur qui travaille avec une jolie plume qui parfois s'emballe un peu pour des effets trop appuyés.

      Le contexte :

Le récit n'est pas vraiment celui d'une histoire vraie, même s'il combine de multiples anecdotes véridiques sur la Grande Guerre, celle de 14-18, celle qui devait être la der des der : les fusillés de Souain qu'il fallut réhabiliter (en 1934), le soldat amnésique Anthelme Mangin que toutes les veuves voulaient récupérer comme mari et qui retrouvera sa famille en ... 1938, l'obusite ou les code talkers indiens, le rabbin que l'on prenait pour un curé, le sous-lieutenant Herduin et sa fin tragique, ...

      L'intrigue :

Le héros, après avoir perdu une main dans la Somme, enquête après-guerre pour aider à retrouver les dépouilles oubliées. 
[...] Je travaillais pour des associations ou différents comités œuvrant à la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. Et je parcourais le pays afin de permettre à une famille de retrouver la dépouille d’un soldat qui n’était pas revenu. 
[...] Durant toutes les années 20 et une bonne partie des années 30, j’ai fait ce drôle de boulot d’enquêteur. 
[...] Mais retrouver un poilu vivant, cela ne m’était jamais arrivé.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires.
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mercredi 8 septembre 2021

Mon mari (Maud Ventura)

[...] Il est mon mari, il m’appartient.

Du haut de ses vingt-huit ans Maud Ventura frappe fort avec Mon mari, ce premier roman sur les questions amoureuses (un sujet qu'elle connait bien à la radio).
Sa prose soignée accroche tout de suite le lecteur.
D'autant plus que le ton est donné rapidement : l'auteure entreprend de disséquer l'amour obsessionnel d'une femme pour son mari, une folie douce un peu inquiétante.
[...] Mon amour pour lui n’a pas suivi le cours naturel des choses.
Sur sa table d'opération, tout est soigneusement déballé et mis à vif, même la maternité, c'est une véritable vivisection.
[...] J’aime nos enfants, c’est une évidence. Je les aime, mais il est également très clair que j’aurais préféré ne pas les avoir. Je les aime, mais j’aurais préféré vivre seule avec mon mari.
Et bien sûr cette névrose conjugale, cet amour pour le moins envahissant pour un homme dont on ne connaitra jamais le prénom.
[...] Mon mari n’a plus de prénom, il est mon mari, il m’appartient.
Avec son écriture distante et décalée, Maud Ventura manie le scalpel avec froideur, rigueur, cruauté, humour aussi (grinçant l'humour).
[...] Je déjeune avec une collègue que j’apprécie. On parle de nos élèves (c’est intéressant), de nos maris (c’est le moment que je préfère), de nos enfants (la conversation perd immédiatement en intérêt).
[...] J’ai appris l’élégance (qui ne repose finalement que sur un trio simple : un manteau, un sac et des chaussures hors de prix. Une fois cette sainte trinité bien maîtrisée, le reste est facile).
[...] Je sais que c’est idiot, mais plus mon mari fait des courses importantes, plus j’ai l’impression qu’il m’aime. C’est comme s’il investissait dans notre couple. Comme le primeur qui pèse les petits sachets en papier, je peux quantifier son amour chaque dimanche à son retour du marché grâce au montant du ticket de caisse abandonné au fond du cabas.
On retrouve là un peu de Claire Castillon mais sur un ton plus léger même si parfois on se demande comment cette fable va bien pouvoir finir autrement que dans le drame et la catastrophe.
Mais non, ouf, on aura juste droit à un petit twist renversant, histoire de prendre un peu de recul et de distance.

Pour celles et ceux qui aiment les vivisections.
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dimanche 13 décembre 2020

Fidèle au poste (Amélie Antoine)

[...] L'importance du souvenir...

On avait découvert Amélie Antoine dans un recueil de nouvelles choral [clic] et son court-métrage, fort bien écrit, nous avait donné envie de passer au long. 
Nous voici donc Fidèle au poste.
Elle fait partie de la meute des Louves du polar, le collectif qui entend promouvoir les plumes féminines du polar français. Un polar français écrit au féminin que l'on commence à bien connaître ici.
L'auteure s'y entend pour décortiquer nos quotidiens ordinaires avec à la fois beaucoup d'humanité et d'acuité.
Tout le début du bouquin nous laisse croire qu'on est embarqué dans une romance plus vraie que nature : un jeune couple, la noyade accidentelle de la belle aimée, le chagrin désespéré de l'inconsolable, la rencontre fortuite d'une autre jeune femme, ...
[...] C'est bien elle. C'est ma femme », murmure-t-il avant de détourner le regard rapidement. D'un geste, le légiste remonte le drap et tente de prendre un air attristé.
[...] Cette histoire n'en finit pas, on se croirait dans Les feux de l'amour.
Le bouquin est écrit à trois voix et suit les trois personnages.
Mais on sait bien que l'on est venu pour tout autre chose, alors on se laisse porter par ces pages très agréables et fort bien écrites, en espérant et en redoutant l'inéluctable renversement de situation ...
À mi-parcours, premier retournement, c'est terrible : le lecteur s'accroche à sa liseuse, dévore les pages, maudit ses yeux qui n'avancent pas assez vite, il est tard mais tant pis, pas question de reposer le bouquin avant la fin.
[...] On s'est tous fait piéger, dans cette histoire.
On ne peut pas mieux dire.
Ce n'était que son premier roman : nul doute que l'on reviendra encore chez Amélie Antoine.

Pour celles et ceux qui aiment les surprises et les plans à trois.
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jeudi 21 avril 2016

L'art d'écouter les battements de coeur (Jan-Philipp Sendker)

[...] Ces gens-là croyaient qu’on voyait avec les yeux. Qu’on couvrait de la distance avec des pas.

Si nous n'avions pas en tête un prochain voyage en Asie du sud-est et en Birmanie, on n'aurait sans doute jamais téléchargé ce titre aux faux airs d'arlequinade : L'art d'écouter les battements de cœur.
L'allemand Jan-Philipp Sendker cache bien son jeu qui fut longtemps correspondant pour le Stern dans ces contrées lointaines aux parfums d'encens et aux sonorités zen.
Avec ce premier roman, il embarque ceux qui veulent bien le suivre dans ce qui est tout à la fois un beau voyage exotique, une superbe histoire d'amour, un conte magique et philosophique.
L'histoire du crocodile qui protégeait les amours du prince et de la princesse, l'histoire de la jeune infirme dont le chant guérissait et bien entendu l'histoire du moinillon aveugle qui entendait les battements des cœurs autour de lui.
Dépaysement total et ambiance zen.
Notre guide s'appelle Julia, une avocate américaine, archétype de l'occidentale qui, comme le lecteur, va se retrouver sur une autre planète.
Tout comme nous, Julia fait partie de ces gens-là,
[qui] croyaient qu’on voyait avec les yeux. Qu’on couvrait de la distance avec des pas.
Son père d'origine birmane avait mystérieusement disparu il y a quelques années, abandonnant brusquement tout, carrière brillante, position sociale enviée et famille bcbg.
[...] Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point le mariage de ma mère avait été malheureux. Je pensais à une phrase qu’elle m’avait dite la veille : « Ton père m’a quittée bien avant le jour où il a disparu. » Et moi, alors ? pensai-je. Depuis combien de temps mon père m’avait-il quittée ?
Julia retrouve une vieille lettre d'amour adressée à une mystérieuse Mi Mi, 38 Circular Road, Kalaw, État de Chan, Birmanie [ici, entre Mandalay et le lac Inle].
Nous voici donc partis en sa compagnie dubitative et sceptique, sur les traces de ce père mystérieux, certainement parti rejoindre son amour de jeunesse.
[...] J’étais nerveuse, agitée et je me demandais ce qui m’attendait. Je ne suis pas de ces gens qui apprécient les surprises.
Arrivée à Kalaw, elle fera la rencontre de U Ba qui semblait l'attendre et qui va lui raconter toutes ces histoires, l'histoire de son père, son histoire.
[...] Où est mon père ?
— Je vous en prie, encore un peu de patience. C’est l’histoire de votre père.
— C’est vous qui le dites. Où sont les preuves ? Si, à un moment quelconque de son existence, mon père avait été aveugle, vous ne croyez pas que nous, sa famille, l’aurions su ? Il nous l’aurait raconté.
— Vous en êtes certaine ?
[...] Elle voulait demander à Tin Win s’il y avait un secret et s’il pourrait lui enseigner l’art d’écouter les battements de cœur. Au moins les rudiments.
[...] — Ton cœur. Ce sont les battements de ton cœur que j’entends.
— De si loin ? Elle rit à nouveau, mais sans la moindre ironie. C’était évident à son ton. Son rire était de ceux à qui on peut faire confiance.
— Tu ne me crois pas ? demanda-t-il.
— Je ne sais pas. Peut-être. À quoi ça ressemble, alors ?
— C’est merveilleux. Non, encore mieux que ça. Ça ressemble à… Tin Win se mit à bégayer, cherchant les mots justes.
— C’est indescriptible, reprit-il.
— Tu dois avoir l’ouïe fine. Il aurait pu croire qu’elle se moquait de lui. Mais il suffisait de l’entendre pour savoir que ce n’était pas le cas.
— Oui. Non. Je ne suis pas certain que ce soit avec les oreilles qu’on entende.
[...] Il marmonna quelque chose à propos d’un virus, le virus de l’amour, dont tout le monde est porteur mais dont quelques-uns seulement souffrent.
On ne vous en dit pas plus pour vous laisser entier le (grand) plaisir de la découverte pas à pas, page après page, de cette histoire merveilleuse qui nous emporte loin des rivages habituels.
Une histoire d'Amour avec un grand A, celui qui est plus fort que tout, plus fort que les crocodiles et les distances. Rassurez-vous c'est loin d'être une romance à l'eau de rose de fleur de lotus et certains passages sont même assez rudes : la vie en Birmanie n'est pas toujours facile.
Mais avec sa tête rasée de moine zen, Sendker réussit à nous laisser entrevoir une petite part de cette pensée orientale si différente de la nôtre, lorsque ce que nous appelons (faute d'autres concepts) le respect des conventions sociales ou encore le détachement des contingences matérielles rend certains comportements totalement incompréhensibles à nos yeux occidentaux.
Une belle et grande histoire d'amour, à très haute teneur en spiritualité qui ravira littéralement ceux qui veulent bien laisser leur âme voyager là-bas mais qui ennuiera sans doute ceux qui croient
qu’on voit avec les yeux. Qu’on couvre de la distance avec des pas.

Pour celles et ceux qui aiment l'esprit zen.
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vendredi 1 avril 2016

En attendant Robert Capa (Susana Fortes)

[...] Ce n'était que des photographes. Des témoins.

À notre époque submergée d'images animées et où les mots ont perdu tout leur poids, on constate toujours qu'une simple photo garde encore toute sa puissance de choc [clic].
L'agence Magnum fête ses soixante ans, la valise mexicaine a été retrouvée et il nous a paru tout naturel de passer un moment en compagnie de l'espagnole Susana Fortes, en attendant Robert Capa.
Une biographie romancée du photographe hongrois André Friedmann (aka Robert Capa) et surtout de sa muse, l'allemande Gerta Pohorylle (aka Gerda Taro). Tous deux juifs et réfugiés à Paris au moment où les bruits de bottes se faisaient trop forts dans leurs pays respectifs.
[...] Ça puait la fumée d'incendie, le cuir. Les bottes bien cirées, la buffleterie, les chemises brunes, les ceintures à boucle, les harnachements militaires.
Comme une évidence, c'est Rive Gauche que va naître leur idylle, dans les cafés de Montparnasse, dans le bouillonnement intellectuel de l'entre-deux guerres, aux côtés des personnalités qui marquèrent la deuxième moitié du siècle.
Un amour qui changera et la vie et la carrière de Robert Capa.
Et qui aurait sans doute pu changer celles de Gerta ...
[...] Il lui parut un peu présomptueux, beau, ambitieux, parfois comme les autres trop prévisible, séducteur évidemment, quelque peu vulgaire aussi, pas très raffiné, manquant de manières.
[...] Et c'est moi qui vais être ton manager.
[...] Les grandes horloges avaient alors déjà prévu leur dernière heure à chacun, et sans doute chacun le savait-il déjà, d'une façon ou d'une autre.
Ils partirent pour l'Espagne en guerre, armés de leurs Leica.

[...] Ce n'était que des photographes, des individus dont l'occupation est de regarder. Des témoins.
[...] Une cause sans images, ce n'est pas seulement une cause oubliée. C'est aussi une cause perdue.
Une courte et belle histoire d'amour comme on sait les idéaliser chez les intellectuels de cette période, sur fond d'une guerre d'Espagne finalement assez méconnue.
André et Gerta sont exaspérants de suffisance et d'aveuglement. Jeunes, beaux, amoureux, talentueux et bientôt célèbres, ils croyaient changer le monde sans se rendre compte qu'il était en train de s'écrouler autour d'eux.
Une dernière salve d'artifice avant que la nuit tombe.
Curieusement ce livre très documenté tant sur la guerre d'Espagne que sur le couple de photographes, s'avère finalement assez superficiel et l'on apprend finalement peu de choses sur le travail de ces reporters en pleine guerre d'Espagne.
Comme si l'auteure s'était contentée de trouver un beau décor historique pour nous raconter une belle histoire d'amour sous le soleil de son pays ou si elle s'était trop effacée derrière l'Histoire de ses Personnages.
Et sa prose se laisse parfois emportée par le lyrisme maladroit que voulait peut-être l'époque.
[...] Cette image lui restait comme un hématome à la mémoire.
[...] Les pupilles brillantes et constellées de braises vertes de colère.
Finalement, on retiendra surtout de ce bouquin un très beau portrait de femme : encore une créature trop moderne et trop vivante pour son époque.
Un portrait qui, toutes proportions modestement gardées, serait un peu comme une vie supplémentaire d'Amory Clay, une vie fulgurante et trop courte.

Pour celles et ceux qui aiment la photo.
D'autres avis sur Babelio.

dimanche 14 février 2016

En attendant Bojangles (Olivier Bourdeaut)

[...] Je craignais qu’une telle folie douce ne soit pas éternelle.

Dédicace spéciale de BMR à sa Georgette pour la Saint-Valentin.

Pour son premier roman le nantais Olivier Bourdeaut frappe très fort et bénéficie d'un buzz incroyable (on lui souhaite d'ailleurs de s'en remettre car il n'est jamais facile de se relever d'un tel premier succès).
En attendant Bojangles est de la bonne veine des meilleures feel-good-stories : un peu beaucoup d'amour, un gros brin de folie déjantée, une hénaurme tendresse pour ses personnages, voilà les ingrédients qui font le succès du Théorème du homard, du Mec de la tombe d'à côté, du Liseur du 6h27 et de plein d'autres.
Des livres au succès envahissant que l'on prend sur l'étagère avec des pincettes (bon d'accord désormais on télécharge : mais les pincettes sont toujours de rigueur) parce que l'on se méfie de ces trop bons sentiments enveloppés dans du papier bonbon trop coloré.
Heureusement pour nous, quelques auteurs (comme ceux cités plus haut) réussissent à ne pas se contenter de bons sentiments trop sucrés et à nous convaincre qu'ils savent écrire, tout simplement.
Olivier Bourdeaut est de ceux-ci et son bouquin est pratiquement un sans faute : de l'humour et de l'amour, du style et de la classe, mais aucun effet littéraire prétentieux et plutôt une grande rigueur pour suivre le fil ténu de son histoire à un rythme soutenu tout au long de ce petit livre.
L'histoire d'une petite famille : Papa, Maman et Junior.
Une fable intemporelle (en dépit de quelques repères seventies) de celles qui nous laissent gentiment accroire que le rêve d'un château en Espagne peut devenir réalité, de ces mensonges qu'on aime tant depuis le père noël et la petite souris.
Papa est follement amoureux de Maman et Maman est un peu folle.
[...] Ce mélange de cocotte des années folles et de Cheyenne sous l’influence du peyotl.
[...] Elle avait réussi à donner un sens à ma vie en la transformant en un bordel perpétuel.
[...] Cette douce marginalité, ces pieds de nez perpétuels à la réalité, ces bras d’honneur aux conventions, aux horloges, aux saisons, ces langues tirées aux qu’en-dira-t-on.
Avec grande classe, le couple mène une vie un peu déjantée (bon, franchement déjantée) et Junior grandit hors normes aux côtés d'une grue de Numibie qui déambule dans l'appartement.
Mais Madame n'est pas folle qu'à moitié et bientôt tout cela va se corser : très habilement, Olivier Bourdeaut réussit à ne pas sombrer dans le mélo et à maintenir notre sourire sans nous faire pleurer (ou à peine).
Chacun trouvera sans doute au cœur de cette romance affabulée quelques échos de ses propres histoires et l'auteur semble même y avoir distillé de multiples détails plus ou moins autobiographiques.
Pour sa part, BMR a voulu lire ici un très bel hommage à ces femmes qui sont l'avenir de l'homme et à leur folie douce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, avec elles.
Si Madame a tant de prénoms dans cette histoire (elle s'appelle tantôt Georgette, tantôt Marguerite, tantôt Renée, etc ...) c'est bien parce qu'elle est toutes les Èves de notre paradis terrestre.
Le bouquin nous laisse d'ailleurs un étrange arrière-goût, pas seulement parce qu'il ne se termine pas si bien que cela mais surtout parce que le trait volontairement forcé de cette jolie fable appuie un peu fort là où ça fait un peu mal : sommes donc nous si assurés de veiller suffisamment à nos vies trop bien rangées, réglées sur du papier à musique dont l'air n'est pas toujours celui de Nina Simone ?
[...] Il ne pouvait y avoir qu’un diamant pour donner une musique pareille.
Bref nous dit l'auteur, sommes nous donc si assurés de veiller suffisamment à l'épanouissement de notre Georgette ?
Merci pour le rappel salutaire, Mr. Bojangles, pardon, Mr. Bourdeaut.
[...] La réponse des éditeurs était toujours la même : « C’est bien écrit, drôle, mais ça n’a ni queue, ni tête. » Pour le consoler de ces refus, ma mère disait :
— A-t-on déjà vu un livre avec une queue et une tête, ça se saurait.
Pour celles et ceux qui n'aiment ni ouvrir leur courrier, ni payer leurs impôts.
Pour celles et ceux qui aiment Nina Simone et les grues de Numibie, les apéritifs et le gym tonic, les beaux mensonges et les châteaux en Espagne.
Pour ceux qui aiment leur Georgette, à la folie.

Pour celles et ceux dont le cœur balance entre la Saint-Valentin et la Saint Georgette.
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jeudi 29 octobre 2015

Le théorème du homard (Graeme Simsion)


[...] Je suppose que c’était une blague.

    L'auteur, le livre (408 pages, 2014, 2012 en VO) :

On se méfie toujours (trop sans doute) des bouquins aux succès retentissants, des rééditions aux chiffres de vente impressionnants, des traductions aux ambitions planétaires, des best-sellers qui envahissent les têtes de gondole et des enthousiasmes qui saturent la blogoboule.
Cumulant un peu tout cela, Le théorème du homard de l'australien Graeme Simsion, avait tout pour qu'on cherche à l'éviter : classé dans les incontournables pour la plage, il était même réputé comme livre de chevet de nombreuses célébrités et conseillé par Bill Gates himself !
Soyons beau joueur : même s'il est clairement formaté pour le succès qu'il a connu, ce roman (cette romance) est un vrai plaisir de lecture, quelques heures de rire et d'émotion, de réflexion légère aussi. On en ressort donc le cœur léger et il faut bien reconnaitre que ce cœur a battu plus vite pendant quelques heures.

    On aime :

❤️ Un plat savoureux : les produits sont frais, le chef est professionnel, le service est impeccable et la note pas trop salée. Seul un convive qui se serait vraiment trompé d'adresse en croyant trouver ici une nourriture plus épicée et plus exotique, pourrait sortir de table sans se frotter le ventre, repus et satisfait.

      Le contexte :

Alors oui, et même si le succès ne nous a pas attendu : coup de cœur. Cœur léger pour une littérature légère, mais coup de cœur quand même.
La recette est connue (pas celle du homard, celle de la romance) : c'était déjà celle de la suédoise Katarina Mazetti et de son Mec de la tombe d'à côté : prenez un homme et une femme que tout, mais alors tout, vraiment tout oppose, mettez-les sur un même grill, assaisonnez copieusement d'humour et d'amour, surveillez la cuisson, retournez de temps en temps.
Aux antipodes (Graeme Simsion est australien), il suffit de remplacer les boulettes de viande suédoises par du homard fraîchement pêché.

      L'intrigue :

La vraie originalité du plat cuisiné par Simsion, ce n'est pas le homard mais son personnage masculin : Don Tillman.
Un professeur de génétique, maniaco-obsessionnel, souffrant de quelque chose qui ressemble bien au syndrome d'Asperger.
Tiens, décidément l'Australie s'intéresse de près à ces comportements atypiques : on se souvient du dessin animé Mary et Max, avec aussi un autre aussie aux fourneaux : Adam Elliot.
Don est obsédé par son timing (le gars qui, lorsque vous lui dites attends moi deux minutes je passe aux toilettes, sort sa montre et déclenche le chrono), Don a organisé un menu pour toute la semaine et le répète scrupuleusement chaque semaine (et le mardi c'est ... homard !), ainsi Don rationalise et optimise le temps passé à faire les courses, le rangement des ingrédients dans le frigo et le placard et bien sûr les opérations en cuisine (il prépare le homard les yeux fermés en classant mentalement ses stats de généticien). Tout cela est d'une logique rationnelle imparable : à se demander pourquoi on fait pas tous comme ça ... tiens oui, pourquoi hein ?
[...] En ouvrant le placard à provisions, elle a eu l'air impressionnée par son degré d'organisation : une étagère pour chaque jour de la semaine, plus des espaces de rangement pour les ressources communes, alcool, petit-déjeuner, etc., avec l'état des stocks affiché au dos de la porte.
- Vous n'avez pas envie de venir faire un peu de rangement chez moi ? 
Comme les Aspis, Don est incapable d'empathie (il ne pleure pas en regardant Sur la route de Madison et ne tombe pas amoureux de Sally qui rencontre Harry) et surtout il est incapable de se comporter comme on l'attend en société et, à l'entrée d'un resto chic qui affiche tenue correcte exigée, il est capable de détailler au vigile tous les avantages de sa veste en gore-tex jaune fluo sur ceux d'une veste de costard de ville en laine mérinos, même taillée sur mesure.
Il a une case en moins ou en plus, en tout cas une case différente, qui lui rend impossible la compréhension de l'assemblage subtil et complexe des usages, des règles, des us, des coutumes, des conventions qui semblent indispensables à la cohésion sociale de notre société dite civilisée.
Pour lui, seul compte le rationnel. Et visiblement, ce n'est pas le point fort de notre Humanité.
Après quelques échecs répétés avec la gente féminine, Don s'est donc mis en quête de l’Épouse Idéale grâce à un questionnaire (très rationnellement élaboré) auquel les candidates potentielles doivent répondre.
Au QCM, l'originale et fantasque Rosie a tout faux. Mais alors tout faux.
[...] Gene m’a envoyé la femme la plus incompatible du monde. Une barmaid. En retard, végétarienne, désorganisée, irrationnelle, une hygiène de vie déplorable, fumeuse – fumeuse ! –, des problèmes psychologiques, ne sait pas faire la cuisine, incompétente en mathématiques, couleur de cheveux artificielle. Je suppose que c’était une blague.
Ils vont donc se rencontrer (voir la recette plus haut), se côtoyer, s'éloigner, se rapprocher, ... On ne raconte pas la fin mais vous l'avez bien sûr devinée, bienvenue à Melbourne, le pays des bisounours qui ont la tête down under.
[...] Tu veux bien qu’on se balade ensemble une petite demi-heure ? Et pendant ce temps, pourrais-tu accepter de faire juste semblant d’être un être humain ordinaire et m’écouter ? Je n’étais pas sûr d’être capable d’imiter un « être humain ordinaire », mais j’ai accepté la petite balade. De toute évidence, Rosie était troublée par des émotions et je respectais ses efforts pour les surmonter. En fait, elle n’a pour ainsi dire pas parlé. Du coup, la promenade a été très agréable – c’était presque comme de marcher seul.
[...] Une bonne occasion de lui poser une question sur sa vie privée.
— Tu as un petit ami ? J’espérais avoir employé un terme approprié.
— Bien sûr, je ne l’ai pas encore sorti de ma valise, c’est tout, a-t-elle répondu. C’était manifestement une blague, alors j’ai ri avant de lui signaler qu’elle n’avait pas vraiment répondu à ma question.
— Don, tu ne crois pas que si j’avais un petit ami, tu en aurais entendu parler depuis le temps ? Il me paraissait tout à fait possible de ne pas en avoir entendu parler.
Sans doute pour éviter toute critique de la communauté scientifique, l'auteur prend bien soin de ne pas cataloguer définitivement Don parmi les Aspis, mais les symptômes ressemblent bien à ceux du syndrome. Même si l'on ne savait pas les Aspis adeptes de la dive bouteille ...
[...] Toutes les recherches montrent que, s’agissant de consommation d’alcool, les risques pour la santé sont supérieurs aux bénéfices. Mon argument personnel est que les bénéfices pour ma santé mentale sont supérieurs aux risques. L’alcool semble à la fois me calmer et me mettre de bonne humeur, une combinaison paradoxale mais plaisante. Et il réduit mon malaise en société.
[...] En soi, mon niveau de consommation ne suffit pas à faire de moi un alcoolique. Je crains cependant que ma violente aversion à l’idée d’y mettre fin ne démontre le contraire.
De toute façon, après quelques chapitres on se fiche complètement d'Asperger : on prend juste plaisir, grand plaisir, à toutes les scènes qui plongent Rosie et Don dans des situations tordues, aux dialogues férocement décalés. Et l'auteur n'est pas avare : le repas sur le balcon, la virée en porsche, la soirée cocktails, le bal, ... et allez, y'a encore du rab, vous en reprendrez bien encore un peu de mon homard ?
C'est jubilatoire comme on dit, on rit même franchement, et on lit ça à vive allure, comme un polar, allez encore une, encore une, mais pressé aussi de les voir enfin s'embrasser !
Le propos de Simsion est clair et Don pourrait tout aussi bien être un extraterrestre, un Aspi venu de la lointaine planète Asperger-452b pour découvrir la race humaine. Don cherche consciencieusement et désespérément les clés pour comprendre notre monde et nos comportements. Il cherche les clés de la compagnie de Rosie. Et donc, tout simplement, Simsion nous montre les clés de nos comportements, les ressorts de nos joies, bonheurs et plaisirs, il nous tend un miroir : on s'intéresse bien plus à 'nous' qu'aux Asperger.
Le message des bisounours down under est très simple et très sucré : le bonheur c'est ici et maintenant, avec cette fille-ci, avec ce gars-là. Le homard s'accompagne d'une boisson sirupeuse à forte teneur en sucres et sans édulcorants. Whisky et bière ce sera pour une autre fois, au rayon polars sans doute !
[...] Deux des trois meilleurs moments que j’avais connus avaient eu lieu au cours des huit dernières semaines. Et j’avais vécu les deux en compagnie de Rosie. Y avait-il une corrélation ? Il était indispensable de tirer ce point au clair.
Alors oui, on peut évidemment reprocher à ce bouquin sa construction et son formatage : cuisine aseptisée pour plaire à tous et il ne faut pas y chercher autre chose. La fusion world food est connue pour cela.
Ah, j'allais oublier : même si Don compte ses amis dans la vraie vie comme nous les nôtres sur facebook, même s'il est adepte du GPS en voiture (comprenez bien : la vitesse y est mesurée de façon beaucoup plus précise que sur le tachymètre du tableau de bord), on sait gré à Simsion de nous livrer un roman moderne et actuel en nous épargnant les désormais inévitables réseaux sociaux avec leur cohorte de petits messages de services et autres piaillements d'oiseaux bleus. Juste quelques courriels discrets, ce sera tout. Merci l'écrivain.
Et à propos de remerciements, ne manquez pas ceux de la postface qui laissent entrevoir la longue et complexe genèse d'un tel roman : c'est instructif.

Pour celles et ceux qui aiment les bisounours.
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vendredi 23 mai 2014

L’année des volcans (François-Guillaume Lorrain)

2 îles + 2 femmes  = 4 volcans

Amours sulfureuses et volcaniques.
Étonnant roman que cette Année des volcans de François-Guillaume Lorrain, un journaliste passionné de cinéma.
Certes le sujet et la 4° de couv' semblaient fort alléchants mais c'est d'abord l'écriture qui nous a accroché et motivé pour continuer : Lorrain possède une plume claire et fluide qui coule comme une gourmandise intelligente, parfaitement adaptée à cette multi-biographie où l'on retrouve un peu le style que l'on affectionne chez Échenoz ou Deville par exemple.
Un peu moins de souffle épique et romancé et plus de travail d'enquête journalistique, on est peut-être plus proche encore d'Emmanuel Carrère.
Une fois conquis par le style, il ne nous reste plus qu'à se laisser porter par une histoire de passion(s) passionnante : dans les années d'immédiate après-guerre, deux monstres sacrés du cinéma, la blonde suédoise Ingrid Bergman et la brune volcanique Anna Magnani, rivalisent autour de Roberto Rossellini, l'un des pères du néo-réalisme italien et sans doute du cinéma moderne(1).
Dieu des césars et des oscars, quelle affiche !
Rossellini va s'attirer les foudres du monde en général et de 'La Magnani' en particulier pour s'être amouraché de la suédoise qui, aux US, avait détrôné sa compatriote Greta Garbo.
[…] Son rire déclencha les flashes et elle commença à accorder à chacun son sourire angélique. Les photographes échangèrent bientôt des regards admiratifs. Cela les changeait des vamps et de leurs œillades. Cette femme ne se contentait pas de fixer l'objectif, elle leur offrait son âme. Elle leur apportait aussi l'Amérique et son aura, avec une telle gentillesse qu'ils succombèrent à leur tour à son charme. Le cinéaste le devinait. La magie opèrerait. Il s'effaça derrière la magicienne.
La rivalité est si forte, le triangle amoureux si obsédant, le chassé-croisé si prenant, qu'en 1950, ce sont deux films qui sont tournés dans les îles éoliennes et la réalité dépasse alors la fiction : Rossellini met en scène Stromboli, terre de Dieu avec sa nouvelle conquête Ingrid Bergman. Tandis qu'à quelques encablures, Anna Magnani obtient d'un obscur faiseur allemand(2) le rôle principal dans Vulcano !
Deux îles, deux femmes, quatre volcans.
Ce pourrait être un scénario hollywoodien ou même un roman harlequin : mais non, c'est bien la vraie vie, même si c'est une vie hors du commun comme seul le show-biz sait nous en donner et nous en faire rêver ! La folle vie de ces gens-là dans les années d'après-guerre, dans une Italie (et peut-être un monde) à reconstruire.
[...] "Voilà à quoi je ne me résigne pas, ne pas vivre". Ces mots feraient l'effet d'une bombe sur leur maison, elle le savait, mais pour s'en aller, il fallait parfois tout détruire. 
Une histoire en or pour un passionné de cinéma comme François-Guillaume Lorrain qui nous donne un récit savoureux, plein de fougue et de passion(s).
Avec deux grandes et belles femmes  du siècle (bon, du siècle dernier doit-on dire désormais)  : une jeune et f(o)ugueuse Ingrid Bergman qui n'est pas encore celle dont on se souviendra plus tard devant la caméra de son homonyme et compatriote, et une brune et sauvage italienne dont la carrière s'est éteinte avant de pouvoir nous toucher (zut pas assez vieux, loupée La Magnani !) mais que célébra Youri Gagarine depuis son Soyouz dans les étoiles :
"Je salue la fraternité des hommes, le monde des arts, et Anna Magnani."
… rien de moins !
Sans vouloir retirer quoi que ce soit à nos deux belles stars féminines, le personnage de Roberto Rossellini, déjà aux allures de Berlusconi d'aujourd'hui, n'est pas le moins surprenant des trois : un rebelle fantasque, un escroc insaisissable, un artiste controversé, un amoureux impénitent, ... on ne sait trop s'il s'est vraiment compromis ces dernières années avec le pouvoir fasciste, on ne sait trop ce que vaut vraiment sa façon de filmer sans script ni scénario (sic !), on ne sait trop s'il a vraiment le pouvoir de créer les stars ou s'il s'en nourrit lui-même, ... Mais ce qui est sûr, c'est qu'il n'a pas volé sa place sur l'affiche de ce film ce bouquin !
À vouloir vivre à toute allure, rattraper le temps perdu pendant les années noires, brûler la vie par les deux bouts, nos papillons affolants vont se cramer les ailes aux feux des projecteurs et aux laves des volcans.
(1) - François Truffaut et surtout Federico Fellini grandiront dans ses pas
(2) - allez, nommons tout de même cet inconnu qui rivalisa avec Rossellini et qui filma La Magnani : William Dieterle ! À ressortir dans un prochain quizz ciné avec Véro !


Pour celles et ceux qui aiment les femmes, le cinéma et les livres, bref pour nous tous !
D'autres avis sur Babelio. Delphine en parle.



lundi 11 novembre 2013

Les fiancées du Pacifique (Jojo Moyes)

En bateau, Simone !

Ce bouquin de la britannique Jojo Moyes pourrait faire écho(toutes proportions gardées) à celui de l’américano-japonaise Julie Otsuka : Certaines n’avaient jamais vu la mer, car voici une autre histoire de femmes déracinées d’un pays à un autre, pour trouver sinon bonne fortune peut-être bon mari.
Les japonaises de Julie Otsuka partirent aux États-Unis avant guerre et déchantèrent à leur arrivée et plus encore lorsque la guerre fut déclarée.
Jojo Moyes cette fois, nous conte l’histoire des Fiancées du Pacifique, de jeunes australiennes (certaines avaient peut-être vu la mer mais avaient à peine seize ans) qui se marièrent pendant cette même guerre aux soldats GB ou US en mission là-bas (certains craignaient que les japonais ne débarquent en Australie).
En 1946, la guerre enfin terminée, les gouvernements GB et US affrétèrent différents moyens de transport pour ramener les “épouses de guerre” (war brides en VO) auprès de leurs valeureux soldats de maris.
Étrange balancier de l’Histoire qui fit que les britanniques après avoir envoyé leurs forçats sur l’île-continent, allèrent y chercher des épouses cent cinquante ans plus tard …
Nous voici donc embarqués avec plus de 600 war brides australiennes, en route pour l’Angleterre, à bord du HMS Victorious, un porte-avions de Sa Majesté.
L’auteure nous conte donc par le menu la vie à bord : celle de 600 jeunes femmes, peu familières de la discipline militaire britannique, embarquées sur un navire peu adapté aux croisières frivoles et forcées de cohabiter avec encore plus de marins qui n’avaient pas vu jolies gambettes depuis des mois !
[…] “La traversée, qui dura huit semaines à cause des pannes, fut un vrai calvaire. Un meurtre et un suicide eurent lieu à bord, un officier de l’armée de l’air devint fou, entre autres drames. Tout cela parce que l’équipage négligeait son travail et se ménageait du temps libre pour aller flirter avec les épouses. Certains allèrent jusqu’à se livrer à des actes sexuels avec elles, parfois sans prendre la peine de se cacher. Ils faisaient cela dans tous les endroits possibles du navire ; l’un de ces couples avait même choisi ce qu’on appelle le nid-de-pie, un poste d’observation placé haut sur le mât, pour se livrer à leurs étreintes.” [Extrait du Journal de feu Richard Lowery, architecte naval]
[…] « Je ne pense pas que ces petites Australiennes soient très difficiles, tout ce qu’elles cherchent, c’est un type qui les emmène loin de leur bon vieil élevage de moutons fermiers. »
[…] « Elles n’étaient décidément qu’une marchandise qu’il fallait éviter d’endommager, un lot de femmes à trimballer d’un point du globe à un autre, de leur père à leur mari, d’un groupe d’hommes à un autre en quelque sorte. »
Jojo Moyes nous raconte aussi la vie de quelques unes de ces jeunes femmes (on suit un petit groupe d’héroïnes) et nous explique ce qui pouvait pousser ces dames à épouser de lointains maris : pour fuir le plus souvent, qui  la ferme trop rude, qui un passé trop douloureux, …
[…] « Parce que nous n’avons pas fait cette satanée traversée pour rien, tu ne crois pas ? Nous devons tout faire pour réussir cette nouvelle vie. »
En dépit d’un sujet historique et humain particulièrement intéressant, l’écriture de Jojo Moyes est vraiment trop légère et trop frivole pour nous convaincre :  son histoire est une romance et ses femmes des midinettes.
Certes, les meilleures pages pourraient faire penser à une comédie américaine des années 60. Mais trop de passages sentent non pas l’eau de mer mais l’eau de rose.
Au fil de ce voyage, la lecture est fluide et plaisante mais comme dirait MAM, en résumé c’est gentil
Paradoxalement, le bouquin s’ouvre et se ferme sur deux belles mises en perspective qui font d’autant plus regretter l’absence de troisième dimension dans une histoire un peu plate : en 2002, une grand-mère en voyage en Inde tombe par hasard sur un chantier de démantèlement de navires (rappelez-vous l’Histoire d’Usodimare) et reconnait, échoué sur la plage … son HMS Victorious.
Cette grand-mère, c’est celle de Jojo Moyes … elle était sur le porte-avions ! 

Pour celles (et ceux ?) qui aiment toucher les pompons des marins.
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vendredi 14 mai 2010

Les larmes de Tarzan (Katarina Mazetti)

L’amour dans la jungle moderne.

Après le succès blogoplanétaire du Mec de la tombe d'à côté - qui avait même été adapté en une très agréable pièce de théâtre -, la suédoise Katarina Mazetti remet le couvert.
Avec la même recette du couple impossible : Les larmes de Tarzan.
Cette fois, Tarzan est une mère célibataire, à moitié au chômage et pas du tout épilée.
Janne est le célibataire, plus jeune et pété de thunes, il est entouré de top-modèles et roule en Lamborghini.
Mazetti nous ressert donc un plat aux saveurs connues mais malheureusement cette fois-ci la sauce a du mal à prendre.
Autant la précédente salade sucrée-salée était épicée de multiples subtilités socio-culturelles entre la souris de bibliothèque et le garçon vacher, autant cette fois-ci, la suédoise verse dans le plat de résistance socio-économique. Du solide et du sordide. Si vous ne le saviez pas, apprenez enfin que mieux vaut être riche, célibataire et sans enfant que pauvre, divorcée et affublée de deux moutards.

[...] Quand j'étais petite, on dessinait les pauvres avec des vêtements rapiécés, des morceaux de tissu rajoutés de couleurs différentes, cousus avec de gros points. On utilisait la même technique pour dessiner des trolls. Pendant longtemps, je ne faisais pas trop la différence entre les trolls et les pauvres, je savais seulement que les pauvres étaient tristes et les trolls horribles.
Aujourd'hui je sais que nous, les pauvres, nous avons pas mal de choses en commun avec les trolls. Par exemple, les gens croient que nous n'existons pas.

Oui, bien sûr, Katarina Mazetti a toujours le même humour décapant et salutaire (salutaire pour ses héros comme pour ses lecteurs) mais cela ne suffit plus à nous emballer.
D'autant qu'elle semble hésiter tout au long du livre entre le conte de fées pour adultes (c'était le cas du précédent épisode) et la chronique sociale.
Comme si un arrière-goût amer et dérangeant parfumait le fond du plat.
La dernière partie de la non-histoire d'amour entre Janne et Tarzan confirme le côté désabusé de la chronique qui, paradoxalement, en devient d'autant plus intéressante.
Les seconds rôles prennent plus d'importance (la copine de Tarzan, son ex bargeot, et même la top-modèle de Janne) et Katarina Mazetti nous brosse un portrait sans concession des relations hommes-femmes de nos sociétés modernes (et cette fois aucun exotisme suédois pour nous tenir à distance).
Genre : les femmes viennent de Vénus et les hommes de Mars et chacun ferait mieux de rentrer chez soi.
Comme si, pour survivre dans notre jungle trop impitoyable, il n'existait que deux refuges : l'asile psy ou le couple. Le constat n'est pas tout à fait faux mais reste plutôt amer ...

Tarzan : [...] Ce serait si facile de me laisser couler dans tout ça. Poser le fardeau et me reposer un moment. Dix ans environ, pourquoi pas ?
Plus loin, Janne : [...] Le monde est rempli de gens qui restent ensemble pour d'autres raisons que parce qu'ils sont amoureux. On peut par exemple rester avec moi parce que j'ai une si belle voiture, tu l'as dit toi-même. Et je te promets de la changer tous les deux ans !

La suite du premier épisode est donc toujours une histoire d'humour mais plus vraiment une histoire d'amour.
Un livre qui sera plutôt réservé à ceux qui ont déjà visité la tombe d'à côté et qui veulent retourner en Suède.
Et un livre pour rappeler à ceux qui n'ont pas encore visité la tombe d'à côté qu'ils doivent se dépêcher !


Pour celles et ceux qui aiment les histoires de couples.
Babel édite en poche ces 277 pages qui datent de 2003 en VO et qui sont traduites du suédois par Lena Grumbach et Catherine Marcus.
D'autres avis sur Critiques Libres.

mardi 30 mars 2010

Les chaussures italiennes (Henning Mankell)

Entre deux solstices d’hiver.

On connait bien le suédois Henning Mankell par ses polars et son inspecteur Wallander qui tient même désormais série sur Arte.
On avait également suivi cet auteur prolixe et éclectique (il écrit du théâtre, il écrit sur l'Afrique, ...) avec un roman social sur l'immigration en Suède : c'était Tea-Bag(1).
Le voici de nouveau avec autre chose qu'un policier : Les chaussures italiennes, assurément son meilleur roman jusqu'ici (merci Véro !) et, tout aussi sûrement, un des meilleurs bouquins, tous rayons confondus, qu'on ait lu ces derniers mois, avis unanime et partagé de BMR et de MAM.
On aimerait en voir adapté un film, non pas à cause du scénario mais parce que les images y sont évoquées avec une force peu commune(2) et qu'il ne faut que quelques lignes à Mankell pour nous plonger au cœur de l'hiver suédois aux côtés de son Fredrik Welin.
Un type qui s'achemine lentement mais sûrement sur ses 70 ans, qui vit reclus sur une des îles de l'archipel suédois avec une fourmilière qui envahit peu à peu son salon, un type qui snife un pot de goudron dans son hangar à bateau quand ça va vraiment mal, un type qui tient un journal de bord résolument insignifiant où il ne parle que du temps et de la force du vent, et qui tous les matins creuse un trou dans la glace pour s'immerger dans l'eau glacée, comme pour se convaincre qu'il est encore vivant et qu'il fait plus froid dehors qu'en sa tête ou son cœur.
Il survit ainsi, taraudé par son passé : un amour de jeunesse qu'il a fuit lâchement sans explication et une erreur professionnelle qu'il a commise quand il était chirurgien.
Un beau jour d'hiver, boitillant sur la glace qui mène à son île, rongée par un cancer(3), surgit Harriet son ex-amie ...
Dès les premières pages on sent qu'on tient là un superbe roman à l'écriture sobre, qui fait mouche à tous les coups, qui touche à toutes les pages. Ça sent l'humanité, la vraie vie.
Si style, époque, pays et météo sont bien différents, on y a retrouvé un peu de la force d'évocation de John Fante, l'humour en moins, et ce sens de la chute au coin d'un paragraphe, pour aller droit au cœur, à l'essentiel.
[...] Le vent a soufflé par intermittence pendant toute la nuit.
J'ai mal dormi. Couché dans mon lit, je l'écoutais se déchaîner contre les murs. Le courant d'air de la fenêtre côté nord était plus important que l'autre, côté est, je pouvais donc en déterminer sa direction : vent de nord-ouest, avec rafales. J'en prendrais note dans mon journal de bord le lendemain. Mais la visite d'Harriet, je ne savais pas si je la mentionnerais.
Comme un coup de pied dans la fourmilière, l'arrivée d'Harriet va bousculer la vie jusqu'ici anesthésiée du chirurgien : les histoires et les femmes du passé vont envahir l'île de cet ermite du cœur.
Quant aux chaussures italiennes, seule petite note de couleur et d'optimisme, comme déplacée dans cette histoire très vraie mais pas très gaie, on vous laisse découvrir ce qu'elles viennent faire dans les forêts enneigées de Scandinavie.
Et toujours sans trop en dévoiler pour ne pas gâcher le plaisir de la lecture, relevons que le docteur Welin et l'inspecteur Wallander partagent un peu des mêmes difficultés dans leurs relations familiales ...
Alors, que ceux qui ne connaissent pas encore Mankell ou qui n'en connaissent que ses polars, se précipitent sur cet excellent roman. De la très très belle littérature.
Un livre où l'on découvre qu'il n'est pas bon de vivre gelé dans son passé.
(1) : avec cette paire de Chaussures italiennes, Mankell se permet même une petite coquetterie et une allusion (page 185) aux personnages de Tea-Bag.
(2) : la nuit au fast-food ou la petite "fête d'été" donnée sur l'île sont des morceaux d'anthologie.
(3) : Harriet a son cancer, lui sa fourmilière ...

Pour celles et ceux qui aiment qu'on leur raconte la vie avec plein de choses dedans.
Seuil édite ces 341 pages qui datent déjà de 2006 en VO et qui sont traduites du suédois par Anna Gibson.
Avis unanimes de Jostein, Stephinette, Calepin, Nathalie, Julien, ...

samedi 28 novembre 2009

Le mec de la tombe d’à-côté (Katarina Mazetti)

Le rat des champs et le rat de bibliothèque.

 Katarina Mazetti (malgré son patronyme aussi peu nordique que celui de la chanteuse Sophie Zelmani) est une auteure suédoise qui est un peu au royaume de Gustaf ce qu'Anna Gavalda est à notre hexagone.
Son premier roman est un succès planétaire et raconte ... l'histoire de la rencontre entre une femme et un homme.
Elle, se recueille sur la tombe de son insipide mari disparu un peu trop tôt. Lui, Le mec de la tombe d'à côté, vient fleurir la tombe de ses parents.
Elle, se trouve un peu trop jeune pour finir seule dans le veuvage parmi ses collègues bibliothécaires. Lui, exploite des vaches laitières et voudrait bien une paire de bras supplémentaire pour l'aider à la ferme.
Tout, mais vraiment tout, sépare ce rat des champs et ce rat de bibliothèque qui ne sont absolument pas faits l'un pour l'autre. Ou alors, précisément, qui sont indiscutablement faits pour se compléter et couler des jours heureux .. et agités.
Entre eux, c'est le coup de foudre, enfin à la suédoise :

[...]  Et j'étais tombé amoureux d'elle.
Ce n'était pas exactement un déclic. Plutôt comme quand je touche la clôture électrique sans faire gaffe.

Lui, n'entend rien à la poésie ni aux théories de Lacan. Elle, est de celles qui croient qu'il y a moins de travail à la ferme l'hiver pendant l'hibernation des vaches.
Lui
, s'endort en ronflant pendant l'opéra. Elle, n'est pas fichue de réussir des boulettes de viande (1).
Lorsqu'ils louent "un" film, ils prennent deux DVD : lui, Police Academy, elle, La leçon de piano, et ils dorment chacun leur tour sur le canapé pendant le film de l'autre.
Le bouquin, imprégné d'une douce ironie pleine de tendresse pour ces deux personnages, alterne ainsi les chapitres avec "lui" et avec "elle", nous faisant vivre et revivre avec beaucoup d'humour les scènes sous un jour ou un autre. Le procédé est bien un peu facile et répétitif mais réussit finalement à composer un petit bouquin sympa et léger, frais et enjoué, qui se lit avec plaisir.
Moralité sans prétention de la part de Katarina Mazetti : ouvrez les yeux sur la vraie vie et vos proches !

(1) : les filles, sachez-le, c'est la recette incontournable pour gagner le cœur d'un suédois ...


Pour celles et ceux qui aiment les amours impossibles.
Actes Sud Babel édite en poche ces 253 pages qui datent de 1998 en VO et qui sont traduites du suédois par Lena Grumbach et Catherine Marcus.
Bien entendu toute la blogoboule en parle : Papillon, Lilly, Clarabel,
D'autres avis encore, plus mitigés, sur Critiques Libres.

vendredi 4 juillet 2008

Servir le peuple (Yan Lianke)

Révolution sexuelle.

Encore du nouveau au rayon littérature chinoise contemporaine.
Avec ce roman de Yan Lianke, presqu'une nouvelle, inclassable : Servir le peuple.
Yan Lianke n'est pas tout à fait un inconnu puisque nous l'avions découvert dans un recueil de nouvelles contemporaines : Amour virtuel et poil de cochon dont on avait déjà parlé ici.
Il y a bien sûr de l'iconoclasme chez Yan Lianke, au sens premier du terme, et c'est ce que met en avant la quatrième de couverture.
Qu'on en juge un peu :
Wu Dawang est un jeune paysan enrôlé dans l'Armée Populaire (Yan Lianke y est passé lui aussi), avide de promotion pour bénéficier d'un avancement et d'un laissez-passer pour quitter la condition de paysan et s'installer en ville avec sa femme qui, pendant son engagement, l'attend à la campagne.
Petit Wu est bientôt affecté au service d'un officier supérieur comme aide-de-camp ou ordonnance.

Alors Wu Dawang, comme une jeune recrue, hurla de toutes ses forces : 
- Servir un officier supérieur c'est servir le peuple ! 
Sa voix était sonore et puissante, bien rythmée, comme à l'entraînement lorsqu'il répétait avec ses camarades les slogans et les mots d'ordre.
Mais l'officier part au loin en mission et Petit Wu se retrouve seul avec Liu Lian, la très jeune femme de l'officier, qui, délaissée par son vieillissant colonel de mari, entend bien profiter des «services» du jeune aide-de-camp.
- Déshabille-toi ! Tu ne veux pas servir le peuple ? 
[...] - Sers le peuple ! Fais-le ! Fais-le ! Fais-le !
Les deux jeunes gens se jettent à corps perdus (c'est le mot) dans une fougueuse histoire d'amour, rivalisant d'audace. Allant, pour exciter leur désir, jusqu'à détruire les images pieuses de la maison : statues et portraits de Mao, slogans peints sur les affiches, c'est à qui se montrera le plus contre-révolutionnaire ...
Voilà de quoi plaire aux occidentaux en mal de dissidents.
Mais on aurait tort de ne lire ici qu'une critique de l'ordre communiste et militaire bien-pensant.
Car l'histoire de Petit Wu et Petite Liu est aussi une très courte mais très belle histoire d'amour.
Liu Lian et Wu Dawang avaient vécu six jours et six nuits sans se rhabiller. 
Mais la nature reprend forcément ses droits. Quand on atteint les sommets de la jouissance, la fatigue s'installe inévitablement. Ce n'est pas seulement la fatigue du corps mais aussi la fatigue de l'âme.
Un huis-clos amoureux où, en marge d'un monde codifié et normé, deux jeunes gens vivent une passion de quelques jours. De ces deux-là on pourra dire qu'ils ont vécu.

Pour celles et ceux qui aiment en vrac, Mao, l'armée, l'amour. 
Picquier édite ces 185 pages qui datent de 2005 en VO et qui sont traduites du chinois par Claude Payen.

jeudi 7 février 2008

Un amour dévastateur (Eileen Chang)

Amour et destruction.

Ce petit bouquin d'Eileen Chang (ou Zhang Ailing en VO) aurait pu passer inaperçu dans la bibliothèque si l'on n'avait pas vu que le récent film d'Ang Lee, Lust, Caution, était tiré d'un autre roman de cette auteure.
Une auteure née à Shanghaï et exilée aux US, connue pour ses écrits pendant les années de l'occupation japonaise (les années 1930-1940) et dont plusieurs bouquins ont été adaptés au ciné.

Un amour dévastateur est donc une excellente occasion de prolonger les charmes du superbe film d'Ang Lee.
De reprendre le jeu du chat et de la souris entre deux amants qui se cherchent longtemps avant de se trouver, de goûter de nouveau au jeu de la séduction.
[...] - Vous savez ? Votre talent particulier, c'est de baisser la tête. 
Elle releva la tête, et dit : 
- Pardon ? Je ne comprends pas. 
- Certains ont un talent particulier pour parler, d'autres pour rire, d'autres pour tenir une maison; le vôtre, c'est de baisser la tête. 
- Je ne sais rien faire, dit Lio-su, je suis quelqu'un de parfaitement inutile. 
Il répondit en souriant : 
- Les femmes inutiles sont de loin les plus redoutables.
On retrouve donc ici aussi le charme surrané des riches oisifs qui partagent leur vie entre Shanghaï et Hong Kong, au gré des événements de l'époque.
Une romance sur fond de fin du monde (Love in a fallen city est le titre anglais) puisque c'est dans un Hong Kong bombardé que les deux amants se trouveront.
À lire aussi pour comprendre la savante hiérarchie de la famille shanghaïenne, où les filles sont numérotées dans l'ordre d'arrivée ... ce qui leur garantit du même coup l'ordre de départ avec un bon parti pour leur mariage.
Un ordre immuable que notre héroïne, Lio-su, viendra dévaster puisque, déjà divorcée, elle partira rejoindre l'homme promis à l'une de ses soeurs !
Tout cela nous est décrit avec un humour discret par la romantique Eileen Chang.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires d'amour romantiques.

vendredi 2 novembre 2007

Pays de neige (Yasunari Kawabata)

Pour découvrir l'un des deux prix Nobel nippons.


Yasunari Kawabata est l'un des deux auteurs japonais à avoir obtenu le Nobel de Littérature, c'était en 1968 (l'autre étant Kenzaburô Ôe en 1994).
Son roman Pays de Neige a été publié au Japon dans les années 30 et traduit en France en 1960.
Kawabata décrit la vie simple d'un village de montagne, à quelques heures de train de Tôkyô, où ceux de la grande ville viennent parfois skier.
Des montagnes recouvertes de neige immaculée tout l'hiver.
Une sorte de paradis tranquille, idéalisé par les yeux d'un citadin qui cherche à se ressourcer, à la recherche d'un éden perdu.

[...] Adossée à un mur de pierres, une gamine de douze à treize ans tricotait, à l'écart des autres. Hors de la rude étoffe de ses larges pantalons montagnards, il vit qu'elle avait les pieds nus dans ses geta, et que la peau en était rouge et gercée par le froid. 
Sagement assise sur un tas de bûches à côté d'elle, un petit bout de fille qui pouvait avoir deux ans écartait ses menottes pour lui tenir avec patience l'écheveau de laine, d'une couleur terne et grise, dont le fil acquérait une teinte plus vive et plus chaude, en passant des bras de la plus petite aux mains de la plus âgée des deux fillettes.
Un riche oisif de Tôkyô y vient régulièrement en villégiature et fait la connaissance de deux femmes dont une geisha.
On a déjà presque tout dit car il ne se passe pas grand chose dans ce roman qui enchaine les rencontres entre cet homme et ces deux femmes.
Mais c'est précisément ce qui en fait tout le charme : les rencontres inabouties, les dialogues inachevés, les sentiments suggérés et les passés à peine entrevus, les amours qui ne se disent pas vraiment, ...
Tout un art subtil de l'elliptique.
On y retrouve donc un peu de l'atmosphère qu'on avait déjà appréciée à la lecture des Années douces de Hirowi Kawakami.
[...] - J'ai pensé que je pourrais vous demander de venir jusque chez moi; c'est pour cela que je vous ai rejoint. 
 - Ta maison est par ici ? 
- Tout près. 
- J'accepte, si j'ai la permission de lire le journal que tu tiens. 
- J'ai l'intention de le brûler avant ma mort. 
Pour le lecteur, comme pour le personnage principal, ce livre est une douce parenthèse à ouvrir.
Une parenthèse dont ne sait trop si elle se referme vraiment une fois les dernières pages du livre lues.
Voir aussi Les belles endormies et Le grondement de la montagne.

Pour celles et ceux qui aiment la neige, les estampes japonaises et les amours elliptiques. 
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