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vendredi 23 mai 2025

Ennemies publiques (Hannah Deitch)


[...] J’ai fui la scène de crime.

Un road-novel avec des héroïnes que l'on dirait héritières de Thelma et Louise.

❤️❤️❤️🤍🤍

L'auteure, le livre (400 pages, mai 2025) :

L'américaine Hannah Deitch vit à Los Angeles et nous offre là son premier roman : Ennemies publiques.
Un road-novel emballé et emballant.
La traduction de l'anglais (US) est de Cindy Colin-Kapen.

Le canevas et les personnages :

Ah, les personnages ! Tout est là ou presque.
Voici l'histoire d'une cavale, le road-novel de deux femmes qu'il est facile de dépeindre comme les héritières de Thelma et Louise (et non pas comme celles de Charles Manson comme vont le faire les journaux et la police, pfff !). 
On pourrait même plutôt les appeler « Bonnie et Bonnie. Pas de Clyde en vue. »
Evie - c'est elle qui raconte l'histoire à la première personne - Evie est une étudiante brillante qui vivote en donnant des cours particuliers à des adolescents-gosses de riches (coach pour le SAT - Scholastic Assessment Test - l'examen d'entrée aux universités US, ce fut d'ailleurs le premier job de l'auteure).
En arrivant chez la famille Victor pour le cours de la jeune Serena, Evie découvre les cadavres salement mutilés des parents. 
Ça tourne vite assez mal, Evie s'enfuit en emmenant avec elle une autre jeune femme qu'elle a découverte enfermée et ligotée dans un placard : visiblement les Victor avaient une vie cachée ?!
Voici donc Evie et la jeune femme mutique - on apprendra beaucoup plus tard qui elle est et ce qu'elle faisait dans le placard - Evie et la jeune femme mutique en fuite sur les routes US avec toutes les polices à leurs trousses.
« [...] Un avenir de fugitive, à me nourrir de conserves froides dans des chambres d’hôtel sordides avec pour seule compagnie cette étrangère mutique et méfiante que j’avais trouvée attachée dans leur maison. »

♥ On aime :

 Le bouquin ne commence pas trop bien, avec des petites phrases qui semblent un peu trop taillées pour le marketing. 
« [...] J’ai été une meurtrière célèbre, à une époque. J’ai assassiné une famille entière de gens très riches, façon Charles Manson, et j’ai fui la scène de crime. »
C'est Evie qui nous présente en détail sa situation, la trentaine, diplômée de tout et de rien, amère et désabusée, le rêve américain complètement en panne. C'est très moderne, très "je", très "jeunesse américaine", donc un peu éloigné de notre culture. Ça ratisse large mais on se dit qu'il faut tout de même persévérer quelques pages.
Heureusement le récit trouve bien vite son rythme, complètement emporté par la cavale infernale des deux jeunes femmes.
 Et bêtement, le lecteur se retrouve emporté lui-aussi. Happé, captivé, impossible de lâcher le bouquin. On est à fond, on dévore les kilomètres de ce road-trip, ces deux femmes crèvent l'écran, traversent les US de long en large, tantôt on accélère pour en savoir plus et plus vite, tantôt on freine, en vain, pour que le film ne finisse jamais.
Pour son premier roman, Hannah Deitch a vraiment réussi un joli coup avec ce couple d'héroïnes : Evie et l'autre femme, "cette étrangère mutique et méfiante".
C'est avec émotion que le lecteur va suivre leurs approches, leur rapprochement, leurs sentiments, leurs émois (oui, oui).
« [...] Elle s’efforçait de paraître distante, mais elle avait surtout l’air timide. J’aimais bien l’idée d’avoir cet effet sur elle. »
« [...] La femme s’est penchée pour me prendre la main. Elle a fait glisser son doigt sur ma paume et mon corps s’est tendu comme une peau de tambour. J’ai fini par comprendre qu’elle traçait des lettres pour que je les lise. »
« [...] J’ai failli ne pas remarquer qu’elle avait parlé. « Je murmurais des choses, a-t-elle poursuivi. En secret. Quand tu partais nous acheter à manger. Dans la baignoire, la première nuit. 
– Tu t’entraînais à…parler ? 
– Oui. Je voulais être sûre d’en être encore capable. Ma voix me paraissait…étrange. »
C'est avec angoisse que le lecteur va suivre leur cavale, leurs mésaventures, leur fuite, leurs déboires.
« [...] J’étais exténuée. J’avais passé la journée à conduire, dans un état de vigilance constante. Je ne m’imaginais pas retourner dans la voiture, dans la nuit, pour rejoindre un monde peuplé de flics et d’US Marshals, d’agents du FBI et de réceptionnistes d’hôtel. C’était un miracle que nous n’ayons pas encore été arrêtées. »
Alors, oui, ça palpite.
 Et puis c'est quand même un thriller ! Alors que fait la police ? Que s'est-il réellement passé dans la maison des Victor avant que Evie ne découvre les cadavres ? Que faisait "cette étrangère mutique et méfiante" enfermée et attachée dans la maison ?
 Oh ce roman n'est peut-être pas exempt de quelques défauts de jeunesse (jeunesse du récit comme des personnages). Quelques chapitres se perdent parfois dans les introspections de Evie et Hannah Deitch semble hésiter entre une belle romance amoureuse et une critique très acide d'un rêve américain qui tourne au cauchemar.
Mais ce n'est là que le premier roman d'une auteure qui est indéniablement "à suivre" : sa plume ne peut que se bonifier avec la maturité.

Pour celles et ceux qui aiment les road-movies.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Sonatine (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.  

lundi 7 avril 2025

Qu'un sang impur (Michaël Mention)


[...] On va gérer.

Dehors, un chaos post-apocalyptique.
Dedans, une étude de mœurs sans concession dans un immeuble confiné.
Quels vont être les comportements de ces quelques habitants cloîtrés dans la promiscuité, tandis que le plus grand chaos règne dehors ?

❤️❤️❤️🤍🤍

L'auteur, le livre (336 pages, mars 2025) :

Michael Mention (né en 1979) est un auteur qui sait surprendre ses lecteurs, au fil de ses polars et thrillers et même westerns, et qui porte un regard très critique sur notre société. 
Un gars qui ne mâche pas ses mots très longtemps.
On l'avait découvert ici avec Sale temps pour le pays, un polar (paru en 2012) qui nous emmenait dans une Angleterre à la veille de basculer dans le tatchérisme.
Le voici avec un roman étonnant et inclassable, au titre coup de poing : Qu'un sang impur ... On connait la chanson.

Le canevas :

Paris dans peut-être bientôt. Ce matin-là au café, les habitants ressentent une énorme onde de choc : "un vacarme surpuissant. Bagnoles déplacées. Tuiles balayées. Passants projetés au sol. Peu après, sur la terrasse, les gens se rétablissent, tremblants, sous le choc"
Sans doute un volcan gigantesque qui se serait réveillé en Europe de l'est. Des centrales nucléaires auraient été secouées. C'est la panique, il y a même un "cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. Waouh. C’est dire si la situation est critique".
Bien vite, dans toute l'Europe, après un "dernier apéro avant la fin du monde", chacun est prié de se confiner chez lui, fenêtres fermées et calfeutrées. Et c'est un été caniculaire évidemment. 
Alors que la température monte dans les chaumières, la télé finit par nous apprendre qu'un terrible virus a envahi l'Europe : les contaminés deviennent des fous furieux, des zombies, des cannibales, façon Walking Dead.
L'auteur s'est documenté : la toxine se fixe sur l'hypothalamus, attaque le système endocrinien, multiplie le besoin de nourriture et de plaisir, diminue l'empathie. Pourquoi pas, c'est plausible.
De toute façon, là n'est pas le sujet pour Michael Mention : ce qui l'intéresse, ce sont les quelques personnes confinées dans un immeuble. Quelles vont être leurs réactions, leurs comportements, leurs interactions, cloîtrés dans la promiscuité, tandis que la mort et le chaos règnent dehors ?

Les personnages :

Voilà bien les clés de l'intrigue. Confinés dans ce petit immeuble, on va trouver là : 
Un jeune couple actif, Matthieu, Clémence et leur fils Teo.
Un couple de retraités, René et sa femme Jacqueline qui souffre d'Alzheimer.
Joël, un écrivain solitaire en panne d'inspiration. Il picole un peu, ça aide.
Yazid et Fatima, lui est chauffeur Uber, elle élève leurs deux enfants. Ils prient beaucoup, ça aide.
Et Chantal, une retraitée aigrie pas très sympathique.
Alors ? Tout est prêt, tout le monde est en place ?
"Là-haut, au troisième étage de l’immeuble. Lentement, on referme les fenêtres, on s’adosse contre le mur, on se laisse glisser jusqu’au sol, on baisse la tête et l’histoire peut vraiment commencer".

♥ On aime :

 Ce bouquin a comme premier mérite de nous rappeler que le Covid n'était certainement pas la dernière des pandémies et qu'il y en aurait d'autres à venir. On l'oublie un peu trop vite.
L'auteur nous rappelle également que la gestion de cette pandémie fut un sacré bordel partout dans le monde et que nos sociétés et nos dirigeants ne sont pas plus préparés aujourd'hui qu'ils ne l'étaient en 2020.
Bref, le message est clair : il n'y aucune raison pour que ça ne recommence pas et sans doute en pire.
"On va gérer. Ça, c’était lorsqu’ils parlaient de radiations, un truc qu’on connaît avec des plans d’action et des cellules de crise, quand il y avait un semblant de cadre. Là, il n’y a rien car on ne sait rien".
 La deuxième bonne surprise de ce bouquin, c'est que Michael Mention, c'est son habitude, n'y va pas avec le dos de la main morte. On a droit à des morts-vivants, des cannibales, un confinement drastique, l'armée dans les rues, etc ... mais ce n'est là qu'un décor, un bon prétexte pour enfermer son petit monde. "Hommes, femmes, Blancs, Noirs, juifs, musulmans… les clivages qui pourrissaient le monde s’annulent : tous égaux dans le chaos".
Car derrière le décor post-apocalyptique, il y a ces quelques habitants confinés dans leur immeuble : une micro-société, reflet ou image de la grande. 
Au début, tout va bien, solidarité oblige et "dans le loft, la cohabitation se passe bien. Du moins, le mieux possible. On mange, on lit, on se douche, on écrit, on se désaltère, on scrolle, on regarde la télé, on appelle ses proches, et si tout ça s’accomplit dans la déprime, c’est ensemble qu’on le fait , ce qui rend les choses un peu plus vivables".
Mais dans ce microcosme, le pire va advenir, "car ici-bas, seuls comptent les actes. Ce que l’on fait et ce que l’on choisit de ne pas faire. Toute l’histoire de l’humanité est là, dans les conséquences".
Ces habitants vont être confrontés à des choix dramatiques, des actes terribles et donc des conséquences sinistres. Michael Mention n'hésite pas, ne recule devant rien et malmène violemment ses personnages et son lecteur. Z'êtes prévenus.
 J'ai longtemps hésité avant de suivre le chemin tracé par Michael Mention. Un écrivain parfois trop surprenant qui semblait ici vouloir surfer trop facilement sur l'après-Covid.
Et bien, voici un bouquin que j'ai dévoré (ah, mauvais jeu de mots, désolé) en deux longues soirées : une fois passé le prologue apocalyptique (plutôt bien fait tout de même, il faut le reconnaître), on est absolument captivé par ce Loft story d'une noirceur totale et comme l'auteur n'hésite pas une seconde à sacrifier tel ou tel personnage, l'attention (la tension) est sans cesse relancée. Terriblement efficace.
 Ouf, finalement, on pourra refermer le bouquin en se persuadant que Michael Mention y est allé un peu fort, même si oui bien sûr, on est d'accord, une prochaine pandémie nous guette. 
Mais "on va gérer". N'est-ce pas ?

Pour celles et ceux qui aiment les espaces clos.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Belfond (SP).
Ma chronique dans la revue ActuaLitté.

vendredi 7 mars 2025

À qui sait attendre (Michael Connelly)


[...] - C’est quoi, cette affaire ? demanda Ballard.

Un excellent Connelly, car même si Harry Bosch est en retrait, l'auteur maîtrise parfaitement, on le sait depuis longtemps, l'art du récit et du thriller.
Il va même jusqu'à imaginer ici un épilogue à l'affaire du Dahlia Noir.

❤️❤️❤️🤍🤍

L'auteur, le livre (480 pages, janvier 2025) :

📖 Rentrée littéraire hiver 2025.
Voilà quelque temps que l'on n'avait pas renoué avec le maître toujours incontesté du polar US : Michael Connelly. Mais fort à propos, ce titre est venu nous faire comme un clin d’œil : "À qui sait attendre" !
Et bien nous en a pris d'y avoir cédé car c'est vraiment un excellent épisode qui prouve, une fois de plus, que si Connelly accuse son âge (tout comme nous !), il sait se renouveler et tenir sa place sur le podium.

Les personnages :

Depuis longtemps, Connelly entretient avec soin et amour sa petite équipe de personnages, une équipe qu'il féminise peu à peu : Harry Bosch est à la retraite, rongé par un cancer et surtout par l'ennui, il se gave d'épisodes de La Défense Lincoln (Connelly pratique aussi l'autodérision !).
C'est Renée Ballard qui a pris le relais et qui dirige maintenant le service des 'cold cases'. Son équipe est constituée de bénévoles (!) puisque le budget de l'administration est de plus en plus réduit.
[...] Les membres de l'unité des Affaires non résolues étaient bénévoles. Depuis deux ans et dans tout le pays, la tendance était à la baisse de budget au sein des services de police, qui avaient de plus en plus recours à des inspecteurs à la retraite pour enquêter sur des affaires non résolues.
Et puis voici Maddie, la fille de Harry, qui veut intégrer l'équipe de Renée pendant ses heures sup ! 
Allez, tout le monde est en place, le spectacle peut commencer ! 

Le canevas :

L'équipe des 'cold cases' de Renée Ballard est sur le point d'identifier un serial killer qui sévissait il y a plus de vingt ans sauf que ... le suspect serait un juge renommé et intouchable ! Il va falloir y aller en douceur !
Dans le même temps, Renée se fait voler ses papiers, son badge de flic et son arme de service ! Aïe.
Comme ça la fout mal pour une flique, elle recherche discrètement ses voleurs ... et avec l'aide de Harry, ils vont tomber sur une hénaurme affaire !
Pour faire bonne mesure, Maddie Bosch annonce à toute l'équipe qu'elle dispose de preuves irréfutables pour identifier le tueur du Dahlia Noir, la célèbre affaire non élucidée de 1947 ! 
[...] Elle ouvrit l'album et en feuilleta les pages jusqu'au moment où elle trouva sa photo.
- Tu penses que c'est lui ? demanda Masser.
- Peut-être. Mais ce serait trop facile, répondit-elle. Et jusqu'à présent, rien ne l'a été dans cette affaire.

♥ On aime :

 Plusieurs personnages clés (Renée, Harry, Maddy) et plusieurs enquêtes parallèles : surprenant mais ça fonctionne, parce que Connelly maîtrise son récit d'une main de fer, passe de l'une à l'autre avec brio, dose ses effets, et bien vite le lecteur est complètement captivé. Suspense et stress sont au rendez-vous, impossible de lâcher le bouquin, on tient là un véritable page-turner.
 Et puis l'intrigue est traversée par les soubresauts de l'attaque du Capitole de 2010. La mouvance des "citoyens souverains" prend de plus en plus d'importance (y compris chez nous) et Connelly nous rappelle qu'il y a quelque chose de pourri au royaume US. Des fois que cela nous aurait échappé ...
[...] A lire les bulletins d'information du FBI et les alertes du LAPD, elle savait que ces « citoyens souverains » s'opposaient à tous les impôts et ne reconnaissaient aucune loi. D'après la dernière alerte dont elle se souvenait, leur nombre avait grandi de manière significative depuis les deux tremblements de terre qu'avaient constitué la pandémie du COVID et l'insurrection manquée au Capitole. L'alerte concluait que tous les souverains devaient être considérés comme armés et dangereux et que les forces de l'ordre ne devaient les approcher qu'avec les plus extrêmes précautions.
 Connelly reste fidèle à ses thèmes de prédilection et utilise le personnage de Renée pour fouiller là où ça fait mal, là où la violence laisse des cicatrices : les proches, la famille, ceux qui restent et peinent à surmonter la perte d'un être cher, et parmi les policiers, ceux qui ne peuvent s'empêcher de ressentir de la compassion pour ces personnes.
[...] J'avais écrit "traumatisme vicariant" et j'ai commencé à vous expliquer que pour moi, c'était la cause même de votre agitation et des insomnies que vous rencontrez. Je vous ai plus ou moins dit que vous étiez une mangeuse de péchés, que vous vous appropriiez toutes les horreurs que vous voyiez dans votre travail, que vous les gardiez en vous et qu'elles ressortaient sous la forme de ces symptômes que nous constatons : les insomnies, l'agitation qui vous conduit à vous mettre vite en colère.
[...] Je travaille avec des familles brisées par la perte brutale d'une fille, d'un fils, d'une mère ou d'un père. Peu importe que ce soit l'un ou l'autre, je vois leur douleur et elle ne s'efface jamais. Je vois comment elle les vide de l'intérieur. Tous attendent une sorte d'apaisement dont ils savent très bien au fond leur cœur qu'il ne viendra pas.
Un excellent Connelly donc, car même si Harry Bosch est retrait, l'auteur maîtrise parfaitement, on le sait depuis longtemps, l'art du récit et du thriller. Des romans où Los Angeles, la ville des Anges (déchus ?), tient toujours une place particulière entre Babylone et Gotham City.

La curiosité du jour :

L'affaire du Dahlia Noir date de 1947 et n'a jamais été élucidée alors que une cinquantaine de "suspects" se sont eux-mêmes dénoncés à la police ! Même à Hollywood, on a la célébrité qu'on peut.
Le Dahlia Noir c'était le surnom donné à une jeune femme, Elizabeth Short, qui rêvait de devenir actrice, comme tant d'autres. Elle fut retrouvée dans un terrain vague de L.A., âgée seulement de 22 ans, le corps mutilé et sectionné en deux, vidée de son sang.
Les films, les chansons, les livres (dont celui de James Ellroy) et même les bandes dessinées ne manquent pas sur cette affaire devenue culte.
[...] Une affaire de cette magnitude ... Elle fait maintenant partie intégrante de l'histoire de Los Angeles. Il y a eu des films, des livres, des séries télé ... On a le livre de James Ellroy, celui d'un ex-flic qui dit que son père est l'assassin, tout un tas de théories.
Connelly lui imagine ici un épilogue plutôt bien vu.

Pour celles et ceux qui aiment Los Angeles.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Calmann-Levy (SP).
Ma chronique dans les revues ActuaLitté et Benzine.  

mercredi 2 octobre 2024

Les âmes féroces (Marie Vingtras)


[...] Une femme shérif c’est déjà compliqué.

Marie Vingtras fait partie de ces rares auteurs européens qui écrivent comme les américains. Un excellent roman noir où le shérif est ... une femme !

L'auteure, le livre (272 pages, août 2024) :

Rentrée littéraire 2024.
Une fois n'est pas coutume.
Deux fois non plus ? Et après Maylis de Kerangal et son Jour de ressac, nous revoici avec entre les mains un ouvrage de la rentrée qui concourt aux prix : Les âmes féroces de Marie Vingtras.
Il a d'ailleurs déjà reçu le prix Fnac.
Son précédent roman, Blizzard (2021) avait lui aussi été couronné de plusieurs prix (et on en parle aussi).
Marie Vingtras est le nom de plume (inspiré du pseudo d'une féministe du XIX°) d'une avocate bretonne, amoureuse de la littérature américaine à laquelle elle emprunte codes et références : enfant déjà elle préférait Ben-Hur et les histoires de pirates aux livres de la bibliothèque rose, nous dit-elle.

♥ On aime beaucoup :

 À quoi tiendrait le style de cette littérature américaine de terroir que l'on reconnaît dès les premières pages ? Une ambiance rurale, un regard naturaliste, une simplicité rustique mais soigneusement travaillée ? 
Une mystérieuse alchimie entre un environnement naturel et la communauté qui s'est implantée là depuis quelques générations seulement, à l'écart du bruit du monde ?
Marie Vingtras fait partie de ces auteurs européens dont on s'étonne qu'ils réussissent à se couler à la perfection dans ce moule étasunien, comme le britannique R. J. Ellory ou le français Raphaël Malkin pour n'en citer qu'un ou deux. Ou même le suisse Joël Dicker et sa fameuse Affaire Quebert à laquelle ce bouquin pourra peut-être faire penser puisqu'il sera question ici aussi, de trop jeunes filles et de mystification littéraire.
 Et puis il y a ces petites digressions qui en quelques coups de crayon dessinent tout un personnage avec son passé, trop lourd à porter, et ses failles, toujours béantes. Ces personnages, ce sont eux qui font le roman. Quatre personnages qui prendront la parole tour à tour mais qui sont en réalité étouffés par le poids des non-dits, des secrets et des mensonges. L'un d'eux fera même vœu de silence ! 
 Des personnages que Marie Vingtras soigne tout particulièrement, avec beaucoup d'empathie et d'humanité même si certains frisent parfois la caricature comme cette pièce rapportée de New-York qui dénote un peu et rompt l'harmonie du chœur.
 Et puis il y a cette shérif - oui, le shérif est une femme, lesbienne de surcroît ! - un rôle superbe dans lequel on imagine bien une actrice comme Frances McDormand !
[...] Une femme shérif c’est déjà compliqué, mais une femme shérif qui vit avec une autre femme, ça fait beaucoup pour une si petite ville.
➔ L'auteure se paie même le chic de ne pas nous laisser suivre en détails l'enquête de cette fameuse shérif et de dérouler son film sur quatre saisons, depuis ce mois d'avril printanier jusqu'à l'hiver suivant, où quatre personnages prennent la parole tour à tour pour nous raconter quatre histoires bien différentes.
Alors qui aura le dernier mot, le fin mot de l'histoire ?

Le canevas :

Mercy, un petit village étasunien, peut-être du côté du Kentucky, un bled où il ne se passait jamais rien jusqu'à ce soir d'avril 2017.
[...] C’est comme ça que ça se passe ici. Les gens font semblant d’avoir peur et ils peuvent faire semblant parce qu’il ne se passe jamais rien. À croire que la criminalité s’est arrêtée un jour aux portes de la ville, a pesé le pour et le contre et s’est dit que finalement ça n’en valait pas la peine, qu’il n’y avait pas assez de potentiel sur place pour perdre son temps.
[...] C'est qu’ici tout est caché. Vous êtes tellement les uns sur les autres que le moindre truc de travers doit être enterré bien profondément pour ne pas menacer le groupe.
Dans ce village, une jeune fille est retrouvée morte.
[...] C’était le premier meurtre de cette ville depuis un paquet d’années. Cette bonne ville de Mercy, trois mille neuf cent soixante-quatorze âmes hier, trois mille neuf cent soixante-treize aujourd’hui. Une ville calme, endormie presque, avec ses deux clubs de bingo, son association de vétérans et sa shérif qui préfère les femmes.

Les acteurs :

Il y a donc là, Lauren Hobler, 35 ans, la shérif qui préfère les femmes et son amie Janis, qui souffrent toujours des brûlures infligées par son ancien mari.
Les adjoints, Donegan, le gars trop émotif, et Sean, celui qui voit des coupables partout.
Le maire de Mercy qui n'attend qu'une occasion pour faire élire Sean à la place de Lauren.
Leonora, dite Leo, la jeune fille assassinée, Seth son père garagiste et son amie inconsolable, Emmy.
Benjamin Chapman, le beau prof de français et d'italien, que les mères jugent un peu trop "présent" auprès des jeunes filles du comté.

Pour celles et ceux qui aiment les femmes shérifs.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions de L'Olivier (SP).
Ma chronique dans les revues ActuaLitté et 20 Minutes.

mardi 1 octobre 2024

Leo (Deon Meyer)


[...] Cela restera une équipée sauvage. Très sauvage.

Le maître du "polar sudaf" se renouvelle avec un scénario de braquage !
"Leo" est le thriller le plus "cinéma" de la série avec un minutage ultra-précis et parfaitement maîtrisé par un scénariste dopé à l'adrénaline !

❤️❤️❤️🤍🤍

L'auteur, le livre (624 pages, octobre 2024, 2023 en VO) :

Rentrée littéraire 2024.
Avec ses thrillers récurrents dont il nous gratifie tous les ans ou tous les deux ans (un rythme qui fait qu'on garde plaisir à le retrouver), Deon Meyer est une valeur sûre du polar sudaf et même du rayon polar en général. 
Leo est un épisode de la série "Griessel et Cupido", les deux flics des Hawks, dans la suite de Cupidité ou La proie mais qui bien sûr peut se lire indépendamment.

♥ On aime beaucoup :

 Ouvrir un polar comme Leo c'est comme s'asseoir devant un bon film d'action. On est assuré d'un exotisme dépaysant (c'est l'Afrique du Sud), d'un scénario original (c'est l'Afrique du Sud), de retrouver des acteurs qu'on aime bien (Benny Griessel et le métis Vaughn Cupido, deux Sud-Africains), et c'est l'un de nos réalisateurs préférés qui est à la mise en scène (Deon Meyer, un Africain du Sud).
 L'afrikaaner essaie même de se renouveler et après nous avoir emmenés jusqu'à Bordeaux (La proie), après nous avoir intéressés à la peinture (La femme au manteau bleu) - hollandaise la peinture, bien entendu - le voici qui s'essaie au scénario de hold-up, carrément. 
Et attention les yeux : un braquage peut en cacher un autre et ils sont menés par Christina Jaeger (la chasseuse) dite Chrissie, une actrice à la Lara Croft, jolie comme Angelina ! 
Une comme on n'en fait qu'au cinéma !
[...] C’est une hyène brune, une femelle alpha, une solitaire. C’est une briseuse de cœurs. Son côté brut de décoffrage, protestataire, dur à cuire.
 Tout comme dans les derniers épisodes, Deon Meyer s'en prend à la corruption et à la "captation de l'état" pratiquées par les mafieux qui ont gouverné le pays : Jacob Zuma et les frères indiens Gupta (qui sont présentés dans le livre sous les noms de code de Joe Zaca et Chanda !).
Les lingots et les millions de la corruption sont au cœur de l'intrigue et vous allez être très surpris d'apprendre d'où ils viennent ...

Le canevas :

Tout débute par un bon braquage très pro, un plan minuté, une équipe entraînée, une préparation d'enfer : bref, tout est réuni pour que, bien sûr, ça tourne mal !
Pendant ce temps, nos amis Griessel et Cupido (qui attendent toujours de réintégrer l'équipe des fameux Hawks dont ils se sont fait virés pour avoir mis leur nez là où il ne fallait pas), nos amis donc, enquêtent sur la mort suspecte d'une jeune femme "attaquée" par des chiens aux environs de Stellenbosch.
[...] C’est une Blanche, jeune, très probablement une étudiante. Ce n’est peut-être pas un accident. Quand la nouvelle sera rendue publique, les réseaux sociaux vont se mettre à bourdonner. Avec la police sud-africaine dans leur viseur.
Et bien vite voilà le meurtre du propriétaire des chiens. Il a été assassiné, la gorge étouffée par de la mousse expansive (!) et les chiens n'aboieront plus.
[...] — Cause du décès ?
— Suffocation, je dirais. Mais d’un genre particulier.
« C’est de la mousse expansive. Dans la gorge.
— De la mousse ?
— Oui, de la mousse expansive.
Le propriétaire des chiens serait un ancien des fameux commandos des Forces Spéciales.
L'enquête difficile de Griessel et Cupido les rapproche lentement du pot aux roses mais Deon Meyer maîtrise parfaitement son timing et tout va s'accélérer quand un second braquage se met en place !
[...] Il est donc impératif que l’opération réussisse. Beaucoup de choses peuvent foirer en cours de route. Au moins, si l’affaire échoue, cela restera une équipée sauvage. Très sauvage.
[...] — OK. Eh bien, pourquoi t’es-tu embarquée dans cette affaire, Christina Jaeger ?
— À cause d’Héraclès.
— Héraclès ?
— Putain, il n’y a rien de plus excitant que de rester debout face au lion qui te charge, Igen. Rien. »
À ce rythme d'enfer, pas facile pour l'ami Benny de se préparer pour son mariage !
[...] Griessel essaie son costume de mariage. Les points de bâti sont encore visibles, mais l’ensemble lui va bien. Huit jours avant les noces. Carla l’examine des pieds à la tête.
« Très beau, papa, mais il faut passer chez le coiffeur.
— Jeudi.
Ah mais non, Benna, nous on sait que jeudi ça va pas le faire, tu verras, tu vas finir par être en retard à ton mariage ! Et d'ici là, impossible pour le lecteur de refermer ce "page-turner" !

Pour celles et ceux qui aiment les films de hold-up.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Gallimard (SP).
Ma chronique dans les revues ActuaLitté, 20 Minutes et Benzine.

jeudi 15 août 2024

Écume (Patrick K. Dewdney)


[...] La mer le tuera avant quoi que ce soit d’autre.

L'histoire d'un père, d'un fils et de la mer. Un texte étonnant, particulièrement riche, qui enchantera les passionnés de la langue écrite mais qui pourra aussi ne pas plaire à tout le monde.

L'auteur, le livre (176 pages, 2019) :

Patrick K. Dewdney est un auteur britannique de poésie et de fantasy. 
Il vit en Limousin et écrit en français. Après Crocs (pas lu ici), Écume est son second "roman noir" paru initialement en 2017 et ré-édité en 2019 : une histoire de mer, de père et de fils, servie par une prose remarquable.
Ce livre fut couronné du prix Virilo en 2017 (un prix qui voulait parodier le Femina).

Le canevas :

Le quotidien de deux pêcheurs bretons aux prises avec la furie des flots. Le Père et le Fils (ils n'auront pas d'autres noms). La Mère est morte. 
Le Père est s'enfermé dans son mutisme et ne reprend vie qu'à la barre de son bateau face à la démence des tempêtes. Le Fils supporte mal et son sort et l'emprise de ce père à demi fou.
Mais la pêche ne nourrit plus son marin et tous deux survivent en transportant quelques migrants en Angleterre.
[...] Ils vont tous deux en file indienne. Le père marche à l’avant. Son pas est rapide, pressé par l’appel de l’écume. Le fils traîne sur ses talons.
[...] Devant, le père force l’allure et le fils peine à suivre. Le fils a beau dépasser le père d’une tête, la vigueur du père est telle qu’on le croirait surgi de l’âge antique.
[...] Les frasques du père font jaser depuis longtemps. En conséquence, le fils traîne une réputation de tête brûlée qu’il n’a pas vraiment méritée.
Comment font ces deux hommes (le fils est dans la trentaine) pour supporter leur dure condition de marins pêcheurs et pour se supporter l'un l'autre ? Pour affronter sans cesse la violence assourdissante de la mer comme la fureur silencieuse de leurs rapports ? Comment fait le fils pour endurer le vacarme de la pêche comme le mutisme buté de son père ?
[...] Il ne faut pas regarder en arrière. Si le père est balayé par la furie des vagues, s’il part à l’eau cette nuit, le fils a décidé qu’il ne le verrait pas.

♥ On aime beaucoup :

 Lorsque le lecteur embarque à bord de ce roman de mer puissant, cette dure histoire de marins, c'est d'abord le choc de la houle marine.
Et puis très vite celui de la prose elle-même qui déferle écumante, le vocabulaire bouillonnant qui submerge le lecteur, phrase après phrase, vague après vague.
 Après la violence de la mer et de la prose, viendra celle des rapports entre ces deux hommes. Un père quasi dément qui, tel un nouvel Achab, ne vit que dans les risques insensés pris face à la tempête, un fils qui ronge son frein, remonte inlassablement les lignes et les hameçons, attend le point de non retour, mais tout de même qui suit, quoiqu'il advienne.
 Et puis surviendra le drame, promesse de tout bon roman noir. Pas celui que le lecteur attendait mais un enchaînement encore bien plus épouvantable. Face à l'impitoyable dureté du monde, une noirceur terrible baigne ce roman, une noirceur sans fond comme les flots insondables, une noirceur poisseuse comme l'humidité de la timonerie. Mais le lecteur, emporté par le flot, est désormais fermement accroché à l'hameçon et ne pourra plus refermer le bouquin jusqu'au final, remarquable.
[...] On n'oblige pas Charon à faire demi-tour.
[...] Vieux fou, pense-t-il. Le temps qu’il t’aura fallu pour devenir taré ne reviendra pas. Ça a tué ma mère. Ça me tuera aussi, sans doute.
Ouf, quel voyage ! Un voyage où le sang des hommes et des poissons coule ... à flots.

Pour celles et ceux qui aiment la mer qui prend l'homme.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Ma chronique dans les magazines ActuaLitté et Benzine.

samedi 23 mars 2024

Au nord de la frontière (Roger Jon Ellory)


[...] Vous m’avez vraiment concocté une histoire triste, pas vrai ?

L'auteur, le livre (496 pages, mars 2024, 2023 en VO) :

Ah! Retrouver Roger Jon Ellory s'annonce toujours comme un grand plaisir de lecture et Au nord de la frontière tient ses promesses. 
Cette frontière, c'est celle qui sépare le nord de la Géorgie des Appalaches, région de montagnards taiseux et sauvages (c'est la région de Délivrance) qui fait depuis longtemps le bonheur de nombreux romanciers US … et de leurs lecteurs.
Il n'est donc pas inutile de rappeler que R. J. Ellory n'est pas plus américain que vous et moi : c'est un pur  British de Birmingham ! 

♥ ♥ On aime beaucoup :

 On aime un romancier qui prend tout son temps pour installer son décor, son intrigue et ses personnages.
R. J. Ellory laisse mijoter tout cela à feu doux, la double enquête piétine et le lecteur a tout le loisir de faire ample connaissance avec les uns et avec les autres.
Aux deux tiers du bouquin, le lecteur fait déjà presque partie de la famille lorsque l'intrigue va se nouer, noire et serrée : la balade touristique dans les Appalaches se transforme alors en une redoutable nuit blanche pour terminer ce page-turner.
 Avec R. J. Ellory on sait qu'il faut s'attendre à une histoire d'une grande tristesse et d'une profonde noirceur. Fort heureusement quelques figures féminines lumineuses tentent d'éclairer un peu le sombre ciel de Géorgie : la patience bienveillante d'Eleanor, la femme du frère, ou les réparties redoutables de Barbara, l'assistante du bureau du shérif. 
 Et puis surtout l'obstination têtue de la petite Jenna, la nièce, archétype des personnages de R. J. Ellory dont la résilience leur permet d'échapper aux traumatismes que la vie leur a destinés. 
On la voit peu dans le livre mais ce pourrait bien être elle la véritable héroïne ici : les histoires d'Ellory sont à l'opposé des tragédies antiques peuplées de héros victimes de la fatalité.
 Mais on n'est pas au bout de nos surprises : R. J. Ellory emmènera ses personnages et son lecteur très loin, au-delà de la frontière. Une frontière qui ne sépare pas uniquement la Géorgie du Tennessee mais qui est aussi la frontière entre le bien et le mal, la frontière entre certaines lois et une certaine idée de la justice.
[...] – Bon sang, Victor, vous m’avez vraiment concocté une histoire triste, pas vrai ?
– Je suppose.
[...] Les répercussions vont être considérables. Ne vous attendez pas à mener une vie paisible dans un avenir proche. La presse va se ruer sur cette affaire . Il va falloir limiter les dégâts… Bon sang, je ne sais même pas à quoi comparer ça.

Le pitch :

Il y a Victor Landis, le shérif d'une petite ville du nord de la Géorgie où il cultive sa solitude comme d'autres les orchidées. Un taiseux sombre et solitaire qui s'est soigneusement coupé du monde.
[...] Les événements récents avaient souligné à quel point il était isolé. Pas de parents, pas de femme, pas d’enfants, et désormais pas de frère.
[...] La solitude était une façade qu’il arborait – feignant l’indépendance ou une autosuffisance résolue –tout en se persuadant que c’était le monde qui était responsable. Mais c’était un ramassis de conneries. Il avait fabriqué ça tout seul.
Il y a le frère, Franck Landis, avec qui Victor est définitivement brouillé depuis des années.
Franck est shérif lui aussi et vit au nord, de l'autre côté, au Tennessee.
Enfin, il vivait car il vient de se faire écraser. 
Et comme on lui a roulé dessus à plusieurs reprises, on peut dire que ça ne ressemble pas à un accident.
[...] Frank ne lui avait pas manqué pendant toutes ces années, et maintenant qu’il était mort il n’y avait aucune raison qu’il en aille autrement. Deux heures de route les avaient séparés, mais il aurait tout aussi bien pu se trouver à l’autre bout du monde.
[...] Frank et Victor Landis descendaient d’une lignée de personnes dures et laconiques. Leurs ancêtres se méfiaient des mots qui excédaient trois syllabes.
[...] Sale affaire. C’était un type bien, un bon shérif. 
– Une idée de qui il aurait pu se mettre à dos ? demanda Landis. Il est clair que quelqu’un le voulait mort une bonne fois pour toutes.
Avec qui fricotait Franck pour qu'on veuille l'écrabouiller avec une telle application ?
Mais Victor n'est guère motivé pour enquêter sur la mort de son frère haï : il est surchargé de boulot avec des cadavres de jeunes filles qui refont surface dans la région. 
[...] – J’aurais cru que vous aviez assez à faire sans ces trois ados mortes sur les bras.
– Peut-être que je ne veux pas découvrir la vérité sur Frank. Mon instinct me dit que ça ne va pas être joli, et je ne veux pas avoir raison.
– L’intuition, c’est pas des faits, Victor.
– Je le sais, George.
– Il me semble que le fardeau de ne pas savoir serait plus lourd.
– Oui, acquiesça Landis. Je suppose. »
[...] Des rumeurs, des déductions, une personne qui disait une chose, une autre qui en disait une autre , tout cela donnait une montagne de rien, et pourtant il en sentait le poids sur ses épaules. Quelqu’un connaissait la vérité sur son frère. Quelqu’un savait ce qui était arrivé à ces trois filles. Des gens avaient la réponse à toutes ces questions, et il devait les trouver.
Quel lien peut-il bien y avoir entre ces deux histoires où l'on croise trop souvent ces deux affreux jojos, les frères Russell ?
[...] – Vous voulez un conseil ? Quitte à en tuer un, autant les tuer tous les deux. Et tuez-les deux fois, juste histoire d’être sûr. »

Pour celles et ceux qui aiment les shérifs.
D’autres avis sur Babelio et Bibliosurf.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Sonatine.
Mon billet dans 20 Minutes.
À noter que Fabrice Pointeau, le traducteur attitré de R.J. Ellory, vient tout juste de décéder un peu trop tôt ...

lundi 4 mars 2024

Les voisins d'à côté (Linwood Barclay)


[...] Les choses finissent toujours par vous rattraper.

L'auteur, le livre (444 pages, 2010, 2008 en VO) :

Après avoir été bluffé par le style et la construction de Disparue à cette adresse, on s'était promis de revenir chez le canadien Linwood Barclay.
Le revoici donc avec un roman beaucoup plus ancien : Les voisins d'à côté.

On aime :

❤️ Dès les premières pages, on goûte le plaisir d'être installé dans son meilleur fauteuil pour passer un très bon moment, même si on comprend vite qu'avec un tel page-turner qu'on ne saura pas reposer avant la toute fin, la nuit s'annonce bien longue !
❤️ Même si le bouquin date de plus de quinze ans et n'a pas toute la force de Disparue à cette adresse, on sent bien que Linwood Barclay est déjà un "pro" quand il s'agit d'écrire ce type de romans à énigme.

Le pitch :

Ça commence très fort quand dans la petite ville de Promise Falls, typique de la côte Est des US, les voisins sans histoire de Ellen et Jim Cutter sont assassinés.
[...] La nuit où nos voisins, les Langley, ont été assassinés, nous n’avons rien entendu.
[...] En vérité, je n’avais jamais rien vu de pareil. Pas une famille entière. Pas comme ça. Pas à Promise Falls. 
— C’est l’Amérique, soupira Ellen en glissant le pain dans la poêle fumante. Cela peut arriver n’importe où.
Ce soir-là, le fils ado d'Ellen et Jim rodait bêtement autour de la maison des voisins et se retrouve inculpé.
Mais dès le début on devine, on sait, que Linwood Barclay nous cache une bonne partie de l'histoire, ne nous dit pas tout sur le passé des uns et des autres et garde tout un jeu de cartes dans sa manche.
Il se paie même le luxe d'une petite intrigue littéraire (cela doit faire partie des cours d'écriture aux US !) avec l'usurpation d'un manuscrit, un plagiat qui aurait permis au pilleur de vendre un best-seller.
[...] Je n’arrive pas à croire que ce bouquin soit devenu un best-seller.
[...] Sincèrement, les écrivains sont souvent sympa, mais tellement collants. Toujours en quête d’approbation.
[...] — Vous le méprisez réellement, n’est-ce pas ? reprit-elle. Vous pensez que c’est un imposteur ? 
Je réfléchis tout en me garant le long du trottoir. 
— Je pense qu’il est plus qu’un imposteur, répondis-je. Je pense que c’est un assassin.
[...] Les choses finissent toujours par vous rattraper.
Mais il faudra attendre la toute fin, au cœur de la nuit blanche, pour que les derniers masques tombent enfin.

Pour celles et ceux qui aiment les tours de passe-passe.
D’autres avis sur Babelio.

jeudi 22 février 2024

Un animal sauvage (Joël Dicker)


[...] Mais ce n'était que des apparences.

L'auteur, le livre (416 pages, février 2024) :

 On se souvient tous de La Vérité sur L'Affaire Harry Quebert, (un de nos coups de cœur 2013 tout de même), ce best-seller de Joël Dicker, le petit suisse qui écrivait comme les américains.
La vérité c’est qu’avec tout le battage médiatique autour de cette entrée littéraire fracassante, on craignait le syndrome du second roman [clic] après le succès initial, on se méfiait un peu des suites et on avoue avoir franchement zappé cet auteur. 
Mais dix ans ont passé, il y a prescription et chacun a droit à une seconde chance, même les suisses !
Nous voici donc lancés à la poursuite d'Un animal sauvage.

On aime un peu :

❤️ Oui on a un faible pour ces bouquins qui s'apparentent plus au tour de prestidigitation qu'au roman policier, quand le lecteur se laisse manipuler, ne réfléchit pas trop, ne cherche surtout pas la clé de l'énigme, mais profite du show avec la jubilation du spectateur ébahi par les jolis trucages du magicien. 
Le type de polar qui ne révolutionne pas le genre (et qui reste très en-deçà de la trop fameuse Affaire H. Q.) mais qui constitue un aimable divertissement, d'autant que le chef connait son métier et ses recettes et que de surprise en rebondissement, on finit par se laisser prendre par ce page-turner qu'il est impossible de reposer tant la gourmandise nous tient pour savourer jusqu'à la dernière bouchée.
❤️ En douce, Joël Dicker (qui ne peut quand même pas se renier après L'Affaire H. Q. !) nous livre encore un clin d'oeil littéraire en citant ce vrai faux roman italien du début du siècle passé où il aurait été question de panthère et de Luchino, rien à voir évidemment avec un certain guépard de Visconti !
Clin d'oeil qui sert ici de prétexte à un beau portrait de femme en panthère, un peu cliché mais joliment tourné, on ne peut en dire plus ici sans divulgâcher mais quelques passages montrent que Dicker sait écrire autre chose que des polars de commande.
[...] Ce chromo sur papier glacé, elle le vomissait. Elle voulait être libre. Elle voulait être sauvage. [...] Fauve le lui avait toujours dit: elle était une Panthère.
😕 Le grincheux trouvera tout cela très artificiel avec des personnages sans trop d'épaisseur, des décors de carton pâte, tout cela dessiné uniquement pour son rôle dans la pièce. Le lecteur sourit, s'amuse, jubile parfois, tourne les pages à toute vitesse, mais tout cela est bien surfait et sans surprise. Ce thriller psychologique fera le bonheur des voyageurs du TGV mais restera très très en-dessous de la bonne surprise que fut L'Affaire H.Q. qui mélangeait les genres de manière plus subtile.

Le pitch :

Dans une banlieue chic (forcément, hein ?!) de Genève, Joël Dicker accumule les clichés, en veux tu en voilà, mais le lecteur futé se doute bien que l'habitué des tours de passe-passe est en train de nous manipuler.
Les Braun habitent dans une belle maison d'architecte aux parois de verre.
Les Liégean sont des voisins plus modestes.
[...] À l'image de leur maison, ceux qui vivaient ici faisaient rêver : Arpad et Sophie Braun étaient le couple idéal et les parents comblés de deux enfants merveilleux. [...] Ce matin-là, Sophie ouvrit les yeux à 6 heures pile. [...] Elle allait avoir quarante ans dans une semaine et n'avait jamais été aussi belle.
[...] La famille Liégean dina tardivement des lasagnes qui avaient trop cuit. Puis, au moment où les enfants étaient enfin sur le point de se coucher, l'aîné avoua en pleurant qu’il n'avait pas fait ses devoirs et qu'il aurait des ennuis en classe. Greg dut l'aider pour ses maths. Il y eut des agacements, des cris et les devoirs furent finalement faits par Greg lui-même. Après cet épisode, les enfants étaient très agités et leur père dut déployer des trésors de patience pour les mettre au lit. Lorsqu'ils furent enfin endormis, Greg rejoignit Karine dans la cuisine. Elle terminait la vaisselle. Le silence froid qui régnait dans la pièce était l'indice de la mauvaise humeur ambiante.
Les Liégean admirent et jalousent les Braun. 
Monsieur Liégean va même jusqu'à espionner Madame Braun, sa trop jolie voisine, planqué derrière les arbres au lieu de faire courir son chien pendant son jogging matinal.
Mais que cache réellement la trop belle façade de verre des Braun, quel est leur passé ?
Et ce Greg Liégean, un flic (le comble !) qui joue au pervers, mais est-ce qu'un rôdeur pourrait en cacher un autre ?
[...] Greg ne cessait d'observer Arpad, comme pour tenter de percer le mystère de cet homme. Qui était-il vraiment ? Que cachait-il sous ses airs de mari parfait et de père modèle ?
Et puis surtout, quel rapport peut donc avoir tout ce psychodrame de banlieue chic avec le hold-up qui nous est annoncé pour bientôt en plein cœur de Genève et dont le compte à rebours est lancé avec une mise en scène de cinoche américain ?
[...] 6 heures 45, au quartier général de la police.Greg était toujours nerveux avant une opération. II considérait que c'était essentiel pour rester en vie si les choses tournaient mal. Mais cette fois-ci, même s'il ne voulait pas l'admettre, c'était différent: il était spécialement agité. Il avait mal dormi.
Il était arrivé le premier dans les locaux du groupe d'intervention. Il s'était préparé, seul dans les vestiaires. Il avait revêtu, de façon quasi rituelle, son uniforme noir. Sa tenue de combat. Il attendrait la fin du briefing pour enfiler son gilet pare-balles, sa cagoule et son casque tactique.
[...] Aujourd'hui, c'était le jour de l'affrontement.
Mais bientôt Joël Dicker commence à faire apparaître quelques foulards de son chapeau, et encore une volée de colombes et encore tout une portée de lapins : au fil des aller-retour entre passé et présent, le lecteur ira de surprise en surprise car, dans cette banlieue chic de Genève, chacun des personnages cachait soigneusement son jeu ... et l'auteur garde toujours quelques cartes dans sa manche.
[...] Mais les concours de circonstances sont drapés d'apparences.
Et il faut se méfier des apparences.
[...] La soirée fut une réussite, les fruits de mer un succès, et Greg excella derrière son grill. Après le repas, les enfants entamèrent une partie de cache-cache dans le jardin. A table, la conversation des adultes était joyeuse et animée. Les rires fusaient à mesure que les verres de rosé se vidaient pour se remplir aussitôt. C'était une de ces nuits d'été parfaites: l'obscurité tardait à tomber, l'air était doux. Tout le monde semblait s'amuser. Mais ce n'était que des apparences.
Et puisque nous sommes en Suisse ... il sera beaucoup question d'argent dans cette histoire qui rappelle un peu celle que nous contait en 2020 Joseph Incardona, compatriote de Joël Dicker.

Pour celles et ceux qui aiment les panthères et les bijoux.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à 20 Minutes Books et aux éditions Rosie & Wolfe.
Mon billet dans 20 Minutes.

vendredi 2 février 2024

Filles fleurs (D. K. Hood)


[...] La femme qui murmure à l’oreille des psychopathes.

●   L'auteure, le livre (350 pages, 2024, 2023 en VO) :

On ne connaissait pas encore l'américaine D. K. Hood, auteure prolixe de thrillers comme la série des "Alton et Kane".
Voici Filles fleurs, premier épisode des enquêtes de l'agent spécial Beth Katz, une fliquette du FBI.
Avec son surnom de "reine du suspense" (rien que ça), un bandeau marketing "au million de lecteurs" et une édition française 100% numérique, on pouvait craindre le pire dans le genre roman de gare tgv, d'autant que l'agent Beth Katz du FBI se prend pour une serial-killeuse de serial-killers (papa était lui-même serial-killer, elle a été traumatisée petite, etc ...) : un personnage auquel on ne peut croire plus de trois lignes évidemment.

●   On aime un peu :

❤️ Contre toute attente, on apprécie cette série B plutôt honnête. La "reine du suspense" ne révolutionne pas le genre mais nous embarque dans un page-turner à l'intrigue bien bâtie. Et en dépit de quelques maladresses et approximations, on se laisse forcément prendre par cette histoire.
❤️ Contre toute attente aussi, on finit par s'attacher au personnage improbable de Beth Katz : celle qui se prend pour une serial-killeuse de serial-killers et qui n'hésite pas à leur trancher la gorge quand ils tombent entre ses pattes, "son côté obscur" dit-elle, un penchant inavouable mais qui a le mérite d'éviter un coûteux procès à la société. Le message (régulièrement répété au fil des pages) délivré par cette justicière pour le moins expéditive est pour le moins ambigu et même un peu nauséabond mais D. K. Hood n'en fait pas trop dans ce registre : cela ressemble plus à un coup marketing pour sortir en tête de gondole du lot trop commun des thrillers habituels et bien vite, l'agent Beth Katz retombe dans un rôle plus classique de fliquette FBI qui poursuit les méchants avec ténacité et persévérance. Et cela nous va bien puisqu'on s'intéresse évidemment plus à la traque, à la chasse, qu'au sort qui sera finalement réservé au vilain une fois attrapé.
[...] Elle vouait une haine féroce aux tueurs d’enfants, pédophiles meurtriers, esclavagistes sexuels et tueurs en série sadomasochistes pervers. Elle voulait que tous rencontrent son côté obscur pour que justice soit faite.
[...] Jared Small ne ferait plus jamais de mal à une autre enfant. Il était mort désormais et le côté obscur de Beth était apaisé pour un temps.
[...] — Ce que tu veux vraiment savoir, c’est si j’ai envie de tuer quelqu’un  ? 
—  Et c’est le cas  ? 
—  Oui, quand je vois un enfant violé et assassiné, j’ai envie de déchiqueter le coupable à mains nues, répondit Beth. On m’a dit que c’était une réaction normale. Ce qui est anormal, c’est de passer à l’acte.

●   L'intrigue :

L'agent spécial Beth Katz est très spéciale : papa était serial-killer et sa fille a gardé le goût du sang. 
"Son côté obscur", comme elle le dit elle-même, la pousse à traquer les serial-killer et à les zigouiller le plus discrètement possible.
Après quelques erreurs de parcours, le FBI décide de la parachuter au fin fond du Montana où elle devra faire équipe avec un autre agent.
Mais bientôt des jeunes filles disparaissent, la police retrouve le corps de l'une d'elles en pleine forêt, ses vêtements soigneusement pliés à ses côtés.
Alors la chasse peut reprendre ...

Pour celles et ceux qui aiment les serial-killer.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions numériques Bookouture.

lundi 22 janvier 2024

Disparue à cette adresse (Linwood Barclay)


[...] Il y a nécessairement une explication.

●   L'auteur, le livre (448 pages, 2024, 2022 en VO) :

On ne connaissait pas encore Linwood Barclay, auteur canadien de thrillers.
Le voici avec Disparue à cette adresse et un pitch qui s'annonce très proche d'un roman bien connu que l'on vient tout juste de lire : Les apparences de l'américaine Gillian Flynn, adapté au cinoche avec Ben Affleck et Rosamund Pike, c'était Gone girl.

●   On aime beaucoup :

❤️ On est tout d'abord surpris par la qualité de l'écriture, très pro, de ce thriller qui a priori pouvait s'annoncer comme un simple polar tgv. Visiblement, Linwood Barclay s'annonce comme un auteur qui a visiblement plus d'un tour dans son sac et chez qui il faudra revenir.
❤️ Et puis on adore les tours de prestidigitation où l'artiste attire notre regard d'un côté pendant que, de l'autre, il prépare son chapeau pour en sortir soudain toute une ribambelle de lapins et de colombes.
Une belle affiche que ce page-turner que l'on ne lâchera pas avant le clou du spectacle, et oui il y a même un petit twist final !

●   L'intrigue :

C'est donc encore l'histoire d'une femme qui disparait mystérieusement. Mais là où Les apparences et le film Gone girl mettaient l'accent sur la réaction du mari et les soupçons de la police, Linwood Barclay change radicalement le point de vue du metteur en scène.
Six ans plus tard, Andrew (le mari de Brie qui avait disparu) a refait difficilement sa vie : il a déménagé et changé de ville, changé de nom pour ne plus être traqué par les médias, il a même une nouvelle famille, ...
[...] Ma vie était devenue un spectacle public, matière à émission policière racoleuse et à spéculations sur les réseaux sociaux, j’avais eu besoin d’un nouveau départ.
[...] Pendant très longtemps, j’ai été une épave. C’est ce qui arrive quand votre femme disparaît et qu’on murmure dans votre dos que vous êtes coupable. J’ai perdu mes amis, à l’exception d’un seul.
Lorsque soudain ... Brie réapparait ! Voici Back girl !
Est-ce bien elle ? Qu'est-elle devenue pendant ces six années ? Serait-ce plutôt une autre femme qui lui ressemblerait ? Mais pourquoi cette soudaine réapparition ?
[...] Et puis j’ai reçu le coup de téléphone de Max. Je ne savais pas quoi en penser. « Je pense que c’était Brie. »
Ma femme, qui avait disparu depuis six ans et que beaucoup présumaient morte, se serait présentée à mon ancienne adresse ? Impossible.
[...] Si c’était Brie, où était-elle pendant ces six années ? Pourquoi est-ce qu’elle sortirait de nulle part ? Je veux dire, qu’est-ce qu’elle a fait pendant tout ce temps ? Si c’était vraiment elle, pourquoi aurait-elle décidé de revenir précisément à ce moment-là et pas à un autre ? Est-ce que quelqu’un la gardait prisonnière et qu’elle a fini par s’échapper ? Et dans ce cas, pourquoi n’est-elle pas allée directement voir la police ?
Une réapparition qui pose beaucoup de questions et qui vient bouleverser la nouvelle vie d'Andrew comme celle de la famille de Brie qui commençait tout juste à faire son deuil d'une fille, d'une sœur.
Pour corser le tout, la fliquette de service s'empresse de rouvrir le dossier, elle qui s'était déjà acharnée en vain six ans plus tôt à prouver la culpabilité du mari.
[...] — Si on l’a vue, c’est que vous ne pouvez pas l’avoir tuée, n’est-ce pas ? 
— Qu’est-ce que vous insinuez ? Que j’ai mis ça en scène ? Que j’ai engagé une femme pour qu’elle se fasse passer pour Brie ?
— Il y a nécessairement une explication.
À mi-parcours le lecteur comprend déjà le fin mot de l'histoire. À mi-parcours seulement, le lecteur se dit que "Oh mon Dieu ! C’est… C’est de la folie." et se rappelle soudain de quoi sont faits les chemins de l'enfer.
[...] — Tu sais de quoi l’enfer est pavé. 
— Oui, je sais.
[...] — Vous avez laissé le génie sortir de la lampe, dit Hardy. C’est la loi des conséquences non intentionnelles. 
— Je vous demande pardon ? 
— On commence avec l’intention de faire une chose, et on finit par provoquer quelque chose d’autre.
Le lecteur se rend compte qu'il s'est fait balader par l'auteur et son faux remake de Gone Girl : pendant que les spectateurs regardaient d'un côté, le magicien édifiait patiemment un véritable château de cartes qu'il va écrouler dans un brillant feu d'artifice.
[...] — Oh mon Dieu ! C’est… C’est de la folie. 
— Je ne vais pas vous contredire. Mais revenons à vos aveux.
[...] On arrive parfois à un stade où on ne croit plus personne.

Pour celles et ceux qui aiment les tours de magie.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Belfond.

jeudi 16 novembre 2023

La promesse (Robert Crais)

[...] À quel jeu joues-tu, Amy ?

    L'auteur, le livre (455 pages, 2023) :

L'américain Robert Crais fut scénariste de séries TV avant de consacrer à l'écriture de polars.
La promesse rassemble plusieurs personnages récurrents de ses romans : les détectives Elvis Cole et Joe Pike ainsi que le maître-chien du LAPD Scott James et sa chienne Maggie.

    On aime :

❤️ On aime retrouver les quartiers familiers de L.A. que l'on croit si bien connaître au fil des bouquins et des films : Echo Park, Silver Lake, ... !
❤️ On apprécie une intrigue assez originale qui n'évoque pas cette fois le trafic de drogue, mais celui d'explosifs, au profit de malfrats, de marchands d'armes ou de terroristes ...
❤️ On aime le personnage canin de Maggie ; l'auteur évite la personnification excessive mais réussit à lui donner une vraie place et l'on apprend pas mal de choses sur nos compagnons à pattes.
[...] Scott parlait à son chien. Cela l’inquiétait au début, jusqu’à ce qu’il apprenne que tous les autres maîtres-chiens en faisaient autant. « Tant que Maggie ne te répond pas, tout va bien », lui avait dit Leland.

      L'intrigue :

Dès les premières pages, le lecteur est plongé dans une double intrigue bien prenante.
Amy, une ingénieure chimiste spécialiste des explosifs a disparu : le détective Cole a été mandatée discrètement par une collègue pour la retrouver.
[...] — Jurez-moi. Jurez-moi que vous ne parlerez de cette enquête à personne. 
— Je vous en fais la promesse. 
Quatre jours plus tôt, Amy Breslyn avait pris des vacances, du jour au lendemain et sans donner la moindre explication.
[...] — Nous ne fabriquons pas d’armes. 
— Vous fabriquez ce qui est à l’intérieur. Vous fabriquez le boum.
Dans le même temps, les flics du LAPD et le maître-chien de Maggie pourchassent un malfrat. 
Et tout ce petit monde se retrouve un beau soir autour d'une maison où l'on découvre un cadavre et quelques kilos d'explosif.
La chimiste Amy était-elle en train de vendre son savoir-faire à des terroristes, elle qui avait perdu son fils dans un attentat à la bombe au Nigeria ?
Mais les apparences sont souvent trompeuses et tout cela semble bien compliqué pour le lecteur comme pour les enquêteurs.
[...] Je venais de trouver une autre pièce de puzzle, mais je ne savais pas si toutes appartenaient au même puzzle.
Le détective Cole va devoir faire appel à ses meilleurs amis, le très taciturne Pike et le très efficace Jon.
[...] J’ai besoin de ton aide sur un truc. 
— Bien sûr. Sur quoi ? 
— Des choses qui font boum.
L'intrigue se compliquera encore, guerre des polices oblige, et on aura du mal à lâcher le bouquin avant un final plutôt réussi.
L'écriture et les personnages manquent peut-être encore un peu de chaleur : tout cela devrait certainement s'étoffer au fil des prochains épisodes, un auteur à suivre !

Pour celles et ceux qui aiment les chiens policiers.
D’autres avis sur Babelio.
Un livre lu grâce à Netgalley et aux éditions Talents.

mardi 17 octobre 2023

Les fantômes de Kiev (Cédric Bannel)

[...] C’était terrifiant de se retrouver sur la kill list du Kremlin.

    L'auteur, le livre (512 pages, 2023) :

Les fantômes de Kiev : on se méfiait un peu d'un roman d'espionnage qui semblait surfer sur le conflit en Ukraine, mais on a tout de même décidé de faire confiance à l'un de nos auteurs préférés : Cédric Bannel qui nous a déjà emmené en Afghanistan à plusieurs reprises.
L'auteur poursuit le virage amorcé dans les derniers bouquins sur l'Afghanistan (notamment l'excellent Espion français) avec la mise en scène des aventures d'un espion de l'équipe Sigma de la DGSE du Boulevard Mortier. 

      Le contexte :

Cette fois, nous partons pour l'Europe centrale en Roumanie, en Ukraine, dans le Donbass, sur les traces d'un [complot du Kremlin contre la France. Une opération qui, selon ce qu’il lui avait annoncé, aurait pour nom de code « Ouragan de feu ». Personne n’avait jamais entendu parler de ce truc avant.] Une attaque préparée de longue date parce que [la vengeance du prezident Poutine se mange toujours glacée.] 
[...] Sans l’OTAN, le drapeau russe flotterait déjà sur Kiev. Maintenant, il est acculé, donc il se venge et lâche ses coups. Trois pays sont plus particulièrement dans sa ligne de mire : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Le premier est loin, le second une île. Nous sommes les plus faciles à frapper. Il va recommencer.

    On aime bien :

❤️ On aime le scénario digne d'un James Bond. La première partie du livre se met en place lentement pour laisser le temps à l'auteur de nous expliquer sa géopolitique et tout ce qu'il a appris sur les services secrets spéciaux des différents pays protagonistes (France, Roumanie, Russie). Puis vient le temps de la course folle à travers le Donbass en guerre et on ne lâche plus le bouquin, véritable page-turner.
❤️ On apprécie le travail de documentation et une intrigue certes romancée, mais assemblée à partir d'événements bien réels : la Norvège a effectivement fourni des missiles français Mistral à l'Ukraine, la prison Isolatsia de sinistre réputation existe bel et bien dans le Donbass, les bidonvilles de Ferentari et Rahova sont bien des plaies ouvertes dans la cité de Bucarest, ...
[...] Même dans les quartiers les plus déshérités de Kaboul, jamais Edgar n’avait été confronté à une telle misère humaine.
[...] Des générations dans des taudis, la banalisation de la pauvreté et de la mendicité, l’absence d’éducation et de formation, après cinquante ans de communisme percutés par trente ans de capitalisme sauvage, avaient créé une trappe sociale dans laquelle beaucoup étaient aspirés. Il en était sorti une version du lumpenprolétariat du XXIe siècle assez proche, finalement, de celle que décrivait Karl Marx à la fin du XIXe.
 Mais tout cela n'a plus le charme exotique des précédentes histoires afghanes auxquelles nous avait habitués Cédric Bannel et le manque d'originalité de cet épisode le place nettement en-dessous du précédent : L'espion français. Reste tout de même un bon thriller d'espionnage raconté par un pro et situé au cœur de l'actualité.

      L'intrigue :

La DGSE est informée de la préparation d'une attaque russe sur le sol français : un attentat digne du 11 septembre. L'agent spécial Edgar est envoyé en Roumanie puis en Ukraine, jusque dans le Donbass, pour retrouver l'informateur mystérieux et déjouer le complot.
Pour couvrir leur implication, les russes n'ont pas hésité à manipuler des islamistes installés en France.
[...] — La France est la cible parfaite, reprit-il. C’est le petit Satan. Elle empêche nos sœurs de s’habiller dignement, leurs filles de porter le voile à l’école. Elle laisse des infidèles caricaturer notre Prophète et insulter notre Livre sacré. Elle permet à des hommes de se marier entre eux, infamie suprême ! Quand des croyants se rebellent contre ces horreurs, elle les envoie croupir en prison au nom d’une prétendue liberté d’expression, qui ne marche que dans un sens. Aujourd’hui, ses troupes sont partout en terre d’islam, au Maghreb, en Afrique, pour lutter contre nos frères en religion.
Des péripéties et un montage très classiques, tout à fait dans les standards (et les clichés ...) de ce type de roman d'espionnage.

Pour celles et ceux qui aiment les espions français.
D’autres avis sur Bibliosurf et sur Babelio.

mardi 29 août 2023

Quand on eut mangé le dernier chien (Justine Niogret)


[...] On mangeait pour repousser encore le moment de la mort.

    L'auteure, le livre (198 pages, 2023) :

On ne connaissait pas encore Justine Niogret, auteure de SF hors de notre radar.
Mais la voici qui s'attaque à un genre très différent avec Quand on eut mangé le dernier chien, pour nous romancer une expédition en Antarctique, celle qui vers 1910 conduisit trois hommes au désastre : l'expédition Aurora ou expédition Mawson qui devait cartographier une partie du continent blanc, tout au sud, encore plus au sud, de l'Australie.
Un bouquin sur un sujet comme on les aime qui vient en rejoindre d'autres sur notre étagère des histoires blanches et glaciales des pôles.

    On aime très beaucoup :

❤️ Il faut se laisser happer par le récit de Justine Niogret, celui d'une histoire vraie, documentée avec beaucoup de rigueur, mais emportée par la force d'un excellent roman, rédigé d'une plume puissante. Ce bouquin est un véritable page-turner, qu'on lit d'une traite, tellement on a hâte de sortir de l'enfer dans lequel nous avons plongé avec ses héros. 
Le court et dense récit fonctionne parfaitement, particulièrement bien maîtrisé, allégé de l'avant comme de l'après, concentré sur la course de ces explorateurs, leurs souffrances, leur volonté de dépassement et l'auteure va à l'essentiel comme elle le dit elle-même : [Ce récit est un récit d’ascèse et, tout comme Mawson l’a fait de son paquetage, nous avons mis de côté tout ce qui pouvait l’alourdir.]
❤️ On profite d'une aventure par procuration, bien calés dans notre fauteuil confortable et douillet. Mais d'où nous vient cette curieuse fascination pour ces aventures inhumaines ? Sommes nous attirés par ces héros de tragédies modernes ou d'explorations à la Jules Verne ? Est-ce pour nous jouer du danger et du risque invisibles dans nos sociétés sécurisées ? Pour la nostalgie d'une noble époque où les dollars seuls ne suffisaient pas ? Pour goûter un dépaysement que l'on sait inaccessible au commun des mortels, même encore aujourd'hui ? 
[...] On savait que l’on marchait non pas dans la mort, car la mort est une action, un fait, mais plus exactement dans un endroit où il était impossible de vivre.
[...] Il n’existait pas de mots pour en parler, puisque les mots étaient une façon de communiquer entre les Hommes et que le Sud était par essence totalement inhumain. Il s’agissait d’une vie étrangère.

      Le contexte :

On ne se lasse pas de ces récits glacés où le froid lui-même se fait matière solide, des récits qui nous content les aventures littéralement incroyables de quelques fous complètement givrés, obsédés par le Grand Blanc (The White Darkness comme l'appelait Henry Worsley), partis explorer des territoires qui ne sont pas plus faits pour l'homme que la Lune ou Mars. 
Des récits qui font passer l'ascension de l'Everest pour une balade : les touristes fortunés y font la queue et on n'a jamais fait la queue au Pôle Sud qui n'a pas eu plus de visites que la Lune.
Ces fous givrés sont des personnalités hors normes, motivées au choix, par la recherche de la gloire, le goût de l'aventure extrême, la curiosité scientifique, le dépassement de soi et des limites de la résistance humaine.
Certains iront s'enfermer dans de minuscules stations inaccessibles la plus grande partie de l'année [1] [2], d'autres se laisseront dériver sur des morceaux de banquise [3], d'autres encore laisseront leur navire se prendre dans les glaces [4] [5] [6], les plus fous, comme ici, partiront à pied ou en skis [7], ...

      L'intrigue :

Cet été là (fin 1912), plusieurs groupes de traineaux partent explorer la région depuis le Cap Denison au sud de l'Australie.
L'une des expéditions (trois hommes et dix-sept chiens) entreprend de cartographier l'est lointain, c'est le Far Eastern Party.
Des trois hommes, le géologue britannique Douglas Mawson, le lieutenant britannique Belgrave Ninnis et le suisse Xavier Mertz, un seul reviendra au camp de base après un millier de kilomètres parcourus pendant plusieurs mois sur la glace.
Des dix-sept chiens ...
[...] Johnson avait toujours été une gentille bête, loyale et travailleuse. Les hommes furent attristés de sa mort. Ils tentèrent de découper sa viande en lamelles avant de la faire bouillir dans l’eau, et d’y ajouter quelques pincées de pemmican. Le repas les laissa affamés. Les chiens dévorèrent la carcasse.
Alors nous voici partis pour une aventure au-delà de l'humain au cours de laquelle Justine Niogret, soigneusement documentée, ne nous épargne aucune souffrance. 
Et manger les chiens ne sera pas la pire des épreuves qui nous attendent.
[...] On aurait eu du mal à le deviner, mais ici, la sueur était un ennemi acharné. Tout se détrempait en permanence, et les matières pourrissaient.
[...] Les vêtements devaient être imperméables au vent et, de fait, l’étaient aussi à l’eau. La sueur restait dans cette bulle et y moisissait à son aise.
[...] Confrontés aux longues heures d’efforts et au froid terrible, les trois hommes avaient faim en permanence.
[...] La douleur ressentie durant la marche n’était pas feinte, née de sa fatigue : la plante entière de ses pieds s’était décollée et restait dans ses souliers. Il s’assit, étudia ses pieds.
Un roman fort et puissant à la hauteur de cette formidable histoire : même si le lecteur est bien confortablement assis, il n'en ressort pas tout à fait indemne.

Pour celles et ceux qui aiment les chiens de traineau.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Mon billet dans 20 Minutes.