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vendredi 5 janvier 2024

Mythes et mensonges : “Les femmes ont-elles une âme ?”

 

Extrait (abrégé) de Alain Decaux, Histoire des Françaises, Librairie Académique Perrin, Paris, 1972, pp.133-134.
« On affirme qu’en 585, un concile s’est tenu à Mâcon pour trancher d’une épineuse question : la femme a-t-elle une âme ? On écrit là-dessus comme s’il s’agissait d’un fait historique démontré. D’autres interviennent pour s’écrier qu’il s’agit d’une légende.
Il faut dire la vérité. Si l’on consulte la liste des conciles, on s’aperçoit qu’il n’y a jamais eu de concile de Mâcon. On trouve en 586 un synode provincial à Mâcon. Les “Actes” en ont subsisté. Leur consultation attentive démontre qu’à aucun moment, il ne fut débattu de l’insolite problème de l’âme de la femme.
Alors ? D’où vient cette légende si solidement implantée ? Le coupable est Grégoire de Tours. Il rapporte qu’un évêque déclara que la femme ne pouvait continuer à être appelée “homme”.
Il proposa que l’on forgeât un terme qui désignerait la femme, la femme seule. Voilà le problème ramené à son exacte valeur : ce n’était point un problème de théologie, mais une question de grammaireCela gênait cet évêque que l’on dît les hommes pour désigner aussi bien les femmes que les hommes.
On lui opposa la Genèse : “Dieu créa l’homme mâle et femelle, appelant du même nom, homo, la femme et l’homme.” On lui rappela qu’en latin, «homo» signifie : créature humaine.
Personne ne parla plus du synode de Mâcon jusqu’à la Révolution française. En pleine Terreur, le conventionnel Charlier demanda si l’on  était encore au temps où on décrétait, “comme dans un ancien concile, que les femmes ne faisaient pas partie du genre humain”.
En 1848, une citoyenne devait franchir une nouvelle étape dans l’altération des textes. A la tête d’une délégation du Comité des “Droits de la femme”, elle remettait une pétition tendant à obtenir le droit de vote pour les femmes et commençant par ces mots : “Messieurs, autrefois, un concile s’assembla pour décider cette grande question : savoir si la femme a une âme…”
Les quelques lignes de Grégoire de Tours, définitivement déformées, étaient entrées dans le patrimoine définitif de la crédulité publique.” (via Dia)

https://www.fdesouche.com/2009/06/12/histoire-la-femme-a-t-elle-une-ame/

dimanche 4 avril 2021

Aux sources de Clio

 Dans l’étude et l’écriture de l’histoire il est un moment doux entre tous, celui, non pas de la création littéraire, tâche à la fois difficile et pleine d’orgueil, mais la lecture des sources. Il se dégage, au parfum délicat des fleurs qui croissent près de cette source, une impression enivrante ; celle d’une sorte d’exercice de divination. Le texte offert au regard du lecteur est mort. Les lettres ne diront pas plus que ce qu’elles montrent. Mais un récit prend forme, explicite ou à décrypter, narrant la vie des hommes d’un autre temps.

La frontière entre eux et nous est à jamais infranchissable. On ne remonte pas le cours du Styx. Pourtant, c’est en contemplant l’onde de ce fleuve des morts que l’on tente de savoir de quelle manière ceux-ci vivaient, agissaient, pensaient. Il faut, pour mieux toucher ces réalités de jadis, aborder aux rivages des textes écrits non par des commentateurs mais par les témoins les plus directs des événements. Les ouvrages de seconde main, dans cet exercice, doivent être considérés avec doute, et il faut leur préférer la littérature du temps sur lequel on médite.

L’exemple des sources franques

Ainsi, une réflexion sur les premiers rois francs débutera forcément par la lecture de L’Histoire des Francs de Grégoire de Tours, évêque de Tours. Avec Grégoire, le lecteur part en voyage. Il traverse des forêts profondes, reçoit lecture des vers mal équilibrés de Chilpéric, assiste à la mise à mort des cousins de Clovis, au retrait du monde de Radegonde. Mais il convient d’aller plus loin. A ne lire qu’une seule source, aussi truculente et incontournable fut-elle, on risquerait la naïveté. Ainsi, à Grégoire de Tours il faudra ajouter son continuateur Frédégaire, son contemporain Fortunat, évêque de Poitiers, le fameux auteur des hymnes, dont le plus célèbre, le Vexilla regis est toujours chanté dans la liturgie catholique. On pourra encore lire, en remontant légèrement le cours des siècles, la correspondance de Sidoine Apollinaire, sénateur gallo-romain et poète, afin de mesurer l’ampleur de l’invasion germanique dans le cœur d’un esprit éclairé. Les textes ne manquent pas dans la période, quoi qu’on en pense. Le croisement des sources augmente la vie de cet univers dans lequel nous pénétrons. Peu à peu nous chevauchons aux côtés des Francs. Mais justement, nous chevauchons avec eux car nous croisons les sources et ainsi débusquons, par la comparaison, les erreurs, les orientations du chroniqueur de jadis. En effet, faire œuvre de lecteur en histoire, c’est aussi chercher à comprendre la mentalité et la volonté exprimée de l’auteur. Celui-ci n’était pas un historien, c’était un évêque du VIe siècle, de grande famille gallo-romaine, d’origine sénatoriale, proche de la cour royale, intime de plusieurs souverains, honnête homme certes, mais homme de son temps et de son milieu. Il convient donc de le prendre tout entier, mais en connaissance de cause. Ainsi, l’homme qui décide de plonger ses mains dans les eaux du Styx doit-il le faire avec franchise et sans lunettes.

La sincérité de lecture

Cette sincérité qui conduit à tenter de penser non pas comme les hommes du VIe siècle pensaient, car cela est impossible, mais du moins avec eux, permet d’éviter les chausses-trappes d’une lecture trop superficielle et celles des biais idéologiques ou doctrinaux d’un historien intervenant plusieurs siècles après que l’encre fut sèche, et cherchant dans les textes ce qu’il s’attendait à trouver, même sans en connaître, quitte à faire mentir l’auteur.

Lire les sources, croiser les sources, retirer ses lunettes pour voir non pas comme mais avec l’auteur, ce sont là des clefs de la lecture historique.

Par ailleurs, les sources sont, bien souvent, des monuments littéraires. Ici, la recherche de la vérité est rejointe par le souci des belles lettres. Nombre de ces textes sont devenus des monuments de la langue française. Grégoire de Tours ou Fortunat, certes, car ils étaient autant poètes que chroniqueurs. Mais pour des temps plus récents, il est de nombreux documents, parfois de nature juridique, qui sont le reflet d’un style littéraire de haute valeur classique. Ainsi en était-il de nombre des remontrances du parlement de Paris au roi durant le XVIIIe siècle, ou des lettres de jussion du roi à son parlement, notamment lorsqu’elles étaient en fait signées Maupeou. Parce que certains auteurs étaient des hommes de haute culture et qu’ils vivaient dans un temps de lettres classiques en tous points remarquables, leurs propres œuvres, outre le témoignage historique, deviennent un témoignage littéraire, sur l’imprégnation d’une culture classique dans les esprits.

La diversité des sources et le songe de l’impossible compilation intégrale

Les sources historiques sont presque infinies et si les arides livres de comptes d’une Ferme générale du XVIIe siècle en sont quelques-unes, les pièces de Molière, à condition de les prendre avant tout pour ce qu’elles sont, c’est à dire des pièces de théâtre destinées à l’amusement du public, et non des pamphlets sociaux, en sont d’autres, et non des moindres.

Lire l’histoire dans les sources fut le rêve des historiens de la première moitié du XIXe siècle. Leur espoir impossible était de faire étudier et comprendre l’histoire du monde uniquement par les sources, l’auteur s’effaçant, n’étant plus que le compilateur des textes, leur conteur le plus discret possible. Ce rêve conduisit à l’édition de monuments extraordinaires, comme les Monumenta Germaniae Historiae, recueil de toutes les sources latines sur l’histoire de la Germanie, en plus d’une quarantaine d’épais volumes ; comme la Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, sous la direction de Guizot, puis de Petitot et enfin Monmerqué, avec les principales sources traduites, de Clovis au Grand Siècle en une cent trentaine de volumes ; comme le Recueil des anciennes lois de la France, etc. Cette rage compilatrice trouvait sa source dans l’œuvre des commentateurs jurisconsultes du XVIIIe siècle et les bénédictins de la congrégation de Saint Maur à la même époque, notamment Dom Bouquet, auteur d’un Recueil des historiens de la Gaule et de la France, Dom Mabillon avec ses Acta concilium sanctorum, ou encore les vies de saints des Bollandistes.

En quatre ou cinq collections, quelques centaines de volumes, mais des milliers d’œuvres et des centaines de milliers de pages, le lecteur assidu aura en effet la connaissance quasi complète des principaux monuments juridiques, des diplômes, des chartes, des lois, de quelques actes notariés, de lettres majeures, des inscriptions, des chroniques, annales, journaux personnels, vies de saints qui constituent le corpus de l’histoire de France. Il aura une connaissance relativement solide de l’histoire de son pays. Mais que d’énergie ! Une vie n’y suffirait pas ! Pis encore ! Certaines sources n’étant pas traduites, il conviendra de se mettre sérieusement au latin médiéval et à l’ancien français…

Il est évident que cette chimère ne s’adressait qu’aux historiens les plus chevronnés. Par ailleurs, son souci d’exhaustivité ne convenait qu’aux temps reculés. Au fur et à mesure que l’on progresse les sources augmentent en nombre et deviennent de plus en plus difficiles à compiler et maîtriser. La sortie du Moyen Age et l’entrée dans le temps de la Renaissance rend déjà la tâche presque impossible, notamment avec la profusion des actes notariés ou décisions de justices conservés. Leur volume ne fera qu’augmenter. Dès lors, ce genre de compilations devient la réserve de l’histoire générale mais s’éloigne de la recherche de la vérité historique dans la vie des gens, faute de pouvoir y adjoindre la quantité incroyable d’archives particulières, pourtant nécessaires.

Le retour aux ouvrages de seconde main, soutenus par la lecture des textes sources

Ici s’achève le rêve de l’exhaustivité. Non pas celui de la lecture des sources. Il conviendra toujours de les lire, de les approfondir. S’il était possible de lire toutes les sources pour un temps très ancien, il est encore possible, pour des temps récents, de lire quelques sources et d’accéder aux autres par le biais d’essais de seconde main.

Ici, l’entorse à la règle de la divination historique ne peut être tolérée qu’à une condition, l’ouvrage de seconde main doit citer un grand nombre de textes sources afin de se donner vie à lui-même, et il doit renvoyer à toutes ses archives pour permettre au lecteur plus curieux que les autres d’aller vérifier par lui-même le détail de ce qui est rapporté par l’auteur à la bonne foi duquel il se confie.

C’est pour ces temps où il n’est plus possible de tout lire, pour ces personnes qui  ne peuvent pas tout lire, et pour mettre en rapport les textes qui ne parlent pas tous seuls et ont besoin d’être confrontés les uns aux autres pour libérer leur sens de vérité, que les ouvrages de seconde main se justifient et doivent être promus.

Lire des ouvrages de seconde main avec confiance épargne la lecture fastidieuse de textes infinis, mais il faudra bien, de temps à autres, retourner à la source pour s’abreuver. Dans ce Styx là, il n’y a pas que l’âme des morts, il y a du lait et du miel.

A butiner :

Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, Guizot  De Clovis au XIIIe siècle

Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, Petitot et Monmerqué Du XIIIe siècle à la paix de Paris en 1763

https://gabrielprivat78.wordpress.com/2013/02/08/aux-sources-de-clio/#more-117

samedi 23 janvier 2021

Sainte Genevieve, l’histoire confirme la légende


 Philippe Bernard est spécialiste de l’histoire de l’Église entre Antiquité tardive et haut Moyen Âge Professeur à Aix-en-Provence, fait autorité sur l’histoire de la liturgie, qu’il enseigne à l’École Pratique des Hautes Études. Il a bien voulu répondre à nos questions sur sainte Geneviève, personnage hors norme, entre religion et politique, qui eut un rôle décisif dans l’affermissement de la première chrétienté parisienne.

Propos recueillis par l’abbé G. de Tanoüarn

Pour l’historien que vous êtes, quelles sont les sources qui nous permettent de penser que notre connaissance de la vie de sainte Genevieve est objective ?

Naturellement, aucune de nos sources écrites n’est objective au sens moderne du terme. Les hagiographes du haut Moyen-Âge ne pratiquaient évidemment pas la méthode historico-critique des historiens modernes, et nul ne saurait le leur reprocher sans commettre un élémentaire anachronisme. L’auteur anonyme de la plus ancienne biographie de Geneviève écrivait vraisemblablement dans les années 520, c’est-à-dire vingt ans environ après la mort de son héroïne. Ce clerc anonyme connaissait aussi bien l’Église de Tours et sa tradition hagiographique (il s’est en effet beaucoup inspiré de la Vie de saint Martin rédigée peu avant 397 par Sulpice Sévère, disciple de l’évêque de Tours) que la topographie parisienne de son temps, de sorte qu’il est possible qu’il s’agisse d’un clerc tourangeau détaché à Paris pour desservir la nouvelle basilique des Apôtres, dont la construction avait été entreprise par le roi Clovis peu avant sa mort pour accueillir la tombe de la sainte, et où il fut à son tour inhumé en 511. Nous savons d’autre part que ce clerc bien informé était commandité par la reine Clotilde, morte à Tours en 548, et dont il devait être proche pour s’être vu confier un ouvrage aussi important. Il s’agissait en effet d’un projet à la fois politique et religieux associant étroitement Geneviève à la défense de l’orthodoxie trinitaire (d’où les emprunts à la Vie de saint Martin, que Sulpice Sévère dépeint comme un Saint anti-arien) et à la famille royale franque, qui venait de choisir Paris pour y fixer sa capitale, après la victoire de Clovis sur les Visigoths à la bataille de Vouillé, en 507 quelques années après la mort de Genevieve.

Notre seconde source essentielle est Grégoire, qui fut évêque de Tours de 573 a 594, et qui appartient à une tout autre génération - né en 538 en Auvergne, il n’a pu connaitre directement aucun des protagonistes de la vie de Geneviève - et dont le projet est nettement plus ambitieux que celui de l’hagiographe anonyme des années 520. Ses Dix livres d’histoire sont en effet une histoire universelle qui exprime une théologie de l’histoire en vertu de laquelle l’économie divine réalise le plan de Dieu sur le genre humain par étapes et en prenant appui sur des hommes providentiels, dont les deux plus grands, aux yeux de Grégoire, sont l’empereur Constantin, mort en 337 et son alter ego le roi Clovis, mort en 511. De même en effet que, grâce au premier, les persécutions cessèrent et le monde romain devint même le meilleur vecteur de diffusion du christianisme, grâce à la conversion du second le monde barbare s’est ouvert à son tour à l’orthodoxie fixée en 325 par le concile de Nicée. Beaucoup plus sophistiquée que celui de son devancier anonyme, l’ouvrage de Grégoire faisait donc du peuple des Francs le nouvel Israël de Dieu et investissait les rois issus de Clovis d'une mission messianique consistant a propager la foi et le salut jusqu’aux extrémités du monde connu.

On parle souvent à son sujet de la « petite bergère de Nanterre ». Qu’en est-il exactement de ses origines ? Que signifie ce prénom germanique ?

Les origines familiales de Geneviève se déduisent à l’aide de deux sortes d’arguments. L’onomastique nous oriente d’une part en direction d'origines franques, sans doute par son père, Severus, qui était vraisemblablement un officier supérieur d’origine barbare, quoique de nom romain, travaillant pour Rome dans l’ombre de l’usurpateur Constantin III (407-411) ou de l’un des généraux d’origine barbare qui étaient placés sous son commandement. Grand propriétaire terrien, Severus possédait des terres à l’Est de Paris, dans la région de Meaux, d’Arcis-sur-Aube et de Troyes, et faisait partie de ces grands notables qui administraient les cités de la Gaule romaine tardive. C’est ce haut statut social et cette solide assise foncière qui permettent d’expliquer que Geneviève ait pu exercer une telle influence a Paris dès avant d’avoir accompli ses premiers miracles, c’est-a-dire avant toute acquisition de pouvoir de type thaumaturgique. L’hagiographe nous la montre en effet éclipser en prestige l’évêque de Paris - totalement absent de l’ouvrage -, se voir accorder des marques d’honneur normalement réservées aux hauts dignitaires et en particulier aux gouverneurs de provinces, et imposer - non sans résistance de leur part - sa volonté aux notables parisiens.

Elle semble avoir très tôt souhaité se consacrer au Seigneur. Elie se dit diaconesse, qu’est-ce que cela signifie ?

Son premier biographe déclare qu’elle avait été remarquée - et même distinguée - en 429 par l’évêque Germain d’Auxerre et son confrère Loup de Troyes un jour ou, faisant route pour la Bretagne romaine - l’actuelle Grande-Bretagne -, les deux prélats avaient fait halte à Nanterre où séjournait Genevieve, qui n’était alors âgée que de quelques années. Prenant la parole, Germain avait prophétisé que cette petite fille serait un jour « grande devant le Seigneur ». Questionnée par l’évêque sur ses intentions, Genevieve avait alors déclaré qu’elle voulait mener la vie religieuse, ce qui lui avait valu les encouragements de l’évêque. Ce n’est cependant que quelques années plus tard, sans doute autour de 434-435 que la jeune fille, âgée environ quinze ans, reçut la consécration des vierges, alors qu’elle n’avait pas encore l’âge théoriquement requis par le droit canonique, qui était normalement de quarante ans - mais les canons étaient alors appliqués avec souplesse et intuitu personae de sorte que les assertions de l’hagiographe n’ont aucun caractère d’invraisemblance. Son biographe rapporte que, depuis la mort de ses parents, elle menait la vie religieuse à Paris, dans une maison qui avait appartenu à sa marraine, et où elle avait réuni plusieurs vierges consacrées. Ce mode de vie religieuse domestique - sans règle, sans abbesse (une abbesse reçoit la bénédiction abbatiale de l’évêque, tandis que Genevieve n’exerce qu’une autorité personnelle et charismatique et sans clôture - est bien attesté chez les femmes de l’aristocratie romaine des IVe et Ve siècles.

Quel a été son rôle exact dans la résistance des Parisiens contre Attila ?

D’après son biographe, Geneviève, qui n’était âgée que d'une trentaine d’années en 451, quand la rumeur de l’arrivée d’Attila se répandit à Paris, s’est bornée à déconseiller aux notables de sa cité de fuir se réfugier, eux et leurs biens dans un autre endroit qu’ils croyaient mieux défendu ou moins exposé que ne l’était Paris, en prophétisant que les Huns n’attaqueraient pas Paris. Elle mit les femmes à l’abri dans le baptistère de l’église épiscopale, où elle organisa des prières publiques pour le salut de sa cité. Il lui fallut alors affronter la colère et la révolte des notables affolés, qui la traitèrent de « pseudo-prophète »; elle ne dut le rétablissement de son autorité charismatique qu’à l’arrivée providentielle d’un archidiacre de l’Église d’Auxerre, venu lui apporter des eulogies offertes par l’évêque Germain qui, avant de mourir (autour de 448) avait rappelé que Genevieve avait été élue par Dieu dès le sein de sa mère. La foule fut apaisée par ses paroles et ce témoignage et la sainte, désormais au sommet de son prestige et de son autorité, ne fut plus contestée par personne.

Sa fonction politique la plus importante, ne faut-il pas la chercher dans l’autorité spirituelle, dans l’ascendant qu’elle avait sur Clotilde puis sur Clovis ?

Plusieurs facteurs ont pu concourir dans ce domaine. Tout d’abord, sa longévité Genevieve est morte en 502, âgée de près de quatre-vingts ans; Clovis est mort en 511, âgé d’environ quarante-cinq ans. Ensuite, l’autorité charismatique qu elle avait acquise en prophétisant victorieusement le départ de l’armée d’Attila lui valut la reconnaissance publique de sa sainteté - et l’attribution de ses premiers miracles - ce qui lui permit, dans un geste quasi-épiscopal très frappant, de commanditer et de mener à bien la construction d’une première basilique sur le tombeau de l’évêque thaumaturge Denis, au nord de la cité de Paris, pour lequel elle éprouvait une dévotion particulière. Enfin, ce mélange d’autorité charismatique et d’autorité publique lui permit d’organiser le ravitaillement de Paris en céréales en envoyant à deux reprises une flottille de bateaux remonter la Seine jusqu’à Arcis-sur-Aube et dans la région de Meaux, où elle possédait des terres, pour se procurer de quoi nourrir sa cité - un véritable service de l’annone - alors menacée par les Francs du roi Childéric, père de Clovis, dans les années 460.

Comment expliquer son hostilité à Childéric, le père de Clovis ?

Mort au début de la décennie 480, le roi Childéric nous est surtout connu par sa tombe, qui fut découverte par hasard en 1653 dans une nécropole située dans les faubourgs de Tournai, sa capitale, et qui fut formellement identifiée grâce à l’inscription latine de son anneau sigillaire. Les sources écrites sont en revanche beaucoup plus pauvres d’autant que la période ou il fut actif - les décennies 460 et 470 - est l’une des plus mal documentées de tout le haut Moyen-Âge. Le blocus de Paris par Childéric est simplement une conséquence ou un aspect des aléas politico-militaires qui ont suivi l’assassinat de l’empereur Valentinien III, en 455 et des rivalités qui opposèrent les généraux qui tentèrent alors de profiter de cette vacance du pouvoir pour créer à leur profit une souveraineté nouvelle en Gaule du Nord en s’appuyant sur les troupes auxiliaires du roi Childéric. Ce dernier servit donc successivement le maitre des milices Aetius (mort en 454), puis son successeur Égidius (mort en 464) pour finalement combattre le fils de ce dernier, Syagrius, qui tentait d’établir sa souveraineté sur la région de Soissons et qui fut finalement vaincu par Clovis en 486-487. C’est sans doute dans les années 463-464 que Childéric, alors placé sous les ordres d’Égidius fut amené à stationner à Paris. D’origine franque par son père, Geneviève n’avait pas de raison particulière de se montrer hostile à un roi franc qui combattait aux cotés du maitre des milices en titre pour tenter de rétablir un semblant ou une fiction de souveraineté en Gaule septentrionale. Quant aux relations entre le roi et la sainte, le chapitre 26 de sa biographie déclare qu’elles étaient bonnes, puisque Childéric, alors stationné avec ses troupes a Paris, et quoique païen, accepta, sur la prière de Geneviéve de gracier des prisonniers de guerre qu’il s’apprêtait à faire exécuter.

monde&vie 16 janvier 2020 n°981

mardi 17 septembre 2013

Du paganisme au christianisme, la mémoire des lieux et des temps

p. 75-92, Résumé
Deux textes du vie siècle illustrent des aspects importants de la « mémoire des lieux et des temps » dans le passage du paganisme au christianisme. Dans le premier, Grégoire de Tours relate l’initiative pastorale d’un évêque auvergnat qui, impuissant à déraciner une fête païenne se déroulant sur le mont Helarius, construit sur les lieux une église en l’honneur du saint chrétien Hilarius. Dans le second, Grégoire le Grand donne aux missionnaires qu’il a envoyés en Angleterre des instructions sur la façon de transformer les temples païens en églises chrétiennes. Ces deux textes révèlent une stratégie pastorale complexe qui, face au paganisme, mêle adroitement les catégories de la destruction et de l’oblitération avec celle de la récupération.
1 Dans un essai de synthèse sur les rapports entre la culture cléricale et la culture folklorique à l’époque mérovingienne (circa 500-750), le médiéviste Jacques Le Goff avait proposé d’intéressantes lignes de réflexion sur la dynamique de ces rapports (1977 : 223-235). Il concédait, dans son analyse, qu’« il y a sans doute un certain accueil de ce folklore dans la culture cléricale », à cause notamment de trois facteurs importants. D’abord, l’existence de structures mentales en partie communes aux deux cultures, comme la croyance en des pouvoirs surnaturels et la possibilité d’interventions divines. Ensuite, le fait que l’évangélisation réclamait nécessairement de la part des clercs un effort d’ajustement culturel, effort dont l’adaptation linguistique, par l’utilisation d’un sermo rusticus dans la prédication, est un symbole évident. Enfin, le fait que la culture cléricale avait dû, dans plusieurs domaines de la vie ordinaire, s’insérer dans les cadres de la culture folklorique, en s’adaptant par exemple, avec l’institution des Rogations, aux exigences du nouveau contexte rural. Il lui semblait néanmoins que, en dernière analyse, « l’essentiel (de ces rapports) est un refus de cette culture folklorique par la culture ecclésiastique ». Ce refus se serait opéré selon trois lignes ou trois catégories distinctes : la destruction, l’oblitération et la dénaturation (Le Goff, 1977 : 236-279)1.
2 La destruction est la catégorie la plus facile à définir et à documenter, par un très grand nombre de textes et parfois aussi par l’archéologie : rites perturbés, temples détruits, arbres sacrés coupés, sources sacrées souillées. L’histoire de la mission chrétienne est remplie de récits qui exaltent comme des actes de courage héroïque ces campagnes de destruction, souvent violemment contestées par le peuple. On citera comme récits emblématiques les témoignages tirés de la vie de saint Martin, rédigée par Sulpice Sévère, vers la fin du ive siècle : « un autre jour, en certain village, il avait détruit un temple fort ancien et entrepris d’abattre un pin tout proche du sanctuaire ; mais alors le prêtre de ces lieux et toute la foule des païens commencèrent à lui opposer de la résistance » (13,1) ; « il avait mis le feu, en certain village, à un sanctuaire païen tout à fait ancien et très fréquenté » (14,1) ; « dans un autre village, du nom de Levroux, Martin voulut démolir également un temple que la fausse religion avait comblé de richesses, mais la foule des païens s’y opposa tant et si bien qu’il fut repoussé, non sans violence » (14,37 ; Fontaine, 1967 : 281, 283, 285). Cette même violence continuera, même après la conversion des campagnes, envers les cultes populaires syncrétistes jugés inacceptables par l’Église officielle. Ainsi le prédicateur général et inquisiteur Étienne de Bourbon, au xiiie siècle, informé de l’existence d’un culte rural à un lévrier guérisseur d’enfants, dans le diocèse de Lyon, ne se limitera pas à condamner ce culte dans des sermons, mais tâchera d’en détruire physiquement les conditions : « nous avons fait exhumer le chien mort et couper le bois sacré, et nous avons fait brûler celui-ci avec les ossements du chien. Et j’ai fait prendre par les seigneurs de la terre un édit prévoyant la saisie et le rachat des biens de ceux qui afflueraient désormais en ce lieu pour une telle raison » (Schmitt, 1979 : 17). Comme dans bien d’autres cas, toutefois, ce culte survivra à cette tentative de destruction, puisqu’il sera encore attesté, dans les mêmes lieux, au xxe siècle.
3 L’oblitération est une catégorie plus complexe. Elle consiste en « la superposition des thèmes, des pratiques, des monuments, des personnages chrétiens à des prédécesseurs païens ». Le Goff a tenu à souligner que cette oblitération « n’est pas une “succession », mais, à sa façon, une abolition. En refusant l’idée de la « succession », il faisait sans doute allusion au titre et aux thèses de Pierre Saintyves sur Les saints successeurs des dieux, thèses assez largement répandues chez les folkloristes anglais et français, et chez certains hagiologues allemands, au début du xxe siècle2. Par l’oblitération, autant que par la destruction, « la culture cléricale couvre, cache, élimine la culture folklorique ».
4 La dénaturation, enfin, « est probablement le plus important des procédés de lutte contre la culture folklorique : les thèmes folkloriques changent radicalement de signification dans leurs substituts chrétiens ». On peut en citer comme exemple typique celui du dragon, figure qui est ambivalente dans le folklore, bonne ou mauvaise selon les contextes, mais qui est négative et « démonisée » dans la culture des clercs, notamment dans leur littérature hagiographique.
5 On se propose ici de présenter et de commenter deux textes importants et relativement peu étudiés de cette même période, textes qui, sans invalider en rien la pertinence et la valeur interprétative des catégories proposées par Le Goff, laissent entrevoir que le processus du passage de la culture païenne à la culture chrétienne a été plus complexe. Si destruction, oblitération et dénaturation il y a eu, ces catégories n’ont pas été les seules et, surtout, elles ont rarement existé à l’état pur. Dans la réalité des situations concrètes, elles se présentent à nous comme entremêlées dans une variété de synthèses originales, qui comportaient à la fois destruction de certains éléments de la culture païenne antérieure, « récupération orientée » d’autres, et dénaturation proprement dite, dans un processus original qu’on pourrait appeler de « récupération re-sémantisante ».
6 Il faudrait par ailleurs discuter à part, à cause de la nature particulière et de l’abondance des documents, le problème des rapports entre culture cléricale et traditions folkloriques dans la littérature hagiographique, aussi bien dans les textes que dans les cultes que cette littérature proposait aux fidèles et dont elle soutenait l’exercice. Selon Le Goff, à l’époque mérovingienne « la récolte de thèmes proprement folkloriques est mince, même dans la littérature hagiographique a priori privilégiée à cet égard », tandis que le folklore « fera irruption dans la culture occidentale à partir du xie siècle, parallèlement aux grands mouvements hérétiques », et trouvera son plein épanouissement dans la Légende dorée. On sera d’accord, sans la moindre réserve, sur la seconde affirmation. La Légende dorée (c. 1260-1270), que l’on peut maintenant consulter dans une édition critique enfin fiable, et dans une traduction française exemplaire (Boureau, 2004)3, est en effet une mine inépuisable de thèmes folkloriques, qui vont du petit détail narratif à des scènes vastes et complexes, jusqu’à des biographies entières, construites en totalité avec des matériaux folkloriques, comme celles des saints Christophe, Eustache, Alexis, Julien l’Hospitalier et tant d’autres, ainsi que celle de Judas, qui applique au traître l’histoire d’Œdipe4.
7 Mais il semble que, même pendant le haut Moyen Âge, d’importants éléments folkloriques se sont glissés tels quels dans les récits hagiographiques, tout en se pliant au service de la figure du saint ou des exigences de son culte. On pourrait appeler cette catégorie supplémentaire celle de la « récupération orientée ». Un cas typique est celui du miracle de la résurrection d’animaux tués et consommés dans un contexte d’hospitalité, dans un épisode de la vie de saint Germain comme dans bien d’autres : « après le dîner, il fit déposer tous les os du veau sur sa peau et, à sa prière, le veau se leva sur le champ » (Boureau, 2004 : 562)5. On peut citer aussi, comme autre exemple, celui de l’araignée bienfaisante, qui tisse rapidement sa toile pour cacher l’innocent poursuivi (Boureau, 2004 : 126). On concédera néanmoins que la moisson de thèmes folkloriques demeure, à tout prendre, mince par rapport aux thèmes d’origine biblique ou patristique.
8 Par ailleurs, il semble également certain que, dans les formes du culte concret rendu aux saints par le peuple, les éléments folkloriques (à savoir des habitudes cultuelles héritées du paganisme) sont prépondérants. Aussi, dans la tradition hagiographique irlandaise, dont les plus anciennes rédactions remontent peut-être déjà au vIIIe siècle, la symbiose entre données chrétiennes et données folkloriques est prépondérante et omniprésente. Dans l’introduction à son édition des Vitae sanctorum Hiberniae, Charles Plummer a montré que leur caractéristique structurale consiste justement dans l’intégration du substrat culturel celtique, à savoir « l’incorporation, dans les structures de la nouvelle foi, de fragments de matériaux – “pierres étrangères à l’édifice” – empruntés à l’ancienne culture »6. Il identifiait trois modalités, qui peuvent valoir aussi pour les autres cas, de cette appropriation de thèmes ou matériaux : la direct importation, lorsque des thèmes, ou des épisodes, ou des cycles entiers de la culture ethnique sont attribués au saint ; la conscious imitation, lorsque ces thèmes lui sont attribués de façon identique quant au fond, mais modifiés dans la forme ; et finalement la inconscious permeation, lorsqu’il s’agit d’éléments fluides ou épars, pour lesquels on ne peut ni prouver ni même supposer la conscience de l’emprunt7.
9 Venons-en à nos deux textes témoins. Leurs auteurs, Grégoire de Tours et Grégoire le Grand, sont deux personnages particulièrement importants, par leur position dans la hiérarchie de l’Église, et par la claire intentionnalité ou conscience de leur démarche. De plus, ils écrivent tous les deux au moment, crucial pour notre propos, du passage du paganisme au christianisme, le premier pour les populations rurales de Gaule et le second pour les peuples germaniques récemment installés en Angleterre. Leurs textes comportent, par là, une valeur de principe et pour ainsi dire emblématique.
Grégoire de Tours et les fêtes païennes sur le mont Helarius
10 Ce texte, rédigé vers la fin du vie siècle par l’évêque Grégoire de Tours († 594), relate une tentative de christianisation du paganisme par la superposition d’un culte chrétien à un culte païen. On peut le résumer ainsi : un évêque, incapable de déraciner une fête annuelle païenne destinée à obtenir la pluie, tente de la christianiser, en faisant construire sur les lieux de la fête païenne (aux abords du lac Helarius) une église au saint chrétien Hilarius. Le texte est tiré du Livre à la gloire des confesseurs, et reflète probablement, tout en relatant une histoire antérieure, des situations et des préoccupations qui devaient hanter Grégoire lui-même, dont le diocèse comprenait un très vaste territoire rural.
Dans le territoire des Gabales il y avait une montagne, dont le nom était Helarius, et qui comprenait un grand lac. À certaines dates, la foule des paysans jetait dans ce lac, comme pour lui faire des libations, des linges et des tissus destinés à la confection de vêtements. Certains y jetaient des toisons de laine. Le plus grand nombre y jetaient, chacun selon ses possibilités, des pièces de fromage ou de cire, et diverses sortes de pains, qu’il serait trop long d’énumérer8. Ils s’y rendaient avec des chariots, apportant de la boisson et de la nourriture, immolant des animaux et banquetant trois jours durant. Le quatrième jour, lorsqu’il fallait redescendre, une terrible tempête avec des tonnerres et de violents éclairs les prenait de vitesse, et un orage si violent tombait du ciel, comme s’il s’agissait de pierres, qu’à peine chacun des assistants pensait pouvoir s’en échapper.

jeudi 2 août 2012

Des Mérovingiennes aux Carolingiennes : histoires d'alliances et de puissance

Le rôle des femmes et la délimitation de leur sphère d’influence vont lentement évoluer au cours du haut Moyen Âge, c’est-à-dire du Ve au XIe siècle. Et le jeu des mariages ou l’apparition de certains titres permettent d’interpréter cette évolution.
Longtemps les historiens, et avec eux le commun, ont gardé l’image d’un haut Moyen-Âge sanglant - l’épisode de Frédégonde et de Brunehaut en témoigne -, encore totalement barbare et ne laissant aucune place aux femmes. Certes, les rois ou la noblesse vivaient encore selon les règles des anciennes tribus germaines, mais c’est l’idée même d’une société où la femme ne tiendrait aucun rôle qui pourrait paraître rétrograde. Aussi, de plus en plus d’historiens se penchent sur le sujet, à savoir la place des femmes à l’époque mérovingienne et carolingienne : une recherche qui bouleverse les idées reçues.
An 476 : l’Empire romain d’Occident est désormais entièrement aux mains des barbares venus de Germanie. Les  Burgondes, Wisigoths ou Francs qui déferlent sur la Gaule sont bien des barbares… tels que les voyaient les auteurs gallo-romains du Ve siècle ; mais plus que de brûler et d’occire à tour de bras, ils ont introduit un autre système de pensée en Gaule, une société et une hiérarchisation différentes.
Les premiers témoignages que nous ayons sur les tribus germaines sont à mettre au crédit d’auteurs tels que César ou Tacite, au Ier siècle, qui ont observé un communautarisme très fort. En effet, les décisions, y compris celles concernant une expédition guerrière, étaient prises par un conseil regroupant toutes les familles, parmi lesquelles se trouvaient des femmes. À l’origine, il semblerait même que la succession se faisait par les femmes et ce n’est qu’après que ces tribus soient entrées en contact avec l’Empire romain -notamment sur le limes- et lorsque la guerre se révélera être leur principale ressource que la primauté masculine émergera. Mais cela n’empêchera pas les femmes d’avoir encore un certain rôle politique. En effet, lorsqu’un chef de tribu mourait en laissant un enfant pour héritier, c’est sa mère qui assurait la continuité du pouvoir jusqu’à ce que son fils soit en âge de diriger les guerriers. Ainsi, lorsque le roi des Ostrogoths, Théodoric le Grand meurt en 526, son petit-fils, Athalaric, n’a que dix ans. C’est donc Amalasonte, la mère du jeune prince, qui assure la tutelle de l’enfant. Par contre, quand, après la mort prématurée d’Athalaric, en 534, Amalasonte tente de conserver le pouvoir, les guerriers n’ont aucun scrupule à l’évincer. Il est donc clair que les femmes n’ont alors de pouvoir officiel qu’avec « l’excuse » de la régence.
Brunehaut : une politique visionnaire
De la même façon, la célèbre reine Brunehaut gouvernera l’Austrasie durant la minorité de son fils Childebert II puis, après l’empoisonnement de ce dernier, durant celle de ses petits-fils Théodebert II et Thierry II. Mais plus qu’une régente, Brunehaut va se révéler une véritable visionnaire politique. En effet, toute son action auprès de Thierry II -sur lequel elle a tant d’influence que l’on pourrait parler du règne de Brunehaut plutôt que de celui de son petit-fils- tendra à affirmer l’autorité royale sur l’ensemble du monde franc. Une conception unitaire et, il faut bien l’avouer, autoritaire du pouvoir qui s’opposera aux ambitions de l’aristocratie franque ; une conception sans doute trop avancée en ces temps d’anarchie…
Si Brunehaut a échoué en tentant de gouverner -presque- directement, il est un autre aspect du pouvoir que les Mérovingiennes ne négligeront pas, notamment Frédégonde et Brunehaut -encore. En effet, l’influence qu’elles exerceront sur leurs maris respectifs va engendrer une des périodes les plus sanglantes de l’histoire de France.
Tout commence lorsque Sigebert, petit-fils de Clovis, épouse une jeune et belle princesse wisigothe, Brunehaut -dont on a parlé plus haut. Chilpéric, cadet de Sigebert et roi de Neustrie, en conçoit une si grande jalousie qu’il décide simplement de faire de même : il répudie sa première femme, écarte sa concubine -une certaine Frédégonde- et épouse Galswinthe, la propre sœur de Brunehaut. Mais Chilpéric aimait nettement plus les « grands trésors », selon Grégoire de Tours, que lui avait apporté ce mariage, que la mariée elle-même. Peu scrupuleux et peut-être influencé par sa maîtresse, Chilpéric fait assassiner la malheureuse Galswinthe, ce qui lui permet de garder Frédégonde, qu’il épouse peu après… ainsi que les biens que sa femme avait apportés en dot.
Mais c’était compter sans l’influence de Brunehaut sur son mari qui, poussé à la vengeance par la jeune femme, lance ses troupes contre Chilpéric. Vont s’ensuivre plus de trente ans de rivalité, ponctués de meurtres, d’empoisonnements et de guerres entre les deux reines sanglantes, Brunehaut et Frédégonde.
Le jeu des alliances
Comme a pu le suggérer l’épisode de Brunehaut et de Frédégonde, l’assise du pouvoir par voix de mariage n’est pas une évidence à la fin du VIe siècle. Pourtant, c’est par ce système que les tout premiers mérovingiens vont construire leur pouvoir.
En effet, au début de l’époque mérovingienne, on constate que les relations d’alliance se définissent, selon l’historienne Régine Le Jan, « sur un système d’échanges complexes alliant pratiques exogamiques (c’est-à-dire mariages hors de la tribu, du clan) et renouvellement d’alliance ». Les familles royales s’alliaient par le biais du mariage afin d’assurer un équilibre entre les peuples. Ainsi, les rois mérovingiens du début du VIe siècle, épousent-ils des princesses thuringiennes, burgondes, wisigothes ou lombardes et donnent leurs propres filles ou sœurs à des souverains ostrogoths, wisigoths, lombards.
Dès la seconde moitié du VIe siècle, considérant sans doute que leur autorité est solidement assise, les souverains mérovingiens se sentent autorisés à épouser des femmes de l’aristocratie et même des « non-libres » comme Austregilde, Frédégonde, Nanthilde ou Bathilde, brisant ainsi les règles de l’alliance dont ils sont censés être les garants. Des quatre fils de Clotaire, par exemple, seul Sigebert optera pour le vieux système d’alliance exogamique en épousant Brunehaut, fille du roi des Wisigoths Athanagild. Caribert et Chilpéric, quant à eux, épouseront -en premières noces- des femmes de l’aristocratie franque (Ingoberge et Audovère) et Gontran passera de concubine en concubine.
Mais si les rois eux-mêmes ne semblaient pas faire la distinction entre les épouses issues de maisons royales et les autres, il n’en est pas de même des chroniqueurs. Ainsi, il apparaît que Brunehaut est désignée, dès le début, sous le titre de reine - à la rigueur de princesse -, alors que les épouses non-libres des Mérovingiens ne l’obtiennent qu’après avoir donné une descendance. Frédégonde, par exemple, est désignée sous le terme d’épouse de Chilpéric et n’obtient le titre de reine qu’après la naissance de son premier fils.
On voit clairement ici l’importance de la maternité dans le statut de la femme, situation que l’on retrouve dans la société germanique originelle.
En effet, si, selon la loi germanique, l’homme a une prééminence certaine sur la femme dans le mariage - prééminence d’abord dans le domaine sexuel puisque la polygamie est autorisée pour les hommes et que l’adultère féminin est prohibé, essentiellement pour des raisons simples de légitimité - le statut de la femme apparaît très clairement dans les cas d’offenses à payer. Chez les Germains, comme chez les Scandinaves d’ailleurs, existait un système permettant de payer pour racheter une offense, une blessure, un meurtre même, système que l’on pourrait comparer aux « dommages et intérêts » modernes. Et il apparaît que serrer le bras d’une femme, ce qui constitue chez les Germains une grave offense, donne lieu à un dédommagement plus important que si l’on a blessé gravement un homme. L’amende pour le meurtre d’une femme est égale à celle à payer pour l’assassinat d’un homme (200 sous). Mieux encore : si la femme tuée était en âge d’être mère, le dédommagement s’élève à 600 sous et à 800 si elle était enceinte !
La légitimation dynastique
La femme a donc un grand rôle comme mère ou comme future mère, mais, en tant que femme, elle sera longtemps assujettie à un homme : d’abord son père puis son mari et tous les hommes de la famille si son époux meurt. Mais dans une société où la force guerrière joue un rôle si essentiel, la position des hommes et des femmes ne peut qu’être inégale. Et si même les plus énergiques des femmes du haut Moyen Âge se sont, un jour ou l’autre, inclinées devant la force d’un homme, cela n’a cependant pas empêché les femmes d’exercer un certain pouvoir, comme on l’a vu pour les Mérovingiennes.
À l’époque carolingienne, alors que la royauté a repris le bon vieux système des alliances « utiles », les femmes ont surtout, selon Régine Le Jan, « légitimé le pouvoir exercé par les hommes de leur famille ». Le mariage entre personnes de même condition contribuait nécessairement à légitimer ce pouvoir, « la mère transmettant à ses enfants la noblesse de sa propre famille » et bien sûr les droits l’accompagnant.
Dans les familles royales de l’époque carolingienne, le rôle -et donc le pouvoir- de la femme va plus loin, est ancré plus profondément. La raison tient tout d’abord au fait que les rois carolingiens étaient sacrés et que cette légitimité de personne sacrée venait automatiquement de leur filiation. En effet, un roi est roi non seulement parce qu’il a été couronné, non seulement parce qu’il a reçu l’onction, mais surtout parce qu’il est le fils du roi précédent ! Un fait que l’on traduira plus tard par la formule :
- Le roi est mort, vive le roi !
Voilà qui explique l’importance des origines paternelle… et maternelle.
Parallèlement à cette évolution dans les mentalités, il apparaît que la reine est désormais étroitement associée au trône et à cet aspect sacré du roi. Deux changements, la légitimation dynastique et l’association de la reine, qui apparaissent pour la première fois avec l’avènement de Pépin le Bref : en effet, le Pippinide sera béni et oint en même temps que son épouse, la reine Berthe au grands pieds. Ainsi, dès le début et bien qu’issue de l’aristocratie, la dynastie pippinide assoie doublement son pouvoir, au point de le rendre inaliénable.
Bien que de haute ascendance, bien que sacrés, les premiers carolingiens vont mettre en place une politique d’alliance qui doit favoriser l’assise de leur pouvoir à l’intérieur de leurs frontières. C’est pourquoi ils développent tout d’abord une politique d’alliance avec l’aristocratie de leur royaume (hypogamie). Parallèlement, ils restreignent les mariages de leurs propres filles, afin de ne pas morceler le domaine royal. Cette double politique va admirablement servir les premiers souverains carolingiens qui constituent ainsi un solide réseau familial, permettant d’assurer le trône, par la fidélité des grands du royaume, en même temps que la paix sociale. Ce n’est qu’à la fin de la dynastie carolingienne que l’on voit apparaître des reines issues de famille royales voisines. Mais, à ce moment, le trône paraît solide et, surtout, les Carolingiens règnent sur toute l’Europe : toute alliance n’est donc plus qu’une affaire de famille…

dimanche 16 octobre 2011

La bataille des champs Catalauniques (20 juin 451)


Auteur : Aetius
Au cours de l’été 451 apr. J.-C. s’opposent aux champs Catalauniques deux coalitions hétéroclites, l’une emmenée par le patrice Aetius, l’autre par Attila roi des Huns. La date de la bataille est incertaine (peut-être septembre), le lieu l’est également.
Les Huns sont un peuple originaire d’Asie, apparenté aux Mongols, qui fait son apparition en Europe orientale au IIIe siècle. En 375, les Huns traversent le Don, détruisent l’empire alain des rives de la Caspienne et repoussent vers l’Ouest tous leurs ennemis par la terreur qu’ils inspirent. Attila naît en 395 et est élevé à la cour de Constantinople. Adulte, il retourne dans la vallée du Danube où il gouverne son royaume avec son frère Bléda de 434 (mort de son oncle Ruga) à 445 (assassinat de Bléda). En 446, toutes les tribus des Huns sont rassemblées sous son commandement.

I. Les raids sur l’Empire romain (441-451)
Attiré par les richesses de l’Empire romain d’Orient qu’il connaît bien, Attila l’attaque à deux reprises (441-443 et 447-449) jusqu’à mettre le siège devant Constantinople. L’empereur d’Orient Théodose II achète la paix en lui versant d’énormes tributs. Le roi des Huns se tourne alors vers l’Occident et demande la main d’Honoria, sœur de l’empereur d’Occident Valentinien III, prétexte pour attaquer l’Empire (réclamation d’une dot). Il espère s’y approprier de larges territoires dont l’Aquitaine wisigothique. Il peut compter sur quelques alliés, dont les Vandales.
Attila passe le Rhin début avril 451 avec une armée d’environ 200.000 hommes (de toutes origines). Il parvient sans difficulté jusqu’à Metz qu’il assiège et détruit la veille de Pâques (7 avril), massacrant tous ses habitants. Parcourant la Champagne, il s’en prend à Reims, Saint-Quentin et Laon. Les Gallo-Romains pensent que le chef des Huns va se diriger vers Lutèce, riche ville de 2000 habitants, mais, apprenant qu’elle est bien défendue (les Lutéciens sont galvanisés par Geneviève qui les exhorte à ne pas quitter la ville mais au contraire à s’armer et la fortifier), il s’en détourne pour Orléans, point de passage obligé pour traverser la Loire.
L’évêque d’Orléans, Aignan, ancien militaire, quitte la ville avant le siège pour implorer l’aide du généralissime romain Aetius à Arles. Consul en 432 et patrice (titre honorifique) en 433, Aetius dispose d’un pouvoir important à Ravenne auprès de l’empereur d’Occident et il connaît bien les Huns pour avoir été dans sa jeunesse otage à la cour du roi hun. Devenu officier romain, il en a recruté à plusieurs reprises dans son armée pour leur courage. Celui-ci demande à Aignan de pratiquer une résistance à outrance jusqu’à son arrivée fixée au 14 juin 451. De retour dans sa cité, l’évêque galvanise ses habitants, leur fait chanter des psaumes et organise la défense. Les Huns, qui possèdent des machines de siège (capturées aux Romains ou construites à l’aide de transfuges romains), lancent plusieurs assauts et finissent par crever la muraille.
Alors que la ville s’apprête à tomber, les habitants voient au loin arriver l’armée de secours commandée par Aetius englobant entres autres les Wisigoths de Théodoric Ier, les Alains de Sangiban, les Burgondes de Gondioc et les Francs saliens de Mérovée (incertain), des Armoricains et des Bretons. En apprenant l’arrivée de l’armée de secours, l’évêque dit « C’est le secours du Seigneur » (Grégoire de Tours, II, 7). Les Huns sont contraints de lever le siège et de se replier. Cette délivrance qui paraît miraculeuse en rappelle une autre, celle de Jeanne d’Arc en 1429. À la mi-juin, les Huns installés au Campus Mauriacus, près de Troyes, sont rattrapés par les troupes d’Aetius.

II. La bataille des champs Catalauniques
Le déroulement de la bataille nous est connu par l’historien goth Jordanès (de langue latine), qui écrit un siècle après les faits mais qui semble avoir eu à sa disposition des documents fiables. La plaine où s’est déroulée le combat fut appelée « champs Catalauniques », nom qui vient probablement de catalauni (« chefs de guerre ») du gaulois catu, « combat », et de uellaunos, « chef ».
Attila, tout comme Aetius, commande une vaste coalition de Germaniques (il est entouré d’une « tourbe de rois » selon l’expression de Jordanès), où les Ostrogoths de Valamir sont les plus nombreux. Sont présents les Gépides d’Ardaric, les Hérules, les Alamans, les Suèves, les Skires, les Ruges, les Bructères, les Francs ripuaires et les Thuringiens. Les Romains et les Huns sont minoritaires au sein des deux coalitions.
Le nombre de combattants n’est pas connu. Jordanès en attribue 500.000 à Attila, ce qui est invraisemblable compte tenu des moyens logistiques. Les historiens militaires s’accordent autour de 25.000 à 50.000 hommes pour chacune des deux armées, ce qui reste énorme pour l’époque. Selon Jordanès, Attila inquiet consulte ses chamans avant la bataille, lesquels lui annoncent sa propre défaite mais aussi la mort du chef ennemi. Néanmoins, « Attila estima que la mort d’Aetius était souhaitable même au prix de sa défaite. » (Getica, XXXVII, 134-196).

Le matin du 20 juin, Attila décide de se mettre au centre du dispositif. A sa droite sont placés les Ostrogoths et à sa gauche les Gépides et les autres peuples germaniques. De l’autre côté, Aetius met au centre les Alains de Sangiban dont il se méfie, à droite les Wisigoths et les Francs saliens. Le général romain se place à gauche. Son plan consiste à tourner l’ennemi par son aile droite (les Wisigoths).

La nuit même avant la bataille, les Francs rencontrent une armée gépide fidèle à Attila ; l’affrontement qui s’en suit (dans l’obscurité) met hors de combat plusieurs milliers d’hommes de chaque côté.

Le 20 juin en début d’après-midi débute la véritable bataille. Les Wisigoths affrontent et taillent en pièces les Ostrogoths, mais leur roi Théodoric est tué au cours du combat, soit en 14tombant de cheval, soit en recevant un javelot lancé par Andag, chef ostrogoth. Les Romains et les Francs saliens d’Aetius attaquent les Francs ripuaires, les Thuringiens, les Suèves et quelques Burgondes ralliés à Attila. Les Huns, au centre de la bataille, lancent une violente charge de cavalerie mais se heurtent aux cavaliers alains qui leur tiennent tête. Habitués aux attaques fulgurantes, les cavaliers huns sont peu habitués à soutenir une pression continue de la part de l’ennemi. Les Wisigoths se portant vers les Huns (conformément au plan d’Aetius) forcent Attila à reculer jusque dans son camp circulaire de chariots, alors que la nuit tombe. La prédiction des chamans d’Attila se révèle juste, mais c’est Théodoric qui a perdu la vie, et non Aetius comme le pensait le chef hun.

Le lendemain, les Huns dans leur camp se tiennent prêts à se battre, se préparant à subir un siège. Attila aurait fait élever un bûcher composé de selles de chevaux dans lequel il se tenait prêt à se jeter en cas de défaite. Les Wisigoths cherchent le corps de leur roi. « Ils le trouvent au milieu de très nombreux cadavres, et, l’ayant honoré par des chants, ils l’enlèvent sous les yeux de l’ennemi. Vous eussiez vu des troupes de Goths dans le fracas de leurs voix discordantes qui, alors que la guerre faisait toujours rage, étaient venus rendre les honneurs funèbres » (XLI, 214). Après avoir entrechoqué leurs armes, ils proclament Thorismond, frère de Théodoric, roi.

Aetius et Thorismond décident de ne pas pousser plus loin leur avantage pour des raisons stratégiques. Aetius pense que si les Huns sont éliminés, l’Empire romain d’Occident va passer sous la coupe des Wisigoths (il voit dans les Huns un contrepoids aux Wisigoths). Au contraire, Thorismond se dit que si les Huns sont écrasés, l’Empire va se retrouver fortifié par l’afflux d’un grand nombre de mercenaires Huns. Aucun des deux hommes ne voyant son intérêt dans l’anéantissement des Huns, et le mythe de l’invincibilité d’Attila ayant volé en éclats, l’alliance de circonstance entre Romains, Wisigoths et Alains se brise et Thorismond part pour Toulouse (l’année suivante, les Wisigoths de Thorismond écrasent leurs anciens frères d’armes, les Alains de Sangiban !). Attila peut battre en retraite tranquillement ; il passe le Rhin avec le prestigieux évêque Loup comme otage, pour ne pas être attaqué.

III. Les derniers feux d’Attila (452-453)
Attila ne revient plus en Gaule, mais ses forces restent suffisamment importantes pour attaquer l’Italie. Après avoir réorganisé ses forces, il descend la péninsule italienne en 452, rase Aquilée (une partie de ses habitants iront se réfugier sur des îlots au Sud, formant l’embryon de la future Venise), pille Milan, Padoue, Vérone et Pavie. Aetius laisse à leur sort les villes du Nord et se réfugie à Rome avec l’empereur ; son projet était de quitter l’Italie avec Valentinien III mais le Sénat s’y est opposé. L’empereur d’Orient Marcien, successeur de Théodose II, apporte son aide en attaquant les Huns du Danube, ouvrant en cela un deuxième front, et en envoyant des auxiliaires en Italie.

L’armée des Huns est affaiblie par la chaleur, les exhalaisons et moustiques des marais d’Aquilée, le manque de vivres (famine de 451), la dysenterie. Alors qu’il marche sur Rome, ville très bien fortifiée, le pape Léon le Grand, ami d’Aetius, se porte à sa rencontre. Au cours d’une entrevue dont le contenu est resté secret, le pape parvient à convaincre le chef hun de se détourner de l’Italie pour retourner en Pannonie.

Le « fléau de Dieu » décède en 453, le soir de ses noces avec une princesse burgonde, des suites d’une hémorragie selon Jordanès. La coalition disparaît avec son chef, ses composantes ne parvenant pas à s’entendre et s’entre-déchirant. Une partie des Huns se dirige vers l’Est, dans la région de la Volga. Ils ne représenteront plus de menace sérieuse. Quant à Aetius, il ne survit qu’un an à son ancien ennemi, l’empereur Valentinien III, ayant peur pour son trône et jaloux de sa gloire, le faisant assassiner en 454.

Sources :
CHAUTARD, Sophie. Les grandes batailles de l’Histoire. Studyrama, 2010.
ROUCHE, Michel. Attila, la violence nomade. Fayard, 2009.

mardi 23 juin 2009

« Les femmes ont-elles une âme ?» : mensonges et désinformation


« Lors de chaque combat livré par des femmes, on affirme qu’en 585, un concile s’est tenu à Mâcon pour trancher d’une épineuse question : la femme a-t-elle une âme ? On écrit là-dessus comme s’il s’agissait d’un fait historique démontré. D’autres interviennent alors – non moins opportunément – pour s’écrier qu’il s’agit d’une légende, tout juste bonne, comme toutes les légendes, à jeter aux orties. Il faut dire la vérité. Si l’on consulte la liste complète des conciles, on s’aperçoit qu’il n’y a jamais eu de concile de Mâcon. En revanche, on trouve en 586 – et non en 585 – un synode provincial à Mâcon. Les «Actes» en ont subsisté. Leur consultation attentive démontre qu’à aucun moment, il ne fut débattu de l’insolite problème de l’âme de la femme. Le synode s’est borné à étudier – avec un grand sérieux – les devoirs respectifs des fidèles et du clergé.
Alors ? D’où vient cette légende si solidement implantée ? N’aurait-elle aucune base ? Si. Le coupable est Grégoire de Tours. Il rapporte qu’à ce synode de Mâcon, un évêque déclara que la femme ne pouvait continuer à être appelée «homme». Il proposa que l’on forgeât un terme qui désignerait la femme, la femme seule. Voilà le problème ramené à son exacte valeur : ce n’était point un problème de théologie, mais une question de grammaire. Cela gênait cet évêque que l’on dît les hommes pour désigner aussi bien les femmes que les hommes. L’évêque trouva à qui parler. On lui opposa la Genèse : « Dieu créa l’homme mâle et femelle, appelant du même nom, homo, la femme et l’homme. » On lui rappela qu’en latin, « homo » signifie : créature humaine.
Personne ne parla plus du synode de Mâcon jusqu’à la Révolution française. En pleine Terreur, pour défendre les femmes dont on voulait fermer les clubs, le conventionnel Charlier, en une belle envolée oratoire, demanda si l’on était encore au temps où on décrétait, « comme dans un ancien concile, que les femmes ne faisaient pas partie du genre humain ». Le 22 mars 1848, une citoyenne Bourgeois devait franchir une nouvelle étape dans l’altération des textes. A la tête d’une délégation du Comité des «Droits de la femme», elle remettait aux membres du gouvernement provisoire une pétition tendant à obtenir le droit de vote pour les femmes et commençant par ces mots : « Messieurs, autrefois, un concile s’assembla pour décider cette grande question : savoir si la femme a une âme… » Bouclée, la boucle. Les quelques lignes de Grégoire de Tours, définitivement déformées, étaient entrées dans le patrimoine définitif de la crédulité publique. »
Alain Decaux – Histoire des Françaises (Librairie Académique Perrin, Paris, 1972, pp.133-134) (via Dia)
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