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lundi 8 janvier 2024

13 février 1820 : l’assassinat du duc de Berry

 Le 13 février 1820, Charles Ferdinand de Bourbon, duc de Berry et second fils de Charles X, âgé de 42 ans, s’écroule sur les marches de l’Opéra, rue de Richelieu, à Paris. Il vient d’être frappé d’un coup de couteau par un ouvrier républicain, Louis Louvel. Par son geste, il espérait mettre fin à la dynastie des Bourbons.

Le prince mortellement blessé expira le lendemain à six heures du matin, en ayant pardonné à son assassin qui sera guillotiné le 7 juin 1820.
La victime était la seule personne susceptible de donner un héritier à la famille royale. L’autre fils de Charles X, Louis-Antoine d’Artois, duc d’Angoulême, n’eut pas de postérité légitime. Les ultra-royalistes accusent de laxisme le chef du gouvernement Elie Decazes. «Le pied lui a glissé dans le sang», écrivit Chateaubriand.
Pourtant, l’espoir renaît chez les Bourbons. On apprend que l’épouse du duc de Berry est enceinte. Le 29 septembre, elle donne le jour à un fils posthume, Henri qui fut surnommé «l’enfant du miracle».
Une souscription publique est organisée pour lui offrir le domaine de Chambord, d’où le titre de comte de Chambord qui sera désormais le sien. Mais en 1830, quand Charles X est renversé, l’enfant doit suivre son grand-père dans l’exil.
En 1871, après la chute de Napoléon III, alors qu’une restauration de la monarchie devient possible, le comte de Chambord refusera d’abandonner le drapeau blanc pour le drapeau tricolore et renoncera au trône de France.
Sources : 1, 2

https://www.fdesouche.com/2010/02/13/13-fevrier-1820-lassassinat-du-duc-de-berry/

mardi 19 décembre 2023

Des Barbaresques à l’Algérie française

 

Voici un extrait du mémoire universitaire d’un lecteur (Cortez) sur les raisons et l’évolution de la présence française en Algérie.

En effet depuis le 16ème siècle et malgré diverses tentatives plus ou moins florissantes pour établir de timides liaisons commerciales maritimes, la marine barbaresque s’emploie à semer le trouble en Occident en piratant en Méditerranée. Ce ne sont pas des actes de guerres à proprement parler qui sont perpétrés par les hommes de la marine barbaresque, on assiste plutôt à une sorte de “guérilla” maritime au cours de laquelle les marins attaquent presque au gré des vents les navires de commerce européens qui croisent leur route.

Les bénéfices sont intéressants pour ces pirates qui récupèrent le navire, sa cargaison, ses hommes d’équipages qui deviennent “de facto” esclaves ainsi que tout le matériel du bord. Ces navires sont ensuite soit récupérés et réarmés aux couleurs barbaresques, soit dépouillés de leurs mâts, voiles et vergues que l’on s’empresse de réutiliser sur un navire en construction, en mettant à profit le travail des esclaves enlevés au cours de ces expéditions.

C’est ainsi que la régence d’Alger entretient tant bien que mal une marine, et c’est par cette menace qu’elle obtient des grandes puissances européennes de confortables entrées d’espèces. Il est clair que les actes de pirateries des marins du Maghreb nuisent considérablement à la sécurité du trafic et les puissances européennes doivent payer un lourd tribut pour conserver une paix illusoire. Depuis deux cents ans les navires algériens sillonnent la Méditerranée de Gibraltar à Messine dans le but de s’emparer des biens, des hommes et du navire, certains témoignages font même état de la présence de navires ayant piraté en Atlantique aux alentours de Brest et pour certains jusqu’en Islande et à Terre-neuve !

Un rapport du gouvernement général d’Algérie nous en fourni le témoignage : “{…} dans les archives du consulat, des renseignements qui établissent authentiquement les excursions faites dans l’océan par les corsaires algériens, à la fin du 17ème siècle :

-“L’Islande même, malgré ses glaces et sa pauvreté ne fut point à l’abri de leurs ravages, en 1616 le fameux Mourad Rais promena son pavillon dans ces parages lointains”

-” 2 janvier 1690 PV constatant que la tartane Française Ste Anne patron Louis Cauvignac, a été coulée par un vaisseau algérien, aux iles Canaries”

-“4 janvier 1695, déclaration que le navire Hollandais Santa-Clara de 63 hommes d’équipages, 24 pièces de canons et 12 pierriers, a été pris le 7 Janvier par un vaisseau d’Alger nommé La Rose à 40 milles du Cap Saint-Vincent”

-“12 mars 1699, le consul certifie que le navire Portugais St Gaetan allant de Lisbonne à Hambourg a été pris par un corsaire algérien en mars 1698”

-“17 mars 1719, Martin Prins capitaine Hollandais déclare, qu’allant d’Amsterdam à Bordeaux avec son navire le Jean, il a été pris par une caravelle d’Alger à 9 lieues de la terre d’Ouessant, près de Brest le 13 Juin 1718” “.

Bien sûr pour faire cesser ces exactions on tenta des rapprochements, sorte d’entente se voulant cordiale et garantissant une paix entre les marines des deux pays. La France cherchant par là à soustraire du traitement violent que subissaient la plupart des navires et équipages des autres nations européennes sa propre flotte. Ces relations “privilégiées” que la France désirait entretenir avec la Régence d’Alger n’étaient bien sur pas gratuites.

Au 18ème siècle, tout corsaire algérien qui allait appareiller, se rendait au consulat pour obtenir deux documents bien particuliers : d’une part un papier destiné à assurer tant à son navire qu’à ses prises éventuelles la protection des bâtiments de guerres français rencontrés en mer. D’autre part le chancelier remettait au Rais, un exemplaire imprimé en blanc des passeports délivrés dans les ports de France à nos navires marchands, ceci dans le but de donner aux corsaires les moyens de constater l’identité des bâtiments qu’ils arrêtaient et qui se disaient français. Force est de constater que malgré ces “accords” et en dépit de tout respect de quelconques traités, la marine barbaresque va continuer à harceler, piller et voler les navires de commerce de toutes les nationalités qui croisent dans les eaux de la méditerranée. Les prises sont nombreuses et variées on en recense chaque année, de nombreux navires Génois, Portugais, Hollandais, Anglais et bien sur Français sont victimes des corsaires barbaresques.

Parfois sont organisées des “razzias” sur les cotes accessibles et peu défendues, les têtes de maures des drapeaux corses et sardes en sont le lointain témoignage quant à l’époque on plantait au bout de lances et de piques les têtes des envahisseurs que l’on avait tué.

La monarchie de Juillet va précipiter l’intervention de la France au Maghreb, mais en 1800 ce n’est pas un désir de conquête qui motive les Français, mais surtout un désir de maitrise du commerce maritime et de sécurité en méditerranée.

La sécurité des mers va permettre aux navires Français et occidentaux de naviguer plus librement, ce qui va favoriser la naissance de nouvelles voies maritimes ainsi que la création de nombreuses compagnies maritimes ; bref un essor commercial général et gloire au port qui en sera le fer de lance. Il est important d’avoir en tête le fait que la volonté Française de s’installer au Maghreb est à l’origine motivée par un désir de paix, pour faire cesser les activités malveillantes des pirates maghrébins et stopper la pratique de l’esclavage. D’ailleurs il n’est question au départ que de prendre possession du littoral Algérien afin de faire stopper toute activité maritime, sans chercher à s’installer durablement ni à étendre la domination à l’intérieur des terres. Cette idée de la colonisation va naitre quelques années plus tard lorsque les Français vont prendre conscience des possibilités économiques qu’offrirait une maitrise totale du pays soutenue par l’élan de la 3ème République.

Les réflexions d’Alexis de Tocqueville dans son rapport illustrent bien la nouvelle orientation que va prendre progressivement la politique Française sur le sol maghrébin : « À mesure que nous connaissons mieux le pays et les indigènes, l’utilité et même la nécessité d’établir une population européenne sur le sol de l’Afrique nous apparaissent plus évidentes. ».

Après la guerre lorsque la domination Française sur les cotes fut établie et reconnue, après que le but premier de faire cesser la course et sécuriser le commerce maritime fut atteint, l’idée d’aller plus loin dans l’occupation va donc apparaitre de plus en plus comme une évidence, tant les retombées économiques d’une colonisation de cette région du monde apparaissent intéressantes.

Alexis de Tocqueville : « En conquérant l’Algérie, nous n’avons pas prétendu, comme les Barbares qui ont envahi l’empire romain, nous mettre en possession de la terre des vaincus. Nous n’avons eu pour but que de nous emparer du gouvernement. La capitulation d’Alger en 1830 a été rédigée d’après ce principe. On nous livrait la ville, et, en retour, nous assurions à tous ses habitants le maintien de la religion et de la propriété. C’est sur le même pied que nous avons traité depuis avec toutes les tribus qui se sont soumises. S’ensuit-il que nous ne puissions nous emparer des terres qui sont nécessaires à la colonisation européenne ? »

Le bombardement d’Alger en 1830

1. Causes politiques

On peut aussi voir dans l’action de l’empire français en Algérie, une façon pour le gouvernement de l’époque de retrouver un peu de grâce auprès de son peuple en ravivant des passions quelques peu oubliées, de croisades et de sainte foi.

On évoque souvent un fait qui peut apparaitre comme anecdotique, mais qui, à en croire certains historiens, a pu fortuitement devenir le catalyseur du déclenchement de l’action Française en Algérie. En 1827, lors d’une entrevue, le dey d’Alger donne un coup d’éventail au consul de France car celui-ci refuse de s’engager sur le remboursement d’un prêt. Cet évènement qui fut au début ignoré par Paris va en quelques mois prendre une importance de plus en plus grande et servir de prétexte à l’intervention Française en Algérie.

Le ministère Polignac, gouvernement ultra constitué par Charles X le 8 août 1829, était en butte à une telle impopularité dans le pays, l’opposition libérale y acquérait une telle audience, que l’affaire d’Alger, traitée quelque peu négligemment jusque-là, s’offrit à lui pour redorer son blason et préparer des élections favorables : le gouvernement « arrêta ses idées sur une expédition militaire qui offrît à la fois de la gloire à l’année, de grands avantages au pays, et qui vint frapper les imaginations par la grandeur et l’étrangeté de son but : la conquête d’Alger remplissait toutes ces conditions. On y trouvait tout le merveilleux des croisades, la nationalité de l’expédition d’Égypte, et l’éclat des victoires de Fernand Cortez.

« Elle délivrait l’Europe de la plus humiliante servitude ; elle servait la cause de la morale et de l’humanité ; elle devait offrir à l’agriculture, au commerce, à l’industrie et à la civilisation, d’immenses moyens de succès, et, à l’ambition, un des plus beaux pays du globe et les richesses d’une ville qui, depuis trois cents ans, enfouissait les trésors de la chrétienté et le fruit des rapines et des brigandages de ses habitants. »

Le 2 mars 1830, lors de la séance d’ouverture de la Chambre, Charles X annonça officiellement sa décision : « Au milieu des graves événements dont l’Europe était occupée, j’ai dû suspendre l’effet de mon juste ressentiment contre une puissance barbaresque ; mais je ne puis laisser plus longtemps impunie l’insulte faite à mon pavillon ; la réparation éclatante que je veux obtenir, en satisfaisant à l’honneur de la France, tournera, avec l’aide du Tout-Puissant, au profit de la chrétienté. »

L’opposition libérale se mobilisa contre une expédition qui permettait au régime de sortir « des voies de la légalité » et de s’engager « sur la route incertaine de l’arbitraire et des ordonnances » à des fins de politique intérieure. Mais rien ne put aller contre la décision qui était prise, un engrenage venait de se lancer qui allait mettre plus d’un siècle à s’arrêter et dont on était bien loin à l’époque d’imaginer les conséquences.

Louis-Auguste-Victor de Bourmont, ministre de la Guerre, obtint donc le commandement de l’expédition, dont il organisa les préparatifs. La flotte, une fois prête, compta 675 bâtiments (103 navires de guerre et 572 bâtiments de commerce). Finalement, 37 000 hommes embarquèrent, du 11 au 18 mai, avec Bourmont pour chef. Le vice-amiral Duperré était responsable de la flotte. L’état-major était dirigé par le général Desprez.

Le 24 mai, les vents favorables permettaient le départ de l’expédition dans un concours d’allégresse : « A midi, la brise se fit belle et bonne […]. Le départ, si longtemps retardé, devint un grand événement dont tout le monde voulait être témoin : quatre cents voiles sortant à la fois de la belle rade de Toulon, étaient un spectacle qu’on n’avait jamais vu, et que très probablement on ne devait jamais revoir. […]

« A cinq heures, La Provence se mit sous voile, et, à la chute jour, il ne restait plus un seul vaisseau dans ce port, qui, quelques auparavant, contenait toute la marine française. ” Alger ! Alger !” criait-on de toutes parts, comme les Romains criaient ” Carthage ! ” »

Alger va capituler trois semaines après l’invasion Française en Algérie, le Dey Hussein abdique avec la garantie de conserver sa liberté et ses richesses personnelles.

Sous couvert d’une expédition punitive, l’opération se transforme en guerre de colonisation, les troupes Françaises débarquent sur la plage de Sidi Ferruch à quelques kilomètres d’Alger. Le Sultan d’Istanbul exerce alors sa souveraineté sur l’Algérie, mais dans les faits, l’intérieur du pays est laissé à l’abandon. L’expédition d’Alger avait un enjeu économique, la maitrise du commerce en méditerranée et une justification de politique intérieure: redorer le blason d’un gouvernement impopulaire. On dénonça cette expédition “liberticide”, on s’en prit aux hommes qui devaient en assumer le commandement et notamment à Bourmont, ministre de la guerre à qui échut la responsabilité des opérations. C’est dans une large mesure pour parer aux critiques de l’opposition que les services du ministère de la Guerre firent rédiger et imprimer un Aperçu historique, statistique et topographique sur l’État d’Alger, à l’usage de l’armée expéditionnaire d’Afrique, dont il fallait soigner le moral, prévenir les imprudences et satisfaire la curiosité. Un ouvrage de propagande, mais aussi une remarquable source historique qui nous livre un excellent résumé de ce qu’on savait, ou croyait savoir, de l’Algérie, en 1830.

Le guide distinguait nettement les différentes composantes du peuple d’Algérie – notamment les Turcs, « maîtres souverains du pays », qu’on aurait surtout à combattre, des autres éléments musulmans (Arabes, « Maures », Berbères), dont on pourrait gagner la sympathie. Mais ajoutait-il : « En général, les habitants des États d’Alger ont des mœurs fort corrompues ; ils témoignent aux étrangers beaucoup de brutalité et de hauteur, ce qu’il faut attribuer au manque d’éducation et à l’habitude de commander dans leur intérieur à des esclaves de toutes les nations. »

A l’exception de l’Angleterre qui voyait d’un mauvais œil le danger d’expansion française en Méditerranée, les puissances européennes dans leur ensemble donnèrent leur aval à une expédition qui leur promettait de les débarrasser des corsaires barbaresques tout en reprenant le drapeau de la croisade. Car c’est effectivement l’empire français qui prit la décision d’envahir l’Algérie pour faire cesser la piraterie mais l’ensemble des états qui possédaient une flotte et faisaient du commerce en méditerranée étaient victimes de ces actes illégaux. Ainsi le rais Hamidou s’empare en 1802 d’une frégate portugaise de 44 canons avec 282 hommes à bord! Les tunisiens ne sont pas en reste, en 1798 ils ramènent toute la population de l’ile saint-pierre soit un millier d’esclaves. En 1815 ils capturent encore 125 chrétiens à saint-Antioche. Aucun n’avait pris la décision de faire cesser militairement cette situation mais tous se félicitaient des conséquences positives pour leur commerce et leur flotte de l’action de l’empire français. Obtenir la maitrise du commerce en méditerranée serait la récompense des français, avec pour Charles IX l’assurance d’une bonne presse et d’une remontée dans l’estime du peuple français.

Mais la prise d’Alger n’eut pas les effets escomptés et ne put éviter le drame qui se jouait à Paris, car déjà la Restauration vacillait. Le nouveau régime de Louis-Philippe, établi en juillet 1830, remplaça Bourmont par Clauzel. Restait à savoir ce qu’on allait faire de la conquête. Bugeaud, son successeur, devait écrire, quelque temps plus tard, à un ami : ” La Restauration se targue de nous avoir donné l’Algérie, elle ne nous a donné qu’Alger et elle nous a fait un funeste présent. Je crains qu’il ne soit pour la monarchie de Juillet ce que l’Espagne a été pour l’Empire. Avec une nation qui se paye de grands mots et qui a la velléité des grandes choses avec les petites passions et la parcimonie des épiciers, on ne saura prendre aucun grand parti sur l’Afrique” Terminons par cet extrait des “cahiers du centenaires de l’Algérie” datant de 1930:

“D’après les estimations de la Chambre de commerce de Marseille, en 1832, l’Alger turc importait pour 6.500.000 Fr. de marchandises européennes. Il les payait apparemment avec les bénéfices de la piraterie, puisqu’on estimait les exportations à 14 ou 15.000 francs. Dans l’Algérie française, en 1924, le total des exportations et importations était de 5 milliards 394 millions; ce total en 1929 atteindra probablement 8 milliards, en francs papier il est vrai. Il faut songer que ces huit milliards de richesse sont une création pure. Ils sont sortis intégralement du coup d’éventail du dey”.

2. Le « bond » colonial.

La France arrive donc en Algérie en 1830 mais les “effets” de la colonisation ne vont pas être instantanés, tant la colonisation-au sens premier du terme, c’est-à-dire avec l’arrivée de colons et l’installation de la France sur le sol Algérien-elle-même ne va pas être immédiate. Les avis sont tout d’abord partagés quant à l’utilité réelle de la présence Française en Algérie, et même en cas d’accord sur le bien-fondé de cette expédition, surviennent des débats houleux concernant la façon d’aborder et de gérer sur le long terme cette situation. Revenons un instant sur la chronologie des évènements de l’époque afin de mieux comprendre ce qui va amener la France à finalement opter pour une conquête “totale”. En 1830, alors même qu’il vient de faire envahir l’Algérie, Charles X est déchu et c’est alors Louis-Philippe qui est proclamé Roi de France. Celui-ci n’a d’autre solution que de finir ce qui vient d’être commencé mais ne mets pas en place de “système colonial” particulier visant à faire de l’Algérie une véritable colonie de colons.

En 1848 Louis-Philippe abdique, la seconde République est proclamée qui voit Louis-Napoléon Bonaparte être élu président, ce dernier a son idée au sujet de l’Algérie mais il va attendre son sacre et la proclamation du second empire pour les mettre en application. Nous sommes en 1852 et Napoléon III avance alors sa conception de “royaume arabe” pour l’Algérie. L’idée est simple, il s’agit de faire venir un certain nombre de colons afin de garder la mainmise sur un pays –et surtout son littoral-qui agissait il y a peu de temps en ennemis vis-à-vis de la France et de créer une véritable “barrière” entre colons et populations locales. Voici un extrait des “cahiers du centenaire de l’Algérie” nous expliquant cette politique : “Les colons étaient parqués dans des réserves autour de quelques grandes villes. Tout le reste était le royaume arabe. Les indigènes, gouvernés par les officiers des bureaux arabes, y étaient efficacement séparés de la colonisation, tenus sous cloche, abandonnés à leur propre puissance évolutive. C’était une idée intéressante. Une certaine analogie est évidente avec ce que nous appelons aujourd’hui le protectorat”.

Il apparait clairement la volonté de ne pas aller plus avant dans un processus de colonisation global, Napoléon III cherchant a priori à agir pour les intérêts nationaux en assurant une présence de colons sur le littoral mais sans prendre à son compte la gestion et l’exploitation d’un pays et de ses ressources. En 1870 est proclamée la 3ème République et c’est bien à cette époque que va naitre le véritable empire colonial Français. La colonisation algérienne est déjà bien commencée et il ne reste plus qu’à conquérir tout entier un pays dont la présence Française depuis quarante ans n’a eu que peu d’influence.

Merci à Cortez, et félicitations pour un tel travail.

https://www.fdesouche.com/2008/09/24/des-barbaresques-a-lalgerie-francaise/

mardi 2 mai 2023

Le 4 septembre 1870

 

Après celle de juillet 1830 et celle de février 1848, la troisième révolution du XIXème siècle en France se produisit le 4 septembre 1870. Deux jours plus tôt, c’est la défaite de Sedan. La guerre de 1870 tourne à l’humiliation pour la France. Napoléon III est prisonnier. La nouvelle se répand à Paris et entraîne un mouvement de foule qui réclame la fin de l’Empire. Ceux qui ont pris le pouvoir ce 4 septembre 1870 et proclamé la république n’eurent qu’à ramasser un pouvoir dont personne ne voulait.

La thèse de ce livre de Pierre Cornut-Gentille, avocat pénaliste, consiste à tenter de démontrer que, si le gouvernement de la Défense nationale n’avait pas été constitué le 4 septembre 1870, Thiers et Gambetta n’auraient pu, après la défaite inéluctable, consolider cette république qui était née dans l’improvisation.

Cet ouvrage, totalement acquis à l’idée républicaine, il faut bien le souligner, a l’avantage de montrer comment une situation tient parfois à peu de choses.

Le 4 septembre 1870, Pierre Cornut-Gentille, éditions Perrin, collection Tempus, 480 pages, 8 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/le-4-septembre-1870/125814/

dimanche 26 février 2023

Algérie, la conquête : comment tout a commencé (Thierry Nélias)

 

Thierry Nélias est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à des moments de l’Histoire de France. Il signe aux éditions Vuibert un nouvel ouvrage intitulé Algérie, la conquête.

Tout commence donc avec l’expédition militaire de juin 1830. Officiellement, il s’agit pour Charles X de laver l’affront commis trois ans plus tôt par le dey d’Alger, lorsque celui-ci a frappé plusieurs fois de son chasse-mouches le Consul de France. 65.000 marins et hommes de troupe, 80 pièces de siège, le tout à bord de 460 navires, font route avec mission de châtier l’arrogance de Hussein-Pacha et d’anéantir la piraterie dans la Méditerranée. Le 14 juin à l’aube, les conquérants s’élancent et en très peu de temps hissent le drapeau du roi au sommet de la tour de défense de Sidi-Ferruch, dont la presqu’île est rapidement transformée en comptoir français. Le 19 juin, les forces arabes et turques lancent un assaut d’envergure. 40.000 mahométans passent à l’attaque mais l’organisation tactique française est victorieuse. C’est le début de la conquête de l’Algérie. Quantité de grands noms de l’armée française vont s’illustrer sur cette terre algérienne. Citons par exemple le duc d’Aumale qui s’empare en 1843 de la fameuse Smala, l’immense base nomade d’Abd-el-Kader. C’est aussi cette colonisation algérienne qui va façonner la Légion étrangère ainsi que les spahis. Durant ces décennies qui s’étendent jusqu’en 1870, les Français ne s’imposent pas que par la force militaire. Ils se révèlent aussi bâtisseurs. Le roi Louis-Philippe ayant décrété « l’occupation générale », de grandes plumes comme Louis Veuillot ou Alexis de Tocqueville décident de venir étudier de près l’aventure de la colonisation de l’Algérie. Les Français vont aussi s’occuper de la cruciale question de l’eau et grâce à cela œuvrer au développement agricole. Les géographes français vont dresser la cartographie du pays. Des villes et des villages naissent là où jadis il n’y avait que déserts. Autant d’aspects aujourd’hui trop oubliés.

Ce livre est le récit d’une épopée fabuleuse et se lit comme un formidable roman d’aventures dont tous les personnages appartiennent bien à l’Histoire de France.

Algérie, la conquête, Thierry Nélias, éditions Vuibert, 272 pages, 19,90 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/algerie-la-conquete-comment-tout-a-commence-thierry-nelias/156724/

mardi 31 janvier 2023

L’armée française : analyse des deux derniers siècles d’engagement militaire

 

Jean Lopez, directeur de Guerres & Histoire et auteur de nombreux ouvrages d’histoire militaire notamment consacrés à la Seconde Guerre mondiale, a rassemblé une importante équipe de rédacteurs pour brosser ensemble cette histoire de l’Armée française depuis le XIXème siècle. Les auteurs ont donc fait le choix de débuter leur récit le 14 juin 1830 avec la conquête de l’Algérie et la naissance de l’armée d’Afrique.

C’est le déclenchement d’une énorme opération amphibie avec le débarquement de la première vague d’un corps expéditionnaire de 37.000 hommes, 500 chasseurs à cheval, 83 canons de siège et une centaine de pièces légères. Il faudra vingt années de combat pour contrôler l’Algérie des côtes et des hauts plateaux. La pénétration vers le sud et le Sahara sera une œuvre de plus longue haleine, achevée seulement au début du XXème siècle. L’armée d’Afrique va grossir sans cesse avec deux poussées de croissance durant les deux guerres mondiales.

Le lecteur est ensuite entraîné en Crimée, première guerre photographiée. L’occasion de rappeler aux plus jeunes que Malakoff, Sébastopol, l’Alma et Bosquet ont été des lieux de bataille de cette lointaine guerre de Crimée avant de devenir les noms de boulevards parisiens… De 1853 à 1856, cette guerre de Crimée va opposer la Russie, qui lorgne sur les détroits du Bosphore et des Dardanelles, à l’Empire ottoman, soutenu par la Grande-Bretagne et la France. Ce conflit oublié a pourtant vu près de 90.000 soldats français y perdre la vie.

Vient ensuite la guerre de 1859 et ses batailles de Magenta et Solferino, qui vient l’armée française et l’armée piémontaise se battre avec fracas contre l’armée autrichienne. Puis la guerre de 1870 entre la France et la Prusse qui entraîne la chute du Second empire avec la défaite de Sedan.

L’ouvrage traite ensuite les grandes batailles impliquant l’armée française durant les deux guerres mondiales, sur terre, en mer et dans les airs. Ensuite, analyse est faite des guerres d’Indochine et d’Algérie. Avec ce facteur important qu’en Indochine, l’armée française fait la guerre à un parti politique, ennemi d’un nouveau genre qui impose un combat aussi bien militaire qu’intellectuel et oblige à repenser la guerre contre-révolutionnaire dont les « Centurions » tenteront d’appliquer les dures leçons apprises en Indochine pour conserver l’Algérie. L’ouvrage examine de façon intéressante le rôle des paras dans ces deux guerres.

C’est sur les opex que se termine ce livre, nous ramenant à l’actualité des missions et des moyens de l’armée française au Mali.

Cet album, richement illustré de  photographies, tableaux, dessins, cartes et infographies, dresse un aperçu fouillé des différentes batailles dans lesquelles l’armée française a été engagée, batailles présentées tant de façon historique que tactique et stratégique. Le lecteur suivra ainsi l’évolution des uniformes et des armements mais aussi de la doctrine militaire au cours des deux derniers siècles.

L’Armée française, ouvrage collectif sous la direction de Jean Lopez, éditions Perrin, 400 pages, 35 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/larmee-francaise-analyse-des-deux-derniers-siecles-dengagement-militaire/166851/

samedi 27 août 2022

Les trois ou quatre conquêtes de l’Algérie

 

Entretien avec Thierry Nélias

Thierry Nélias n'est pas un historien comme les autres. Sa méthode le conduit à retrouver le sens premier du mot « histoire » : l’enquête. Il met cette fois tout son talent à évoquer la conquête de l’Algérie par les Français. Un sujet passionnant, alors que nous marquons le 5 juillet l’anniversaire de l’indépendance du pays. Une histoire d'hommes, d'adversaires qui se respectent ou bien qui se haïssent, de courage, d'ambitions, ou jamais l’idéologie n'affleure. Propos recueillis par l’abbé Guillaume de Tanoüarn

Thierry Nélias, vous venez d'écrire une histoire de la colonisation de l’Algérie entre 1830 et 1870. Ce n'est pas sans une petite appréhension que j'avais ouvert votre ouvrage ; en réalité, j'ai tourné les pages avec passion il n'y a pas un gramme d'idéologie, aucune condamnation vertuiste des uns ou des autres, mais toujours du réel. Comment faites-vous pour ne pas donner de leçons de morale sur un pareil sujet ?

Je suis fidèle à une méthode que j'avais expérimentée pour mon premier livre sur la débâcle de 1940. J’ai voulu d'abord écouter, écouter de simples citoyens tout en lisant les mémoires des chefs militaires voire des politiques comment ils expriment la débâcle. Tout est par terre : que reste-t-il alors de ce qui fait la France ? J’ai travaillé ensuite plusieurs sujets de cette façon le voyage de Napoléon à l’Île d'Elbe après son abdication, ce qu’en disent les commissaire alliés qui étaient ses proches en la circonstance ; j'ai fait un autre livre sur l’humiliante défaite de 1870 face aux Prussiens. Et cette fois, c'est la colonisation de l’Algérie, à partir de la prise d'Alger par le Maréchal de Bourmont en 1830. J'approche les grands événements de l’histoire à travers le témoignage des personnes. Au fond, je voudrais revenir à l’étymologie : historia en grec, c'est l’enquête. J’avais fait une sorte d'enquête au moment du Sommet de Rambouillet, pendant la guerre en Serbie, en 1999. On rencontrait tout le monde dans les rues de Rambouillet, c’était passionnant. La guerre est épouvantable, c'est vrai, mais elle constitue un moment ou les personnes se révèlent et apparaissent telles qu'elles sont. La colonisation en Algérie, la guerre qui traverse la majeure partie du XIXe siècle, eh bien c'est d'abord une affaire humaine: de quelque coté que vous la preniez, c'était pour l’aventure, ou pour satisfaire des ambitions : des hommes de troupe pouvaient se retrouver en une dizaine d'années à un poste de commandement. Ainsi le comte Fleury, engagé volontaire comme simple spahi dans l’espoir de se rapprocher de Napoléon III, qu'il avait connu quand le futur empereur songeait au coup d’État qui le ramènerait au pouvoir : il deviendra général et Grand écuyer de l’empereur !

On ressent dans ce livre comme un vibrato particulier par rapport au précédent sur la Guerre de 1870...

La famille de ma mère est arrivée en Algérie en 1872. Et ma mère a connu la Toussaint rouge de 1954. Réfugiée dans sa maison, toute la famille a failli y passer mais leurs voisins arabes, qui étaient leurs amis, les ont protégés en expliquant aux assaillants qu'il n'y avait que des Arabes dans la maison d'en face. On peut dire que par procuration, j'ai gardé des souvenirs très violents, qui ont nourri en moi qui n'avais jamais connu ce pays, une vive curiosité pour l’Algérie française, ce mythe familial. Mais c'est la première fois, avec ce livre, que j'aborde le sujet.

Cette conquête apparait immédiatement comme brutale...

Quand les Français débarquent à Sidi Feruch, ils vont découvrir des coutumes auxquelles ils n'étaient pas habitués : ainsi le janissaire turc ou le simple soldat des tribus autochtones décapite son adversaire et le soir de la bataille, il se fait payer sa tête plusieurs douros. Autre habitude locale que reprendront les Français : la razzia qui est la grande manière de faire la guerre en brulant les cultures, en tuant les hommes et en emportant les femmes. Le général Bugeaud fit faire beaucoup de razzias par les tribus alliées sur les tribus ennemies. Ce système était impensable en Occident ; mais plus profondément, les terres qui relèvent de la Régence turque, sont des terres qui n'ont pas d'unité administrative, où les Janissaires turcs se taillent la part du lion par rapport à l’Arabe local, ou les juifs paient la djazzia aux autorités religieuses locales, où les Kabyles ont gardé leur langue et leurs coutumes. Avant de quitter Alger pour Alexandrie, le dey Hussein Pacha, qui a donc perdu la ville blanche, donne au général de Bourmont quelques conseils de real politik. Il a des mots crus sur chacune des catégories de la population : « Débarrassez-vous le plus tôt possible des janissaires turcs ; habitués à commander, ils ne consentiront jamais à vivre dans l'ordre et la soumission ; les Maures sont timides, vous les gouvernerez sans peine, mais n’accordez jamais une entière confiance à leurs discours. Les Juifs qui se sont établis dans ce pays sont encore plus lâches et plus corrompus que ceux de Constantinople. Employez-les car ils sont très intelligents dans les affaires fiscales et de commerce mais ne les perdez jamais de vue, tenez toujours le glaive suspendu sur leurs têtes. Quant aux Arabes nomades, ils ne sont pas à craindre. Les bons traitements les attachent et les rendent dociles et dévoués. Pour ce qui est des Kabyles, ils n’ont jamais aimé les étrangers. Ils se détestent entre eux. Evitez une guerre contre cette population guerrière et nombreuse, vous n'en tireriez aucun avantage. Divisez-les et profitez de leurs querelles ». Contrairement à ce qu'écrit Léon Galibert en rapportant cette conversation, les Français mettront en pratique ces conseils du Dey. L'Algérie n'existe pas, ce territoire qui relève d'une régence turque à l’arrivée des Français, est un entrelacs de populations cloisonnées et souvent rivales. Le Pouvoir militaire français a su jouer sur leurs rivalités internes à son profit. Son premier objectif, ce faisant, était d'épargner la vie des soldats.

Mais on n'a pas l’impression, à vous lire, d'un projet français lentement mis en œuvre, d'une méthode de gouvernement de ces terres...

Il faut dire que l’autorité politique, celle qui nomme le gouverneur militaire, change constamment. Charles X n'avait sans doute pas pour but une Algérie française. Son objectif était de remettre la France dans le concert des nations après le double traité de Vienne et d'obtenir réparation pour le coup d'éventail du Dey, bref de se faire respecter en Méditerranée. Metternich le chancelier autrichien avait parfaitement compris cette politique française, qui avait été menée en Grèce d'abord en 1827, (contre les Turcs), et dans la régence turque d'Alger. À partir de 1830, la fermeté qu'a montré Charles X se révèle payante : il n'y a plus cette guerre de course en Méditerranée, qui était aussi vieille que la présence arabe. L'objectif est atteint, mais le départ du Dey crée un vide, que l’armée va devoir remplir le maréchal Clauzel est le premier gouverneur de l’Algérie. Il est remplacé très vite (des 1831) par le général Berthezene qu'il remplacera de nouveau à partir de 1834. La France estime alors que 10 000 hommes suffisent pour maintenir le statu quo en Algérie. Cette absence de politique, de la part du Pouvoir central, ne pouvait pas durer longtemps. Clauzel est à nouveau nommé gouverneur, il a écrit sur la nécessité de la colonisation (voir Les Nouvelles observations de M. le Maréchal Clauzel sur la colonisation d'Alger, qui date de 1833). Très vite effectivement, le régime militaire trouvera ses limites, les colons récemment arrivés de France revendiquant eux mêmes d’être administrés à la française.

Charles X avait été remplacé par Louis Philippe dès le mois de juillet 1830. Le nouveau roi est obligé de maintenir la présence française en Algérie, parce qu'il ne peut pas s’opposer frontalement au sentiment national de la population française, dont le patriotisme s’était enflammé lors du débarquement de Sidi Ferruch et lors de la victoire de Staouely, qui ouvrait la route à Alger ; mais le nouveau roi ne souhaite pas contrister les Anglais, qui prennent assez mal que, par le biais de Algérie, nous participions à l’aventure coloniale, dont ils estiment qu'elle est leur chasse gardée. Louis Philippe préfère l’entente « cordiale » avec Londres (même si le mot apparaitra plus tard), plutôt que la colonisation de l’Algérie.

Pourquoi la présence française s'est-elle maintenue en Algérie, malgré les réticences initiales de Louis-Philippe ?

Le paradoxe, c'est que c'est sans doute la résistance arabe qui va provoquer le jusqu'au-boutisme des militaires. Bugeaud le gouverneur militaire qui va tenir le manche le plus longtemps, est un bon soldat, formé sous l’Empire napoléonien, la guérilla espagnole. Il s’adapte d'instinct au terrain et à cette nouvelle guérilla en pays arabe. Il est très populaire auprès de ses hommes. Pour l’anecdote, un jour où son camp est attaqué en pleine nuit, rejoint ses hommes au combat, ayant gardé son bonnet de nuit sur la tête, bonnet de nuit qui deviendra célèbre et qui donnera naissance à la chanson sur « la casquette du Père Bugeaud ». Face à Bugeaud, émerge celui qui va devenir son grand adversaire, l’Émir Abd El Kader. Avec lui Bugeaud signe la Paix de la Tafna en 1837. Par ce Traité, qui réserve à la France la cote et les environs d'Alger, Abd El Kader devient le premier gouvernant d'un État arabe depuis la conquête turque. Mais il ne se satisfait pas de ces quelques territoires qui lui ont été concédés par des Français qui ne sont pas assez nombreux. Son but est clairement de les jeter à la Mer. Il prend prétexte d'un passage de troupes françaises par les Portes de fer, sur son territoire, pour rentrer à nouveau en guerre ouverte avec la France, guerre sur un territoire immense ou il a l'avantage du terrain et une bonne connaissance des tribus arabes qu'il appelle - voire contraint ! - à la guerre sainte. La France n'a pas le droit de lui concéder une défaite, ce qui signifierait la perte de tous les acquis de la politique menée depuis 1830... Bugeaud réagit à la guerre sainte en envoyant son émissaire Léon Roches, qui, pour contrer les fatwas du sultan Abd El Kader, obtient une fatwa de La Mecque, favorable aux Français : « Le musulman peut endurer la trêve, quand l’infidèle envahisseur laisse au musulman ses femmes, ses enfants, sa foi et l’exercice de sa religion ». Il s’agit selon une formule célèbre de Bugeaud de « se faire arabe pour le vaincre ». Abd El Kader, parce qu'il a fait l’unité arabe remporte d'abord quelques victoires. À La Macta par exemple les Français laissent 800 hommes sur le terrain, massacrés et mutilés par les Arabes. Mais après la prise de sa smala par le Duc d'Aumale, fils de Louis-Philippe, malgré ses qualités tactiques exceptionnelles et sa victoire de Sidi-Brahim, Abd El Kader doit se résigner la défaite : c'est le général Lamoriciere qui le fait prisonnier, en décembre 1847. Au nom de la France, le duc d'Aumale lui promet une retraite en Terre sainte. À cette époque l’Algérie est devenue partie intégrante de la politique française.

Abd El Kader restera francophile ?

La IIe République renverse Louis-Philippe et ne respecte pas les termes de la reddition. C'est Napoléon III qui tiendra les engagements pris par Aumale. Apres un séjour surveillé en France de quatre ans au château d'Amboise, l’Algérien part s'installer Damas dans une importante propriété, ou, en 1860, il accueillera et sauvera des chrétiens d'Orient persécutés. Venu visiter l’Exposition universelle de Paris en 1867, il s'émerveille devant les bienfaits du progrès technique français. Il a d'ailleurs usé de son influence pour faire aboutir le projet de canal de Suez, creusé par Ferdinand de Lesseps. Au ministre prussien Bismarck qui lui offre l’aide de l’Allemagne pour rallumer la guerre en Algérie, il répond : « Que nos chevaux arabes perdent tous leur crinière, avant qu'Abd-el-Kader Ben Mahi ed-Din accepte de manquer à la reconnaissance qu’il a pour le très puissant empereur Napoléon III. Que votre arrogante et injuste nation soit ensevelie dans la poussière et que les armes de l’Armée française soient rougies du sang des Prussiens ».

Quelle a été la politique arabe de Napoléon III ?

Jusqu'en 1852, Napoléon considérait l’Algérie comme « un boulet au pied de la France ». Devenu empereur, il change d'avis et visitera le pays à deux reprises, en 1860 et en 1865. Dans esprit, l’agriculture devait revenir aux propriétaires locaux (dont les terres ancestrales deviennent incessibles, au moins en théorie).

Les colons occidentaux devaient se charger, eux, de la mise en valeur industrielle du pays. Dès son premier voyage, il s'adresse aux Arabes en ces termes : « La France a remplacé la domination turque par un gouvernement plus éclaire. J’honore le sentiment de dignité guerrière qui vous a portés, avant de vous soumettre, à invoquer par les armes le jugement de Dieu. Comme vous, il y a vingt siècles, nos ancêtres aussi ont résisté avec courage à une invasion étrangère, et de leur défaite date leur régénération. Les Gaulois vaincus se sont assimilés aux Romains vainqueurs et de l'union forcée des vertus contraires entre deux civilisations opposées est né, avec le temps, cette nationalité française. Acceptez donc les faits accomplis : Dieu donne le pouvoir à qui il veut (chap. 2 v. 248): or ce pouvoir que je tiens de lui. je veux l’exercer dans votre intérêt et pour votre bien. Ayez donc confiance dans vos destinées, puisqu’elles sont unies à celles de la France et reconnaissez avec le Coran que "celui que Dieu dirige est bien dirigé" » (5 mai 1860). Napoléon III voulait faire de 'Algérie un royaume arabe dont il aurait lui-même ceint la couronne. Le temps ne lui a pas été donné pour tenter de mettre en œuvre cette utopie. De sa politique en faveur des autochtones, il ne reste que les deux senatus-consultes, l’un sur la propriété des terres et l’autre sur la citoyenneté, qui disparaîtront des la chute du Second Empire.

La Troisième République, elle, veut la colonisation au sens strict

Absolument. Et elle propose la nationalité française aux habitants qui acceptent de vivre selon le droit français. C'est le sens du Décret Crémieux, qui offre la nationalité française a tous les juifs d' Algérie. Les musulmans, qui souhaitaient dans leur immense majorité rester fidèles au droit coranique, avaient refusé I'opportunité de devenir citoyen français grâce au senatus-consulte de 1865, à l’exception de quelques centaines de personnes ayant renoncé au droit musulman.

Il y a là de quoi méditer sur notre époque. Vous citez une formule d'Arthur Girault, dans ses Principes de colonisation et de législation coloniale (1894), qui nous plonge en pleine actualité : « L’autonomie convient à des Anglo-saxons. Nous Français, nous sommes des Latins. L’influence de Rome a pétri nos esprits pendant des siècles. Nous ne pouvons nous soustraire à cette obsession et ce serait forcer notre nature que de sortir de la voie qu'elle nous a tracée. Nous ne savons faire et par suite nous ne devons faire que de l’assimilation ».

Thierry Nélias, Algérie, la conquête, 1830-1870, Comment tout a commencé, ed. Vuibert 272 p., 19,90 €.

Photo Prise de la smalah d'Abd-el-Kader par Horace Vernet (1844).

Monde&Vie 29 juin 2022 

lundi 15 août 2022

La cavalerie belge au fil des siècles (éditions du Perron)

 Cet ouvrage est un travail collectif. Les rédacteurs sont tous officiers de la cavalerie blindée belge. Ensemble, ils retracent quatre siècles de cavalerie, dont près de la moitié au service d’une Belgique indépendante.

Les Belges ont un riche passé militaire, même si beaucoup l’ignorent. Bien avant l’indépendance en 1830, de nombreux Belges s’illustrèrent sur la plupart des champs de bataille d’Europe, et y acquirent une gloire non usurpée, au service de l’Autriche, de la France ou du Royaume-Uni des Pays-Bas. Et puis, après l’indépendance de la Belgique, la cavalerie fut bien présente lors des trois invasions que connut ce royaume en un peu plus d’un siècle.

Nous suivons donc les dragons belges au service de l’Autriche, cavalerie légère armée d’un sabre, d’un mousqueton et d’un pistolet d’arçon, les chevaux-légers belges au service de l’Empereur Napoléon, les carabiniers belges à Waterloo, les hussards belges au service des Pays-Bas. Puis, après 1830 et l’indépendance de la Belgique, vient la création des régiments belges de chasseurs à cheval, de lanciers et de cuirassiers, suivis des guides. On retrouve des cavaliers belges se battre aux côtés des Français en Algérie et être félicités par le Duc d’Orléans, puis plus tard au Mexique, avec l’Empereur Maximilien dont l’épouse était belge, sans oublier l’épopée des zouaves pontificaux. La cavalerie belge s’illustre ensuite lors de la Première guerre mondiale. Les auteurs nous entraînent dans les balbutiements de sa motorisation. L’épopée du Corps expéditionnaire belge des auto-canons-mitrailleuses et de sa traversée de la Russie constitue l’une des pages les plus mémorables de cette histoire de la cavalerie belge. Ce livre nous montre ensuite l’évolution de la cavalerie vers l’utilisation de véhicules motorisés et blindés durant le second conflit mondial, et enfin comment de 1946 à nos jours, elle est passée de la roue à la chenille pour revenir à la roue.

Cet album est une réussite et ravira tous les passionnés d’histoire militaire. Sa riche iconographie fera les délices des lecteurs.

La cavalerie belge au fil des siècles, Willy Brabant, Paul Hoeck, Jean Paul Warnauts, Jo Deleers, Jean-Pierre Guérin et Xavier Bara, éditions du Perron, 256 pages, 40 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/la-cavalerie-belge-au-fil-des-siecles-editions-du-perron/55871/

jeudi 21 octobre 2021

Le socialisme héroïque de Mazzini

  

Prophéte du nationalisme italien, Giuseppe Mazzini est, malgré sa réputation d'homme de gauche, un des esprits les plus originaux de son temps. Dans ses écrits, ignorés des Français qui réservent leur admiration à Garibaldi, Mazzini oppose la notion de "devoirs" à celle des "droits" de l'homme. Jean Mabire nous invite à redécouvrir cet éternel rebelle et militant du mouvement ouvrier, qui était fasciné par les héros de l’Antiquité. Si en 1849, l'entrée des troupes françaises dans Rome mit fin à la brève expérience du pouvoir de Giuseppe Mazzini, celui-ci, réfractaire à tout compromis, à la différence des trois artisans de l'unité italienne (Victor-Emmanuel, Cavour et Garibaldi), s'opposera jusqu’au bout à la nouvelle autorité royale italienne comme il s'opposait au pouvoir de l'empire autrichien et à tout matérialisme, qu'il soit capitaliste ou communiste. Il en appelait à "l'élite européenne du parti de l'action"... Avanti Paladin !

Mettre en doute l'idéologie des droits de l'homme, érigée en credo laïque, est aujourd'hui un de ces péchés que l'Église qualifiait naguère de mortel. Ce serait même, à en croire les nouveaux bien-pensants, le crime intellectuel absolu. Dans l'un des plateaux de la balance de la justice universelle, la fameuse Déclaration des droits. Dans l'autre, le sabre dégoulinant de sang d'un quelconque général de pronunciamento sud-américain. Comme c'est simple et personne n'a envie de se trouver du côté des salauds.

On étonnerait bien nos modernes thuriféraires des droits de l'homme en leur apprenant que cela n'a pas toujours été justement aussi simple que notre journal habituel voudrait nous le faire accroire. Prenons le siècle dernier où pourtant les écrivains socialisants usaient et abusaient des grands mots à majuscule, du style Humanité, Progrès ou Démocratie. Quand il s'agissait des fameux droits de l'homme, certains se montraient plus circonspects. Tenez, par ex., Mazzini.

On connaît peu en France Mazzini, qui n'a pas, comme son camarade Garibaldi, sa rue dans la moindre de nos sous-préfectures. Pourtant, le personnage est intéressant, tant il révèle les rapports toujours fascinants d'un intellectuel avec la politique et même avec le terrorisme. Giuseppe Mazzini, donc, né à Gênes au début du siècle dernier et tôt affilié à la fameuse société secrète des Carbonari, passa quelques mois en prison à la suite des événements piémontais de 1830 et se vit forcé d'émigrer en France, où il croyait trouver en Louis-Philippe un ami de la liberté des peuples. Vite éclairé sur la médiocrité d'un roi qui se réclamait du "juste milieu" pour mieux instaurer la société marchande des boutiquiers, l'émigré fonda alors une société révolutionnaire, la Jeune Italie, qui devait peu après s'élargir en Jeune Europe. Avec quelques camarades, il rêvait de créer, contre la Sainte alliance des conservateurs et des réactionnaires, de véritables États-Unis d'Europe, dont le ciment aurait été une idéologie tout à la fois patriotique et populiste.

Républicain jusqu'au sectarisme et démocrate jusqu'à l'utopisme, Mazzini fut incontestablement, dans la sensibilité politique de son époque, un homme de gauche et même d’extrême-gauche, ami des révolutionnaires quarante-huitards, avant de leur reprocher l'abandon de la cause des peuples au bénéfice d'un chauvinisme petit-bourgeois qui devait rapidement conduire à la dictature du prince-président Louis Napoléon, ancien carbonaro lui aussi, hélas.

Exilé tantôt en Angleterre et tantôt en Suisse, Mazzini allait passer sa vie en complots avortés et malheureux. Il ne connut que quelques semaines euphoriques quand il devint triumvir de l’éphémère république romaine édifiée en 1849 sur les ruines assez pestilentielles des États de l'Église. Quand il mourut en 1872, l'Italie s'était faite, sans lui et sans le peuple, et portait désormais, à ses yeux, la tare originelle de la monarchie.

Ceci pour situer un personnage hors du commun, dont tous les petits Italiens apprennent par cœur des tirades entières dés l'école, mais dont peu d'intellectuels français, même socialistes, connaissent autre chose qu'un nom qui ne leur dit pas grand chose et qu'ils confondent généralement avec celui de son contemporain Manzoni, l'auteur des Fiancés, ce prodigieux roman historique du style Alexandre Dumas. Ce qui prouve en passant que l'Europe de la culture, par où tout devrait commencer sur notre continent, est encore plus illusoire que celle du pinard ou de la bidoche.

Dans son exil londonien, Mazzini fut confronté au terrible problème de la misère absolue que vivaient ses compatriotes émigrés. Entassés dans des faubourgs ignobles, déracinés et acculturés, sans cesse ballottés entre l'exploitation et le chômage, ils formaient une des couches les plus misérables du prolétariat industriel, qui reste la honte de la société européenne et particulièrement britannique au siècle dernier. Pendant que les patrons capitalistes fabriquaient ainsi à la chaîne des ouvriers communistes, Mazzini se lança, un des premiers en Europe, dans l'action ouvrière au service des exploités. Il créa à Londres, en 1847, un mouvement du nom de People's International League, qui s'inscrivait dans le sillage de la Jeune Europe et précédait de quelque vingt ans l'Internationale socialiste de Karl Marx. On verra que les rapports des deux "prophètes" furent exécrables et que mazziniens et marxistes devaient un jour se trouver, dans le Mezzogiorno et ailleurs, à couteaux tirés.

Pour ses compatriotes prolétaires exilés, Mazzini créa un journal, ouvrit des écoles, publia plusieurs livres, dont l'un au moins, Pensées sur la démocratie en Europe, mérite toujours de retenir notre attention et même notre sympathie. L'idée essentielle de cet essai est la lutte contre le matérialisme, qu'il soit capitaliste ou communiste, c'est-à-dire contre une conception économique de la société qui prétend l'organiser « selon la méthode des abeilles et des castors, sur un modèle fixe et immuable et une base d'égalité absolue ».

Mazzini, indiscutable démocrate, persécuté toute sa vie durant par les pouvoirs réactionnaires de l'empire d'Autriche puis du royaume d'Italie, s'y révèle farouchement anti-égalitaire. Il n'hésite pas à écrire, dans une optique d'ailleurs très prolétarienne : « L'établissement d'un système de récompense arithmétiquement égales équivaudrait à ne tenir aucun compte du mérite moral de chaque ouvrier ».

Le plus beau — ou le pire pour les adorateurs des droits de l'homme, ce fut qu'il voyait justement dans cette idéologie la source de tous les maux dont souffrait l'Europe de son temps. Il devait l'écrire avec force : les fameux droits de l'homme étaient pour lui des droits individuels, qui favorisaient l'individualisme et détruisaient toute communauté :

« Faire de la théorie du bien-être le but de la transformation sociale, c'est déchaîner cas instincts de l'individu qui le poussent vers la jouissance, développer l’égoïsme dans les âmes et considérer les appétits matériels comme une chose saine. Une transformation basée sur de tels éléments ne peut pas être durable, et c'est contre ces éléments que nous dirigeons aujourd'hui tous nos efforts ».

Pour ce théoricien de la démocratie républicaine, il ne pouvait y avoir qu'une riposte aux droits de l'homme, c'était les devoirs... Aussi, une autre brochure destinée aux émigrés italiens portera-t-elle justement pour titre : Des devoirs de l'homme. Mazzini s'y révèle tout entier avec sa générosité et sa lucidité. La révolution française et son idéologie des droits appartenaient, pour lui, au passé. Ce qu'il voulait, c'était une révolution européenne où chacun serait conscient de ses devoirs envers sa communauté nationale comme envers la classe laborieuse. Il ne s'agissait pas de s'accrocher au siècle précédent, mais d'être résolument de son temps.

Dès le lendemain de la révolution avortée de 1830, Mazzini avait déjà écrit, dans un petit opuscule intitulé Foi et avenir :

« Le droit, c'est la foi individuelle ; le devoir, c'est la foi commune. Le droit ne peut aboutir qu'à organiser la résistance ; il n'a mission que pour détruire ; il n'en a pas pour fonder : le devoir fonde et associe... La doctrine des droits ne renferme pas, comme nécessité, le progrès... Tout ceci, c'est le XVIIIe siècle : la servitude aux vieilles choses, s'entourant des prestiges de la jeunesse ».

Mazzini rompait ainsi avec la plupart des hommes politiques de son temps et même de son bord. Il se trouvait tragiquement seul, avec une poignée de fidèles dispersés à travers toute l'Europe, face à son grand rival Karl Marx. Il n'avait pas de mots trop durs pour dénoncer la doctrine qui commençait à germer sur le fumier de l'Europe libérale :

« La tyrannie ! Elle est à la racine et au sommet du communisme, elle le sature en entier. Ainsi que la théorie froide, sèche et imparfaite des économistes, il fait de l'homme une machine productive. Son libre arbitre, son mérite individuel, ses aspirations incessantes vers de nouveaux modes de vie et de progrès disparaissent entièrement. Dans une société qui n'est qu'une forme pétrifiée, réglée dans tous ses détails, l'individualité n'a plus de place. L'homme devient chiffre, un, deux, trois. C'est la vie du couvent, sans la foi religieuse ; c'est l'esclavage du Moyen-Âge, sans espoir de se racheter, de s'émanciper par l'économie ».

Et cela a été écrit dés 1847.

Contre un système qu'il qualifiait de « rêve barbare, absurde et immoral », Giuseppe Mazzini essayait avec la Jeune Europe de créer une secte politique qui ressemblait, trait pour trait, à un ordre religieux. On trouvait chez lui un culte de l’héroïsme dans le combat prolétarien qui annonçait l'esprit d'un homme aussi original que Georges Sorel. Tous deux allaient d'ailleurs se montrer sensibles, jusqu'à la hantise, au souvenir des guerriers grecs tombés aux Thermopyles et dont le sacrifice évoquait celui des militants ouvriers de leur temps, luttant pour un monde plus juste et plus noble.

Le visionnaire Mazzini aimait évoquer un avenir qui se trouve toujours devant nous : « Lorsqu'une grande ligue populaire réunira l'élite européenne du parti de l'action, les droits des peuples et des classes ouvrières ne pourront plus être traités avec mépris ». Ne serait-ce pas là un programme d'actualité pour une vraie nouvelle gauche ? Jean Mabire, éléments n°40, 1981.

http://www.archiveseroe.eu/histoire-c18369981/44

jeudi 7 octobre 2021

Fred Hermel sur le documentaire ”Colonisation, une histoire française” : « un brûlot anti-français qui insulte notre pays avec l’argent du contribuable »

 Vu sur FdeSouche

Replay : Colonisation, une histoire française (France 3)

En trois épisodes de 60 minutes, la série documentaire exceptionnelle Colonisation, une histoire française revient pour la première fois à la télévision sur l’histoire de la colonisation française, d’Alger à Madagascar et de Dakar à Saigon. De cette confrontation violente entre des peuples va naître une irréversible communauté de destin. Une histoire qui nous raconte aussi la France d’aujourd’hui.

Épisode 1 : Conquérir à tout prix, 1830-1914

Avec la conquête de l’Algérie en 1830, c’est un siècle d’expansion sans précédent qui s’ouvre sur les territoires africains puis en Asie. Une expansion menée au nom du « progrès » et de la « mission civilisatrice » de la France. Mais, en réalité, cette extension territoriale française a été, partout, le fruit de conquêtes militaires particulièrement violentes. Car là où la France a tenté de planter son drapeau, elle a dû faire face à une résistance acharnée, de l’Algérie à l’Afrique noire, puis de l’Indochine au Maroc.

Épisode 2 : Fragile apogée, 1918-1931

L’empire français, le deuxième au monde après celui des Britanniques, atteint en 1920 son apogée territorial. Avec le Liban, la Syrie, le Cameroun et le Togo, jamais le domaine colonial de la France n’avait été aussi étendu. Les Années folles seront celles de l’âge d’or de l’empire. Mais cet empire tout-puissant est en réalité un colosse aux pieds d’argile. Au Maroc comme en Syrie, plusieurs rebellions armées vont sonner comme un avertissement. Alors, la France, au pied du mur, doit mener de profondes réformes et associer enfin les peuples colonisés aux destinées de leurs territoires. C’est ce que tenteront, en vain, plusieurs gouvernements de gauche (Cartel des gauches en 1924 et Front populaire en 1936). Car il est trop tard. La France, sous la pression du lobby colonial, est incapable de réformer en profondeur un système qui semble donc voué à l’échec.

Épisode 3 : Prémices d’un effondrement, 1931-1945

Le 6 mai 1931, le président de la République Gaston Doumergue, accompagné du maréchal Lyautey, inaugure à Paris la plus grande exposition coloniale jamais imaginée. Plus de huit millions de visiteurs vont se presser au bois de Vincennes pour découvrir ces territoires mystérieux de l’empire que l’on a ici reconstitués avec minutie. Tout a été pensé pour offrir l’image d’un monde colonial idéalisé et parfait. Mais ces visiteurs ne peuvent imaginer que leur empire vient en réalité de vivre son apogée et que les millions de sujets de cet empire, d’Alger à Hanoï et de Tunis à Beyrouth, vont, les uns après les autres, remettre en cause la tutelle française. Et bientôt vont apparaître les prémices d’un effondrement qui va être accéléré par la Seconde Guerre mondiale. 

Note du réalisateur Hugues Nancy

C’est toujours un immense privilège que de pouvoir défricher un terrain audiovisuel presque vierge. Jamais il n’avait été raconté à la télévision l’histoire de la colonisation française dans le détail, et notamment la naissance de l’empire colonial français à la fin du XIXe siècle.

C’est notamment grâce à des fonds d’archives exceptionnels que ce programme de trois heures a pu voir le jour. L’institut Lumière possède les premières images filmées de cet empire à partir de 1895, qui ont été restaurées et scannées en HD pour la première fois à l’occasion de ce projet. La même méthode a été appliquée à l’incroyable fonds colonial de Gaumont Pathé Archives qui recèle des trésors dès les années 1900 et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Des images peu ou jamais utilisées jusqu’à aujourd’hui comme ces rushes non diffusés, tournés dans le quartier réservé de Bousbir à Casablanca à la fin des années 1920 ou comme ces images amateures rassemblées par plusieurs fonds spécialisés qui nous font découvrir d’une autre manière la vie des colons en Algérie comme l’exposition coloniale de 1931…

Grâce à la richesse de ces très nombreux fonds d’archives filmées et grâce aussi au fonds photographique de l’ECPAD (ministère de la Défense), qui rassemble les reportages photographiques réalisés par des militaires en poste dans les colonies, nous avons pu essayer de nous rapprocher au plus près de la réalité de cette vie coloniale. Une vie coloniale souvent tragique pour les peuples colonisés soumis à la puissance française. 

Surtout, avec ces archives uniques et bouleversantes une fois rassemblées, il était enfin possible de regarder en face ce passé douloureux et d’en faire le récit pour les téléspectateurs de France Télévisions.

Car, longtemps, on a tenté en France de minimiser les crimes commis au nom de l’ambition coloniale française. Ainsi est née la « légende rose » du « temps béni des colonies ». Comme si l’on avait inconsciemment la nostalgie de ces cartes du monde qui subjuguaient les écoliers avec tous ces territoires de l’empire, colorés en rose, pour montrer la puissance de la France et son ambition civilisatrice…

En réalité, rien n’a jamais été « rose » dans les territoires colonisés. D’abord parce que, contrairement à ce l’on croit souvent, aucun peuple colonisé n’a accepté la présence française sans s’y opposer violemment, et ce dès le début de l’expansion. Surtout, la colonisation s’est fondée à la fois sur une profonde inégalité de droits entre les hommes et sur l’exploitation de richesses par la puissance coloniale. Une domination et une exploitation rendues uniquement possibles par la force militaire ou policière, nécessaire pour faire respecter un équilibre social et politique de plus en plus précaire au fil des décennies.

L’histoire de la colonisation, c’est donc d’abord une histoire de sang et de larmes qu’il faut regarder en face, sans occulter aucun des manquements moraux ni aucune des responsabilités des empires coloniaux européens.

Mais à l’inverse, aujourd’hui, on voudrait ne retenir que la « légende noire » de l’époque coloniale, ses crimes et surtout l’immoralité de l’idée même de colonisation, faisant fi des processus politiques à l’œuvre dans le monde du temps de cette expansion coloniale européenne. Car le processus d’occupation territoriale par des puissances européennes, mais aussi asiatiques, a été un phénomène généralisé à compter de la découverte des Amériques au XVe siècle, puis à partir du XIXe siècle. Cette part de l’histoire de l’humanité concerne tous les continents et a été la matrice du monde tel que nous le connaissons.

En quelques siècles, une poignée d’États européens est parvenue à contraindre la majeure partie de la planète. Et à compter du jour où un Européen a mis le pied sur une terre loin de son continent, l’avenir de celui qui y vivait venait de basculer. Et leurs histoires, à tous les deux, colonisateur comme colonisé, étaient alors irrémédiablement liées.

C’est ce que démontrent aujourd’hui les historiens des empires coloniaux avec le concept de « mondialisation impériale » qui explique comment les peuples autochtones ont été « coproducteurs » de l’entrée de l’humanité dans la modernité.

C’est en effet par la confrontation avec l’Europe, par l’immersion des nouvelles générations colonisées dans l’effervescence politique de l’Europe de l’entre-deux guerres, que les « indigènes » comme on les appelait, sont devenus des militants nationalistes qui ont libéré leurs pays de la domination européenne.

La colonisation a ainsi été comme une véritable « révolution » dans l’histoire du monde et des peuples. Une révolution qui a changé la géopolitique de la planète comme le destin des peuples colonisés.

C’est donc une part de « notre Histoire commune » que cette grande fresque télévisuelle tente d’aborder, en regardant en face ce que fut l’expérience impériale française et en racontant surtout comment, du côté des colonisés comme des colonisateurs, des hommes et des femmes ont eu le courage de se dresser pour dire non à la fois aux atrocités engendrées par l’occupation française comme à l’idée même de colonisation.

Notre série documentaire, en tentant d’éviter l’anachronisme d’une dénonciation « a posteriori », donne ainsi en priorité la parole à ceux qui ont résisté dans les colonies comme à ceux, certes minoritaires, qui ont osé contester en métropole le processus de colonisation.

Ce sont ces « résistants » colonisés, des personnalités souvent inconnues ou oubliées, qui vont ainsi nous permettre de raconter la folie coloniale française de 1830 à 1946 : Abd El Kader (Algérie, 1830), Béhanzin, roi du Dahomey (Bénin, 1890), Samory Touré (Afrique de l’Ouest, 1893), reine Ranavalona (Madagascar, 1895), Phan Boi Chau (Indochine, 1908), sultan Moulay Abdelaziz (Maroc, 1908), émir Fayçal (Syrie, 1920), Abdelkrim El Khattabi (Maroc, 1921), sultan El Attrache (Syrie, 1925), Blaise Diagne (Sénégal, 1931), Nguyen Tat Thanh, dit Hô Chi Minh (Indochine, 1931 et 1946), Allal El Fassi (Maroc, 1934), Aimé Césaire (Antilles, 1935), Tayeb El Oqbi, Ferhat Abbas, Messali Haj (Algérie, 1937 et 1945), Habib Bourguiba (Tunisie, 1938).

Et au regard de ces hommes qui n’acceptent pas la colonisation de leurs terres, notre récit prend également appui sur la dénonciation de cette colonisation par des Français, contemporains des événements : Guy de Maupassant (Algérie, 1880), Georges Clemenceau (Madagascar, 1885), Pierre Savorgnan de Brazza (Afrique-Équatoriale, 1905), Jean Jaurès (Maroc, 1908), Jules Roy (Algérie, années 1920), Alexandre Varenne (Indochine, 1925), André Gide (Congo, 1927), Albert Londres (Congo, 1928), Léon Blum (1936), Maurice Violette (Algérie, 1937)…

En redonnant la parole et une place dans notre mémoire collective à tous ces « héros » qui ont combattu la colonisation française, en rappelant que nombre de Français ont aussi tenté de s’y opposer, il devient peut-être possible de partager cette histoire par-delà les antagonismes qui fracturent la société française. Une histoire qu’il est temps d’assumer tous ensemble.

lundi 27 septembre 2021

Marmont, le maudit (Franck Favier)

 

Franck Favier, agrégé et docteur en histoire, est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés au Premier Empire.

Il vient de publier une biographie du maréchal Marmont (1774-1852), duc de Raguse, personnage tragique que Napoléon traita de Judas. Son titre lui-même servira à signifier la trahison au XIXe siècle par le mot “ragusade” et le verbe “raguser”.

La vie de Marmont semble donc se résumer aux justifications impossibles des événements de 1814 et de 1830. Elles firent du duc de Raguse le maréchal du malheur : malheur pour l’épopée impériale, malheur pour la Restauration, malheur aussi pour le maréchal lui-même dans ses affaires et dans son mariage.

Pourtant, sa vie militaire fut tout à fait extraordinaire, à l’image de nombre de ses camarades : Toulon, l’armée du Rhin, les campagnes d’Italie et d’Egypte, le commandement de l’artillerie à Marengo, l’administration des Provinces Illyriennes, le maréchalat en 1809, les campagnes d’Allemagne et de France… Autant de faits où il s’illustra de façon courageuse. De même, son mariage avec Hortense Perrégaux le plaça parmi les familles les plus riches de l’Empire. Armée, amour et argent, le maréchal possédait tout. Mais, critiqué dès 1809, lors de son errance pendant la bataille de Wagram, Marmont commença alors sa longue descente vers l’humiliation : défaite des Arapiles, défaite de Fère-Champenoise, soupçons de trahison dès la campagne de France. Sa défection de 1814 entraîna sa chute.

Ensuite, pendant la Restauration, il fut moqué, détesté à la Cour, et ne put redresser le cours de sa destinée. 1830 fut alors sa deuxième tache et l’entraîna dans un exil définitif.

Marmont, Franck Favier, éditions Perrin, 368 pages, 23 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/marmont-le-maudit-franck-favier/94029/

jeudi 19 août 2021

5 juillet 1830 : la prise d'Alger

 Il y a cent quatre-vingts ans, le 25 mai 1830, une flotte importante (plus de cent soixante-dix bâtiments de guerre et de commerce) transportant un corps expéditionnaire de 37 000 hommes quitte Toulon. Objectif : Alger. Il est bon de le préciser, Alger n'est pas alors la capitale d'une Algérie qui n'existe pas. Le terme Algérie n'apparaîtra que bien plus tard. Les historiens français dans leur majorité sont très prudents sur le sujet car, on le sait, l'histoire officielle de l'Algérie soutient qu'il y avait en 1830 une nation algérienne. En fait il y a bien un État à Alger mais c'est un État turc connu sous le nom de Régence d'Alger.

UN ÉTAT TURC

En principe il dépendait du sultan de Constantinople mais s'en était affranchi. Dirigé par un dey, il a duré presque trois siècles. Dans son livre (qui fut hélas son dernier) Histoire de l'Algérie 1830-1954, Editions (disparues) de l'Atlanthrope (Versailles, 1993), le professeur Xavier Yacono lui a consacré ses premiers chapitres. La célébrité de cette cité venait de la crainte voire de la terreur causées par ses corsaires, les fameux rais, qui empoisonnèrent la Méditerranée (prise des navires, butins, milliers d'esclaves chrétiens dans ses bagnes). Ce qui apportait une manne financière considérable au budget de la régence. À plusieurs reprises, la ville fut attaquée par des flottes diverses. La plus célèbre fut celle de Charles Quint. Ce fut un fiasco en raison d'une violente tempête. Au 19e siècle, la course a presque disparu. Ce qui posa un grave problème pour les finances du dey. Faute d'autre solution, on décida d'augmenter les impôts. Ce qui fut mal supporté par la multitude de tribus mal contrôlées qui peuplaient le territoire du dey. En jouant habilement sur leurs rivalités, la régence avait pu conserver sa domination. Mais son autorité était de plus en plus en plus contestée. D'autant qu'à Alger même, le pouvoir du dey était menacé par sa milice composée des fameux janissaires. Alger n'était plus la grande ville d'antan. Sa population était évaluée à 30 000 habitants voire plus et celle de la future Algérie à trois millions (estimations de Xavier Yacono). Dans leur immense majorité musulmans. Bref, cette régence qui a été définie par Charles André Julien (historien anti-colonial) comme une « colonie d'exploitation dirigée par une minorité de Turcs avec le concours de notables indigènes » était en décadence. Reste qu'Alger avait la réputation d'être imprenable...

L'EXPÉDITION

Ses causes en sont connues. C'est officiellement pour venger son honneur que la France s'en prend à Alger. Un honneur bafoué lorsque le dey d'Alger en 1827 a souffleté en public notre consul DevaI, un individu douteux d'ailleurs. À l'origine de l'affront une histoire très embrouillée d'un achat de blé par la France sous le Directoire. Et le versement par la France de sommes (4 millions de francs) que le dey n'a jamais touchées. Elle ont été négociées par deux juifs livournais, Bacri et Busnach, intermédiaires tous azimuts entre la régence et différents États (notamment pour le rachat des esclaves). Ils auraient reçu des acomptes de TalIeyrand qui aurait eu sa part. On comprend l'irritation du dey. En Iui-même, l'incident n'est pas grave. Il s'est écoulé trois ans depuis 1827 mais il y avait déjà un contentieux entre les deux pays à propos d'un comptoir français, la Calle. Ça s'est envenimé et des navires de guerre français font le blocus d'Alger mais ce n'est qu'un pis-aller. En réalité, Charles X a besoin d'un succès en politique extérieure. Son régime est en difficultés face à une opposition libérale qui critique d'ailleurs le projet d'expédition. Et même en a révélé des détails. Charles X a pensé à Mehmet Ali, pacha d'Égypte, pour s'emparer de la Régence au nom de la France mais ce fut un échec. Bref, il faut y aller. Principal obstacle : l'Angleterre qui y est hostile. Mais le ministre de la Marine le baron d'Haussez passe outre. À la tête de l'expédition : pour la flotte le vice-amiral Duperré, pour les soldats le ministre de la guerre le comte de Bourmont impopulaire. Il a "trahi" Napoléon à la veille de Waterloo !

Les plans du débarquement remontent à 1808 où Boutin, un agent secret de Napoléon, a été envoyé à Alger pour préparer un coup sur la ville. Il en a ramené un plan minutieux, des croquis sur les emplacements des défenses, sur le port. Et une conclusion : pour attaquer la ville, il faut la prendre de l'intérieur en débarquant sur la plage de Sidi Ferruch, à quelques kilomètres à l'ouest d'Alger. Ça tombe bien. Le corps expéditionnaire dispose de chalands s'ouvrant à l'avant comme à l'arrière. Ce qui préfigure les barges utilisées par les Américains en novembre 1942 au même endroit et plus encore en 1944 en Normandie.

LA VILLE EST À NOUS !

La flotte est arrivée en vue de l'Algérie le 31 mai ; craignant une tempête, elle s'est repliée sur les Baléares avant de revenir le 10 juin. Il y aura bien une autre tempête mais elle ne se produira que le 16 fort heureusement. Le débarquement a lieu le 12. Le dey a rassemblé une armée nombreuse mais disparate et mal commandée. Elle se dispersa après un combat décisif pour les Français. Le professeur Yacono note que des prisonniers français capturés ont été retrouvés massacrés et mutilés. D'où des représailles. Il précise : « c'est déjà le caractère inexpiable de cette guerre ». Qui en annonce beaucoup d'autres. Finalement Bourmont, qui a longtemps hésité, décide, muni d'une forte artillerie, de se diriger sur Alger. Il attaque le fort dominant Alger que les Turcs font sauter. La capitulation est inévitable - elle est demandée et signée le 5 juillet. En trois semaines, la puissance turque s'est effondrée. Bilan du côté français : 1 000 morts, 2 000 blessés et davantage de l'autre côté. À l'annonce de la prise d'Alger l'opinion en France est indifférente, sauf Marseille et Toulon qui la célèbrent bruyamment. Cette victoire ne profitera pas à Charles X chassé par les Trois glorieuses des 27, 28 et 29 juillet 1830, journées que rappelle encore aujourd'hui la célèbre colonne place de la Bastille à Paris.

Dans la convention de la reddition, il y a un paragraphe cinq qui commence par : « L'exercice de la religion mahométane restera libre. C'est le général en chef qui en prend l'engagement sur l'honneur. » Quoi qu'on en dise actuellement, cet engagement sera respecté, notamment par l'armée plutôt anticléricale. Les Français ont été reçus avec enthousiasme par deux minorités qui avaient à souffrir du dey et de ses janissaires. À savoir les Maures (issus de métissages) et les Juifs à la condition peu enviable. On retrouve Jacob Bacri (Busnach a péri dans un pogrom) « chef de la nation juive » au côté de Bourmont. Il n'y a pas eu d'excès contre la population mais les pillages habituels. Des historiens algériens ont monté en épingle la disparition du Trésor de la Casbah évalué à cent millions. Le dey qui a quitté Alger a dû en emporter une partie. 48 millions ont couvert les frais de l'expédition. Pour le professeur Yacono, il est fort probable que le reste ait abouti dans la cassette royale. La période qui suit est très compliquée. L'Algérie intérieure explose en luttes tribales. Le changement de régime en France n'arrange pas la situation. L'armée testera loyale. Bourmont s'est exilé, emportant avec lui le cœur de son fils tué au combat. Il faut tenir Alger mais aussi Oran et Bône. Abandonner Alger, impossible, l'armée ne le tolérerait pas ni un certain orgueil national. De 1830 à 1834 il faudra se décider à ce qui a été appelé l'occupation restreinte, prélude à l'occupation totale. Ce sont les « débuts des possessions françaises du Nord de l'Afrique ». Il faut envoyer des soldats mais, sur place, dès août, des guerriers algériens descendus des montagnes, les "Zaouaoua" (les Zouaves) se présentent aux troupes françaises qui les incorporent. Le professeur Yacono signale le fait ajoutant que dès les débuts d'une conquête qui va être longue, difficile, meurtrière, il y a à la fois « ralliements et résistances ». Nous ne développerons pas. Notre adversaire le plus sérieux et le plus coriace fut Abd El Kader qui sut profiter de nos erreurs, brandit contre nous l'étendard du djihad mais ne put jamais rassembler toutes les tribus algériennes (notamment les Kabyles qui lui furent hostiles). S'il avait eu le temps, aurait-il pu fonder une nation algérienne ?

UN SIÈCLE APRÈS, LE CENTENAIRE

« Nous sommes restés en Algérie parce que nous n'avons pu en sortir » écrit Emile Félix Gautier dans une brochure Un siècle de colonisation publié en 1930. Ce centenaire fut le triomphe. pas modeste, du système colonial. Mais l'Algérie depuis 1848 est composée de trois départements français. Il n'y eut pas en métropole une répercussion profonde mais l'Algérie fut à la une quelques semaines. On le sait bien maintenant, en France il y avait un parti colonial qui triompha ensuite avec l'exposition coloniale de 1931, mais il n'y eut pas (sauf dans des minorités) d'opinion coloniale. Paradoxalement c'est de 1940 à 1945 (et même après), à Vichy comme chez De Gaulle, qu'il y eut l'exaltation de l'Empire. Dans l'Algérie de 1930, il y eut beaucoup de cérémonies et de manifestations spectaculaires. Même si un certain nationalisme. plus religieux que politique est en gestation, on n'observe pas d'hostilité à l'égard du président de la République Gaston Doumergue lorsqu'il traverse un pays qu'il avait bien connu jeune magistrat. Il inaugure notamment à Sidi Ferruch une stèle monumentale (de 15 mètres de haut) ornée de sculptures et d'un bas-relief avec cette inscription : « lci le 14 juin 1830 par ordre du roi Charles X (dans L'Action Française Maurras exulta devant cet hommage de la République au défunt roi), sous le commandement du général de Bourmont l'armée française doit arborer ses drapeaux, rendre sa liberté aux mers, donner l'Algérie à la France. » Avait été ajoutée une suite grandiloquente qui soulignait l'apport de « Cent ans (sic !) de République française et la reconnaissance de l'Algérie pour la Mère Patrie, liée à elle par son impérissable attachement ».

LE POIDS DE L'ISLAM

Au même moment, lors d'un Congrès tenu à Alger et regroupant des historiens, un arabisant Desparmet signale qu'« au début du siècle sur des marchés algériens il a entendu un poème en arabe sur l'entrée des Français dans Alger » (1). Qui commence par « Alger au pouvoir des Chrétiens au culte abject. » Se poursuit par « Alger la splendide les nations ont tremblé devant elle. » Il y a d'autres vers injurieux contre « les Juifs qui se sont réjouis à nos dépens », contre les Roumis qui se sont installés dans la ville - « elle n'a plus que des immondes (sic) ». Enfin un éloge de ce « port célèbre » avec l'évocation des « captifs aux mains liées ». En finale : « Ils (les captifs) étaient des mulets (sic) mon fils » ; et en conclusion : « Les exploits d'Alger ont retenti dans les siècles passés. » Pour Desparmet qui publia ce texte dans la très officielle Revue africaine et le commenta, il s'agit là d'« une xénophobie instinctive et d'un fatalisme religieux ». Desparmet signale aussi les propos d'un Algérien de Tlemcen dans une revue du Caire : « Tant que nos enfants seront dirigés dans la droite voie de notre prophète Mahomet, la colonisation française ne triomphera pas de nous. » Il ne semble pas que tout ceci ait été pris au sérieux.

lN MEMORIAM

Le 5 juillet 1962, date officielle de l'indépendance de l'Algérie, ces forces souterraines et bien d'autres triomphent. Il faut à la hâte déménager la stèle avant qu'elle ne soit dégradée. Ce sont les paras du 3e RPIma qui s'en occupent. Les plaques, les bas-reliefs, les sculptures sont démontées. Ce qui reste, un squelette de béton dynamité, une énorme explosion. Le lendemain, les débris sont poussés dans la mer par le génie. Exit !

Après bien des péripéties et grâce à l'action des Cercles AIgérianistes et deux anciens instituteurs français d'Algérie, Roger et Hélène Brazier, le monument a été reconstitué en France (2). Installé et inauguré le 10 juin 1998 à Port Vendres, redoute Bear, Esplanade de l'Armée d'Afrique. Il lui fut ajouté un petit musée. Si vos vacances vous poussent par là, rendez-leur visite. C'est tout ce qui peut rappeler 132 ans de présence française. Dans le numéro de juin de son périodique L'Afrique Réelle (diffusé sur Internet), Bernard Lugan rend hommage à cette période en citant le livre du professeur Pierre Goinard L 'Œuvre française en Algérie, Laffont, 1986. Politiquement, on ne le sait que trop, ce fut un échec et une lourde charge financière mais sur d'autres plans, même si nous sommes à peu près les seuls à le savoir et à le dire, ce fut un bilan glorieux et positif. Mais depuis 1962, des deux côtés de la Méditerranée, l'œuvre française fut insultée, dénigrée, souillée, livrée aux chiens de l'anticolonialisme.

Jean-Paul ANGELELLI. Rivarol du 9 juillet 2010

(1) Cité d'après L'opinion française et l'Algérie de 1930. Doctorat 3e Cycle. Nanterre 1972.

(2) D'autres monuments furent sauvés. Voir le livre d'Alain Amato. « Monuments en exil », Mais fut détruit en revanche par les Algériens l'édifice en hommage à la colonisation et le splendide monument aux morts d'Alger fut coulé dans une masse de béton. Qui recouvrit les panneaux qui l'ornaient et portaient les noms de tous les soldats d'Alger morts au cours des deux guerres européennes, tant les chrétiens que les musulmans. Ce qui gênait le nouveau pouvoir.