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mardi 15 août 2023

La Gaule et les Gaulois avant César (rediif)

 Avant notre ère, le territoire compris entre les Pyrénées, les Alpes et le Rhin (France, Bénélux, Suisse et Rhénanie actuels) a une unité toute fictive et ce n'est en rien un pays de sauvages selon l'idée cultivée par les historiens du XIXe siècle…

Appelé Gallia (Gaule) par Jules César dans son célèbre compte-rendu de la guerre des Gaules, ce territoire appartient à l'immense domaine de peuplement celte qui s'étend des îles britanniques jusqu'au bassin du Danube et même jusqu'au détroit du Bosphore (le quartier de Galatasarai, à Istamboul, rappelle encore aujourd'hui la présence de Galates, cousins des Gaulois, dans la région).
Brennus, le premier Gaulois
Le nord de la péninsule italienne est lui-même baptisé Gaule cisalpine par les Romains qui n'en gardent pas de bons souvenirs… En 390 avant JC, la jeune république sénatoriale avait été assiégée par des Gaulois de cette région, les Sénones. Les habitants n'avaient dû leur salut qu'à la vigilance des oies sacrées du Capitole. Selon l'historien Tite-Live, celles-ci, par leurs cris, les avaient prévenu d'une tentative d'effraction nocturne des Gaulois.
Finalement contraints à la reddition et à un lourd tribut, les Romains avaient osé mettre en doute la fiabilité de la balance utilisée par les Gaulois pour peser l'or. Le chef gaulois, Brennus, avait alors jeté son épée sur la balance en lançant : «Vae Victis ! » (Malheur aux vaincus !).
Une unité fictive
La Gaule proprement dite est partagée entre Rome et des tribus indépendantes celtes, mais aussi ibères ou encore germaniques.
Jules César lui-même a perçu cette diversité : « La Gaule, dans son ensemble, est divisée en trois parties, dont l'une est habitée par les Belges, l'autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui dans leur propre langue, se nomment Celtes, et, dans la nôtre, Gaulois. Tous ces peuples diffèrent entre eux par la langue, les coutumes, les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par le cours de la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine. Les plus braves de tous ces peuples sont les Belges, parce qu'ils sont les plus éloignés de la civilisation et des mœurs raffinées de la Province, parce que les marchands vont très rarement chez eux et n'y importent pas ce qui est propre à amollir les cœurs, parce qu'ils sont les plus voisins des Germains qui habitent au-delà du Rhin et avec qui ils sont continuellement en guerre » (La guerre des Gaules).
Avant que le général ne débarque en Gaule, les Romains occupent déjà la partie méditerranéenne du pays, dont la capitale a été Narbonne avant de devenir Lyon. Cette région, la Gaule Narbonnaise, est aussi appelée la Province (dont nous avons fait Provence) car c'est dans l'ordre chronologique la première province de Rome !
La Gaule qui échappe à Rome est communément appelée «Gaule chevelue». En fait, ses habitants sont loin d'être tous chevelus… Ainsi, les Éduens, qui habitent au centre de l'hexagone, sont fortement influencés par la culture latine, portent les cheveux courts et s'habillent à la romaine. Les régions proches des Pyrénées sont plus précisément appelées Aquitaine ; au-delà de la Seine, elles sont appelées Belgique.
Les 64 pays gaulois («pagus») sont très différents les uns des autres et sensibles aux influences des pays riverains (Italie, Germanie, Espagne) et même plus lointains (Grèce). Certains sont des chefferies héréditaires, d'autres des républiques plus ou moins démocratiques.
Le trésor de Vix
 
 
En 1953, on a découvert à Vix, en Bourgogne, la tombe d'une princesse celte morte vers 480 avant JC.
Son trésor funéraire incluait un cratère (vase) en bronze de 1,64 mètre, originaire de l'Italie du Sud qu'on appelait alors la Grande Grèce !
Cette découverte atteste que, très tôt, les Celtes de l'hexagone, plus tard appelés Gaulois, avaient des liens commerciaux nombreux avec les civilisations de la Méditerranée
Un pays prospère et fortement peuplé
Dans son ensemble, la Gaule se caractérise par une forte densité de population. On évalue à douze millions le nombre de ses habitants, soit davantage qu'à certaines époques du Moyen-Âge.
Loin d'être un pays de forêts impénétrables uniquement peuplées de sangliers comme le laisseraient croire certaines bandes dessinées, la Gaule est en grande partie défrichée et couverte de belles campagnes comme l'atteste l'archéologie aérienne.
Ses habitants manifestent un exceptionnel savoir-faire dans l'art de l'agriculture et de l'élevage comme l'atteste un bas-relief en pierre découvert dans le bassin parisien : il montre une moissonneuse-batteuse antique, poussée par des chevaux et manoeuvrée par deux hommes ! D'ailleurs, le potentiel agricole de la Gaule compte pour beaucoup dans l'intérêt que lui portent les Romains.
Les Gaulois reviennent à la vie
En janvier 1789, à la veille de la Révolution française, l'abbé Joseph Sieyès publie un opuscule retentissant : Qu'est-ce que le tiers état ? Dans ce petit ouvrage, il présente les Gaulois et plus précisément les Gallo-Romains comme les ancêtres du tiers état (le peuple), en les opposant aux Francs, ancêtres des nobles et aristocrates.
C'est ainsi que sortent de l'ombre «nos ancêtres les Gaulois», éclipsés jusque-là par les chroniqueurs officiels qui se contentaient de relater les exploits de la monarchie et faisaient remonter celle-ci à Clovis (Ve siècle de notre ère).
Les Gaulois vont acquérir leurs lettres de noblesse avec Napoléon III ! Féru d'histoire antique, l'empereur écrit en collaboration avec Victor Duruy une biographie de Jules César et par la même occasion, se pique de passion pour Vercingétorix. Il le fait représenter sous ses traits à Alise-Sainte-Reine, lieu supposé de la bataille d'Alésia.
C'est le début d'une étrange dichotomie chez les Français cultivés qui considèrent les Gaulois comme leurs ancêtres et dans le même temps, les voient comme des sauvages que les Romains ont eu le bon goût de soumettre et civiliser… Les historiens et archéologues de la fin du XXe siècle ont fait litière de ces schémas.
La Gaule à la veille de la conquête romaine
Cliquez pour agrandir
 
Le territoire entre Rhin et Pyrénées que César appelle Gaules est composé d'environ 64 pays relativement divers et d'une unité très factice… C'est aussi un territoire fortement peuplé, aux ressources agricoles et minières abondantes…

dimanche 19 mars 2023

D'où vient la France ? Éloge des Celtes, qui ont su saisir la chance de la romanisation...

 

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Buste de César en marbre, trouvé dans le Rhône en 2008...
En janvier 2010, Éric Besson, bien pâle et bien falot ministre du très mauvais Président que fut Nicolas Sarkozy, proféra l'insanité suivante : "La France n’est ni un peuple, ni une langue, ni un territoire, ni une religion, c’est un conglomérat de peuples qui veulent vivre ensemble. Il n’y a pas de Français de souche, il n’y a qu’une France de métissage..."
Nous répondîmes aussitôt, dans ces colonnes, à cette stupidité monumentale, rappelant cette évidence : à partir du moment où l'on quitte la Préhistoire pour entrer dans l'Histoire, il y a un premier peuplement connu, identifié sûrement, dans cette terre qui s'appelle aujourd'hui "la France" : c'est le peuple Basque. Celui-ci, comme les deux tiers de l'Europe, fut comme recouvert par une immense migration : celle des Celtes, qui recouvrirent toute l'Europe de l'ouest et l'Europe centrale.
Ce sont donc les Basques, puis les Celtes, qui sont à la base même du peuple français d'aujourd'hui, qui en sont comme les fondations.
Sans savoir qu'il répondait par avance à cet ignare d'Éric Besson, Maurras évoquait, dans un article de L'Action française du 6 juillet 1912, intitulé L'Hospitalité :
"Ce pays-ci n'est pas un terrain vague. Nous ne sommes pas des bohémiens nés par hasard au bord d'un chemin. Notre sol est approprié depuis vingt siècles par les races dont le sang coule dans nos veines. La génération qui se sacrifiera pour le préserver des barbares et de la barbarie aura vécu une bonne vie."
"Vingt siècles". Nous voilà ramenés à l'époques des Celtes, précisément, et à l'époque où les Celtes entrèrent en contact avec le monde Romain (et aussi, par la Massalie, avec le monde Grec). Et l'on va voir que la romanisation du pays, induite par la conquête des Gaules menée par César, fut féconde et heureuseC'est là, à cette époque, à ce moment historique, que commence véritablement ce qui va devenir "la France"...
 
Cependant, l'éloge qu'on peut faire de la romanisation du pays serait incomplet, et même faux, si l'on excluait de l'extraordinaire réussite que fut cette romanisation... le peuple Celte.
Sans les Celtes, en effet, sans leurs grandes qualités et leur non moins grande ouverture d'esprit, la romanisation aurait été la simple conquête militaire d'un territoire - un de plus... - par les Romains, qui en ont conquis tant d'autres; mais elle n'aurait pas produit tout ce qu'elle a produit chez les Celtes, avec eux, et grâce à eux, aux côtés des Romains.

Il s'agit donc bien d'une fusion, au meilleur sens du terme, entre deux grands peuples, d'une addition de leurs qualités, en quelque sorte, et non simplement de la conquête des uns (les Celtes) par les autres (les Romains), quelles que soient les qualités intrinsèques de ces derniers et ce qu'ils apportaient de bon et de fécond...

Le trésor qu'apportaient les romains n'a pu fructifier à ce point que parce qu'il tombait sur une terre tout à fait apte et disposée à le recevoir et à le faire produire au centuple.

C'est ce que dit fort bien Jacques Bainville, dès les premières lignes de sa magistrale Histoire de France :

"La fusion des races a commencé dès les âges préhistoriques. Le peuple français est un composé. C'est mieux qu'une race. C'est une nation..."

Voilà pourquoi, à partir de Jules César, conquérant des Gaules, qui a mis rudement les deux peuples en contact, nous évoquerons d'abord, avec Jacques Bainville, l'apport romain dans cette merveilleuse fusion de deux peuples. Mais, sitôt après, nous lirons un beau texte de Charles Maurras, exaltant les vertus ancestrales et la grandeur évidente de ces Celtes, sans lesquels, redisons-le, rien de ce à quoi l'on a assisté par la suite ne se serait passé de la même façon...

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L'Arc municipal d'Orange
I : Éloge de la Romanisation (de Jacques Bainville, Histoire de France, chapitre I : Pendant 500 ans, la Gaule partage la vie de Rome) :

"...À qui devons-nous notre civilisation ? À quoi devons-nous d'être ce que nous sommes ? À la conquête des Romains. Et cette conquête, elle eût échoué, elle se fût faite plus tard, dans des conditions différentes, peut-être moins bonnes, si les Gaulois n'avaient été divisés entre eux et perdus par leur anarchie. Les campagnes de César furent grandement facilitées par les jalousies et les rivalités des tribus. Et ces tribus étaient nombreuses : plus tard, l'administration d'Auguste ne reconnut pas moins de soixante nations ou cités. À aucun moment, même sous le noble Vercingétorix, la Gaule ne parvint à présenter un front vraiment uni, mais seulement des coalitions. Rome trouva toujours, par exemple chez les Rèmes (de Reims) et chez les Eduens de la Saône, des sympathies ou des intelligences. La guerre civile, le grand vice gaulois, livra le pays aux Romains. Un gouvernement informe, instable, une organisation politique primitive, balancée entre la démocratie et l'oligarchie : ainsi furent rendus vains les efforts de la Gaule pour défendre son indépendance.

Les Français n'ont jamais renié l'alouette gauloise et le soulèvement national dont Vercingétorix fut l'âme nous donne encore de la fierté. Les Gaulois avaient le tempérament militaire. Jadis, leurs expéditions et leurs migrations les avaient conduits à travers l'Europe, jusqu'en Asie Mineure. Ils avaient fait trembler Rome, où ils étaient entrés en vainqueurs. Sans vertus militaires, un peuple ne subsiste pas; elles ne suffisent pas à le faire subsister. Les Gaulois ont transmis ces vertus à leurs successeurs. L'héroïsme de Vercingétorix et de ses alliés n'a pas été perdu : il a été comme une semence. Mais il était impossible que Vercingétorix triomphât et c'eût été un malheur s'il avait triomphé.

Au moment où le chef gaulois fut mis à mort après le triomphe de César (51 avant l'ère chrétienne), aucune comparaison n'était possible entre la civilisation romaine et cette pauvre civilisation gauloise, qui ne connaissait même pas l'écriture, dont la religion était restée aux sacrifices humains. À cette conquête, nous devons presque tout. Elle fut rude : César avait été cruel, impitoyable. La civilisation a été imposée à nos ancêtres par le fer et par le feu et elle a été payée par beaucoup de sang. Elle nous a été apportée par la violence. Si nous sommes devenus des civilisés supérieurs, si nous avons eu, sur les autres peuples, une avance considérable, c'est à la force que nous le devons.

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Voie romaine près de Vienne.

Les Gaulois ne devaient pas tarder à reconnaître que cette force avait été bienfaisante. Ils avaient le don de l'assimilation, une aptitude naturelle à recevoir la civilisation gréco-latine qui, par Marseille et le Narbonnais, avait commencé à les pénétrer. Jamais colonisation n'a été plus heureuse, n'a porté plus de beaux fruits, que celle des Romains en Gaule. D'autres colonisateurs ont détruit les peuples conquis. Ou bien les vaincus, repliés sur eux-mêmes, ont vécu à l'écart des vainqueurs. Cent ans après César, la fusion était presque accomplie et des Gaulois entraient au Sénat romain.

Jusqu'en 472, jusqu'à la chute de l'Empire d'Occident, la vie de la Gaule s'est confondue avec celle de Rome. Nous ne sommes pas assez habitués à penser que le quart de notre histoire, depuis le commencement de l'ère chrétienne, s'est écoulé dans cette communauté : quatre à cinq siècles, une période de temps à peu près aussi longue que de Louis XII à nos jours et chargée d'autant d'événements et de révolutions. Le détail, si l'on s'y arrêtait, ferait bâiller. Et pourtant, que distingue-t-on à travers les grandes lignes ? Les traits permanents de la France qui commencent à se former..."

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La maison carrée, à Nîmes

II : Éloge des Celtes (de Charles Maurras, allocution prononcée en 1939) :

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Dolmen de Saint Nectaire.

"...Notre confrère Edouard Helsey mène en ce moment, au Journal, une lucide enquête sur les égarements sincères du peuple français. Et il a touché au point vif, très juste, quand il a observé qu'il existait dans les profondeurs de notre nationalité un élément d'anarchisme qui se met en mouvement un peu plus souvent qu'à son tour.

C'est quelque chose de notre vieux fond gaulois. Ce peuple généreux, mais trop avide d'éloquence, porté à l'esprit de parti, aux divisions, aux jeux naïfs de la jalousie ou même de l'envie, n'a jamais pu s'unifier ni se discipliner, en raison de ce gros défaut.

Mais Helsey oublie une chose. C'était un peuple très intelligent, très ami de l'intelligence, très sensible aux splendeurs de la vie intellectuelle, et l'on se trompe beaucoup toutes les fois que l'on fait honneur aux seules armées de César, au seul glaive des Légions et au seul faisceau des Licteurs de leur rapide conquête assimilatrice, si forte et si profonde que l'Histoire hésite à en admettre toutes les parties. Pour la bien comprendre, il faut se représenter l'admirable ouverture d'esprit du Gaulois et aussi la magique beauté de l'apport romain; c'était la raison, et c'était la science, et c'était l'intelligence, et c'était tout l'esprit de la civilisation générale héritée de la Grèce, de l'Egypte, de l'Etrurie.

Les gaulois auraient indéfiniment résisté à la force de la Légion. Ils ne résistèrent ni à l'ordre ni à l'intelligence qui leur apportaient, avec le Droit, la Loi, avec la discipline aimée et voulue autre chose qui y ressemble : la Charité du genre humain.... Ce fut le dernier coup. Le Gaulois n'y tint plus. Il admit Rome, il la reçut chez lui, en lui. Il constitua cette brillante improvisation de l'Empire qui s'appelle le Gallo-Romain. N'était-il pas trop bien doué pour s'y dérober plus longtemps ?..."

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Bijoux gaulois (ci-dessus) et, ci-dessous,
le calendrier gaulois de Coligny : un exemple d'écriture gauloise, utilisant les caractères latins
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 ... par Charles Maurras et Jacques Bainville
 ANNEXES 
I : L'opinion concordante de François-Guillaume Lorrain et Jean-Louis Brunaux, dans Le Point :
Rendons à César...
...ce que la Gaule lui doit.
Ce printemps, un ouvrage ("1940", Ed. Tallandier) imaginait le sort de la France si elle avait continué à se battre en 1940.
Qu'en serait-il de notre pays si, à l'âge de 42 ans, le proconsul Caius Julius Caesar n'avait pas, en 58 avant J.C., mis le pied avec ses légions en Gaule chevelue ? 
César, sans la Gaule, ne serait sans doute pas devenu César, mais la Gaule, sans César, aurait à coup sûr raté le coche d'une première unification et d'une révolution culturelle, politique, urbaine et religieuse. Elle aurait surtout été, et c'est la thèse passionnante défendue ici par Jean-Louis Brunaux, balayée par les envahisseurs germains.
Le rôle de César, involontaire et indirect, aura donc été celui d'un conservateur, qui accéléra une romanisation déjà en cours de la Gaule et la fit basculer à tout jamais dans la sphère méditerranéenne.
Comme pour nous rappeler cette dette, son buste repêché par Luc Long a resurgi, tel un fantôme, des tréfonds du Rhône. Les traits marqués d'une noble énergie.
Ave Caesar !
II : pour aller plus loin sur le sujet...

Les Basques puis les Celtes constituent les premiers peuplements connus de la Gaule, qui allait devenir la France. Sur ces deux populations premières vint se greffer l'influence décisive des Grecs et des Romains : voilà pourquoi nous évoquons largement, dans nos Éphémérides, les pages fondatrices de notre identité profonde que nous devons à l'Antiquité : voici le rappel des plus importantes d'entre elles, étant bien entendu qu'un grand nombre d'autres Éphémérides traitent d'autres personnalités, événements, monuments etc... de toute première importance dans le lente construction du magnifique héritage que nous avons reçu des siècles, et qui s'appelle : la France...

En réalité, si la conquête de la Gaule était nécessaire à César pour sa prise du pouvoir à Rome, il faut bien admettre que "le divin Jules" avait été appelé à l'aide, en Gaule, par les Gaulois eux-mêmes, incapables de s'opposer au déplacement massif des Helvètes, quittant leurs montagnes - en 58 avant J.C - pour s'établir dans les riches plaines du sud ouest; César vainquit les Helvètes à Bibracte (voir l'Éphéméride du 28 mars); cinq mois plus tard, envahis par les Germains d'Arioviste, les Gaulois le rappelèrent une seconde fois : César vainquit et refoula les Germains au-delà du Rhin (voir l'Éphéméride du 5 août); et, cette fois-ci, auréolé de ses deux prestigieuses victoires, et gardant plus que jamais en tête son objectif premier (la conquête du pouvoir à Rome), César ne voulut plus se retirer de cette Gaule où on l'avait appelé, et dont la conquête serait le meilleur tremplin pour ses ambitions politiques à Rome... Il fallut six ans à Vercingétorix pour fédérer les divers peuples de Gaule contre le sauveur romain : le soulèvement général commença par le massacre des résidents romains à Cenabum (l'actuelle Orléans), en 52 (voir l'Éphéméride du 23 janvier); le 28 novembre de la même année, Vercingétorix remporta la victoire de Gergovie (voir l'Éphéméride du 28 novembre); mais, moins d'un an après, enfermé dans Alésia, Vercingétorix vécut l'échec de l'armée de secours venue à son aide de toute la Gaule (voir l'Éphéméride du 20 septembre) : il capitula une semaine après (voir l'Éphéméride du 27 septembre). Emmené captif à Rome, il fut mis à mort six ans plus tard, en 46 (voir l'Éphéméride du 26 septembre)...

Cependant, dans sa conquête des Gaules, César n'eut pas seulement à lutter contre les tribus gauloises proprement dites : il s'opposa également à Massalia, puissance amie et alliée de Rome, mais qui ne voulut pas choisir entre César et Pompée lorsque la guerre civile éclata entre ceux-ci : César réduisit Massalia, mais avec difficulté (voir nos trois Éphémérides des 19 avril, 27 juin et 31 juillet)...

http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2022/03/14/grabd-texte-48-d-ou-vient-la-farnce-eloge-des-celtes-par-mau-6371219.html

vendredi 4 novembre 2022

Ecologie et spiritualité : Jules César et la destruction de la forêt gauloise – par Nicolas Bonnal

 

La destruction du monde ne date pas d’hier. La destruction des bois et des forêts a été maintes fois commentée dans l’Antiquité, notamment par Ovide.

« Les pins abattus sur les montagnes n’étaient pas encore descendus sur l’océan pour visiter des plages inconnues. Les mortels ne connaissaient d’autres rivages que ceux qui les avaient vus naître. Les cités n’étaient défendues ni par des fossés profonds ni par des remparts. »

L’âge d’or: quand on ne touche pas aux forêts? 

Car l’âge d’or, c’est quand on ne touche pas aux forêts. La dimension sacrée, si présente dans la Norma de Bellini, est aussi soulignée par Tacite dans sa Germanie. J’évoquerai les splendeurs d’Ovide une autre fois (c’est le poète qu’on nous fit le plus rater à l’école…).

Grâce à une page de l’historien des celtes Venceslas Kruta, j’ai enfin découvert la Pharsale de Lucain, rival et martyr de Néron. Comme chez Tolkien, on y trouve un bois sacré que va détruire César. Il est situé près de Massilia, ville alors phocéenne et prestigieuse pour sa résistance à César.

La forêt sacrée évoquée par Lucain

Je laisse la parole à Lucain (Pharsale, chant III, vers 400-430 environ) : « Non loin de la ville était un bois sacré, dès longtemps inviolé, dont les branches entrelacées écartant les rayons du jour, enfermaient sous leur épaisse voûte un air ténébreux et de froides ombres. Ce lieu n’était point habité par les Pans rustiques ni par les Sylvains et les nymphes des bois. Mais il cachait un culte barbare et d’affreux sacrifices. Les autels, les arbres y dégouttaient de sang humain ; et, s’il faut ajouter foi à la superstitieuse antiquité, les oiseaux n’osaient s’arrêter sur ces branches ni les bêtes féroces y chercher un repaire ; la foudre qui jaillit des nuages évitait d’y tomber, les vents craignaient de l’effleurer. Aucun souffle n’agite leurs feuilles ; les arbres frémissent d’eux-mêmes. »

La forêt est fascinante et périlleuse. Mais vivante.

Lucain poursuit : « Des sources sombres versent une onde impure ; les mornes statues des dieux, ébauches grossières, sont faites de troncs informes ; la pâleur d’un bois vermoulu inspire l’épouvante. L’homme ne tremble pas ainsi devant les dieux qui lui sont familiers. Plus l’objet de son culte lui est inconnu, plus il est formidable. »

Chez Dante aussi il y a des arbres qui saignent en enfer. Je cite mon livre sur Tolkien : 

« Comme on aura compris, Dante arrive donc avec Virgile dans une forêt très obscure (nous sommes au chant XIII de l’Enfer). Dans un univers encore plus terrifiant, il dialogue avec des arbres, et il comprend le drame sanglant de ces troncs qui sont des âmes de suicidés punis : « Ainsi que le bois vert pétille au milieu des flammes, et verse avec effort sa sève qui sort en gémissant, de même le tronc souffrant versait par sa blessure son sang et ses plaintes. Immobile, et saisi d’une froide terreur, je laisse échapper le rameau sanglant… Quand une âme furieuse a rejeté sa dépouille sanglante, le juge des Enfers la précipite au septième gouffre : elle tombe dans la forêt, au hasard ; et telle qu’une semence que la terre a reçue, elle germe et croît sous une forme étrangère. Arbuste naissant, elle se couvre de rameaux et de feuilles que les harpies lui arrachent sans cesse, ouvrant ainsi à la douleur et aux cris des voies toujours nouvelles… Chacune traînera sa dépouille dans cette forêt lugubre, où les corps seront tous suspendus : chaque tronc aura son cadavre (chant XIII de l’Enfer)… »

On repart sur Lucain (toujours cet étonnant chant III de la Pharsale) : « Les antres de la forêt rendaient, disait-on, de longs mugissements ; les arbres déracinés et couchés par terre se relevaient d’eux-mêmes ; la forêt offrait, sans se consumer, l’image d’un vaste incendie ; et des dragons de leurs longs replis embrassaient les chênes. Les peuples n’en approchaient jamais. Ils ont fui devant les dieux. Quand Phébus est au milieu de sa course, ou que la nuit sombre enveloppe le ciel, le prêtre lui-même redoute ces approches et craint de surprendre le maître du lieu. »

On a ainsi les dragons et l’Apollon hyperboréen.

Sacrilège Jules César

Mais survient César (lisez la Vie de Suétone pour rire un peu de lui). Il va agir comme le Saroumane de Tolkien, comme un agent du Mordor : « Ce fut cette forêt que César ordonna d’abattre, elle était voisine de son camp, et comme la guerre l’avait épargnée, elle restait seule, épaisse et touffue, au milieu des monts dépouillés. »

Les hommes de César hésitent car on respecte alors encore un peu la forêt.

« À cet ordre, les plus courageux tremblent. La majesté du lieu les avait remplis d’un saint respect, et dès qu’ils frapperaient ces arbres sacrés, il leur semblait déjà voir les haches vengeresses retourner sur eux-mêmes. »

César prend même le risque de défier les divinités et de se maudire pour détruire le bois sacré : « César voyant frémir les cohortes dont la terreur enchaînait les mains, ose le premier se saisir de la hache, la brandit, frappe, et l’enfonce dans un chêne qui touchait aux cieux. Alors leur montrant le fer plongé dans ce bois profané : “Si quelqu’un de vous, dit-il, regarde comme un crime d’abattre la forêt, m’en voilà chargé, c’est sur moi qu’il retombe”. Tous obéissent à l’instant, non que l’exemple les rassure, mais la crainte de César l’emporte sur celle des dieux. »

On a détruit la littérature latine à l’école….

Lucain oublie les sacrifices humains et redevient lyrique : « Aussitôt les ormes, les chênes noueux, l’arbre de Dodone, l’aune, ami des eaux, les cyprès, arbres réservés aux funérailles des patriciens, virent pour la première fois tomber leur longue chevelure, et entre leurs cimes il se fit un passage à la clarté du jour. Toute la forêt tombe sur elle-même, mais en tombant elle se soutient et son épaisseur résiste à sa chute. À cette vue tous les peuples de la Gaule gémirent… le laboureur consterné vit dételer ses taureaux, et, obligé d’abandonner son champ, il pleura la perte de l’année. »

Mais le destin malheureux de la forêt sacrée est de toute manière fait de destruction : « Les bois sacrés tombent, dit Lucain, et les forêts sont dépouillées de leur force… » (Procumbunt nemora et spoliantur robore silvae)

Notre Ronsard s’en souviendra à sa gentille manière scolaire (Écoute bûcheron…).

On citera le magicien Tacite pour terminer : « Emprisonner les dieux dans des murailles, ou les représenter sous une forme humaine, semble aux Germains trop peu digne de la grandeur céleste. Ils consacrent des bois touffus, de sombres forêts ; et, sous les noms de divinités, leur respect adore dans ces mystérieuses solitudes ce que leurs yeux ne voient pas » (« lucos ac nemora consecrant, deorumque nominibus appellant secretum illud, quod sola reverentia vident… »).

Il y a la destruction de la forêt gauloise, et aussi de la littérature romaine à l’école…

Bibliographie

Bonnal – Le salut par Tolkien, Avatar, p. 96.

Dante – Enfer, chant XIII.

Kruta – Les Celtes, histoire et dictionnaire, « Bouquins » Robert Laffont.

Lucain – La Pharsale, III (sur Remacle.org).

Ovide – Les métamorphoses, I (ebooksgratuits.com).

Suétone – Vie de César (sur Wikisource).

Tacite – Germanie, IX.

https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/11/03/ecologie-et-spiritualite-jules-cesar-et-la-destruction-de-la-foret-gauloise-par-nicolas-bonnal/

mercredi 14 septembre 2022

Les secrets de la Rome antique (Eric Teyssier)

 

Les secrets de la Rome antique

Eric Teyssier dirige le département d’histoire à l’université de Nîmes. Spécialiste de la Rome antique, il est l’auteur de plusieurs livres consacrés à cette période.

Les origines d’une cité antique se perdent souvent dans la nuit des temps, là où naissent les légendes. Celle de Rome remonte au début du VIIIème siècle avant Jésus-Christ. Eric Teyssier analyse les mythes fondateurs de Rome, la légende de Rémus et Romulus, l’enlèvement des Sabines,…

Le lecteur observera avec intérêt comment Rome a assimilé les Gaulois qui l’ont envahie. Leurs ancêtres ont assiégé le Capitole, leurs aïeuls ont combattu les légions de Rome et menacé le grand César devant Gergovie et Alésia mais l’armée romaine a été un puissant vecteur de romanisation grâce aux troupes auxiliaires. Distinctes de la légion, ces unités sont essentiellement constituées de « pérégrins ». Ces hommes libres s’enrôlent dans les cohortes d’infanterie ou les ailes de cavalerie qui portent le nom d’un peuple et conservent un recrutement régional. Les Gaulois sont nombreux à constituer ces corps de troupe où la durée de l’engagement est plus longue que dans la légion romaine avec une solde moins importante. Pourtant, le service dans ces unités demeure attractif, car à l’issue de son contrat l’auxiliaire reçoit la citoyenneté romaine avec tous les privilèges liés à ce statut. En dehors de ces militaires, les mesures prises dans le cadre de la Pax Romana organisent la diffusion du mode de vie romain accompagnée d’une acculturation qui rattachent lentement mais sûrement les populations les plus diverses à l’Empire de Rome.

Une part de la puissance de Rome provient incontestablement de la qualité des serviteurs de l’Etat. Même sous l’Empire, ces derniers s’efforcent de correspondre à l’archétype du Romain idéal dont les vertus cardinales sont la dignitas et l’auctoritas. Que l’empereur soit bon ou mauvais, des générations de généraux et de gouverneurs de province se sont confirmées avec plus ou moins de succès à ce modèle.

Eric Teyssier réussit avec cet ouvrage à nous montrer les secrets du succès de l’Empire romain et de sa pérennité durant cinq siècles.

Les secrets de la Rome antique, Eric Teyssier, éditions Perrin, 330 pages, 21,90 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/les-secrets-de-la-rome-antique-eric-teyssier/52480/

samedi 14 mai 2022

SPQR -Histoire de l’Ancienne Rome (Mary Beard)

 

spqr

Mary Beard, professeur à Cambridge et conseillère de la BBC pour ses émissions historiques, est l’auteur de nombreux livres consacrés à l’Antiquité.

Aujourd’hui encore, après deux mille ans, la Rome antique continue d’influencer la culture et la politique occidentales. L’assassinat de Jules César a fourni le modèle de tous les tyrannicides. L’organisation du territoire impérial romain est sous-jacente de la géographie politique de l’Europe. C’est principalement parce que les Romains firent de Londres la capitale de leur province de Bretagne qu’elle est aujourd’hui celle du Royaume-Uni.

Rome nous a légué certaines conceptions de la liberté et de la citoyenneté, mais aussi une idée de ce qu’est l’impérialisme. Nous avons également reçu d’elle une partie de notre vocabulaire, puisque nous parlons toujours de sénateurs et de dictateurs. Nous lui devons des adages comme Là où il y a de la vie, il y a de l’espoir. Les gladiateurs ne faisaient pas moins d’entrées dans l’arène, qu’aujourd’hui au cinéma.

Convaincue que l’histoire romaine continue de nous être utile, Mary Beard tente d’expliquer comment un petit village parfaitement ordinaire du centre de l’Italie a pu devenir une puissance à ce point dominante, exerçant son autorité sur un vaste territoire déployé à travers trois continents.

Beaucoup a déjà été écrit à ce sujet mais ce livre tient compte de la succession extraordinaire de découvertes – sous terre, sous l’eau, et même dans les bibliothèques –  faites au cours des dernières décennies pour dresser un tableau complet de cette ancienne Rome, toujours fascinante.

SPQR – Histoire de l’Ancienne Rome, Mary Beard, éditions Perrin, 592 pages, 26 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

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jeudi 16 décembre 2021

Vercingetorix, chef de guerre (Alain Deyber)

Alain Deyber est spécialiste d’histoire militaire et d’archéologie des champs de bataille. Ancien officier, il a été rédacteur au Service Historique de la Défense et professeur d’histoire militaire aux Ecoles de Saint-Cyr-Coëtquidan.

Le personnage de Vercingetorix  » chef de guerre  » a peu retenu l’attention des auteurs, bien moins que le célèbre siège d’Alesia où il fut vaincu. Alain Deyber tente avec ce livre de montrer comment Vercingetorix se forma à l’art de la guerre, la façon dont il constitua et entraîna son armée, quelle fut sa conception de la guerre et sa manière de la conduire, et pourquoi, si proche de la victoire, il fut finalement vaincu par César.

L’auteur de ce livre, spécialiste de la stratégie, la tactique et le combat qui avaient cours à cette époque en Gaule, démontre que les Celtes en général et les Gaulois en particulier connaissaient les grands principes de la guerre et les paramètres de la manœuvre, bien loin des stéréotypes entretenus sur le sujet.

Vercingetorix, chef de guerre, Alain Deyber, éditions Lemme, 222 pages, 22 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

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mardi 10 novembre 2020

Redécouvrir la bataille d'Alésia

 

Alésia, connaît pas ? Nul ne pourra plus le prétendre après avoir lu le livre que Yann Le Bohec a consacré à cette bataille célèbre, après laquelle nos ancêtres les Gaulois devinrent peu à peu gallo-romains.

Encore Alésia !… N'a-t-on pas déjà tout dit sur la fameuse bataille de ce début du mois d'octobre 1952 avant J.-C, qui opposa le chef arverne Vercingétorix aux armées romaines de César ? Il semble que non et le spécialiste de l'Antiquité Yann Le Bohec vient nous le prouver dans un admirable petit livre publié dans la collection L'Histoire en batailles des éditions Tallandier.

Dans un premier temps, l'historien prend en compte les derniers résultats des recherches archéologiques réalisées dans les années 1990 sur le Mont Auxois, résultats qui ont bouleversés une historiographie tributaire le plus souvent d'éléments datant de l'époque du Second Empire ! Depuis, bien évidemment, la recherche a progressé. À ce titre, l'Académie des Inscriptions et des Belles Lettres a réalisé récemment un énorme travail(1) salué par Le Bohec, mais dont l'épaisseur (plus de mille pages), en découragera beaucoup.

Spécialiste d'histoire militaire(2) Le Bohec réhabilite aussi l'histoire bataille, un genre complètement délaissé pendant des décennies par l'histoire marxiste. La particularité de son étude réside non seulement dans la prise en compte, somme toute traditionnelle, de la décision des autorités militaires et politiques, mais aussi dans la connaissance du simple soldat dont le rôle fut naturellement décisif. L’auteur rouvre et relit par ailleurs la fameuse Guerre des Gaules de César, en rappelant néanmoins que ce texte reste avant tout une écriture de propagande visant à entretenir la gloire et mettre en valeur l'action du conquérant romain.

Déjà le syndrome du gendarme

L’avantage de cet ouvrage est enfin de sortir d'une controverse, celle de la localisation des événements. Pendant longtemps, l'historiographie s'est trop attaché à savoir où avait eu lieu cette bataille fondatrice de la romanité en Gaule. Autre aspect largement étudié pendant trop longtemps, les techniques de siège ont, elles aussi, accaparé les chercheurs au point d'en oublier l'essentiel. Bref, Le Bohec, non sans humour, fuit la spécialisation afin de revenir au principal la bataille en elle-même, des origines du conflit aux conséquences de la victoire de César.

Ce n'est pas le moindre avantage de ce livre que de nous présenter les ressorts psychologiques qui présidèrent au conflit entre le chef gaulois et le proconsul romain. Il faut rappeler que les Gaulois avaient laissé un mauvais souvenir au peuple romain des origines. Dans les mémoires, les Gaules étaient synonymes de pillage et de misère. Ces peuples du Nord étaient, en quelque sorte, des « ennemis héréditaires. » Les hommes de l'époque, explique Le Bohec, « se trouvaient aussi pris dans un monde où le choix était simple, obéir ou commander on devine ce que préféraient les Romains. Par ailleurs, la guerre résulte d'un enchaînement après une conquête, une autre conquête, puis une autre, et ainsi de suite. Enfin, Rome dominait une grande partie du monde de son temps, et en avait conçu une attitude qui découlait de cette position le Sénat se sentait responsable de l'ordre du monde, c'est-à-dire du monde méditerranéen c 'était le syndrome du gendarme. » À l'heure des élections américaines, nous ne saurions que trop recommander la lecture de cet ouvrage…

1). M. Reddé & S.Von Schnurbein dir., Alésia. Fouille et recherches franco-allemandes sur les travaux militaires romains autour du Mont-Auxois (1991-1997). Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,! XXII, 3 vol., De Boccard,Paris,2001

2). Cf. notamment, du même auteur, L'armée romaine dans la Tourmente, aux éditions du Rocher consacré à la crise militaire du IIIe siècle.

Yann Le Bohec, Alésia, 52 avant J.-C., coll. L'Histoire en batailles, Editions Tallandier 221 p.

Christophe Mahieu monde&vie 10 novembre 2012 n°867

lundi 7 septembre 2020

Quand l’histoire fait dates : -52 Alésia

 La défaite d’Alésia, en 52 avant J.-C., met fin à la guerre des Gaules, immortalisée par son vainqueur, Jules César. Année zéro de notre roman national, la bataille d’Alésia est devenue l’acte fondateur d’une unité gauloise improbable, personnalisée par un héros impossible, Vercingétorix. Mais cette séquence militaire ne constitue en réalité qu’un acte de pacification de provinces gauloises, alors largement romanisées depuis deux siècles au moins. Les Gaulois étaient-ils des Gréco-Romains comme les autres ? 


https://www.fdesouche.com/2020/09/06/quand-lhistoire-fait-dates-52-alesia/

jeudi 31 août 2017

Caius Julius Caesar, le premier grand populiste romain

Jules-Cesar.jpgAppartenant à la très aristocratique gens Julii (où l’on prétend être issu de Vénus), il est, par sa mère, le neveu d’un très grand chef de guerre, Caius Marius, le vainqueur des Cimbres du Jutland, des Teutons des rivages méridionaux de la Baltique, des Maures et des Noirs de Numidie (le Maghreb occidental). Marius fit œuvre de populiste : il ouvrit largement l’accès au corps des officiers aux plus valeureux des légionnaires d’origine obscure (des plébéiens pauvres) et ordonna une équitable distribution des terres conquises entre tous les soldats parvenus à leur « congé honorable ».
Il fut le créateur d’un symbole populiste destiné à défier les siècles. Durant la guerre qui l’opposa, à la fin du IIe siècle, aux sénateurs, dirigés par son ex-chef d’état-major Lucius Cornelius Sylla, il rassembla ses partisans par le logo de la botte de foin plantée sur un pilum. Leur guerre, durant laquelle ni l’un ni l’autre n’hésita devant le franchissement du modeste Rubicon ni ne recula devant le pillage des demeures romaines des adversaires, fut le prélude d’un siècle de guerres civiles qui ne se terminèrent que par la victoire, en – 30, d’Octave, héritier et neveu de César.

dimanche 16 avril 2017

L’archéologie française à nouveau en pleine dérive idéologique

Laurent Chalard, Géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs
La mise en avant médiatique fin février 2016 par l’Inrap de la découverte inédite de tombes musulmanes à Nîmes, datées du VIII° siècle de notre ère, serait révélatrice, selon un de ses promoteurs, d’une coexistence choisie entre musulmans et chrétiens.
Elle témoigne d’une interprétation de l’histoire de plus en plus en vogue dans le milieu archéologique, qui insiste sur la cohabitation pacifique dans le passé entre différentes cultures ou peuples, les invasions étant perçues comme des événements rarissimes et, somme toute, presque sympathiques ! D’ailleurs, l’emploi du terme « antiquité tardive » pour désigner la fin de l’empire romain est un moyen de nier le caractère catastrophique de son effondrement, contrairement à la perception ressentie par les contemporains, probablement aveuglés par leur haine des « gentils » barbares qui venaient les massacrer…
Il s’ensuit que la vision de l’histoire des archéologues (et de certains historiens) français ressemble de plus en plus au «monde des Bisounours», comme s’ils étaient atteints par une maladie, le «syndrome maya».
En effet, l’archéologue britannique dominant des études mésoaméricaines de la première moitié du XX° siècle, John Eric Thompson, marqué par le conflit de la première guerre mondiale auquel il avait participé, voulait absolument voir dans la société maya une société de savants pacifistes. Or, ce présupposé s’est avéré totalement erroné une fois l’écriture maya déchiffrée, qui a démontré que, comme toutes les autres sociétés humaines, la guerre y régnait en permanence.
Les archéologues français devraient grandement réfléchir à cet exemple car les conclusions de leurs travaux sont très fragiles. En l’absence de textes, les invasions sont difficilement identifiables dans le sol. Par exemple, si le texte de Jules César sur la guerre des Gaules ne nous était pas parvenu, il aurait été très compliqué de déterminer le caractère violent de l’arrivée des romains en Gaule Chevelue, étant donné l’adoption progressive de l’urbanisme et du mode de vie méditerranéen par les Gaulois. Les amphores romaines sont déjà largement présentes un siècle avant la conquête et un bâtiment construit à la romaine (avec tuiles et enduits peints), découvert en 1992 rue du Souvenir dans le quartier de Vaise à Lyon, a vu son début d’occupation daté de la première moitié du II° siècle avant notre ère. Puis, après la conquête, l’architecture à la romaine ne s’est imposée que quelques dizaines d’années plus tard, l’architecture gauloise étant encore largement dominante à l’époque augustéenne, et l’abandon des oppida s’est fait petit à petit. Les témoignages d’une conquête extrêmement brutale en un laps de temps limité, très difficilement mis au jour avec le texte césarien, n’auraient probablement jamais été retrouvés sans lui !
De même, les invasions normandes, qui se sont déroulées quelques siècles plus tard, n’ont quasiment laissé aucune trace, en-dehors de la toponymie. Pourtant, ces incursions violentes furent un traumatisme certain pour les contemporains et les normands sont à l’origine de la formation d’une entité administrative spécifique de notre territoire, la Normandie. Plus globalement, l’archéologie des migrations a toujours constitué un maillon faible de la discipline en l’absence de sources écrites car il apparaît très difficile de savoir si les changements culturels liés à l’apparition de nouveaux artefacts sont le produit d’un changement de population ou de la diffusion d’une innovation au sein de peuples
En conséquence, l’utilisation actuelle de l’archéologie à des fins idéologiques, qui repose sur un calque sur le passé d’une vision d’une société multiculturelle non conflictuelle, est grandement inspirée par la représentation, tout à fait défendable par ailleurs, que leurs promoteurs ont de la société française actuelle. Cette prise de position montre que cette discipline n’a toujours pas tiré les conséquences des errances de son passé, que furent son caractère nationaliste au XIX° siècle, la collaboration avec le nazisme pendant la seconde guerre mondiale ou le marxisme au moment de la guerre froide.
Aujourd’hui, la discipline suit une dérive pacifiste, qui est profondément regrettable, dans un contexte d’avancées considérables, qu’il convient de saluer.
En effet, grâce aux travaux de l’archéologie préventive, nous savons désormais que le paysage français que nous connaissons aujourd’hui s’est mis en place dès le néolithique, que le niveau de développement des gaulois n’étaient pas aussi bas que l’historiographie du XIX° siècle avait voulu nous le faire croire dans une perspective (elle aussi) idéologique, ou encore que le Moyen Age ne fut pas aussi obscur, voire parfois déjà très moderne, comme l’ont montré les travaux de Joëlle Burnouf et Isabelle Catteddu.
Or, le maintien d’une posture idéologique pacifiste systématique dans l’interprétation de données très parcellaires risque de remettre en cause certaines conclusions incontestables, du fait de la méfiance inspirée pour l’ensemble de la discipline consécutive de cette dérive. Les archéologues français doivent donc faire très attention à leurs interprétations quand elles manquent de solidité, en gardant toujours en tête que les conflits laissent peu de traces dans le sol, ce qui sous-entend que leur discipline n’est pas la plus apte à aborder la question.
Laurent Chalard 14/04/2017
Source : Meta mag.fr

mardi 5 janvier 2016

Retour sur "Le dernier Gaulois"

France 2 nous proposait, en première partie de soirée et pendant la période des fêtes, un docu-fiction franco-belge intitulé « Le dernier Gaulois ». Nous ne pouvons que saluer l'initiative, d'autant plus que ce reportage ne fut pas le prétexte à un intense moment de propagande dont la télévision est pourtant un vecteur majeur. C'est déjà un point positif.
Réalisé essentiellement en « motion capture » et donc en 3D, il nous faisait vivre la fin d'une civilisation, celle des Gaulois, à travers un personnage, Apator, vieux chef Eduen. Je regrette pour ma part qu'une plus large place n'ait pas été réservée à l'archéologie expérimentale et à la reconstitution historique, où vêtements et objets sont reproduits fidèlement. Cela permet une plus grande authenticité et une meilleure immersion.
Le reportage passe en revue un grand nombre d'aspects de la civilisation gauloise : habitat, artisanat, activité guerrière, rôle de la femme ou encore assemblées politiques et divisions. Il s'inscrit dans un mouvement de revalorisation des Gaulois qui ont oscillé entre les caricatures du roman national et celles de tous ceux qui à l'inverse méprisent notre histoire. A l'instar des populations du Haut Moyen-Âge, en en particulier des Francs et des « Vikings », les études archéologiques et historiques nous permettent de porter un regard bien plus favorable sur ces peuples gaulois qui pratiquaient peu l'écrit. On y découvre alors un véritable artisanat de qualité et une organisation sociale complexe qui n'a rien à envier – ou presque – à ses voisins romains. Ils leur sont proches au moins par la géographie et une origine commune, indo-européenne. Le commerce est florissant entre Romains et Gaulois, en particulier dans la vallée du Rhône, de la Saône, et les Romains introduisent la vigne. De leur côté les Gaulois inventent le tonneau, ce qui est un véritable progrès par rapport aux amphores grecques et romaines, très fragiles. On notera que le reportage fait l'impasse sur les contacts encore plus anciens des Gaulois avec le monde grec. La cité de Phocée ayant par exemple fondée des colonies aux VIIeme et VIeme siècles av. JC comme Nikaia (Nice), Massalia (Marseille) ou encore Agathé Tychè (Agde). On prête également des contacts entre druides et savants grecs. Du côté des Romains, c'est vers Cicéron qu'il faudrait chercher pour trouver des éloges envers les druides.
Le reportage se focalise sur la période de la guerre des Gaules (entre 58 et 52 av. JC), dont la principale source écrite est l’œuvre éponyme rédigée par Caius Julius Caesar. Ce dernier est alors pro-consul en Gaule narbonnaise, territoire contrôlé par Rome depuis la fin des guerres puniques contre Carthage. Un proconsul est un ancien consul (le plus haut magistrat romain) qui est amené à gérer un province à la fin de sa magistrature. On parlerait actuellement de gouverneur. Au-delà du « Dernier Gaulois », ce reportage est aussi l'occasion de s'apercevoir du génie politique et surtout militaire de Jules César, presque inégalé jusqu’à Napoléon. Certes, César valorise ses adversaires pour augmenter son prestige, mais il est toutefois attesté que les différents peuples gaulois furent des adversaires redoutables pour les Romains. Le souvenir de la victoire de Brennus est resté douloureux dans les mémoires romaines. Malheureusement pour eux, les Gaulois sont à l'époque de la guerre des Gaules rongés par les luttes intestines et Rome exerce une véritable fascination pour une partie de leurs élites. Ils ne purent pendant ces six années offrir une opposition solide, ce qui ne les empêche pas de vaincre les Romains à Gergovie avant d'échouer à Alésia. Nous apprécions que le reportage mentionne que Vercingétorix a servi au côté de César, nous regretterons cependant que cet aspect n'ait pas été plus expliqué. César apparaît dans le reportage comme froid et cynique, n'hésitant pas à massacrer vieillards, femmes et enfants et à humilier les aristocrates gaulois. C'est un homme avide de pouvoir dans sa lutte contre Crassus et Pompée qui va parvenir à dominer toute la Gaule (oui toute, même les villages d'Armorique !) et pénétrer en Bretagne.
Sur ce point, on pourra toujours s'interroger. Le caractère des personnages participe plus de la narration que de la réalité. Ce n'est pas le seul élément discutable du reportage. Outre l'absence d'explication sur le « retournement » de Vercingétorix, le reportage ne fait que peu de cas de la cavalerie gauloise, la meilleure de son temps. Il est peut-être un peu caricatural sur le rôle de la femme. Certes, il était nécessaire, et nous ne nous en plaindrons pas, de rappeler que la femme gauloise avait un rôle sociale plutôt favorable, surtout si on la compare à d'autres cultures, y compris de nos jours. Mais cela manque peut-être un peu de nuance. Quant au passage sur le gaulois étreignant une femme avec un mot grivois, il était totalement dispensable... La diversité des peuples n'est pas non plus très marquée. A diverses reprises le narrateur, Clovis Cornillac, nous parle de diversité dans les panthéons, mais les dieux ne sont presque jamais mentionnés, sauf dans le cadre des batailles avec Taranis et Teutates. L'Aquitaine est par ailleurs complètement oubliée, quid des Vascons de Novempopulanie qui occupent une partie non négligeable de la Gaule ?
Au terme de ce reportage, nous pouvons toutefois tirer quelques leçons d'histoire. La liberté défendue par Vercingétorix ou Apator - celle de rester un ensemble de peuples distincts pouvant vivre en bonne intelligence avec l'empire romain - est très noble, mais elle montre la difficulté de résister face à une puissance organisée, déterminée et qui parvient à séduire une partie des élites adverses. Il apparaît assez clairement qu'une partie des élites gauloises se laisse séduire par le commerce et qu'elle voit surtout ses intérêts immédiats dans ce domaine. Cela nous rappellerait presque nos élites actuelles… Presque... Nous savons désormais de façon certaine que la romanisation fut avant tout un processus de séduction, contrairement à l'idée jadis en vogue selon laquelle Rome aurait imposé son mode de vie. C'est un long processus d'acculturation et d'adoption des mœurs romaines (comme les tria nomina ou la toge) qui fera des Gaulois des Romains à part entière. Paradoxe lorsqu'on étudie dans le même temps l'hellénisation des élites romaines.
A l'heure de la faillite de notre système d’assimilation (qu'on s'en réjouisse ou qu'on le regrette n'est pas le sujet ici), ces questions identitaires et culturelles ne sont pas négligeables. Le reportage conclut en disant que les Gaulois deviennent des « gallo-romains », mais cette expression est aujourd'hui contestée et traduit l’ambiguïté de la dimension identitaire à cette époque. En effet, être Romain, ce n'est plus simplement être issu de la ville de Rome, mais être un citoyen de l'ensemble politique dirigé par Rome. Ce n'est plus l'ethnie qui définit seule l'identité, mais l'appartenance à un ensemble culturel et politique. Au final, le titre est bien choisi, car sans que les contemporains en aient conscience, Alesia a scellé le sort d'une civilisation mais peut-être aussi d'une conception de l'identité et de la citoyenneté.

Jean/C.N.C.

mardi 20 mai 2014

Site d’Alésia : admettons la vérité !

FIGAROVOX - Le site de la bataille d’Alésia n’est pas en Bourgogne, mais dans le Jura, plaide cette semaine notre chroniqueur Franck Ferrand.
Journaliste, écrivain et conférencier, Franck Ferrand consacre sa vie à l’Histoire.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Le dictionnaire amoureux de Versailles (Plon, 2013). Ce surdoué anime Au coeur de l’Histoire chaque jour sur Europe 1 et L’Ombre d’un doute chaque mois sur France 3 en première partie de soirée.
L’ouvrage collectif que je viens de préfacer, aux éditions Pygmalion, sous la direction de Danielle Porte, est de ceux qu’on a longtemps attendus, et qu’on déguste ligne à ligne, empli de gratitude envers les auteurs. Enfin, voici répertoriés tous les travers, tous les défauts, toutes les tares de l’Alésia officielle, sise en Bourgogne, en Côte-d’Or, sur la commune d’Alise-Sainte-Reine.
« Depuis un siècle et demi, de nombreux savants, dont certains de grand poids, se sont manifestés pour dénoncer au mieux une erreur, au pire une supercherie. »
Depuis un siècle et demi - depuis que Napoléon III, par la grâce d’un décret impérial, a décidé que l’on situerait la victoire de Rome sur les Gaules en Bourgogne, dans le pays des anciens Eduens - de nombreux savants, dont certains de grand poids, se sont manifestés pour dénoncer au mieux une erreur, au pire une supercherie. Leurs arguments sont de trois ordres :
- d’abord, ils font remarquer que le site bourguignon du Mont Auxois ne correspond en rien - en rien ! - à la description détaillée qu’en donna Jules César, au Livre VII de sa Guerre des Gaules ; 
- ensuite, ils soulignent les incohérences et les invraisemblances de ce site, trop petit, trop bas, trop ouvert, trop mal doté en eaux vives notamment ; 
- enfin, ils rappellent que la conformation des lieux ne permet ni de situer, ni de comprendre les différentes étapes de l’affrontement censé s’y être livré, en 52 avant JC.
Qu’importe aux pontes de l’archéologie nationale ; il y a longtemps qu’ils ont fait fi de toutes ces critiques. [...]
La suite sur Le Figaro