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Que la comédie soit plus à mon goût que l'épouvante n'est pas un secret. J'ai un problème ontologique avec ce genre : je ne ressens jamais la peur au cinéma. Je ne la ressens plus en tout cas. La dernière frousse que je me rappelle, c'est devant Calme blanc (Dead Calm), un film australien vu au début des 90's, merveilleux, avec Nicole Kidman et Sam Neil titillés par un psychopathe qu'ils avaient recueilli sur leur bateau - le motif du tueur qui s'introduit chez les braves gens pour les torturer étant à peu près le seul à m'arracher quelques frissons (sauf chez Haneke bien sûr). Et puis il y eût aussi Blair Witch Project, évidemment, dans lequel j'avais marché à fond - va comprendre...Depuis rien. Les zombies, les bouchers, les monstres, les filles dans des grottes, les plantes carnivores, les adolescents pervers, les démons, les aliens, les fantômes, l'air empoisonné... Rien de tout ça ne me fait peur. Peut-etre que le fait d'avoir vu Les oiseaux à 6 ans m'a blasé... Pourtant non, puisqu'à cet âge-là, et jusqu'a 14 ou 15 ans, j'étais terrifié par les jaquettes de films d'horreur sur les étalages du video-club qu'on visitait chaque samedi après-midi, mon frère, mon père et moi. Je me souviens encore précisément des regards glaçants d'Hellraiser (déjà ce salopard de Clive Barker, donc) ou de Freddy, dont je devais me contenter pour avoir ma dose d'adrénaline puisqu'il m'était interdit de les louer. Les films d'horreur, c'est seulement mes cousins qui avaient le droit de les voir - est-ce pour ça qu'ils ont tous fini plus ou moins délinquant ?
Bref, aujourd'hui, j'ai beau voir très régulièrement des films d'horreur, ça ne marche pas. Ce qui ne m'empêche d'en apprécier certains, mais uniquement pour leur apport théorique (les premiers Romero, Scream), ou l'élégance de leur mise en scène (Kubrick, Carpenter, Argento), ou tout simplement leur capacité à émouvoir (Shyamalan, X-Files), à faire rire (le dernier Sam Raimi), à divertir (Aliens, Predator)... Ca peut être un plan ou deux (La colline à des yeux), une idée politique (Zombie), poétique (Tourneur)... Mais la peur, jamais. D'où mon désintérêt total pour un film comme The Descent, par exemple, qui ne m'arrache que des baillements.
Tout ça pour dire que quand je vois le traitement, largement favorable, réservé à l'infâme Midnight Meat Train, aussi laid qu'ennuyeux, et que je compare ces éloges à la volée de bois vert essuyée par I Love You Man, comédie pas très comique et néanmoins formidable - mais, de la même façon que je n'aime pas les films d'horreur pour l'horreur, je n'aime pas la comédie pour le rire - je me dis qu'on ne voit pas les mêmes films. Personnellement j'ai vu celui-là, et je vous le conseille (il ne joue qu'au Publicis à Paris, comme d'hab'). Alexandre Hervaud, d'Ecrans.fr, celui qui avait déjà fait de la pub pour la nuit des geeks, a visiblement vu le même. Pour moi, c'est l'anti Very Bad Trip. Et que ce dernier remporte un tel succès en dit beaucoup sur le goût des français en matière de comédie - tu me rétorqueras que le film cartonne aussi aux US, mais je te répondrai que là-bas, au moins, Judd Apatow est connu et reconnu...
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...ce qui n'est pas le cas en France et ne risque malheureusement pas de changer avec son prochain film, Funny People. J'espère me tromper, mais je pressens avec ce film le début du déclin, aussi bien commercial qu'artistique, de la veine Apatow. Ce qui est logique, puisqu'il en constitue aussi l'apogée. Alors que la signature Apatow tend à se banaliser, pour le meilleur (I Love You Man, Role Models) ou pour le pire (Rien que pour vos cheveux), le master fait un pas de côté et reprend les choses en mains, un peu brutalement certes, mais avec panache.Je ne vais pas tergiverser : le film est un chef d'œuvre. Mais un chef d'œuvre long en bouche, âpre, presque désagréable à certains instants, qui ne révèle sa saveur que dans les heures qui suivent. C'est comme si toutes les inquiétudes qui étaient en sourdine (mais déjà présentes) dans ses précédents films (la lâcheté du couple, la méchanceté derrière la bonhommie, la perfidie en amitié, les dérèglements du corps...) explosaient dans une gerbe de cruauté, comme s'il devait expulser une boule d'aigreur qui l'empêchait d'avancer, comme si, désormais seul au sommet, il regardait autour de lui et se demandait "and now what ?"?
En 2h30, le film change radicalement de direction au moins 4 fois, multiplie les personnages et les fausses pistes. Au début, on est chez Apatow, du pur Apatow (geeks, buddies, laid-back, fun...), mais déjà un truc ne colle pas, le rire bloque, retenu au niveau de la gorge par une boule au ventre qui ne nous lâche pas pendant une heure. Puis ça devient une vraie comédie, très drôle, où se greffent peu à peu des éléments de romance. Puis ça devient un drame, très cruel, un truc... je ne sais pas... antonionien presque (correctif : James L Brooksien). C'est la partie la plus dure à regarder, celle qui fait le plus mal, mais aussi clairement celle qui fascine le plus.
Le geste est audacieux. On pourrait dire qu'Apatow livre là son propre maniérisme (après, pour aller vite, le primitivisme de 40 ans toujours puceau et le classicisme de Knocked up), disséquant son humour (à base de zizis et de judaïsme) et en montrant la face sinsitre. Ca pourrait être Les rois du gag de Zidi, un truc vraiment sinistre pour le coup, ou un truc de petit malin, sauf que les changements de ton se font tellement vite que personne n'a jamais le temps de sombrer dans la médiocrité. Même salis, les personnages restent dignes (je ne dis pas "attachants" à dessein, car contrairement aux habitudes des feel good movies, peu de gens se révèlent ici aimables). Ca m'a plutôt fait penser aux Searchers de Ford, ce western sur la pente crépusculaire, avec son héros antipathique et sa relecture désenchantée du genre.
C'est par ailleurs admirablement mis en scène, bien mieux que tout ce qu'Apatow a fait jusqu'à présent. La Kaminski's touch, est pour beaucoup dans l'étrange apreté du film, comme si l'inquiétude moite de Spielberg contaminait subrepticement la tendresse habituelle d'Apatow (de toute façon, il n'est ici question que de virus et de lutte...). En fait, Apatow n'a jamais été aussi proche du Blake Edwards tardif, celui de That's life ou Ten : même tonalité, les mêmes obsessions.
Et puis Adam Sandler, que je hais d'habitude, n'a pas été aussi bon depuis l'épisode de Undeclared où il apparaissait, et dont Funny People serait une sorte de remake tragique (les fans comprendront). Apatow est le seul à savoir le filmer car le seul à avoir compris la dégueulasserie du personnage - que Sandler se prête au jeu est plus surprenant. Le dernier plan enfin... Je ne le raconterai pas, mais sache qu'il est magistral et similaire, dans l'esprit, à celui de Knocked Up (pour rappel : la petite voiture des mariés en chemin vers l'autoroute du conformisme, sourire aux lèvres)
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Ah, et puis j'ai retrouvé ça Vavavoum. J'avais fait ça à l'époque de ton passage éclair sur Mediacritik. Spécial dédicace à toi.