C'est le titre du plus beau chapitre du livre d'Olivier Assayas, sorti récemment chez Gallimard et intitulé Présences, qui donne son titre à ce billet. Le livre, que j'ai presque fini, m'a un peu laissé sur ma faim, à l'exception de ce chapitre autobiographique. Après avoir compilé dans la première partie ses textes "en marge des Cahiers", il fait une pause et publie ce texte, Des images hantées, écrit, si j'ai bien compris, en 1993. Dans cette sorte de bilan de carrière, rédigé dans un moment de crise artistique, il suit le fil rouge de la peinture, et notamment de son peintre (visiblement) préféré, Balthus, pour tenter d'y voir plus clair dans son rapport au cinéma - art du réel. Je t'en recopie ici le début, te promettant de te prêter le livre à mon retour.
"Asphyxiant bon goût de Balthus. [...] L'exposition Balthus à Beaubourg (en 1993), à ce moment où tant de choses se déterminaient, avait permis une forme de réconciliation avec moi-même, ou, pour être plus exact avec la figuration : son oeuvre était la preuve, éclatante, qu'à travers le siècle un chemin avait été possible à l'écart des théories comme des écoles, c'était tout simplement celui de la représentation du réel - aussi bien dans sa dimension fantastique ou poétique - au moyen des outils hérités de la tradition classique, et sans perdre le fil du dialogue avec les grands artistes du passé. Bref, son art imposait cette évidence, qui, pour moi, n'en avait pas toujours été une, que le rapport frontal avec le sujet était possible, énonçable au présent. [...] Il y a chez Balthus, qui a fondé son art sur une démarche solitaire, et qui, de toute son oeuvre, n'a jamais significativement dévié des principes qu'il avait tout de suite posés, la constante obsession des origines, la pureté de Giotto, bien sûr, mais aussi et surtout celle de Pierro della Francesca. Tout cela, trait pour trait, je pouvais le faire résonner en moi, je comprenais tout, intimement. [...] La figuration, c'est, je pense, la forme la plus proche du rapport naturel, originel, à la sensualité du monde, c'est la transition la plus directe entre le désir, le désir de peindre, celui de raconter - mais aussi celui plus spécifique qui détermine une oeuvre particulière - et son assouvissement."
Plus loin, à propos de la dernière oeuvre de Balthus, Le chat au miroir (1992), qu'il n'aime pas, il dit "Cette oeuvre déséquilibrée m'a troublée parce que soudain j'ai eu le sentiment qu'elle ressemblait au portrait un peu dérisoire, un peu vain, qu'Hervé Guibert donnait de Balthus dans L'homme à la peau rouge, cloîtré, dans un monde aseptisé, aux rituels maniaques et précieux, entre les gros murs de son chalet. Phobique de son temps, phobique de l'extérieur, phobique du réel, un esthète maniéré, pourquoi pas d'ailleurs, tant que cet enfermement n'asphixie pas l'oeuvre : tant que l'oeuvre y résiste. Après tout, Simenon (moins XIXe sièclen tout de même) ne vivait pas autrement à Epalinges sans que son éécriture en ait souffert."
(que penses-tu de Rilke ? Assayas en parle comme d'une influence majeure de Balthus)
(plus loin, il parle aussi de Poussin, L'ange et le guerrier)
Au fond, me disais-je, tu n'aimes pas le réel mais l'idée du réel, c'est-à-dire la littérature, et l'unique raison qui explique ton début d'intéret pour le cinéma, c'est qu'enfin tu commences à goûter aux plaisirs terrestres - une chubby girl, une paire de campers, une veste en lin.
***"Ton frère"
S.G., 19:31:08, 02/08/2009
"Asphyxiant bon goût de Balthus. [...] L'exposition Balthus à Beaubourg (en 1993), à ce moment où tant de choses se déterminaient, avait permis une forme de réconciliation avec moi-même, ou, pour être plus exact avec la figuration : son oeuvre était la preuve, éclatante, qu'à travers le siècle un chemin avait été possible à l'écart des théories comme des écoles, c'était tout simplement celui de la représentation du réel - aussi bien dans sa dimension fantastique ou poétique - au moyen des outils hérités de la tradition classique, et sans perdre le fil du dialogue avec les grands artistes du passé. Bref, son art imposait cette évidence, qui, pour moi, n'en avait pas toujours été une, que le rapport frontal avec le sujet était possible, énonçable au présent. [...] Il y a chez Balthus, qui a fondé son art sur une démarche solitaire, et qui, de toute son oeuvre, n'a jamais significativement dévié des principes qu'il avait tout de suite posés, la constante obsession des origines, la pureté de Giotto, bien sûr, mais aussi et surtout celle de Pierro della Francesca. Tout cela, trait pour trait, je pouvais le faire résonner en moi, je comprenais tout, intimement. [...] La figuration, c'est, je pense, la forme la plus proche du rapport naturel, originel, à la sensualité du monde, c'est la transition la plus directe entre le désir, le désir de peindre, celui de raconter - mais aussi celui plus spécifique qui détermine une oeuvre particulière - et son assouvissement."
Plus loin, à propos de la dernière oeuvre de Balthus, Le chat au miroir (1992), qu'il n'aime pas, il dit "Cette oeuvre déséquilibrée m'a troublée parce que soudain j'ai eu le sentiment qu'elle ressemblait au portrait un peu dérisoire, un peu vain, qu'Hervé Guibert donnait de Balthus dans L'homme à la peau rouge, cloîtré, dans un monde aseptisé, aux rituels maniaques et précieux, entre les gros murs de son chalet. Phobique de son temps, phobique de l'extérieur, phobique du réel, un esthète maniéré, pourquoi pas d'ailleurs, tant que cet enfermement n'asphixie pas l'oeuvre : tant que l'oeuvre y résiste. Après tout, Simenon (moins XIXe sièclen tout de même) ne vivait pas autrement à Epalinges sans que son éécriture en ait souffert."
(que penses-tu de Rilke ? Assayas en parle comme d'une influence majeure de Balthus)
(plus loin, il parle aussi de Poussin, L'ange et le guerrier)
Au fond, me disais-je, tu n'aimes pas le réel mais l'idée du réel, c'est-à-dire la littérature, et l'unique raison qui explique ton début d'intéret pour le cinéma, c'est qu'enfin tu commences à goûter aux plaisirs terrestres - une chubby girl, une paire de campers, une veste en lin.
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S.G., 19:31:08, 02/08/2009