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mercredi 21 mai 2008

Shotgun

Beaucoup de retard. C’était prévisible. Des problèmes de connexion m'ont empêché de publier ce texte et quelques autres. C'est réparé.

Prenons les choses dans l’ordre, cette fois. Jour 3 (samedi donc), lever étonnement facile après la Nemirov party particulièrement arrosée. On est au début du festival, ça ne va pas durer. 9h, De la guerre de Bonello à la Quinzaine. Le film est complètement raté. Bonello s’abîme dans la complaisance 8 ½ like : comme me le fait remarquer Emilie, comment peut-il encore, à 40 ans se chercher une légitimité artistique et conclure que, non, il n’est pas Bob Dylan mais que c’est très bien comme ça… Son film se plante car il ne dépasse jamais le stade de la note d’intention : une suite de bonnes idées mal mises en scène. Bonello fait le point sur l’engagement, la fuite, le refus de la grisaille, l’impossibilité à jouir, la difficulté à créer après des génies, toutes interrogations passionnantes que je connaissais, n’ayant pas vu ses précédents films, par le biais de ses textes théoriques ou interviews. Avec Amalric comme alter ego (le Christian Clavier du cinéma d’auteur, comme dit Jessie, et il n’a tout à fait pas tort), le voilà donc embarqué dans une secte neo-new-age dirigée d’une main suave par une Asia Argento bizarrement éteinte (on murmure qu’elle ne s’est pas entendu avec Bonello) et un Guillaume Depardieu excessivement ridicule (le pauvre, est-ce pour ça qu’il était si gêné, et gênant, lors de la conférence de presse). Une secte où l’on promet à Bertrand/Amalric de jouir sans entraves, où l’on mène des « batailles » (fusil en main, contre des ennemis invisibles pour des causes dérisoires), où l’on se repose beaucoup, où l’on fait l’amour pour de faux avec un gode ceinture et masque de cheval sur la tête, où, enfin, l’on danse dans la foret sur le post-rock planant de Bonello himself (je crois). Mais aussi où les gosses, parfois, s’explosent la cervelle à coup de fusil – remember Kurt. Cobain, justement : Bonello a vu Last Days (et aussi Existenz – il a bon goût Bernard) et tient à le faire savoir. La scène de plagiat (pardon, d’hommage) du travelling arrière pendant que le héros joue de la guitare est exemplaire de l’échec du film : académisme, fausse prise de risque, esprit de sérieux, rails convenants de l’auteurisme le plus frelaté. Idem pour la scène de transe : elle devient intéressante au bout de 5 minutes, lorsque s’arrête. Bonello fait dire à Amalric que la beauté c’est le risque. Soit. Qu’il en prennent alors (conseil : commencer par virer Amalric).

Bon rien de grave, la journée va être bonne : Joreige et Hadjithomas + Jia-Zhang-ke au programme, ça y est, ça va enfin commencer. 13h : « hey, ça te dit d’aller voir le film chilien à la quinzaine, c’est dans une heure, tu feras un papier si c’est bien». Coolos.

Le film, Tony Manero de Pablo Larrain, est atroce, d’ores et déjà le pire du festival (peut-être de l’année). Un petit air de Gaspard Noé en phase terminale mêlé d’Alan Clarke trisomique (le behaviourisme, fabuleux chez Clarke, est en train de devenir le dernier académisme à la mode), un film à rendre Ceylan et Haneke sympathiques, Sorrentino (L’amico di famiglia) talentueux. Soit un type affreux, sale et méchant se rêvant Tony Manero (John Travolta dans La fièvre du samedi soir) se réveillant Tony Montano (Al Pacino dans Scarface, dont l’acteur est le sosie). Il partage son temps entre une adoration maladive de Saturday night fever – il va voir le film chaque jour en salle, en répète chaque mouvement et les dialogue, et coache une petite troupe de danseurs prête à adapter son film culte sur scène – et le maraudage meurtrier dans un Chili encore sous la dictature (background politique auquel le réalisateur prête une hypocrite attention, d’ailleurs). Fan de et assassin. Why not ? Sauf que le réalisateur passe le plus clair de son temps à s’essuyer les pieds sur son personnage, jamais ne lui laisse une chance de se montrer autrement que dans sa médiocrité crasse, l’enfonce tête la première dans la fange cinématographique la plus délibérée. L’idée de la mise en scène la plus conne vue depuis des années : filmer le personnage flou la moitié du temps. Pourquoi ? Parce qu’il est pas net… Et en effet, Tony est manipulateur, laid (la photo marron, et le filmage tremblant n’arrangent rien), vicieux, il tue (au hasard), vole ses victimes, et pour finir le tableau en beauté, il bande mou – incapable de baiser correctement sa maîtresse, quand ce n’est pas la fille de celle-ci… Misérable tu es, misérable tu resteras. La fièvre du samedi soir était un grand film qui parvenait, avec une mise en scène de feu à sublimer un personnage médiocre, à l’extraire de sa misérable condition sociale par la beauté de son art (la danse). Vers la fin, Larrain filme Tony en train de chier sur le costume blanc d’un de ses concurrents au concours de sosie organisé par la télé, afin de le disqualifier. Tout est dit dans ce plan : un film comme on fait caca.

Excédé, je sors de la salle et cours pour choper le Jia Zhang-ke. Que je rate piteusement, voyant les derniers spectateurs rentrer juste devant moi. Shotgun.

Je marche une bonne heure pour me calmer (en espérant, pour sa santé, ne pas croiser Pablo Larrain), prend un verre avec Emilie et Jessie et échoue finalement à la Semaine de la Critique. Chienne de journée décidemment : Better things, de Duane Hopkins est un navet ultra-complaisant sur la décadente jeunesse anglaise, prise en étau entre la misère sociale et l’héro, broyée entre une photo bleutée et une mise en scène au cutter (gros plans, fixes, points de vue fragmentées) faisant ressembler le film à une de ces pub anglaises atroces (à ce rythme, il va falloir que je renouvelle mes insultes d’ici la fin du festival, pour ne pas me répéter) où l’horreur survient après un calme apparent ; tu sais ces pubs pour la prévention routière ou le SIDA, ou la drogue. On s’attend à voir apparaître d’un instant à l’autre un slogan publicitaire (Drug is bad, Desperate youth), mais choisissant de ne pas rester jusqu’à la fin, nous ne le saurons jamais. Haneke est malheureusement le cinéaste le plus influent du monde…

Heureusement, le court-métrage qui le précède est sublime : Ahendu Nde Sapukai de Pablo Lamar, un jeune paraguayen exilé en Argentine qui parvient un instant à me réconcilier avec le cinéma latino-américain. Son film est un plan fixe d’un quart d’heure sur une procession funéraire, plastiquement magnifique et pourtant tout simple (une colline, une cabane, une lumière crépusculaire, des silhouettes se déplaçant). Après Hamaca Paraguaya de Paz Encina (dont le dispositif est très proche) il y a deux ans, confirmation qu’il se passe un truc passionnant à Asuncion. J’y reviendrai.

Je décide de ne plus prendre le moindre risque pour aujourd’hui et m’engouffre avant que l’orage n’éclate dans la salle du 60e pour voir Lola Montès de Max Ophuls en copie restaurée et director’s cut. Un émerveillement, qui suffit à racheter tous les errements de la journée. J’y reviens plus tard, également (à la fin de mon petit cycle Ophüls).

Soirée tranquille au village international (où je parle beaucoup avec Pablo et son amie Gabriela), tentative infructueuse d’entrer à la soirée Mesrine au Jimmy’s (Kassovitz s’est battu à l’intérieur avec Cassell et a planté la soirée, à ce qu’il paraît), fin de soirée au Porto, le débarcadère des losers. Le serveur, molesté par les questions et remarques hautaines et néanmoins cordiales de D.Chou (tu connais Davy) souhaite le tabasser. Il ne le fera pas, ce que je regrette sincèrement car j’aurais aimé défendre l’intégrité physique de mon ami cambodgien avec mes petits poings (tu sais, Davy, ça nous ramène au rêve que je te racontais l’autre soir, lorsque je devais te sortir de la fosse aux lions). « Les mecs comme toi, en Corse, on les donne à bouffer aux cochons. Si je te recroise par ici, je te coupe en deux », lui dit le type avant qu’on parte. On se marre bien à Cannes, tout de même. Il ne pleut plus.